Depuis le lundi 28 mars, les Ukrainiens qui voudraient se poser dans la région de Lyon sont accueillis dans un lieu unique, à Villeurbanne, où ils bénéficient de tous les services de l’Etat. Une première en matière d’accueil de réfugiés.
A quelques minutes à pied de la station de métro et de tram de la Soie, à Villeurbanne, une ancienne usine propriété de la Métropole de Lyon a été mise à disposition de la préfecture de région pour y déployer l’accueil unique des Ukrainiens.
Sur le chemin de l’exil, certains ne s’arrêtent pas à Lyon et continuent leur route vers d’autres pays européens comme l’Espagne et le Portugal. Dans ce cas-là, ils sont accueillis pour la nuit dans le « hub » d’Eurexpo.
Et puis il y a les Ukrainiens et les Ukrainiennes qui décident de s’installer dans la région. Selon la préfecture de la région, ils et elles sont 10 000 à être attendus. C’est ceux-là qui sont orientés vers « le centre d’accueil unique ».
Un employé de Forum réfugiés témoigne :
« Ils passent passent une ou deux nuits chez des particuliers, des membres de la diaspora ukrainienne ou bien au gymnase Bellecombe [ouvert par la Ville de Lyon et géré par La Croix Rouge, ndlr] puis ils arrivent ici ».
À Lyon, un lieu unique pour les Ukrainiens : « une réponse optimale »
Ici, au 22 rue Decomberouss, à Villeurbanne, dans les bureaux de l’ancienne usine Bobst, des panneaux en ukrainien et en français aux couleurs jaune et bleu indiquent les différents guichets. C’est La Croix-Rouge qui oriente ces personnes « à 80% des femmes et des enfants » (selon la préfecture) vers les différents services de l’Etat réunis depuis le 28 mars et à destination unique des Ukrainiens, ouverts de 9h à 18h sans rendez-vous.
A droite en entrant, neuf guichets de la préfecture délivrent les autorisations de séjour au titre de la protection temporaire que les Etats européens ont décidée d’octroyer aux migrants ukrainiens le 3 mars dernier. L’instruction est rapide et facile pour les agents. Il faut être ukrainien ou réfugié en Ukraine et être entré sur le territoire de l’Union européenne après le déclenchement de la guerre, le 24 février.
Après avoir obtenu une autorisation temporaire de séjour de six mois renouvelable qui leur donne droit au travail, les réfugiés ukrainiens se rendent aux guichet de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) pour la mise en place de l’ADA, l’allocation pour demandeur d’asile. Ils repartent avec la carte bancaire et l’argent crédité dessus (environ 14,60 euros par jour). Ensuite, de multiples services sont accessibles :
Pôle EmploiLa DDETS (Direction départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités) et Forum réfugiés pour trouver un d’hébergementL’nspection académique pour la scolarisationLa CPAM et la CAF pour les demandes de prestations socialesAu milieu de ces guichets, un espace avec des tapis et des jeux pour les enfants animés par les animateurs d’Unicités.
Dans une autre partie des locaux, outre une salle de repos, a été également installé un centre de vaccination contre le Covid-19.
La traduction est effectuée par des membres de l’association France-Ukraine.
« En 2h30, la famille ressort avec son autorisation de séjour, une carte bancaire et un hébergement », assure la préfecture du Rhône.
Ce guichet unique est une première en matière d’accueil de migrants. Pour le directeur de l’association Forum réfugiés, Jean-François Ploquin, il s’agit d’un « accueil optimal » :
« C’est l’articulation dans un même lieu des principaux interlocuteurs ce qui permet la fluidité du parcours ».
Pendant un mois, de fin février à fin mars, les Ukrainiens s’étaient pressés comme les demandeurs d’asile, à la Structure de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA) gérée par Forum réfugiés pour le compte de l’Etat à Lyon, rue Garibaldi.
« Ce n’était pas le bon endroit, l’Etat a dû innover », poursuit Jean-François Ploquin.
Des agents de la préfecture de Lyon accueille des familles ukrainiennes pour leur délivrer l’autorisation temporaire de séjour.Photo : LB/Rue89Lyon
Un accueil unique à Lyon : « Que cet accueil puisse nous inspirer, pourquoi pas »
Présent sur les lieux dès le lendemain de l’ouverture, le mardi 29 mars, le préfet de région n’était pas peu fier de ce dispositif. Lors d’une visite accompagné presse, Pascal Mailhos s’est félicité :
« Ça m’a paru naturel de réunir dans un même lieu les services pour ces déplacés. C’est mieux pour eux et pour mieux pour les services ».
Il précise bien que ce dispositif ne s’applique pas aux demandeurs d’asile et réfugiés. Il met en avant deux arguments pour expliquer cette différence de traitement entres les Ukrainiens et les autres migrants.
« Par définition, la protection temporaire est limitée dans le temps et ouvre le droit au travail, contrairement à la demande d’asile ».
Le préfet affirme également qu’il y a « un souhait très fort des Ukrainiens de revenir dans leur pays. Ce qui n’est pas le cas des demandeurs d’asile ».
Est-ce que ce dispositif pourrait inspirer la préfecture dans l’accueil des étrangers ? Le préfet ferme la porte :
« Que ça puisse nous inspirer, pourquoi pas. Mais je mobilise ici 70 agents. L’idée n’est pas de pérenniser le dispositif. »
L’entrée du centre d’accueil unique pour les Ukrainiens qui souhaitent s’installer dans la région de Lyon, à Villeurbanne.Photo : LB/Rue89Lyon
Près de 1000 Ukrainiens sont déjà arrivés dans le département du Rhône. Grâce à un statut particulier, ils bénéficient d’accès à l’hébergement, au travail, à la santé et à l’école. Des droits que les autres exilés ne possèdent pas. Et qui poussent associations et militants à demander plus de moyens aux pouvoirs publics pour l’accueil de l’ensemble des réfugiés.
La région est prête accueillir près de 10 000 Ukrainiens. Depuis fin mars, ces réfugiés bénéficient d’un accueil renforcé dans le Rhône, tant dans les droits accordés que dans les moyens mis en place. Pour l’instant, 946 sont arrivés dans le département et ont obtenu une autorisation provisoire de séjour (APS). Jamais un tel dispositif n’avait été mis en place pour d’autres migrants. Pour comparaison, la France a accueilli 10 000 Syriens entre 2011 et 2016 et, récemment, 3 000 Afghans.
La prise en charge des Ukrainiens est proportionnelle au fort émoi suscité par cette guerre, après l’invasion de ce pays par la Russie de Vladimir Poutine. Elle révèle aussi qu’une forte volonté politique peut permettre un accueil efficace de populations exilées.
