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Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

À Lyon, pas si facile de refuser les dark stores : « Ils sont invisibles »

À Lyon, pas si facile de refuser les dark stores : « Ils sont invisibles »

[Série 1/2] La Ville de Lyon a fait grand bruit quand elle a annoncé ne pas vouloir de Dark stores à Lyon, ces commerces en ville qui n’accueillent pas de public mais servent de centre d’entrepôt et centre de distribution. Un discours fort et engagé, qui est peut-être un peu plus facile à dire qu’à faire.

« Nous ne voulons pas d’une ville-entrepôt, sans vitrines, où chacun reste chez soi ».

C’est la citation phare de Camille Augey, adjointe à l’économie durable et locale à la ville de Lyon lors du conseil municipal du 16 décembre 2021. Repris dans de nombreux médias locaux et nationaux, son discours place l’exécutif écologiste de Lyon en opposition dure contre le phénomène d’ « ubérisation » des grandes villes et métropoles de France.

Une posture louable mais peut-être pas forcément tenable dans les faits.

L’implantation d’un dark store empêchée dans le 6e arrondissement de Lyon

La façade mystérieuse d'un des Dark stores lyonnais à Moulin à Vent, à la frontière entre Vénissieux et Lyon 8è. ©BE/Rue89Lyon
La façade mystérieuse d’un des dark stores lyonnais à Moulin à Vent, à la frontière entre Vénissieux et Lyon 8e. Photo BE/Rue89Lyon

Ce discours, l’élue écologiste le prononce en accédant à la demande déposée par le maire LR du 6e arrondissement, Pascal Blache. Camille Augey confirme la décision de la Ville de Lyon d’annuler l’implantation d’un dark store dans le cossu arrondissement lyonnais.

Les dark stores qu’on pourrait traduire par « Magasins obscurs », sont des entrepôts prenant place aux rez-de-chaussée des centres villes et qui servent de zone de stockage pour distribuer des biens de supermarché par livreurs, tantôt en scooter, tantôt en vélo. Un phénomène qui a déjà envahi Paris. L’Apur (l’Atelier Parisien d’Urbanisme) en dénombrait 80 en janvier 2022.

Retour au cas lyonnais : c’est la start-up Flink créée en 2020 à Berlin qui tentait de s’installer dans le centre ville lyonnais, place de l’Europe (Lyon 6e), à quelques encablures des Halles Paul Bocuse. Les travaux ont commencé depuis un mois quand la mairie de Lyon pose son véto, usant de l’argument massue du PLU-H (le plan local d’urbanisme) qui ne permet pas dans cette zone l’implantation de ce type de commerces sans vitrines, ni possibilité d’y faire ses courses.

« Est-ce que le pratique peut tout justifier ? »

Camille Augey  profite de l’annonce de cette décision pour dessiner la vision de la majorité sur ce sujet :

« Avons-nous-vraiment besoin d’un paquet de pâtes ou d’un shampoing en moins de 10 minutes sans sortir de chez nous ? Ce n’est pas cette ville de ce quart d’heure-là que nous appelons de nos vœux. »

Camille Augey, 11e adjointe à l'économie durable et locale à la ville de Lyon. Une photo de la Ville de Lyon
Camille Augey, 11e adjointe à l’économie durable et locale à la Ville de Lyon. Une photo de la Ville de Lyon

Outre le souci de sauvegarder un peu de convivialité à l’heure de la désertification des centres-villes, l’élue soulève les problèmes qu’apporteraient l’implantation globale de ce type de structure dans la ville de Lyon :

    précarité des livreurs,concurrence déloyale à l’égard des petits commercesgêne sonore et visuelle continue.

Camille Augey rejette aussi en bloc l’idée que ces commerces pourraient répondre à un véritable besoin des lyonnais. Elle confie à Rue89Lyon :

« Je reste convaincue qu’à Lyon l’offre est suffisamment étendue pour permettre à tous de faire ses courses. Alors oui, ça peut être pratique. Mais est-ce que le pratique peut tout justifier ? »

Elle dénonce aussi des prix qui sont plus élevés qu’en supermarché sans pour autant permettre de mieux rémunérer les livreurs (voir le volet 2). Par ailleurs, pour Ludovic Rioux, délégué CGT livreurs à Lyon, l’annonce de la mairie est un coup de pub :

« C’est un effet d’annonce, et ça a fait grand bruit parce que c’était dans le 6e arrondissement. Ils refusent un Flink, c’est un Getir qui finira par s’implanter. Pour l’instant je ne vois pas comment cette déclaration est tenable dans les faits. »

À Lyon, les dark stores profitent d’un vide juridique

Une idéologie plutôt assumée par la Ville donc à laquelle Villeurbanne a d’ailleurs emboîté le pas quelques semaines après la prise de parole de l’élue. La municipalité a refusé l’implantation de la plus grande « dark kitchen » de France (littéralement « cuisine obscure », désignant un restaurant uniquement disponible à la vente en ligne et livraison).

Pourtant, ce front uni contre l’ « ubérisation » des centres-villes pourrait assez vite s’effriter. Les dark stores sont « invisibles » selon la Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCI) de Lyon :

« La case « dark store » n’existe pas encore, et surtout, elle n’est pas encore très réglementée. Ils se déclarent en tant que commerces en ligne. »

Aux yeux du Registre du Commerce et des Sociétés, pas de grande différence entre la petite boutique en ligne d’un artisan qui fabrique ses bougies dans sa chambre et l’entrepôt de livraison d’un Gorillas, Getir ou Cajoo qui livre plus de 300 fois par jour :

« En s’immatriculant, les dark stores n’ont pas spécifié qu’ils prenaient la surface d’un commerce, mais plutôt d’un entrepôt. D’ailleurs les conditions à respecter pour ouvrir un commerce en ligne sont vraiment moins strictes que pour un magasin accueillant du public. »

La Chambre du Commerce et de l’Industrie de Lyon tacle même :

« Difficile de les arrêter si on ne les voit pas. »

« La plupart des dark stores de Lyon ne se déclarent pas »

Un vide juridique qui demande aux villes anti-dark stores de mener elles-mêmes la chasse aux entrepôts fantômes. Camille Augey le reconnaît :

« Pour l’instant ça va, on en a un peu moins de six à Lyon donc on suit, mais on attend une clarification juridique parce que la plupart ne se déclarent pas. »

L’élue insiste aussi sur un autre aspect : le recours à l’argument du PLU-H est un levier exceptionnel qui ne peut pas être mobilisé à chaque fois qu’un dark store cherche à s’implanter dans la ville :

« Flink qu’on a refusé boulevard d’Europe essaie déjà de s’implanter ailleurs, aux abords des Halles du Faubourg [Lyon 7e]. »

Ce n’est pas dans la compétence des villes de juger si une activité commerciale est légitime à s’implanter. Même si l’élue déclare qu’elle fera appel au code de l’urbanisme autant de fois que possible, elle craint une multiplication des demandes :

« À l’échelle nationale, on observe une course à l’implantation des dark stores car à la fin il n’en restera que deux ou trois. On continuera d’étudier les dossiers au cas par cas tant que ça reste maîtrisable. »

Camille Augey souhaiterait tout de même une clarification nationale qui édicterait la catégorie dans laquelle se place cette activité. Cela donnerait des pistes sur comment les communes doivent l’encadrer :

« J’ai saisi France Urbaine, le réseau des grandes villes et des métropoles pour qu’ils se prononcent sur la question. »

En attendant, certains dark stores n’ont pas la patience de jouer au chat et à la souris avec la Ville de Lyon, comme la start-up turque Getir, qui s’est installée à Vénissieux, pile à la frontière avec Lyon 8e, dans le quartier Moulin à Vent.

La façade mystérieuse d'un des Dark stores lyonnais à Moulin à Vent, à la frontière entre Vénissieux et Lyon 8è. Photo Google Street View
La façade d’un des dark stores lyonnais à Moulin à Vent, à la frontière entre Vénissieux et Lyon 8e. Photo Google Street View

#Dark stores

A Lyon, avec les ados de la « colo Youtube » : « Aujourd’hui tout le monde peut raconter ce qu’il veut sur sa chaîne »

A Lyon, avec les ados de la « colo  Youtube » : « Aujourd’hui tout le monde peut raconter ce qu’il veut sur sa chaîne »

Dans la région de Lyon, des ados peuvent se mettre dans la peau d’un Youtubeur, au cours d’une « colo Youtube ». Une action d’éducation aux médias proposée par l’association Vitacolo. Reportage à Dardilly, près de Lyon.