Les associatifs lyonnais en charge de l’accueil des migrants sont en effet satisfaits du dispositif mis en place et espèrent même qu’il pourra servir de modèle dans le futur.
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À Rue89Lyon depuis 2022, aujourd’hui journaliste associée. Enquêter sur l’extrême droite, c’est lutter contre l’extrême droite.
J’écris aussi sur la politique, le sans-abrisme, le logement, les violences sexistes et sexuelles. Pour me filer une info ou me contacter, c’est par là : mallenou@rue89lyon.fr
[Portrait d’électrice] Pour le premier tour des présidentielles, cette étudiante de Villeurbanne votera Philippe Poutou, du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA). Au second tour, elle fera « barrage à l’extrême droite » et revotera pour Emmanuel Macron.
A l’occasion des présidentielles 2022, des étudiants en journalisme de l’université Lyon 2 sont allés à la rencontre d’électeurs et électrices. Nous publions leurs portraits.
Elle y pensait déjà lors de son tout premier vote, en 2017 : pour cette élection présidentielle, Solène, étudiante de Villeurbanne de 23 ans, se dirige vers un vote en faveur du candidat du NPA, Philippe Poutou. Le 10 avril prochain, elle se rendra pour la troisième fois en cinq ans aux urnes.
Les deux fois, ce fut pour la présidentielle, seule élection majeure à ses yeux :
« J’estime que la présidentielle est vraiment importante. Cette élection a un réel impact sur nous, beaucoup plus que que les législatives ou les européennes. Quoiqu’il arrive, je sais qu’à une présidentielle je vais me déplacer, même si je vote blanc. »
Après Benoît Hamon au premier tour de 2017, c’est Philippe Poutou qui devrait obtenir sa voix, même si elle n’exclut pas la possibilité Jean-Luc Mélenchon.
S’orienter vers un vote en faveur du candidat du NPA ne date pas d’hier pour Solène :
« Benoît Hamon, c’était pour son programme. Il y avait des idées qui me plaisaient beaucoup plus que d’autres. J’avais hésité avec Mélenchon et Poutou. Aujourd’hui, je choisis Philippe Poutou parce que j’ai l’impression qu’il représente vraiment la France. »
Elle poursuit sur ce qui caractérise à ses yeux l’ancien ouvrier de Ford et conseiller municipal de Bordeaux de 55 ans :
« il n’a pas ce côté manipulateur que peuvent avoir les politiques. Il est proche du peuple. Le fait qu’il ne soit pas comme les autres, il ne sort pas de l’ENA ou Sciences Po etc. Sa manière de parler et de s’habiller le différencie également. Je me sens plus proche de lui. Je me vois plus en lui qu’en la plupart des politiques. »
L’abstention plutôt que le vote « au hasard »
En 2017, ce fut Benoit Hamon par conviction au premier tour, Emmanuel Macron par dépit au second, « pour faire barrage » à Marine Le Pen. Et puis plus rien jusqu’à cette année. « Voter au hasard c’est pire que de ne pas voter, donc je ne vote pas. Si le vote blanc venait à être reconnu, je ferai le déplacement [pour les autres élections] »
Ce n’est pourtant pas dans l’ADN familial de s’abstenir. Ses parents d’origine française, italienne algérienne et marocaine, considèrent le vote comme un droit mais aussi un devoir. « Il ne faut pas se plaindre de ce qui se passe après », lui rétorquent-ils face à son abstention.
Pour cette Lyonnaise dont les premiers souvenirs de politique remontent à l’élection présidentielle de 2007, l’éducation joue un rôle dans les choix politiques :
« Mes parents n’ont jamais voulu parler de leur vote. Mais les discours font qu’on arrive à des déductions sur plusieurs personnes, sur un bord. L’éducation joue forcément dans le vote, de manière volontaire ou pas. Ce sont des petites phrases qui font que je me tourne vers la gauche à l’heure actuelle. C’est lié un minimum à ma famille. »
Solène, étudiante de Villeurbanne, votera Philippe Poutou puis Emmanuelle Macron aux présidentielles.Photo : DR
« C’est joué d’avance »
Solène est désormais étudiante en master MEEF (métiers de l’éducation, de l’enseignement et de la formation) à l’université Lyon 1. Cette future électrice de Philippe Poutou travaille également dans un collège à Villeurbanne en tant qu’AED, emploi trouvé pendant son année sabbatique.
Le « vivre ensemble, l’environnement et l’éducation » sont des thèmes qui l’importent.
En 2022, contrairement à 2017, son sentiment d’impuissance domine :
« c’est joué d’avance. Même si je vais faire l’effort d’aller voter, même si des millions de français vont aller voter, j’ai l’impression que quoiqu’il se passe, Macron sera réélu. 12 candidats c’est beaucoup trop. Les gens sont perdus et ça divise les voix. C’est pour cela que je pense qu’Emmanuel Macron sera réélu. »
Pour cette passionnée de voyage, de cuisine mais aussi de sport, le match du second tour opposera le président sortant à Eric Zemmour. Si ce scénario se produit, son vote du deuxième tour est clair : faire barrage à l’extrême droite et revoter Emmanuel Macron.
Alors que le bio connaissait, ces dernières années, une croissance à deux chiffres, avec des magasins qui ouvrent à tous les coins de rue dans le centre de Lyon, les ventes sont en baisse voire dégringolent. Particulièrement concernées, les boutiques qui proposent une approche militante du bio/local/vrac. Explications avec le groupement coopératif Grap.
Comme à chaque rentrée, nichée rue Sébastien Gryphe, non loin de la rue Chevreul (Lyon 7e), la boutique 3 Ptits Pois pensait réaliser un record de ventes. Il n’en a rien été.
« En septembre dernier, ça a été la grande surprise, raconte Johann Perrat, associé et cogérant de 3 Ptits Pois. On s’attendait à se faire exploser avec le grand retour des vacances. On avait même embauché des renforts. Mais il s’est passé quelque chose. Comme si les gens n’étaient pas revenus. Il nous manquait la moitié des clients ».
Créé il y a onze ans dans le 7e arrondissement de Lyon, 3 Ptits Pois incarne ces boutiques pionnières en matière de commerce du bio, avec une orientation militante qui privilégie au maximum le vrac et les circuits courts.
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Neuf associations locales et nationales de protection animale ont rédigé une lettre ouverte à l’intention de Grégory Doucet, maire de Lyon écologiste, lui reprochant d’avoir autorisé des « méthodes moyenâgeuses » (soit le tir à l’arc) pour se débarrasser de 17 ragondins dans la ville.
La lettre ouverte est notamment cosignée par la SPA de Lyon et du Sud-Est, la confédération nationale de défense de l’animal, l’Hirondelle Centre de soins pour animaux sauvages, l’association pour la dignité animale, Ron’Rhône, l’entraide des amis des chats et des pigeons des Villes ainsi que le Cercle de Pan ou encore la fondation Brigitte Bardot.
Elle condamne l’abattage à l’arc de 17 ragondins sur le plan d’eau Ouagadougou dans le quartier Confluence (Lyon 2è) le 19 mars 2022.
Dans la lettre cosignée par les associations de défense des animaux, celles-ci s’étonnent de ce qu’ils considèrent être un positionnement contradictoire de la mairie :
« Tirer en pleine ville des ragondins à l’arc est une méthode moyenâgeuse et nous ne comprenons pas comment une mairie qui se dit porter des valeurs fortes concernant l’écologie et la protection animale (comme vous l’avez fait en bannissant le foie gras et le saumon des repas officiels) peut cautionner de tel procédé de mise à mort. »
« Les ragondins de Lyon étaient très proches de l’homme »
On peut voir dans cette vidéo de la chaîne youtube de « Chasseurs de France TV » une séance d’abattage de ragondins à l’arc -un procédé qui semble assez commun dans les villes. Cela permet notamment de ne pas utiliser d’arme à feu dans une zone urbanisée, ce qui aurait tôt fait d’inquiéter la population.
L’usage d’arcs et de flèches semble atterrer les associations cosignataires de la lettre ouverte. Celles-ci sont pour la plupart antispécistes ou animalistes : elles défendent l’idée qu’accorder des traitements différents à chaque espèce (comprenant l’homme) est inacceptable.
Elles précisent :
« Les animaux qui ont été massacrés étaient très proches de l’Homme. Ils venaient manger dans la main des Lyonnais et des méthodes de régulation alternatives tout aussi efficaces et sans souffrance animale auraient pu être envisagées si vos services avaient vraiment pris la peine et le temps de se renseigner et de se rapprocher des associations de protection animale. »
« À Lyon, on ne comptait qu’un seul ragondin en avril 2021, ils étaient entre 15 et 20 en février 2022 »
Les associations rappellent aussi les déclarations de Nicolas Husson, adjoint au maire délégué à la biodiversité, la nature en ville et la protection animale, qu’il avait faites à à Rue89Lyon durant l’été 2021 au sujet de la gestion des rats et des pigeons dans la Ville :
« Lorsque l’on voit les réponses fournies par Monsieur Husson aux journalistes, il ne fait aucun doute que le temps passé à la recherche de solutions plus éthiques a été visiblement très limité. Si tous les animaux susceptibles de transmettre des maladies à l’Homme devaient être éradiqués, que deviendrait la biodiversité qui vous est si chère ? »
A Lyon, 17 ragondins ont été abattus à l’arc à Confluence. Une photo pexels par Antonio Friedemann
La Ville de Lyon tente quant-à-elle d’apaiser la controverse :
« La Ville de Lyon comprend pleinement l’émotion suscitée par cette action et souhaite pouvoir trouver rapidement des solutions pour limiter la multiplication de ces rongeurs. »
Elle met en avant l’urgence sanitaire que représentait la multiplication des rongeurs :
« À Lyon, alors que nous ne dénombrions qu’un seul ragondin en avril 2021 dans les bassins de Ouagadougou à la Confluence, ils étaient entre 15 et 20 en février 2022, avec de nouveaux arrivants et un taux de reproduction très élevé. Hélas, son impact est très négatif sur les écosystèmes et la biodiversité […] Une colonie de ragondins représente également un risque sanitaire pour les usagers des berges. »
Et promet d’engager une réflexion sur la manière de gérer ces espèces liminaires :
« Nous souhaitons favoriser une gestion des animaux sauvages et liminaires respectueuse du bien-être animal, ce que ne permettent pas les méthodes utilisées actuellement. Un travail que nous souhaitons mener avec les associations et le préfet. »
Linda a 45 ans et élève seule ses quatre enfants. Arrivée à Lyon en 2006, elle n’a jamais réussi à vivre correctement dans un logement : elle est passée de la rue, aux studios d’un marchand de sommeil pour finalement atterrir dans un logement social non fonctionnel à Lyon 8e. Un parcours de vie marqué par la précarité qui lui a laissé un sentiment d’amertume.
Linda (son nom a été changé pour préserver son anonymat) est originaire de la banlieue parisienne. Elle a pris son indépendance à 20 ans, un BTS vente en poche. Elle a alors habité dans le 93, en banlieue parisienne, à côté de la gare de Bondy. En 2006, âgée d’une petite trentaine d’année, elle s’est séparée de son ex conjoint et a décidé de tout recommencer à Lyon. Elle est partie avec son premier fils âgé de 6 ans, pour rejoindre son nouveau compagnon :
« À Paris, l’appartement était bien, mais je ne voulais pas que mon fils grandisse dans cette ambiance. Dehors, il y avait tout le temps des problèmes. J’avais envie d’autre chose pour lui. »
Elle a retrouvé son nouveau conjoint à Villeurbanne. Il y était hébergé gracieusement par une amie qui a aussi accepté de l’accueillir avec son fils. Linda a inscrit son fils à l’école, mais au bout de quelques mois, une dispute a éclaté entre le couple et leur hôte, qui leur a demandé de partir précipitamment :
« La première nuit, on l’a passée dans la voiture. Dès le lendemain, on a passé la journée à essayer de se reloger. Après, on a dormi à l’hôtel le moins cher de la région lyonnaise : un Formule 1 à Vaulx-en-Velin. »
« Il me manquait 50 centimes pour acheter un repas à mon fils »
Linda raconte une période d’un peu plus d’un mois d’errance, où elle, son fils et son compagnon ont cherché un endroit où s’installer temporairement :
« Mon conjoint est parti de son côté pour essayer de trouver un peu d’argent. On s’est retrouvé à la rue tous les deux, avec mon grand de six ans. Il me manquait 50 centimes pour lui acheter un repas. J’ai même fini par faire le 15 [numéro pour l’hébergement d’urgence]. »
Linda a donc été hébergée en urgence dans le centre d’accueil de Villeurbanne. Elle en garde un souvenir amer :
« La nourriture n’était vraiment pas bonne. Je laissais mon fils manger car il avait faim mais moi ça me dégoûtait. En plus, ce n’est vraiment pas sécurisant, on est avec des gens qu’on ne connaît pas, il y a des personnes qui te regardent tout le temps du coin de l’oeil. »
« Le jour je voyais cette richesse, le soir je dormais dans ma voiture »