Dans le couloir du lycée horticole de Dardilly, à quelques kilomètres de Lyon, Angélique sourit face caméra, la perche du micro tendue à quelques centimètres de son visage. Devant elle, sa camarade Camille lance l’enregistrement. « Moteur, silence, action ».

« Salut les petits potes ! Aujourd’hui, je vais vous emmener visiter les lieux. D’abord, on passera voir les activités en cours, le projet légo, le théâtre Et puis on ira voir le foyer, la cour, le terrain de sport… Suivez-moi ! »

Cheveux courts et sweat rouge, l’adolescente de 14 ans entame sa déambulation dans les salles du lycée, suivie par ses deux acolytes en charge de la technique. Plus tard, elles échangeront leurs rôles, afin que toutes passent devant et derrière la caméra.

Des adolescentes en plein tournage lors de la colo Youtube à Lyon.
Des adolescentes en plein tournage lors de la colo Youtube à Lyon.Photo : MH/Rue89Lyon

Création d’un « vlog » sur la colo

Pendant une semaine, un petit groupe de six jeunes joue les « youtubeurs en herbe », du nom de l’activité proposée et encadrée par l’association Vitacolo. Organisée lors des vacances scolaires, la colo propose à des jeunes âgés de 10 à 17 ans de se mettre dans la peau d’un Youtubeur.

« L’idée est de leur montrer tous les aspects de la création d’une chaîne. Ce qui se passe devant la caméra, mais aussi l’envers du décor, l’écriture de scénario, la maîtrise du son et de l’image, et puis le montage des rushs », détaille Sarah, l’animatrice en charge de l’activité Youtube.

L’association est d’ailleurs bien équipée. Fond vert pour s’entraîner, caméra et perche micro, logiciel de montage Adobe première pro. Quant au montage, il se fait sur les ordinateurs du lycée.

Après s’être essayés aux différents outils, le petit groupe a décidé de créer un vlog : un blog sous forme de vidéo racontant le quotidien de la colo.

« Quand la chaîne sera créée, on veut aussi faire des interviews avec les jeunes des autres projets », ajoute Valentine, 11 ans et demi.

Pour toutes, il s’agit d’une première expérience.

« J’ai déjà réalisé une stop motion chez moi : j’ai installé mes playmobil, et je les ai bougés en les filmant. J’ai appris qu’il faut 5000 images pour obtenir 5 minutes de vidéo », explique Valentine.

Angélique, elle, est une grande fan de la Team Crouton sur Youtube.

« J’ai vu toutes leurs vidéos, du coup je connais bien les chaînes et les vlogs, je sais comment ils parlent devant la caméra, mais c’est la première fois que je crée la mienne », s’enthousiasme la jeune fille.

Discrète, Camille, elle, explique vouloir « imaginer et comprendre ce que les youtubeurs ressentent, quand ils tournent ».

Sarah, animatrice du projet Youtube, encadre les jeunes lors du montage des vidéos
Sarah, animatrice du projet Youtube, encadre les jeunes lors du montage des vidéos

De retour dans la salle de classe, Valentine et Angélique s’installent derrière un poste pour dérusher et renommer la dizaine de vidéos tournées dans l’après-midi. Epaulé par Sarah, Lucas, 11 ans, a entamé le montage de la première scène tournée le matin. Minutieusement, il écoute et réécoute chaque vidéo pour couper et monter ensemble les meilleures prises. A la fin de la semaine, lors de la dernière veillée, ils montreront le contenu de leur chaîne au reste de la colo [le contenu privé de la chaîne présentant des mineurs n’est visible que des administrateurs de Vitacolo].

Colo Youtube, éducation aux images et aux réseaux sociaux

L’atelier est également l’occasion de discuter des fake news.

« Comment repérer une bonne fake news ? », interroge Sarah, l’animatrice. « Aujourd’hui vous l’avez vu, tout le monde peut avoir sa chaîne Youtube et raconter ce qu’il veut. »

L’accompagnatrice lance alors un petit jeu. Divisés en deux groupes de trois, les adolescents doivent déterminer, parmi un panel de photos légendées, lesquelles semblent fiables, et celles à ranger dans la catégorie « fausse information ».

« Le navire est beaucoup trop bien posé sur la colline pour être lié au tsunami”, assure Valentine.

>> Lire la suite sur notre plateforme dédiée à l’éducation aux médias

Antoine Pariset, paysan au sud de Lyon : « Quand je me suis installé, ma ferme était menacée par une autoroute »

Antoine Pariset, paysan au sud de Lyon : « Quand je me suis installé, ma ferme était menacée par une autoroute »

[Militants écolos à Lyon] Paysan et porte-parole de la Confédération paysanne du Rhône, Antoine Pariset était présent aux Soulèvements de la Terre samedi 5 mars à Lyon pour dénoncer les agissements du géant de l’agro-industrie : Bayer-Monsanto.

Ce 5 mars, plus de 1500 personnes ont manifesté dans le quartier de Vaise (Lyon 9e) contre le géant de l’industrie pharmaceutique et agrochimique Bayer-Monsanto. Des étudiants en journalisme de l’université Lyon 2 sont allés à leur rencontre. Nous publions leurs portraits.

« Je suis à peu près au milieu de la manif, derrière la grande pancarte blanche où il y a marqué « Cancer made in Bayer » … et j’ai une casquette sur la tête ». C’est par téléphone, entre les coups de sifflets, les slogans, les pétards et la fanfare que commencent mes échanges avec Antoine Pariset.

Ce paysan de 35 ans est avec sa femme à la tête d’une ferme située à Orliénas, au sud-ouest de Lyon. Une exploitation de légumes d’un peu plus de quatre hectares : « une ferme à taille humaine » comme il aime à le rappeler. Son agriculture, diversifiée et biologique, est destinée à la vente direct, et à l’approvisionnement de restaurants, d’épiceries ou de cantines scolaires. Cela fait six ans qu’Antoine est installé à son compte, mais plus d’une dizaine d’année qu’il travaille dans le milieu agricole, et autant de temps de militantisme à la Confédération paysanne.

« Quand je me suis installé, ma ferme était menacée par une autoroute »

La construction de l’A45, la nouvelle autoroute qui devait relier Lyon à Saint-Etienne, aurait pu conduire à la démolition pure et simple de sa ferme.

« La Conf’ était en première ligne pour se battre contre cette autoroute », explique Antoine, le sourire aux lèvres parce qu’« on a gagné. »

C’est cette expérience qui l’a poussé à se syndiquer à la Confédération Paysanne, syndicat agricole classé à gauche qui milite « pour une agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs ».

Le combat du syndicat pour une agriculture paysanne passe par celui pour l’écologie et l’environnement, pour la défense de fermes à taille humaine et l’autonomie des paysans.

Pour Antoine, « la résilience des paysans » doit se fonder sur leur savoir-faire. En d’autres termes, si le paysan veut planter quelque chose dans son champ, il en est capable tout seul. Il n’a pas besoin de conseillers, de techniciens, de mécaniciens, de laboratoires, etc : il sait tout faire.

« L’agriculture et l’alimentation, c’est un sujet de société »

Antoine soutient que l’autonomie devrait « être à la base de notre agriculture et donc de notre alimentation ». Ces savoir-faire permettent la maîtrise de la production et de la vente des produits, et donc l’indépendance.

Le jeune paysan continue en expliquant que « l’agriculture paysanne se bat surtout pour une maitrise des revenus ». Elle permet de développer l’autonomie des fermes, notamment en limitant les achats en semences et en alimentation animale : si tout, ou presque, est produit dans la ferme, pas besoin d’aller acheter ailleurs. L’agriculture paysanne tend également à limiter au maximum sa dépendance aux énergies fossiles, d’autant plus que les prix ne font qu’augmenter. En l’écoutant, on comprend que l’objectif est finalement d’avoir un revenu plus stable et moins soumis aux aléas économiques et aux bons vouloirs des grands groupes, et donc de maîtriser son endettement et sa dépendance aux aides financières extérieures.

Antoine Pariset, paysan à Orliénas au sud-ouest de Lyon et membre de la Confédération paysanne. ©Théo Bourrieau
Antoine Pariset, paysan à Orliénas au sud-ouest de Lyon et membre de la Confédération paysanne.Photo : Théo Bourrieau

« Je participe comme paysan et comme syndicaliste »

Selon le jeune syndicaliste paysan, « l’agriculture promue par Bayer-Monsanto, mais aussi par le gouvernement français est une agriculture sans paysans, non résiliente et pas autonome, qui détruit les sols et les vies des travailleurs ».

« En plus de produire des pesticides, l’entreprise a pris le virage de l’agriculture numérique pour vendre des outils technologiques qui vont à l’encontre de l’autonomie des paysans ».

Pour Antoine, l’objectif de cette mobilisation des Soulèvements de la Terre était d’alerter sur les conséquences négatives de l’agrochimie.

Le porte-parole de la Confédération paysanne n’a pas pu participer au actions de blocage des 4 et 5 mars parce qu’il était « sur le marché pour vendre mes légumes ».

En revanche, il les soutient « complètement » et rappelle que « les Faucheurs volontaires qui sont à l’origine de ces actions sont très proches de la Confédération paysanne ». Samedi après-midi, il était parmi 1500 personnes qui défilaient contre Bayer-Monsanto.

Paysan dans le sud-ouest de Lyon : « j’ai essayé d’être rock-star mais ça n’a pas marché »

Les premières expériences militantes d’Antoine, comme celles de beaucoup d’autres activistes de sa génération, ont eu lieu au lycée, en 2006, contre le Contrat Première Embauche (CPE). S’il a par le suite voyagé en Italie pour suivre des cours dans une fac de philosophie, il a surtout eu plusieurs petits boulots, sans vraiment savoir ce qu’il voulait :

« J’ai essayé d’être rock-star mais ça n’a pas marché ».

Il a découvert avec des amis le secteur agricole :

« ça m’a plu alors je me suis installé ».

Rien, ou pas grand-chose, ne le destinait à devenir paysan. S’il est né et a grandi à Orliénas, dans la campagne au sud-est de Lyon, ses parents n’étaient pas agriculteurs. Orliénas, c’est finalement là où il a installé sa ferme, en récupérant un morceau de terrain appartenant à sa famille.

De sa fac de philosophie, l’orliénasiens retient d’abord que « les réflexions qui nous traversent sont les mêmes depuis l’avènement du langage jusqu’à aujourd’hui » et que « quand on travaille avec le vivant, on ne peut qu’être fasciné par Spinoza ou par Nietzsche ».

Le jeune agriculteur conclu notre conversation en admettant qu’il y a des racines communes entre la philosophie et l’agriculture, voire « des rhizomes, comme dirait un paysan ».

« Look Up ! » : une marche pour le climat ce samedi à Lyon

« Look Up ! » : une marche pour le climat ce samedi à Lyon

« Look Up ! » c’est le nouveau nom de la marche pour le climat organisée ce samedi dans plusieurs villes de France dont Lyon.

À Lyon, la manifestation est organisée par Lyon Climat, Alternatiba, Greenpeace, Notre affaire à tous, Plus jamais ça Rhône et le collectif pour une Convention Citoyenne pour le Climat en Auvergne-Rhône-Alpes. 543 associations en tout ont répondu à l’appel national et unitaire à manifester. À Lyon, la marche partira de la place Jean Macé (Lyon 7è) à 14 heures.

Samedi dernier, une autre manifestation pour l’environnement a réuni plus de 1500 personnes à Lyon, contre l’agro-industrie et plus précisément Bayer-Monsanto. Au cours d’un parcours de taille réduite, des militants de tout bord ont marché loin du siège de l’entreprise sur les quais de Saône (Lyon 9e). L’après manifestation a été émaillé de violences.

L’événement de ce samedi promet une autre ambiance, dans le centre-ville de Lyon.

La marche pour le climat « Look Up » à Lyon : une référence à Netflix

Le nom de l’appel est une référence au film diffusé par Netflix « Don’t look up » dans lequel on peut voir Jennifer Lawrence et Leonardo Di Caprio tenter d’alerter la population de l’imminente fin du monde. Ils se heurtent tantôt au mépris, tantôt au désintérêt de leurs interlocuteurs qui refusent de les croire. Une situation qui n’est pas ressentie comme étrangère pour de nombreux militants de l’environnement.

Les associations et collectifs pour le climat comptent donc sur ces manifestations partout en France pour mettre la cause climatique au premier plan un mois avant l’élection présidentielle.

En tête de la marche, une banderole « Fin du monde, fin du mois, même combat ». © AD / Rue89Lyon.
En tête d’une marche pour le climat de 2018, une banderole « Fin du monde, fin du mois, même combat ».Photo : AD / Rue89Lyon.

« Si l’on souhaite vraiment protéger l’environnement, il faut s’engager dans la désobéissance »

« Si l’on souhaite vraiment protéger l’environnement, il faut s’engager dans la désobéissance »

[Militants écolos à Lyon] Samedi 5 mars, plus de 1500 militants écolos ont manifesté dans le quartier de Vaise (Lyon 9e) contre le géant de l’industrie pharmaceutique et agrochimique Bayer-Monsanto. Des étudiants en journalisme de l’université Lyon 2 sont allés à leur rencontre. Nous publions leurs portraits.

Etudiant en écologie, César s’est engagé au sein du collectif Youth For Climate (YFC). Samedi dernier, il est venu d’Angers pour participer au rassemblement “Les Soulèvements de la terre“  contre Bayer-Monsanto.

« Je me suis vraiment engagé quand j’ai réalisé que les actes individuels ne changeaient pas grande chose. ».

Comme pour beaucoup de celles et ceux interrogés lors de la manifestation contre Bayer-Monsanto, la lutte contre le réchauffement climatique est une priorité vitale pour César.

César est très impliqué dans Youth For Climate dont le coup d’éclat date du 15 mars 2019. « YFC » avait réuni plus de 200 000 jeunes dans toute la France dans le cadre de la journée mondiale de grève scolaire pour le climat. Leur objectif : sensibiliser et surtout dénoncer l’inaction des dirigeants politiques en matière de justice climatique et sociale, de protection de l’environnement et de biodiversité. A cette époque, César était lycéen.

« Nous comptons dans les rangs de Youth For Climate, des lycéens, des mineurs, qui sont extrêmement engagés », précise César, qui, a aujourd’hui vingt ans et est étudiant.

«Avec les rapports du GIEC, tu te rends compte que les actes individuels ne suffisent pas » 

César a toujours voulu intégrer un collectif militant, « J’ai très tôt était sensibilisé à l’urgence climatique ». Tout commence au lycée où certains professeurs impliqués dans la sensibilisation environnementale l’initient aux bons gestes écolos :

« Éteindre la lumière lorsqu’on sort d’une pièce, trier ses déchets, prendre des douches courtes, etc», récite celui qui a bien retenu la leçon.

Étudiant en écologie, il a choisi ce cursus pour pouvoir protéger l’environnement à son échelle. Mais son constat est sans appel : si ses études lui apportent un regard différent sur les écosystèmes, elles ne lui permettent pas d’agir.

« En travaillant dans le milieu, on ne participe pas directement à la protection de l’environnement, car le problème ne s’arrête plus à la conservation des espèces, le problème est politique. Si l’on souhaite vraiment protéger l’environnement, il faut s’engager dans la désobéissance », conclut-il.

Pour César, les responsables de l’urgence climatique et de la disparition de la biodiversité sont les grandes entreprises et les politiques. Ils toléreraient presque la dégradation de la planète en faveur des intérêts économiques.

« On s’adresse aux politiciens, car ce sont eux qui jouent le rôle d’intermédiaire entre les grandes entreprises et nous », ajoute-t-il.

Sur le militantisme, César estime qu’aucun militant ne s’engage sur un coup de tête : « Je pense qu’il y a une sorte de gradation dans l’engagement », associant l’engagement à un déclic « à travers les médias, par exemple, tu vois le rapport du GIEC – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – et tu te rends compte que les actes individuels ne suffisent pas ».

César, militant de Youth For Climate, est venu d'Angers participer aux "Soulèvements de la Terre" contre Bayer-Monsanto à Lyon
César, militant de Youth For Climate, est venu d’Angers participer aux « Soulèvements de la Terre » contre Bayer-Monsanto à Lyon

« Je suis plutôt pessimiste »

Le collectif Youth For Climate multiplie ses actions : au niveau local grâce à ses différentes antennes implantées en France, au niveau national et au niveau international, en s’alliant à des collectifs étrangers. En effet, les 25 et 26 mars prochains, le mouvement se mobilise partout dans l’Hexagone, en tant qu’antenne française du mouvement international Fridays For Future qui appelle à une grève internationale.