Linda a fini par demander à sa mère de venir chercher son fils pour le ramener en Normandie, sa région d’origine :
« Il fallait protéger le petit. Il a manqué l’école, mais je ne voyais pas comment faire autrement. »
La poussette pour jumelles devant Linda, qui bataille pour obtenir un logement décent à Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon
Linda a dormi quelques semaines dans la voiture avec son conjoint. Après quelques semaines, elle a trouvé un travail de femme de ménage qui lui a permis de recommencer à gagner un peu d’argent. À l’époque, elle l’imaginait comme un job de dépannage avant de retourner dans la vente :
« Ça a duré 5 ans. Pendant 5 ans, j’ai fait du ménage pour une paye de misère, dans des chambres d’hôtel, parfois même des étoilés. Le jour je voyais toute cette richesse, le soir je dormais dans ma voiture ou dans des appartements de misère. »
« Je touchais la CAF, mais j’avais l’impression de vivre en clandestin »
Un peu plus d’un mois après son embauche comme femme de ménage, Linda a rencontré un homme que la mère de famille nomme tout naturellement « marchand de sommeil » :
« Il nous a logés dans une vieille maison qu’il avait découpée en appartements, dans le Vieux-Lyon [5e arrondissement, ndlr]. C’était un tout petit studio, de 25 m² envrion. Il y avait de l’humidité partout. Il n’y avait pas de vraie porte d’entrée, il y avait un espace de dix centimètres dessous et une toute petite serrure. J’avais toujours peur qu’on vienne nous voler. »
Le conjoint de Linda avait lui aussi un fils, qui les a rejoints dans ce minuscule logement. Au bout d’un an, leur propriétaire a trouvé un appartement un peu plus spacieux pour la famille :
« Il nous a basculés dans une plus grande pièce, à côté de l’école primaire Château-Gaillard à Villeurbanne. On y a vécu cinq ans, à quatre. Je travaillais tous les jours, notre appartement était déclaré car je touchais la CAF [aides sociales au logement], mais j’avais quand même l’impression de vivre en clandestin. »
Pour trouver un logement à Lyon, Linda a écrit au préfet tous les ans
En 2010, Linda a retrouvé un travail de caissière -à Lidl cette fois-ci- et est tombée enceinte d’un second enfant. Elle s’est donc attelée à la rédaction d’une lettre au préfet, une tradition qu’elle a initiée l’année de son arrivée à Lyon :
« Chaque année, j’ai écrit une lettre au préfet. Je lui disais comme je travaillais, comme j’étais une citoyenne honnête et pourtant, je vivais dans un minuscule appartement insalubre. »
Pourquoi seulement le préfet ? Pour Linda, c’est évident :
« Pour moi c’est le plus proche du Président de la République. Et puis j’allais tout le temps voir une association d’aide au logement à Cusset [quartier de Villeurbanne, ndlr]. Ils ne m’ont jamais aidée à me sortir de là, ça m’a fatiguée. »
Il semble que cette année-là, le préfet a tendu l’oreille car on a proposé à Linda un logement social. Elle ose une autre lecture des événements :
« J’avais un emploi moins précaire que femme de ménage. J’ai l’impression que ça joue drôlement pour être éligible et avoir l’accès à un logement social. »
C’est Lyon Métropole Habitat, premier bailleur social de la métropole de Lyon qui a fait visiter à Linda un logement. L’appartement qu’elle occupe encore aujourd’hui se trouve sur l’avenue Berthelot, dans le quartier du Bachut (Lyon 8e).
« Si je n’acceptais pas ce logement à Lyon, on ne m’en proposerait pas d’autre »
L’immeuble de dix étages surplombe le Casino proche de l’arrêt de tramway « Mairie du 8e ». L’appartement de Linda se situe au huitième étage mais n’est accessible que du neuvième. Après avoir pris l’ascenseur, il faut traverser un long couloir gris et ouvert sur l’extérieur duquel on aperçoit la tour crayon.
On entre dans le bâtiment par un grand sas vitré.
Un sas que Linda partage avec sa voisine, et qui débouche sur un escalier abrupt, lequel descend sur la porte d’entrée de son appartement.
Le couloir de l’immeuble géré par Lyon Métropole Habitat à Lyon 8è.Photo : LS/Rue89Lyon
L’architecture de l’appartement de Linda est tout aussi étonnant que le chemin qu’il faut emprunter pour y accéder. Le salon fait la moitié de l’appartement et un mur le traverse en partie pour créer deux espaces distincts qu’il est impossible d’isoler l’un de l’autre. Un petit couloir débouche sur deux petites chambres mitoyennes en passant par une petite pièce cuisine ainsi qu’une salle de bain non moins étroite.
A l’époque, à la première visite, Linda a tout de suite souligné l’architecture peu fonctionnelle et les matériaux de piètre qualité qui étaient et sont encore ceux de l’appartement :
« J’ai dit à haute voix que les murs étaient nus, que c’était directement du plâtre. La personne qui me faisait visiter m’a alors dit que ça allait être changé vite fait, que c’était temporaire. »
C’est Linda qui finira par tapisser les murs elle-même, un an plus tard. À la visite, elle a continué de lister les malfaçons apparentes. Ils devaient être cinq à habiter l’appartement, et il n’y a que deux chambres dans le logement. L’agent aurait coupé court à ses remarques :
« On m’a fait comprendre que si je n’acceptais pas celui là, on ne m’en proposerait pas d’autre. »
Linda a donc accepté précipitamment l’appartement :
« C’était quand-même un château, par rapport à ce dans quoi je vivais à ce moment-là. Le quartier est sympa en plus. Enfin la vie s’annonçait mieux. »
« On a souvent des inondations inexpliquées »
Elle déclare avoir vite déchanté après son installation, et cite bon nombre de problématiques déjà rencontrées par la rédaction au cours des articles réalisés dans le cadre de notre opération « Quartiers connectés », tantôt à la Duchère (Lyon 9e) et dans le quartier Etats-Unis (Lyon 8e) :
« D’abord il y a eu les rats. Les parties communes en sont infestées, le sous-sol, les garages, les locaux poubelles, dans les coursives du rez-de chaussée, parfois ils arrivent même à rentrer dans les appartements des premiers étages. »
Il y a aussi eu les refoulements dans la cave :
« La cave est régulièrement inondée par les eaux usées, même dans nos appartements, on a souvent des inondations inexpliquées. Lyon Métropole Habitat met généralement trois ou quatre jours pour intervenir… quand ils interviennent. »
Le jour du reportage, des infiltrations d’eau humidifient le sol de la salle de bain de Linda. Celles-ci semblent s’échapper des dalles aux fondations de la douche.