« Localement, on mise plutôt sur des petites actions. À titre d’exemple, ça nous arrive de faire un tour dans les magasins concernés par l’exploitation des Ouïghours où on colle des étiquettes de dénonciation sur les vêtements exposés », raconte-t-il. Quant aux grandes actions prévues au niveau national, César a préféré ne pas donner davantage de détails : « On ne peut pas les divulguer, il ne faut pas que les flics soient au courant. »

Il rappelle qu’en septembre 2021, sept jeunes militants de Youth For Climate, poursuivis pour avoir participé à un squat dans le dixième arrondissement de Paris, ont vu leurs métadonnées transmises à la police. La justice française avait saisi Europol pour récupérer auprès de Protonmail – une messagerie chiffrée suisse – les adresses IP d’activistes de « YFC », dont le domicile a été par la suite perquisitionné. Des lignes téléphoniques ont aussi été mises sous écoute. 

« Je suis plutôt pessimiste », c’est sur cette phrase que le militant a choisi de clore notre échange. Selon lui, la planète Terre se rapproche du pire des scénarios :

« A ce stade, tout repose sur l’action de l’État et des entreprises ! Nous appelons à un changement de modèle, un virage radical, des mesures rapides et drastiques. »

Réunion publique sur la rénovation de la Duchère : « Ils ont fait ça entre eux »

Réunion publique sur la rénovation de la Duchère : « Ils ont fait ça entre eux »

Mardi 8 mars 2022, il n’y avait pas foule à la réunion publique visant à informer les habitants des avancées de la rénovation urbaine à la Duchère. Les principaux concernés – les habitants du sous-quartier de la Sauvegarde – n’ont pas été mobilisés.

Mardi dernier, seule une petite cinquantaine de personnes ont assisté à la réunion publique dont le but était d’informer les habitants du quartier de la Sauvegarde – un sous-quartier de la Duchère – des avancées du projet de renouvellement urbain au sujet des aménagements des espaces publics. Cela se déroulait dans à la grande Halle d’athlétisme Stéphane Diagana, à un kilomètre de la Sauvegarde.

À la réunion publique, on comptait en grande partie des personnes âgées. Plusieurs des personnes qui ont pris la parole déclaraient venir de Champagne-au-Mont-d’Or.

L'affichette placardée à la Sauvegarde invitant à la réunion publique le 7 juillet 2022.
L’affichette placardée à la Sauvegarde invitant à la réunion publique du 7 juillet 2021.

Le pôle communication et concertation de la mairie de Lyon avait envoyé un mail pour informer les habitants de la tenue d’une réunion publique.

Rue89Lyon a joint les habitants de la Sauvegarde rencontrés au cours de notre démarche Quartiers Connectés. Aucun n’était informé de cette réunion publique, ni par mail, ni par aucun autre moyen.

La dernière réunion publique date du 7 juillet 2021. Elle avait eu lieu à la Maison des Fêtes et des Familles, au sein même du quartier de la Sauvegarde et de petites affichettes avaient été placardées dans tout le quartier. Même si cette réunion avait vu l’afflux de nombreuses personnes qui n’étaient pas de la Sauvegarde et pâtissait déjà d’une sous-représentation de jeunes et d’actifs, au moins, plus de sièges étaient occupés.

Sofiane, à la Duchère : « J’aurais su, je serais venu à la réunion publique »

Les élus et techniciens qui pilotent le Grand Projet de Ville ont pourtant tenté de mettre en avant leur volonté de toucher les habitants en donnant notamment la parole à deux représentants du Conseil citoyen et en invitant cinq jeunes garçons de la MJC à donner leur avis sur les aménagements. Ceux-ci ont donc pu insister sur leur désir de voir le city stade (un petit terrain de foot) rester à la même place.

De même, ils ont invité le rare public à « remotiver tout le monde à participer aux ateliers de concertation ». Dans le mail d’invitation à la réunion, il était aussi écrit : « Merci de bien vouloir relayer cette information auprès de vos publics, voisin·es et ami·es ».

Des tentatives visiblement infructueuses.

Sofiane (prénom d’emprunt) habite la barre 440 à la Sauvegarde. Il est directement concerné par les opérations de réhabilitation du quartier. Nous l’avions longuement rencontré en juillet 2021 :

« On n’a pas eu l’info, ils ont fait ça entre eux. J’aurais su, je serais venu, pour parler un peu plus de la rénovation que des arbres. »

« J’en ai marre qu’ils parlent de potagers et d’arbres »

Sofiane fait ici référence à la communication qu’il juge plus largement faite au sujet des potagers participatifs et de la végétalisation que des conditions matérielles de vie des habitants. Il aborde des rénovations du parc locatif toujours aussi hasardeuses :

« En ce moment ils ont attaqué ma barre [440, ndlr] pour les rénovations. En gros, là, ils refont l’isolation, mais les mecs ont l’air perdu. Ils laissent tout traîner, les outils, les matériaux, ce n’est pas protégé et c’est dangereux pour les enfants. Samedi matin un ouvrier s’est mis à taper comme un dingue à 7h30 sur mon balcon, je me suis fâché. Moi-même je travaille dans le bâtiment et je me lève très tôt toute la semaine. »

Il complète :

« J’aurais aimé venir pour leur dire que j’en ai marre qu’ils parlent de potagers et d’arbres. La Sauvegarde est déjà un des quartiers les plus verts de Lyon. J’aimerais qu’ils s’intéressent un peu plus à nos conditions de vie à l’intérieur des logements sociaux, est-ce que nos enfants ont accès à des activités ? est-ce qu’on a des places pour se garer ? Ce genre de choses. »

Le balcon de Sofiane* et Sarah* dans le quartier de la Sauvegarde.
Le balcon de Sofiane dans le quartier de la Sauvegarde.Photo : LS/Rue89Lyon

Fidène est une jeune mère du quartier. Elle aussi ignorait la tenue de la réunion, elle aurait également souhaité y assister :

« Si on doit seulement parler d’aménagements, j’aimerais bien aborder les jeux pour enfants. J’aimerai qu’il y en ait plus plus. Ma fille est timide et la plupart des jeux du quartier sont pris d’assaut, on va au Parc du Vallon la plupart du temps. »

« J’ai l’impression que ce n’est pas leur priorité le logement à la Duchère »

Mais pour Fidène, les aménagements extérieurs du quartier ne sont pas la préoccupation première des habitants. Elle aurait aimé profiter de l’occasion pour apostropher les élus sur les soucis de logement rencontrés par de nombreuses familles :

« Par exemple, ma sœur qui habite à la barre 410 est en demande de relogement depuis deux ans, alors qu’elle vit avec nos deux frères, notre mère, son mari et son bébé. Tout ce monde dans un T3. En plus, mon beau-frère a un emploi. Je ne comprends pas. »

Elle se souvient :

« J’étais dans la même situation en 2013. En quelques mois ils m’avaient proposé cinq appartements. Là, ils ne font que de dire à ma sœur qu’elle est sur liste d’attente, que ça va venir. Elle n’a pas eu une seule proposition. Il y avait un moment où je me rendais tous les jours dans les locaux de Grand Lyon Habitat [le bailleur social, ndlr] pour suivre l’évolution du dossier, j’ai fini par perdre patience. »

Même si sa sœur a des revenus, elle n’a pas les moyens de louer dans le parc privé à Lyon. Pour Fidène, ce type de problématiques témoigne d’un désintérêt grandissant à l’égard des habitants « historiques » du quartier. Elle souligne aussi les soucis de chauffage, les moisissures et l’humidité dans les logements, ou encore les rats et les pigeons qui envahissent régulièrement le quartier. Elle ajoute :

« J’ai l’impression que ce n’est pas leur priorité le logement et nos conditions de vie derrière les murs. »

« J’espère qu’il y aura suffisamment de places de parking »

Fatima habite le quartier depuis plusieurs dizaines d’années. Rencontrée par Rue89Lyon en octobre 2021, elle aussi déclare n’avoir pas reçu l’information sur la réunion publique.

« Pourquoi l’avoir faite aussi loin ? On n’a pas tous l’énergie de marcher jusqu’au stade [la Halle Diagana est situé à côté du stade Balmont du club de foot Lyon-La Duchère, ndlr]. Moi j’aurais bien aimé y aller, pour entendre ce qu’ils avaient prévu. »

Capture d'écran du plan de rénovation urbaine du quartier, disponible sur https://www.gpvlyonduchere.org/
Capture d’écran du plan de rénovation urbaine de la Sauvegarde à la Duchère, disponible sur le site du GPV

Une fois tenue au courant des améliorations prévues le Grand Projet de Ville, Fatima s’en réjouit :

« Je suis contente qu’ils aient décidé de mettre des bancs, c’est vraiment ce qui manquait, surtout pour les personnes âgées. »

Fatima ne manque jamais de s’entretenir des nouvelles avec ses voisines. Elle semble pourtant très étonnée à l’évocation du projet de halle couverte sensée accueillir une partie du marché du mercredi et du samedi à la Sauvegarde :

« Ils vont faire ça ? C’est super, comme ça on pourra même faire le marché quand il pleut ! Vraiment c’est bien, parce qu’en plus ça va attirer des gens, alors qu’il y a de moins en moins de marchés à la Duchère. »

Elle marque une courte pause avant de conclure, pensive :

« J’espère seulement qu’il y aura suffisamment de places de parking. »

TCL : des envies de gestion publique dans la majorité métropolitaine

TCL : des envies de gestion publique dans la majorité métropolitaine

À l’occasion du projet d’allotissement du prochain appel d’offres pour l’exploitation du réseau TCL, certaines voix dans la majorité de la Métropole de Lyon se font entendre pour demander une gestion publique et directe des transports en commun de l’agglomération.

>> Extrait issu de : Gestion du réseau TCL : les écologistes se créent-ils un problème pour rien ?

Tramway T1 T2 T3 T4 T5 T6 T7 T8 T9 T10
Tramway_TCL Crédits : SS/Rue89Lyon.

Qui aura la gestion du réseau TCL dans la métropole de Lyon dans les années à venir ? Bruno Bernard, président EELV du Sytral, souhaite revoir sa gestion dans la perspective prochaine du renouvellement de l’exploitant du réseau. Un projet qui suscite des craintes chez certains syndicats à l’origine des journées de grève du 9 février et du 10 mars, mais aussi chez certains membres de la majorité métropolitaine.

Insoumis et socialistes espèrent, plus ou moins timidement, un passage en régie directe des TCL

Dans ce projet de modification d’allotissement de l’exploitation du réseau, voté ce jeudi 10 mars, une partie de l’activité (la relation usagers) passera en gestion directe publique. Pourquoi pas plus ?

C’est ce que demandent, au sein de la majorité métropolitaine, les élus Insoumis du groupe « Lyon en commun ».

Dans un communiqué du mercredi 9 mars, ils disent leur opposition à ce projet d’allotissement du réseau TCL. Ils estiment que ce projet va « fragiliser les salariés » et « mettre à mal la qualité du service ». Ils demandent alors :

« travailler sur une nouvelle DSP courte jusqu’en 2030 qui permette de s’assurer que le service public des transports en commun passe en gestion publique. »

Même son de cloche ou presque, tout en nuances ou contorsions, du côté des élus socialistes métropolitains. Ils indiquent qu’ils voteront favorablement ce projet lors du conseil d’administration du Sytral qui se tient ce jeudi 10 mars. Ils demandent toutefois que les garanties sociales du « socle social » s’accompagnent d’une revalorisation des agents (ce qui constitue d’ailleurs un des motifs de l’appel à la grève ce jeudi 10 mars).

Et appellent eux aussi, de façon moins définitive, à une gestion publique du réseau TCL :

« Les nouvelles délégations qui seront accordées devront devront avoir comme objectif le
développement des compétences et savoir-faire en interne (…) afin de tendre vers la possibilité d’une gestion publique de tout ou partie des transports en commun sur notre
agglomération »

Pour Bruno Bernard (EELV) c’est non à la régie publique pour les TCL

Pour Bruno Bernard, c’est clairement non. Dans ce projet de modification de la gestion du réseau TCL, le Sytral et la Métropole de Lyon reprendraient une partie de l’activité en gestion directe. Ils s’occuperaient en effet de la « relation usagers » : la communication, la commercialisation et la distribution des titres (via les agences TCL notamment), l’information voyageurs et le service après-vente.

Aller plus loin dans cette logique de gestion directe n’est toutefois pas la volonté de l’exécutif métropolitain. Pas plus que les demandes, des élus Insoumis déjà, concernant la gratuité sur le réseau TCL. Bruno Bernard ferme la porte au nez d’une partie de sa majorité mais en prenant soin de ne pas lui claquer au nez violemment :

« Aller plus loin, ce n’est pas possible. Mais ce modèle que nous voulons mettre en place ouvre le champ des possibles et rendra possible un jour ce mode de gestion. »

Des divergences prévisibles au sein de la majorité ?

Ces divergences ne sont pas vraiment étonnantes. Elles étaient, pour certaines, déjà dans les programmes en 2020. Lors de la campagne pour les élections métropolitaines de 2020, toutes les composantes de l’actuelle majorité ne promettaient pas toujours la même chose en matière de mobilité. Ainsi, Lyon en commun et La Gauche unie soutenaient notamment une gratuité, totale ou partielle, du réseau TCL. Alors que les écologistes plaidaient pour une tarification sociale qui a été depuis mise en place.

Leurs alliés promettaient dans leur programme de 2020 du premier tour un retour en régie publique de l’eau. Sur ce point, ils ont été entendus et le retour en régie a été officiellement lancé cette année. Mais concernant une régie publique pour la gestion des TCL, c’est non. Les écologistes ne veulent pas aller plus loin que le service de relations avec les usagers. Leurs alliés insoumis et socialistes ne plaidaient d’ailleurs pas forcément pendant la campagne de 2020 pour une gestion en régie directe des TCL. Même si, notamment pour les Insoumis, l’idée d’une gestion publique des communs est toujours affichée.

Bruno Bernard, président EELV du Sytral et de la Métropole de Lyon, y voit des prises de position qui ne sont pas étrangères « à la campagne présidentielle actuelle ». Ainsi qu’à la situation actuelle marquée par un mouvement social au sein des TCL. Sur ce point, la CGT est d’ailleurs favorable à un passage en régie publique directe des TCL.

« Nous souhaitons que le mode de gestion change, qu’il passe de la gestion indirecte actuelle à une gestion directe. Une façon de faire des économies et de restituer aux citoyens les éventuels produits de l’exploitation, au lieu de les faire remonter auprès de la maison mère et de servir leurs intérêts financiers»

Thierry Pécoud, secrétaire général CGT-TCL sur Mobilités Magazine en novembre 2020

Gestion du réseau TCL : les écologistes se créent-ils un problème pour rien ?

Gestion du réseau TCL : les écologistes se créent-ils un problème pour rien ?

Qui aura la gestion du réseau TCL dans la métropole de Lyon dans les années à venir ? Bruno Bernard, président EELV du Sytral, souhaite revoir sa gestion dans la perspective prochaine du renouvellement de l’exploitant du réseau. Un projet qui suscite des craintes chez certains syndicats à l’origine des journées de grève du 9 février et du 10 mars, mais aussi chez certains membres de la majorité métropolitaine. Le président de la Métropole de Lyon exclut par ailleurs une gestion publique totale des TCL.

Après le 9 février dernier, ce jeudi 10 mars marque une seconde journée de grève de certains agents du réseau TCL dans la métropole de Lyon. Le 9 février dernier près de 25% des agents avaient débrayé. Ce jeudi 10 mars, la grève est moins suivie et le réseau TCL moins perturbé. Les raisons de ce mouvement sont, en grande partie, les mêmes : le projet d’allotissement concernant l’exploitation du réseau TCL.

L’allotissement du réseau TCL, c’est-à-dire ?

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? L’exploitation du réseau des transports en commun est assurée par un opérateur, actuellement Keolis, pour le compte du Sytral dans le cadre d’une délégation de service public (DSP). Pour l’heure, concernant les TCL, l’ensemble du réseau de bus, tramways, métro et funiculaires représentent un seul lot, exploité par un opérateur unique donc. Le contrat (ou DSP) se termine en 2024 et les écologistes souhaitent revoir son périmètre dans la perspective d’une mise en concurrence. Concernant les TCL, deux lots seraient créés au lieu d’un seul actuellement :

    un lot dit « lourd » comprenant les lignes de métro, de tramways, de funiculaire et dans lequel serait intégré le Rhônexpress (actuellement géré par un autre opérateur) pour une durée de 10 ans (soit jusqu’en 2034)et un lot comprenant les lignes de bus et de trolleybus, pour une durée de 6 ans (soit jusqu’en 2030)

Comment les écologistes expliquent ce choix ?