Pour Lyon Métropole Habitat, il n’y a aucun problème structurel qui explique les refoulements dans l’immeuble de Linda :
« Les caves sont condamnées. Il y a en revanche des fuites d’eau ou des problèmes de refoulement des toilettes dans certains logements (comme dans tous les immeubles), il s’agit en général de refoulement dus à des lingettes jetées dans les toilettes ou à des problème de dégâts des eaux entre locataires. »
Dans l’appartement de Linda à Lyon : « On a vu de plus en plus de fissures »
Au sujet des rats, le bailleur social assure prendre le problème très au sérieux :
« Des actions de dératisation sont programmées à raison de deux fois par an dans les parties communes. »
Dès ses premiers mois sur place, la mère de famille a observé que les lumières des sas d’entrée, couloirs et escaliers arrêtaient souvent de fonctionner, de même que les ascenseurs tombaient régulièrement en panne. En moins de deux ans, Linda a vu les interrupteurs et la robinetterie de son logement tomber en pièces. Elle poursuit :
« On a observé de plus en plus de fissures sur les murs, et l’eau s’infiltre souvent dans les cloisons. Des équipes sont intervenues deux fois pour venir consolider les balcons, ce n’était pas rassurant. »
Des refoulements et des fuites inondent souvent le sol de la salle de bain du logement situé à Lyon 8è.Photo : LS/Rue89Lyon
Linda déclare avoir vu ses conditions de vie s’appauvrir année après année :
« Un jour, ils ont déclaré que les espaces verts au pied de l’immeuble ne nous étaient plus accessibles. Maintenant, ils servent de dépotoir pour les grandes enseignes au rez-de-chaussée. On paye encore ces espaces verts dans nos charges locatives. »
« Ça faisait trois mois que je vivais avec des punaises de lit »
Lyon Métropole Habitat assure qu’il n’y a aucun risque de structure dans le bâtiment :
« S’il y avait eu un danger, le balcon ne serait plus accessible. Si un locataire constatait des fissures anormales sur un balcon, il devrait le signaler aussitôt et LMH prendrait les mesures pour le condamner avant de faire des travaux. »
L’événement qui a marqué une rupture totale de confiance entre Linda et son bailleur social a eu lieu en février 2019 :
« Un jour, j’ai vu quelque chose bondir d’un de mes murs. Puis j’en ai vu un autre, et puis encore un autre. C’était des punaises de lit. J’ai tout de suite écrit à l’agence, qui m’a superbement ignorée. »
Linda s’est rendue chez tous ses voisins mitoyens, et a découvert qu’eux aussi, étaient infestés :
« Je passais mes journées à téléphoner à l’agence, je me suis rendue au moins dix fois dans leurs locaux. J’ai loué une détapisseuse à mes frais, j’ai jeté toutes les étagères en bois que j’avais. J’ai essayé de faire partir toute seule les punaises de lit, mais quand on habite un immeuble, la désinfection doit être globale. »
« Ils ont laissé le problème se propager dans mon logement à Lyon »
La mère de famille poursuit :
« Ça faisait trois mois que je vivais avec des punaises de lit. Je leur ai dit que je voulais qu’ils me donnent une date pour venir désinfecter chez moi. Ils essaient toujours de dire que tout est à notre charge, mais ça, je savais que c’était à eux de le payer. »
Linda a un rire nerveux :
« Il faut dire que je n’avais pas les moyens de payer une désinfection contre les punaises de lit. »
Elle précise :
« Surtout qu’ils ont laissé le problème se propager et s’installer. J’en ai parlé avec mes voisins, on était dépassés, désespérés. Alors j’ai décidé de me rendre dans leurs locaux, pour leur faire comprendre la détresse dans laquelle on était. »
Linda détaille :
« Ils ont à peine commencé à m’écouter qu’ils m’ont dit : ‘on vous recontactera, il faut prendre rendez-vous’… »
Pour son logement à Lyon : « J’ai appelé la police »
La mère de famille raconte que ce jour là, en désespoir de cause, elle a commencé à s’énerver, à crier :
« J’ai vu qu’ils ne me prenaient pas au sérieux, que j’étais comme une nuisance à leurs yeux, alors j’ai appelé la police. »
La police se serait rapidement rendue sur les lieux :
« J’étais en train d’expliquer au policier le problème des punaises de lit quand l’agent de Lyon Métropole Habitat a sorti les papiers pour planifier une intervention. Comme par magie. »
Une équipe de désinfection est intervenue dans les deux semaines suivantes :
« Ils ont désinfecté tous les appartements qui avaient des punaises de lit. La société qui s’en occupait a utilisé un chien pour s’assurer qu’il ne restait pas un seul appartement avec des punaises de lit, pour ne pas que ça reparte de plus belle deux mois après. »
Une description qui colle bien à la société Côtière Hygiène Assainissement, qui a travaillé souvent avec les bailleurs sociaux de la métropole. L’été dernier, Rue89Lyon a notamment rencontré Romain Jarjaval, en charge de la détection canine des punaises de lit avec son chien Pexel.