Bruno Bernard à la conférence de presse sur la ZFE du 12/03/2021 ©LS/Rue89Lyon
Bruno Bernard à la conférence de presse sur la ZFE du 12/03/2021Photo : LS/Rue89Lyon

Le réseau TCL est géré depuis les années 1990 par Keolis. Même si le renouvellement de la DSP fait l’objet d’une mise en concurrence, l’opérateur était ainsi le seul à avoir répondu en 2014 au dernier appel d’offres.

S’appuyant sur un rapport de la chambre régionale des comptes s’inquiétant de la constitution d’une situation de monopole, Bruno Bernard souhaite davantage de concurrence. Il explique avoir regardé ce qui se faisait dans d’autres grandes agglomérations européennes et estime que cette modification du périmètre des lots favoriserait la mise en concurrence.

En France, trois grandes entreprises sont sur le créneau : Keolis, Transdev et RATP Dev. Bruno Bernard ne s’en cache, elles ont été déjà consultées et « on sait qu’on aura des réponses » de leur part.

Pourquoi diviser l’exploitation du réseau TCL et sortir les bus et trolleybus ? Le président écologiste de la Métropole de Lyon et du Sytral, replace ce choix dans une perspective d’unification du réseau. Le Sytral a changé de statut et est devenu un établissement public local. S’il chapeautait déjà d’autres réseaux, de bus essentiellement, en dehors de la métropole de Lyon, sa gestion devient désormais collégiale et unique.

« Il y actuellement 8 DSP accordées par le Sytral : 4 pour les Cars du Rhône, une pour les TCL dans l’Est Lyonnais, 1 pour les cas Libellule (dans l’agglomération de Villefranche-sur-Saône, une pour les TCL dans la métropole de Lyon et une pour le Rhônexpress. Cette modification de l’allotissement de la DSP concernant les TCL permettra un système unifié et se fait dans l’objectif d’une tarification unique à terme dans l’ensemble du réseau »

Bruno Bernard, président EELV de la Métropole de Lyon et du Sytral

En divisant le lot TCL en deux, en extrayant les bus, la volonté affichée est donc à terme de potentiellement réduire le nombre de délégataires. Le lot concernant les bus porterait sur une durée de 6 ans (contre 10 ans pour le lot dit « lourd »). Il s’agit de faire correspondre son échéance avec celle de l’exploitation des Cars du Rhône. Et ainsi envisager l’exploitation pour un opérateur non pas seulement des seules lignes de bus TCL mais de l’ensemble des lignes de bus du département.

En clair, dans l’idée, diviser le réseau TCL en deux lots pourrait finalement permettre à terme de réduire le nombre d’opérateurs exploitant le réseau du Sytral à Lyon et dans le Rhône.

Arrêt de bus C3, Campus Hotel de Ville Vaux-en-Velin. Crédits Axel Poulain/Rue89Lyon
Arrêt de bus C3, Campus Hotel de Ville Vaux-en-Velin. Crédits Axel Poulain/Rue89Lyon

Une meilleure mise en concurrence permettra-t-elle des économies ?

Bruno Bernard explique donc son choix par un souci de rationalisation du réseau géré par le Sytral. Mais aussi par une volonté de principe permettant une meilleure mise en concurrence.

Ce dernier argument, « vertueux » sur le papier, permettra-t-il au Sytral et à la Métropole de Lyon d’économiser sur les futurs contrats des DSP ? Pas vraiment, de l’aveu même de Bruno Bernard.

« Avec davantage de concurrence, on peut espérer faire baisser un peu la marge des opérateurs sur les contrats. C’est compliqué de l’estimer. Mais avec le « socle social » (voir plus bas) que nous mettons en place pour garantir aux agents les mêmes conditions sociales et salariales qu’actuellement, le gain éventuel sera de toute façon plus faible…»

C’est aussi pour une question de principe que la majorité écologiste a décidé de reprendre la gestion de l’eau en régie publique. Là aussi le gain financier pour la collectivité et l’usager n’est pas assuré mais les écologistes ont assumé un choix idéologique pour la gestion et l’exploitation d’une ressource naturelle.

Pourquoi alors ne pas faire le même choix pour les transports en commun ?

Pourquoi pas alors une gestion directe du réseau TCL ?

Tramway T1 T2 T3 T4 T5 T6 T7 T8 T9 T10
Tramway_TCL Crédits : SS/Rue89Lyon.

C’est ce que demandent, au sein de la majorité métropolitaine, les élus Insoumis du groupe « Lyon en commun ».

Dans un communiqué du mercredi 9 mars, ils disent leur opposition à ce projet d’allotissement du réseau TCL. Ils estiment que ce projet va « fragiliser les salariés » et « mettre à mal la qualité du service ». Ils demandent alors :

« travailler sur une nouvelle DSP courte jusqu’en 2030 qui permette de s’assurer que le service public des transports en commun passe en gestion publique. »

Pour Bruno Bernard, c’est clairement non. Dans ce projet de modification de la gestion du réseau TCL, le Sytral et la Métropole de Lyon reprendraient une partie de l’activité en gestion directe. Ils s’occuperaient en effet de la « relation usagers » : la communication, la commercialisation et la distribution des titres (via les agences TCL notamment), l’information voyageurs et le service après-vente.

Aller plus loin dans cette logique de gestion directe n’est toutefois pas la volonté de l’exécutif métropolitain. Pas plus que les demandes, des élus Insoumis déjà, concernant la gratuité sur le réseau TCL. Bruno Bernard ferme la porte au nez d’une partie de sa majorité mais en prenant soin de ne pas lui claquer au nez violemment :

« Aller plus loin, ce n’est pas possible. Mais ce modèle que nous voulons mettre en place ouvre le champ des possibles et rendra possible un jour ce mode de gestion. »

Même son de cloche ou presque, tout en nuances ou contorsions, du côté des élus socialistes métropolitains. Ils indiquent qu’ils voteront favorablement ce projet lors du conseil d’administration du Sytral qui se tient ce jeudi 10 mars. Ils demandent toutefois que les garanties sociales du « socle social » s’accompagnent d’une revalorisation des agents (ce qui constitue d’ailleurs un des motifs de l’appel à la grève ce jeudi 10 mars).

Et appellent eux aussi, de façon moins définitive, à une gestion publique du réseau TCL :

« Les nouvelles délégations qui seront accordées devront devront avoir comme objectif le
développement des compétences et savoir-faire en interne (…) afin de tendre vers la possibilité d’une gestion publique de tout ou partie des transports en commun sur notre
agglomération »

Mais pour Bruno Bernard, ce n’est pas pour tout de suite.

Pourquoi les syndicats s’inquiètent de ce projet de nouvelle gestion du réseau TCL ?

Au sein des agents TCL, certains syndicats s’inquiètent de ce projet. Un opérateur unique est pour eux gage de sécurité et de continuité. L’allotissement du réseau TCL n’empêchera pas qu’un seul opérateur, et potentiellement Keolis actuellement en place, exploite l’ensemble du réseau. Mais la possibilité d’en voir deux existe techniquement.

Ils craignent notamment des perspectives de carrière remises en cause. Notamment pour les chauffeurs de bus qui pourraient se retrouver salariés d’une entreprise différente de celle gérant les tramways et les métros. Rendant ainsi difficile voire impossible une évolution de carrière vers d’autres filières.

La CGT se dit par ailleurs pas convaincue par le « socle social » proposé par Bruno Bernard et le Sytral. Ce dispositif doit permettre aux agents qui pourraient être amenés à changer d’employeur de leur garantir les niveaux de rémunération, leurs droits en matière de mutuelle et de prévoyance ainsi qu’en matière de comités d’entreprises, dont ils bénéficient actuellement.

Du côté de Bruno Bernard on assure que ce « socle social » fera partie des prochains contrats avec le ou les opérateurs. Le non-respect sera « un motif de résiliation de la délégation au tort exclusif de l’exploitant ». À la CGT on estime que pour l’heure il n’y a pas de base légale pour incorporer un tel dispositif dans les futurs contrats avec les opérateurs.

Hugues Mouret : « Mettre l’urgence climatique au dessus de tout »

Hugues Mouret : « Mettre l’urgence climatique au dessus de tout »

[Militants écolos à Lyon] Samedi 5 mars, plus de 1500 personnes ont manifesté dans le quartier de Vaise (Lyon 9e) contre le géant de l’industrie pharmaceutique et agrochimique Bayer-Monsanto. Des étudiants en journalisme de l’université Lyon 2 sont allés à leur rencontre. Nous publions leurs portraits.

Le naturaliste Hugues Mouret, habitant des Monts du lyonnais et directeur scientifique d’Artropologia, œuvre pour la protection de la nature et le changement des pratiques agricoles en menant des actions en faveur des insectes. Le 5 mars, le militant tenait son stand pour présenter les petites bêtes menacées, au rassemblement des Soulèvements de la Terre contre Bayer-Monsanto, géant de l’agrochimie.

Hugues Mouret est « naturaliste depuis toujours, je suis tombé dedans enfant ». Une fois adulte, la seule chose qui l’intéresse est de découvrir, comprendre et transmettre des connaissances sur la nature. Alors en 2001, il fonde l’association Arthropologia (néologisme inventé entre arthropode, les animaux à pattes articulées et recouverts d’une carapace et logie, la science), pour se « fabriquer un métier, car je ne savais pas quoi faire de ma pauvre vie et ce monde ne me donnait pas vraiment de solutions intéressantes. »

En regardant les associations naturalistes existantes il y a une vingtaine d’années, il constate qu’aucun domaine d’expertise n’existe autour des petites bêtes et des relations plantes-insectes, « au travers notamment de la pollinisation et de la protection des cultures. » Il décide alors de monter Artropologia pour faire de l’information, de la formation et du lobbying auprès d’élus.

« Le job est de faire du lobbying et du prosélytisme d’intérêt général : on ne gagnera pas plus à la fin du mois, par contre, tout le monde gagnera un petit peu plus en qualité de vie. »

« On n’a pas de barrière administrative : comme la nature on passe au travers »

Avec son association, Hugues Mouret n’intervient pas seulement dans la métropole de Lyon mais dans toute la France et même dans l’Union européenne auprès d’élus.

« On n’a pas de barrière administrative : comme la nature on passe au travers ».

Cumulant les engagements, ce Rhodanien s’implique dans d’autres associations écologistes. A peine fini l’adolescence, il fait déjà partie d’une association naturaliste puis devient co-fondateur et administrateur de RésOGM info (information citoyenne sur les pesticides et leurs dangers) et de l’Observatoire des Abeilles. Aujourd’hui, il fait aussi parti d’Eisenia qui travaille sur le lombricompostage. Le naturaliste lutte pour une meilleure connaissance des insectes et arthropodes et contre les produits chimiques qui les font disparaître depuis plus d’un demi-siècle.

«Je fais des actions avec Extinction Rebellion. La peinture sur les ponts, j’y ai largement participé ! »

En éternel insatisfait, il ne se contente jamais des actions qu’il a menées. « Il n’y a qu’à voir l’état du monde, ça fait plus de 25 ans que je fais ça et les choses n’ont pas avancé, elles ont même clairement régressé. »

Hugues Mouret n’a pas attendu la mobilisation des Soulèvements de la Terre et cette lutte contre Bayer-Monsanto à Lyon pour rejoindre des collectifs écologistes.

«Je fais des actions avec Extinction Rebellion. La peinture sur les ponts, j’y ai largement participé ! », reconnaît-il en souriant.

« Soit on reste entre nous et les naturalistes sont content de parler des petites bêtes et des plantes à des gens qui sont déjà convaincus, donc on avancera pas bien loin. Soit on s’ouvre au grand public. »

Les luttes collectives, il les pratique depuis des années donc, récemment au sein des mouvements Alternatiba (mouvement pour le climat et la justice sociale) et les Coquelicots (pour l’interdiction des pesticides).

« ce sont des groupes de citoyens et non pas d’experts qui réunissent 10 ou 100 fois plus de monde que nous. »

Militant écologiste, Hugues Mouret est directeur scientifique d'Artropologia
Militant écologiste, Hugues Mouret est directeur scientifique d’Arthropologia

« Les meurtriers qui nous gouvernent devraient mettre l’urgence climatique au dessus de tout »

Le naturaliste rappelle que l’économie toute puissante n’est rien sans la biosphère. Pour lui, les dirigeant politiques sont au courant mais ne changent rien pour des questions de maintien de privilèges ou de pressions financières des grands groupes.

« Temps qu’on se sucrera sur le dos de la nature au mépris de la vie sur Terre, la vie de l’humanité et celle d’autres espèces seront menacées, et ce, à court terme ».

Et il ajoute :

« Cela arrange bien les politiques d’avoir une urgence sécuritaire avec le terrorisme et une urgence sanitaire. S’ils avaient un peu de courage, et je pèse mes mots, les meurtriers, les menteurs et les voleurs qui nous gouvernent, tous autant qu’ils sont, mettraient l’urgence climatique et l’urgence sur la biodiversité au dessus de tout. »

Il fait un rapprochement avec la lutte de ce 5 mars contre Bayer-Monsanto à Lyon :

« tout s’effondre car on maintient des systèmes d’exploitation agro-chimique qui a mis l’industrie de guerre dans les champs, en apportant les produits de traitement et la mécanique ».

Hugues Mouret propose de sanctuariser un certain nombre de milieux et cela passe notamment par la réduction de la chimie et de la mécanique.

« En Occident, quand on pense à l’agriculture on pense à « tracteur ». Or à l’échelle de la planète, il n’y a que 2% des agriculteurs qui en possèdent, 18% ont une traction animale et les 80% restants une houe, rappelle Hugues Mouret. Alors je ne dis pas que l’agriculture est plus facile ainsi, mais elle est faisable sans mécanique ni chimie ».

Il reconnaît que pour modifier ces conditions, il faudrait alors remettre plus de personnes à travailler dans les champs et inévitablement réévaluer le prix des denrées alimentaires.

Pour ce naturaliste, la lueur d’espoir vient d’un pays qui a commencé à prendre les choses en main, le Boutan.

«Cet Etat a supprimé cette indicateur pestilentiel qu’est le PIB par le bonheur national brut. Ils ont un objectif de 80 à 100% d’agriculture bio d’ici quelques années et ce qu’ils mesurent ce n’est pas l’activité économique mais le bonheur et la qualité de vie des gens. »

« Drogue du violeur » à Lyon : un plan anti-GHB qui pose question

« Drogue du violeur » à Lyon : un plan anti-GHB qui pose question

Suite au plan national contre le GHB – surnommé la « drogue du violeur », la préfecture du Rhône et les professionnels de la nuit ont décliné une campagne à Lyon et dans le Rhône. Sur le terrain, certains estiment que c’est une erreur de cibler le GHB et de faire porter une responsabilité sur les potentielles victimes.

Le 15 février dernier, à la veille de la réouverture des boîtes de nuit, le gouvernement annonçait un « plan national contre le GHB », en partenariat avec l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Ce plan consiste principalement en une campagne « pour alerter les personnes sur le danger de cette pratique qui fait des ravages dans le monde de la nuit », d’après le site du gouvernement.

Au niveau local, Thierry Fontaine, président de l’UMIH pour le Rhône, le préfet Pascal Mailhos et plusieurs dizaines de professionnels du monde de la nuit du Rhône se sont réunis le 3 mars dernier pour discuter du GHB.

En est ressortie une campagne anti-GHB déclinée localement, dont l’objectif est avant tout de dissuader les agresseurs. Pour certains professionnels et associatifs qui travaillent sur la question, on se trompe de cible et de problème.

Le 3 mars, la préfecture du Rhône et les professionnels du monde de la nuit ont annoncé une campagne anti GHB. Photo by Alexander Popov on Unsplash.
Photo d’illustration. Le 3 mars, la préfecture du Rhône et les professionnels du monde de la nuit ont annoncé une campagne anti GHB. CC Alexander Popov/Unsplash.

Le GHB, un dosage difficile qui peut être fatal

Depuis la réouverture des bars cet été, la presse relaie régulièrement des témoignages de personnes droguées à leur insu. A Lyon, quelques jours après la réouverture des boîtes de nuit, une jeune femme témoignait auprès de Rue89Lyon d’une soirée cauchemardesque passée à prendre soin d’une de ses amies, vraisemblablement droguée dans un bar de la rue Désirée.