« J’ai été interdite d’agence »
Pour Linda, ce « coup de gueule » a été particulièrement bénéfique, pour elle, comme pour sa voisine du dessous :
« On n’a rien payé et ils sont intervenus rapidement. C’est triste que pour avoir le minimum on soit obligés de faire un bordel comme ça. »
Un « bordel » qui a marqué l’agence au point de lui envoyer un courrier de non-recevoir pour les années qui ont suivi. Linda rit jaune :
« J’ai été interdite d’agence. Ils m’ont envoyé un courrier pour dire qu’au vu de mon comportement peu courtois, ils ne me recevraient plus à l’agence. Je crois que ce n’est plus valable depuis qu’ils ont déménagé leurs locaux. »
La chambre du fils et des jumelles de Linda, dans un logement situé à Lyon 8è.Photo : LS/Rue89Lyon
En bisbille avec son bailleur : « Ils m’ont ignorée comme pour me punir »
Pour Linda, cette altercation a eu un impact durable sur ses relations avec Lyon Métropole Habitat :
« J’ai eu un problème de robinet dans les mois qui ont suivi, ils ne m’ont jamais répondu. Pour moi, ils m’ont ignorée pour me punir. »
Lyon Métropole Habitat reconnaît qu’il y a eu une « forte mobilisation des habitants » pour traiter le problème des punaises de lit :
« Le bailleur a traité toute la barre entre 2019-2020 et surtout 2021 grâce à une forte mobilisation des habitants. Lyon Métropole Habitat a pris à sa charge tous les coûts y compris ceux qui sont normalement à la charge des locataires. Cela représente un montant global de plus de 22 000€ en 2021. »
Au sujet de l’interdiction d’agence imposée à Linda, Lyon Métropole Habitat accorde avoir déjà eu recours à ce type de mesure :
« Si une locataire a été interdite d’agence, c’est qu’elle a du se montrer insultante ou injurieuse envers un ou des collaborateurs de Lyon Métropole Habitat. »
Linda raconte avoir échappé de peu à l’expulsion de son logement en 2020 :
« Quand on a été en impayés en 2020, l’agence n’a pas tardé une seule seconde à démarrer une procédure d’expulsion. J’ai essayé de leur expliquer qu’à ce moment là c’était soit faire manger mes enfants, soit payer le loyer. Ils n’ont rien voulu savoir. »
Linda a échappé à l’expulsion de son logement à Lyon
Pourtant, la soudaine situation d’impayé de la famille s’expliquait bien : pendant la crise Covid, le mari de Linda qui était vendeur de jouets sur les marchés de Lyon n’a pas pu continuer à exercer. Son auto-entreprise a même fait faillite. Linda, elle, a continué de travailler tous les jours comme caissière :
« Heureusement, on a pu toucher les aides de l’Etat pour les auto-entreprises pendant la crise. Elles nous ont permis de payer le retard de loyer et les frais de la procédure. »
Peu après, Linda est tombée enceinte. Son conjoint, lui, est tombé malade, on lui a diagnostiqué un cancer des poumons :
« Il est décédé en août 2021, quelques mois après la naissance de deux jumelles. »
Linda s’est alors retrouvée seule avec un fils de 6 ans et deux bébés :
« J’ai dû arrêter de travailler. Je ne vois pas comment j’aurais pu faire autrement. C’est dommage car depuis 5 ans je travaillais au petit Casino de Monplaisir [Lyon 8è ndlr] et je m’y plaisais beaucoup plus que tous les autres postes que j’ai eus. J’étais même devenue caissière principale. »
Le sort s’est acharné sur Linda : les deux ascenseurs de son immeuble sont tombés tour à tour en panne, parfois les deux en même temps :
« J’étais coincée chez moi, au 8è étage. Ca a duré au moins trois mois. Des fois, un ascenseur recommençait à fonctionner un jour ou deux, et puis retombait en panne. »
« J’avais l’impression de tout faire pour sortir de la galère, et on ne s’en sortait jamais »
En trois mois, le fils de Linda a raté l’école deux fois à cause des pannes d’ascenseur :
« Je ne peux pas laisser mes filles d’à peine un an toutes seules chez moi. Il n’y a pas vraiment de solution quand on habite seule au 8è étage sans ascenseur avec trois enfants dont deux bébés. Je ne peux pas descendre la poussette double par les escalier sur huit étages. »
Elle évoque sa culpabilité :
« Je ne voulais pas que mon fils manque l’école, lui-même était vraiment triste. C’était dur. J’avais l’impression de tout faire pour qu’on se sorte de la galère, et on ne s’en sortait jamais. »
Lyon Métropole Habitat explique notamment ce problème par un souci de réapprovisionnement en pièces de rechange :
« Les fournisseurs sont principalement situés en Asie ou en Europe de l’Est. En effet, les délais de livraison se sont considérablement allongés depuis le début de la crise sanitaire. »
Le bailleur précise tout de même :
« La panne située au rez-de-chaussée de l’allée 321 est due à une dégradation volontaire et intentionnelle et non à un problème de vétusté. »
Et conclut :
« Par ailleurs, à titre de dédommagement pour le dernier trimestre 2021, un geste commercial de 30 euros par locataire a été appliqué. Enfin, les travaux de remplacement de portes palières et de portes cabines sur les deux ascenseurs de la résidence sont programmés courant 2022 pour un montant total de 45 000 €, à la charge exclusive de Lyon Métropole Habitat. »
« Quand je compare avec le 93, je trouve que la banlieue parisienne était plus sociale que Lyon »
Certains jours, Linda a demandé à l’un ou l’autre de ses voisins de veiller sur ses filles le temps qu’elle emmène son fils à l’école :
« J’ai un voisin qui travaille de nuit. Quand il rentrait du travail, je lui demandais de veilleur sur mes filles pendant 20 minutes le temps que j’emmène mon fils à l’école. Le pauvre, je le prenais presque en otage. »
Linda déclare avoir reçu un soutien réel de la part de ses voisins et voisines depuis le décès de son mari :
« Il y en a quelques-uns qui ont gardé mes filles par exemple. A l’école de mon fils aussi, son instituteur a fait preuve de beaucoup d’empathie. Quand mon fils a développé des troubles alimentaires suite au décès de son père, son professeur a été voir la cantine pour qu’on le laisse manger des plats que je lui prépare. »
En revanche, Linda ne s’est pas sentie particulièrement accompagnée par les assistantes sociales de la Maison de la Métropole pour les Solidarités de Bachut :
« Quand je compare avec ce que j’ai connu dans le 93, je trouve que la banlieue parisienne était plus sociale que Lyon. C’était la zone dans les rues, mais j’ai toujours trouvé un logement qui correspondait à ce dont j’avais besoin. Si je compare, la vie dans les rues est bien mieux à Lyon que dans le 93, mais le social n’y est pas du tout. »
« Dans le 8è, les seuls dispositifs sociaux qui fonctionnent sont les épiceries sociales et solidaires »
Elle détaille :
« J’ai eu le sentiment d’être un peu plus écoutée à Villeurbanne, mais dans le 8è, vraiment pas du tout. Est-ce qu’il faut aller dans les quartiers 100% prioritaires comme les Minguettes pour être considérée ? J’ai l’impression que dans le 8è, les seuls dispositifs sociaux qui fonctionnent sont les épiceries sociales et solidaires. »
Un message non signé écrit à-même le mur au sujet de l’ascenseur dans un logement de Lyon Métropole Habitat à Lyon 8è.Photo : LS/Rue89Lyon
Et conclut, acerbe :
« Je ne parle même pas de mon bailleur social, Lyon Métropole Habitat. Au décès de mon mari, ils n’ont pas traîné pour récupérer la place de garage et enlever le nom de mon conjoint du bail. »
Linda souhaite quitter son appartement, mais n’y croit pas :
« Je n’ai plus de travail, plus de conjoint, ça n’arrivera jamais. Je vois des constructions d’immeubles dans la ville, mais les logements ne sont pas pour nous. L’impression d’être un clandestin ne m’a jamais quittée depuis que je suis arrivée à Lyon, on ne m’a jamais donné la chance de m’en sortir. »
Les voisins lancent une pétition pour rétablir l’ascenseur
Les voisins de Linda ont essayé, chacun à leur manière, de lui apporter du soutien. Patricia (prénom d’emprunt) habite au deuxième étage, elle connaît Linda depuis des années maintenant :
« J’avoue qu’avant cette année, je lui disais seulement bonjour quand je la croisais. Je pense qu’on est nombreuses à avoir ressenti de l’empathie pour elle, au décès de son mari. Maintenant je l’aide autant que je peux. »
Patricia déclare que de nombreuses locataires ont fait remonter les problèmes d’ascenseur à Lyon Métropole Habitat, mais que face à l’inertie de l’agence, ils ont décidé de rédiger une pétition. On peut y lire :
« Certes, [les pannes] sont peut-être liées au manque de civilité de certains locataires, mais surtout liées en très grande partie à l’office HLM dans la gestion de son parc locatif et à des prises de décisions incohérentes qui contribuent au délabrement de cet immeuble. »
Patricia raconte :
« Le gardien m’a dit que l’agence était furieuse qu’on ait osé placarder les pétitions dans le hall de l’immeuble. Ils lui ont demandé de les enlever. »
Elle conclut :
« Du coup, on a fait du porte-à-porte. »
Lyon Métropole Habitat nie cette version des faits :
« Lyon Métropole Habitat a bien reçu cette pétition mais n’a pas demandé à ce qu’elle soit enlevée. »
« Il paraît qu’on est sur liste d’attente »
Aujourd’hui, la pétition compte 70 signatures représentant chacune un appartement différent de l’immeuble. Patricia déclare :
« Même si les habitants ont tous peur d’être « blacklistés », on ne peut pas continuer comme ça éternellement. »
Patricia fait ici référence à la rumeur très vivace qui circule dans les couloirs du vieil immeuble de dix étages : il y aurait une liste d’habitants considérés râleurs, insistants ou procéduriers placés sur une sorte liste noire. Patricia imagine que « si on est sur liste noire, c’est foutu pour changer de logement ».