« A partir de septembre, j’ai regardé ce qui se passait en Europe, surtout en Angleterre et en Belgique où les cas de personnes droguées au GHB grimpaient, raconte Thierry Fontaine, de l’UMIH. En France, les modes de consommation ont évolué pendant le confinement. Au bout de quelques mois, des fêtes privées ont été organisées dans des AirBnb. Avec l’ubérisation du trafic de drogue, il était possible de se procurer de tout : alcool, cocaïne, héroïne… L’accès de gens lambda au GHB a été grandement facilité. Et ça ne s’est jamais arrêté. »

Dans la ligne de mire du gouvernement comme de l’UMIH : le GHB, fréquemment surnommée « la drogue du violeur ». De son vrai nom « acide gamma-hydroxybutyrate », le GHB est une substance naturellement présente dans le corps humain, en très faible quantité. Il a été synthétisé pour la première fois dans les années 60 et utilisé comme anesthésiant en raison de ses propriétés sédatives, puis à des fins récréatives pour ses effets désinhibiteurs. Le GHB peut aussi être glissé discrètement dans un verre en soirée.

Une erreur de dosage peut être fatale, prévient Thierry Fontaine :

« Si on dépasse la dose, ne serait-ce que de deux ou trois millilitres, avec en plus de l’alcool, on peut faire un coma, un AVC, un arrêt cardiaque… Ça peut même être fatal. Sans parler du traumatisme pour la personne droguée à son insu. »

Aux États-Unis, le décès d’une adolescente ayant été droguée au GHB à son insu a jeté une lumière crue sur les utilisations détournées du produit à la fin des années 80. En France, il a été classé sur la liste des stupéfiants en 1999, et interdit de vente et d’usage au grand public. Le GHB a rapidement été remplacé par un solvant industriel qui possède des effets similaires, l’acide gamma-butyrolactone, plus connu sous le mon de GBL, dont la vente au grand public a été restreinte en 2011.

« Quand tu sors, fais gaffe à ton verre. »

Pour Thierry Fontaine, une grande partie des agresseurs qui droguent des personnes à leur insu n’ont ni conscience des risques qu’ils font courir aux victimes, ni des poursuites pénales qu’eux-mêmes encourent.

« On veut mettre fin aux agissements de tous ces gamins qui font des trucs débiles. C’est comme dans les écoles où il y a de vrais problèmes de bizutage et dans les grosses soirées étudiantes. Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas un jeu. »

Ainsi, un dispositif fréquemment mis en avant depuis des décennies est le capuchon à fixer sur son verre.

« Ça ne marche pas, tranche Thierry Fontaine. On a essayé dans plusieurs bars et boîtes, il y a très peu de gens qui l’utilisent et au bout de deux ou trois verres ils l’enlèvent. »

Pour lui, pas question de faire porter aux client·es la responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour ne pas être drogué·es à leur insu. Il se félicite de la participation de 70 établissements du Rhône à la réunion du 3 mars sur la question.

« Nous avons demandé aux établissements de sensibiliser leurs employés à l’importance du partenariat avec l’État et les forces de l’ordre, parce qu’on ne peut pas combattre ce fléau seuls, mais aussi à l’importance du bon sens. Le personnel doit être plus vigilant quant à l’attitude des clients. Il ne faut pas rendre les victimes responsables ! »

Pour autant, la campagne ne semble pas aller uniquement dans le sens de la protection des potentielles victimes. Si les affiches rappellent les risques sanitaires (coma, AVC…) et les sanctions pénales encourues par les agresseurs (5 ans de prison et 75 000 euros d’amende), une petite phrase tout en haut glisse insidieusement aux victimes potentielles : « Quand tu sors, fais gaffe à ton verre. »

Affiche de la campagne anti GHB de la préfecture du Rhône, de la Ville de Lyon et de l'Umih.
Affiche de la campagne anti GHB de la préfecture du Rhône, de la Ville de Lyon et de l’Umih.

GHB, GBL ou benzodiazépines dans votre verre ?

Sur le terrain, de nombreuses associations tentent de sensibiliser à la « soumission chimique », qui définit, d’après l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), « l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace ».

A Lyon, l’association Keep Smiling fait un travail d’information quant à la réduction des risques en milieu festif en Rhône-Alpes. Pour Alexandra, salariée de l’association, ces campagnes se trompent d’objectif, de cible, et même de problème :

« Les gens mal intentionnés qui tentent de faire consommer quelqu’un a son insu trouveront toujours une molécule ou un moyen de le faire, GHB, GBL ou non. Cibler un produit n’a jamais fonctionné, on ne fait que déplacer le problème. »

Se pose également la question de savoir quels produits circulent exactement. Difficile de croire que le GHB soit encore systématiquement utilisé, d’après Alexandra.

« Aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’aller chercher des benzodiazépines ou autres médicaments avec des effets sédatifs dans une pharmacie que de se procurer du GHB. Mélangés à de l’alcool, ils auront les mêmes effets de black-out, d’endormissement… »

« Le premier réflexe à avoir, c’est appeler le centre anti-poison. »

Le centre d’addicto-vigilance et anti-poison du Rhône et de la Loire assure une veille sanitaire sur les usages de drogues et les usages détournés de médicaments. Aucun signal particulier concernant une circulation accrue de GHB n’a été constaté pour le moment. Cécile Chevallier, praticienne au centre, pointe du doigt la difficulté d’identifier la substance responsable.

« De nos jours, en usage récréatif ou dans des cas de soumission chimique, c’est du GBL. Il va être métabolisé en GHB dans le corps. Le problème, c’est qu’on a tous un peu de GHB naturellement dans le corps, et qu’il faut une très petite dose de GBL ou de GHB pour une soumission chimique. »

Bien souvent, les victimes mettent quelques heures, voire plusieurs jours, à reprendre leurs esprits. Il est alors trop tard, explique Céline Chevallier :

« Les laboratoires de ville ne peuvent pas dépister ces substances, il faut un laboratoire d’unité médico-judiciaire ou hospitalier. Le GHB ne reste que 4 à 5 heures dans le sang, et entre 12 et 24 heures dans les urines. Souvent, les victimes appellent trop tard. Des analyses plus tardives sont possibles sur les cheveux, mais elles coûtent très cher. »

Et d’insister :

« Le premier réflexe à avoir, c’est appeler le centre anti-poison. »

A Lyon, le centre anti-poison local se trouve dans les locaux de l’hôpital Edouard-Herriot, dans le 3e arrondissement. Il est joignable 24h/24H et 7j/7j, pour renseigner les personnes qui pensent avoir été droguées à leur insu et les orienter.

« Dire non au GHB, ça ne veut rien dire. C’est les comportements d’agresseurs qu’il faut éradiquer. »

Pour Céline Chevallier, le coup de projecteur médiatique actuel sur des empoisonnements supposés au GHB ne doit pas faire oublier les ravages d’une drogue dont on se méfie bien moins : l’alcool.

Alexandra, de Keep Smiling, partage ce constat, et déplore une campagne « anti GHB » qui n’aborde pas le fond du problème :

« On passe à côté. On ne parle pas du phénomène global de soumission chimique. Il ne faut pas oublier que la première drogue du viol, ce n’est pas le GHB mais l’alcool. Dire non au GHB, ça ne veut rien dire. C’est les comportements d’agresseurs et d’abus qu’il faut éradiquer. »

Avec une question fondamentale pour l’association : la prise en charge des victimes par les établissements.

« On n’éradiquera pas les agresseurs, on peut éventuellement en dissuader ou en éduquer certains. Il faut former les patrons de bars à l’accueil d’une personne victime de soumission chimique, qu’elle soit entendue, écoutée, qu’on lui donne les informations nécessaires pour aller se faire dépister ou porter plainte si elle le souhaite. »

Du côté de la Ville de Lyon, on affirme une volonté de développer une campagne lyonnaise d’ici cet été.

« J’ai eu connaissance de la recrudescence du phénomène via #BalanceTonBar, précise Céline De Laurens, adjointe à la Santé. J’ai mis le sujet sur la table au dernier Conseil lyonnais de la nuit. Nous avons une volonté de travailler avec l’UMIH sur le sujet pour sécuriser la reprise d’une vie nocturne à Lyon. »

Alexandra, elle, déplore également que les associations de réduction des risques comme Keep Smiling n’aient pas été consultées pour développer ce plan anti-GHB. même son de cloche du côté de Céline Chevallier regrette que le centre d’addicto-vigilance et anti-poison n’ait pas été associé non plus à cette campagne. Peut-être le seront-ils davantage lors de la mise en place de la campagne lyonnaise.

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