En effet, comme Linda, Patricia ne souhaite qu’une seule chose : quitter la barre 321-323 de l’avenue Berthelot. Cela fait aussi plus de dix ans qu’elle y habite et signifie chaque année à son agence son désir de partir :
« Il paraît qu’on est sur liste d’attente. »
Lyon Métropole Habitat fait remarquer le manque de logements dans la métropole pour accéder à toutes les demandes de mutation :
« Il y a concrètement très peu d’offres sur la ville de Lyon avec un taux de rotation très faible, 8% pour Lyon Métropole Habitat. »
Et rappelle la procédure d’attribution des logements de Lyon Métropole Habitat :
« Pour chaque logement à attribuer, la commission examine au moins trois demandes, sauf en cas d’insuffisance du nombre des candidats. Certains demandeurs sont considérés comme prioritaires : les ménages éligibles à la loi DALO, les personnes en situation de handicap, les personnes victimes de violences dans leur foyer… »
[Portrait d’électeur] Robin, étudiant à Lyon, choisit l’abstention lors de la prochaine élection présidentielle. À cause de déceptions, mais aussi d’« un système » qui ne lui convient pas.
A l’occasion des présidentielles 2022, des étudiants en journalisme de l’université Lyon 2 sont allés à la rencontre d’électeurs et électrices. Nous publions leurs portraits.
« Je compte m’abstenir pour l’élection présidentielle, au premier et au second tours. » Robin, étudiant de 23 ans à Lyon, a fait son choix, celui de l’abstention. Après un an en classe préparatoire puis un autre à la fac, il a commencé une formation à Bioforce en Travail et logistique humanitaire et a enchaîné les petits boulots dans la restauration. Il est actuellement en année de césure pour effectuer son service civique – dans une association de formation en français pour des personnes en parcours d’exil dont il ne souhaite pas en donner le nom – avant de poursuivre son cursus.
Pourquoi le choix de l’abstention ? « Parce que structurellement c’est un mode de démocratie qui ne me convient pas et auquel je n’ai pas envie de participer », explique cet habitant du 7e arrondissement de Lyon. Un problème de « système », mais pas seulement :
« je me sens aussi très peu représenté par les candidats. Pour moi ce sont des problèmes liés ».
Robin ne se reconnait dans aucun des douze candidats. Il en voit seulement « certains moins pires que d’autres ».
Un étudiant à Lyon, déçu en 2017, qui choisit l’abstention
S’il a « des idées politiques depuis un moment », Robin a commencé à se demander assez tard qui et quel parti les représentait le mieux. La gauche lui parlait tout de suite plus que la droite. Lors de la dernière présidentielle en 2017, il a eu « un petit coup de cœur pour Hamon », lâche-t-il.
Il vient d’une famille « partagée politiquement », plutôt de droite d’un côté et plutôt de gauche de l’autre.
« Non pas que j’aime bien le PS, au contraire, mais je trouvais que Benoît Hamon avait une approche du travail extrêmement intéressante : du temps, de la mécanisation, de la robotisation dans la société, de l’écologie et de l’économie. Je voulais voter pour lui. »
« Terrifié » par l’extrême droite, il s’est décidé « à voter Mélenchon qui avait bien plus de chances de passer ». Un candidat qui ne lui inspire pourtant pas confiance, mais qu’il percevait comme le moins pire.
« Il n’est pas passé bien sûr et au second tour, encore terrifié, j’ai voté pour Macron. » S’étant senti lésé par la suite, il assume :
« Pour ces élections je refuse de faire pareil. Je me dis que si l’extrême droite passe, c’est horrible, mais on se demandera comment se réorganiser et continuer la vie associative et militante sous l’extrême droite, et venir en aide aux personnes qui seront réellement impactées. Mais ce n’est pas en votant Macron que tu combats l’extrême droite. »
« En 2017, on a voté pour quelqu’un qui se présentait ni de droite ni de gauche et il s’est mis à piocher dans des comportements, des mots, des ministres bien à droite »
« En ayant peur de l’extrême droite, on finit toujours par se trahir un peu et voter pour ce qu’on ne serait pas allé voter. »
Selon lui, « c’est l’épouvantail ultime de la Ve République », souvent agité par « les politiciens » comme une menace pour se faire élire.
« En 2017, on a voté pour quelqu’un qui se présentait ni de droite ni de gauche, et en fait il s’est mis à piocher dans des comportements, des mots, des ministres bien à droite… Donc à quoi bon lutter contre l’extrême droite dans les urnes ? »
Robin considère depuis longtemps que l’abstention n’est pas « grave », bien que « beaucoup disent que c’est une honte de ne pas voter, qu’on a la chance de pouvoir le faire ». Un discours auquel il n’adhère pas :
« C’est comme si on t’expliquait que le moment où tu es vraiment un citoyen c’est celui où tu votes, et que c’est le seul moment de démocratie. La politique est plus large que ses institutions et il y a beaucoup d’autres manières d’être politique que le vote ».
Robin souligne l’absence d’une capacité de contrôle a posteriori.
« On peut voter pour quelqu’un dont on connait parfaitement le programme, mais qui ne l’applique pas une fois au pouvoir. Et ce n’est pas anticonstitutionnel, on l’a déjà vu plein de fois. »
Ce manque de garantie est d’ailleurs ce qui fait perdre en essence au vote d’après lui. C’est aussi pourquoi il conteste le discours de critique des jeunes qui s’abstiennent, pointant « un long travail de sape de la confiance citoyenne », et a du mal à comprendre comment on pourrait en vouloir à ceux qui n’ont pas envie de voter.
« Finalement pourquoi voter ? J’entends bien qu’il y a des conséquences derrière un vote, par contre je refuse qu’on me dise que c’est moi qui, par mon abstention, fait passer un plutôt qu’un autre. Je décide juste de ne pas jouer à ça. Je sais que ça changera les décisions politiques, mais je ne reconnais pas ma responsabilité là-dedans : c’est un système qui a été organisé sans moi, bien avant ma naissance, on ne m’a jamais demandé mon avis dessus ou réinterrogé en tant que citoyen, si je le trouvais pertinent ou pas… »
Robin, étudiant à Lyon, choisit l’abstention.Photo : DR
« Choisir l’abstention et agir au quotidien à Lyon »
Par conséquent, Robin préfère se tourner vers un mode d’action politique plus local, plus personnel. Il ne s’investit pas dans des structures de militantisme classique mais participe régulièrement à des manifestations. Il cherche à « agir au quotidien » en aidant comme il peut et « en apprenant à s’organiser de manière horizontale, à mieux s’informer, à mieux consommer et à diffuser ces pratiques autour de soi ».
« Je réfléchis beaucoup à la construction et au renforcement de liens sociaux, je pense que la création d’une société résiliente passe par des groupes de personnes qui partagent des liens forts. »
Robin mentionne des habitudes perdues :
« Je ne connais pas mes voisins de palier, et ça m’embête beaucoup. Et c’est complètement politique : un immeuble où on s’organise et on discute, c’est un choix plutôt que de ne pas se connaître et de rester chacun chez soi. »
Le jeune Lyonnais souhaiterait une démocratie plus participative, locale et décentralisée. « Par exemple, est-ce que dans un quartier on décide de mettre des voies de vélos ? En quelle quantité ? Tous les gens du quartier votent, typiquement ça ne concerne qu’eux. » Un système un peu plus fédéraliste en quelque sorte. Mais aussi adapté aux territoires :
« Un Corse et un Breton ne vont pas avoir les mêmes problématiques et les mêmes besoins. Ce qui n’empêche pas les décisions communes pour les sujets qui concernent la nation, comme la défense, on se concerte ».
Malgré tout, Robin se demande s’il a pris la bonne décision, restant sensible aux tentatives de culpabilisation venant de ses proches qui votent. Le jeune étudiant de Lyon ne trouve pas que son choix de l’abstention facile car « souvent on l’associe à un manque de réflexion et du je-m’en-foutisme ». Elle n’est pourtant pas subie :
« En tant que citoyen je reste cohérent si derrière je participe à d’autres modes d’organisation et de militantisme. »
A Lyon, un abbé et un doctorant de l’ENS (école normale supérieure) ont mis au point un site de rencontres pour aider les jeunes catholiques pratiquants à trouver l’âme sœur. Mi-mars, il comptait déjà 537 inscrits.
François a 28 ans et un regard bleu rêveur derrière ses lunettes rondes. Le jeune homme parle avec aisance, se perd parfois dans des explications théologiques poussées, s’excuse, fronce les sourcils et reprend le fil de son récit. Il évoque son enfance en Corrèze, les déménagements successifs pour suivre un père pilote de ligne, sa scolarité dans des établissements catholiques puis ses études à Lyon, toujours chez les cathos.
Un choix de ses parents, pour lui assurer un enseignement de meilleur qualité, affirme-t-il. François est baptisé, mais n’a pas spécialement été élevé dans la foi catholique, à part quelques messes par-ci par-là et une grand-mère qui lui a appris quelques prières.
Il raconte les doutes qui l’ont assailli tout au long de sa courte vie d’adulte, concernant ses études, son avenir professionnel et sa vie sentimentale. Embourbé dans de nombreuses questions existentielles, François a pensé que la religion pouvait lui apporter quelques réponse. Quand le jeune homme se lance dans quelque chose, il ne le fait pas à moitié. Après un long travail d’analyse des différentes religions, il a renoué avec la foi catholique il y a trois ans.
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Alter-Conso est la plus ancienne coopérative de paniers bio et locaux à Lyon et dans la métropole. Elle constate depuis près d’un an une chute du nombre de ses adhérents. Une tendance constatée également dans d’autres structures proposant du bio en circuit-court à Lyon.
Les confinements de la crise sanitaire ont pu attirer de nouveaux adhérents vers les AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne, ndlr) ou coopératives. Des consommateurs en quête de produits locaux issus d’un système plus respectueux des terres et des producteurs. Depuis, les paniers bio en circuit-court intéressent-ils moins certains consommateurs à Lyon ?
Du côté AMAP, le réseau regroupant les associations d’Auvergne-Rhône-Alpes n’est pas en mesure de quantifier une baisse pour le moment. D’ores et déjà, plusieurs grosses AMAP de Lyon font état d’une baisse d’environ 10% du nombre de leurs adhérents depuis cet été.
Chez Alter-Conso, coopérative proposant des paniers bio et locaux dans la métropole de Lyon, la baisse est très nette. Et plutôt forte. Simon Thareau, un des salariés d’Alter-Conso, revient sur cette évolution et esquisse quelques pistes explicatives. Si la coopérative réfléchit à améliorer et adapter son offre face aux nouveaux acteurs sur le créneau des paniers, elle ne transigera pas avec le sens de sa démarche.
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D’après le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, la crise du logement de Lyon ne résulte pas (uniquement) d’une baisse générale du niveau de vie. Les premiers facteurs seraient plutôt une hausse des loyers dans le parc locatif privé alors que le parc social est saturé.
La Fondation Abbé Pierre vient de présenter son habituel éclairage régional sur l’état du mal-logement en Auvergne-Rhône-Alpes. On y trouve notamment un focus sur l’évolution de la situation des locataires les plus modestes dans l’agglomération lyonnaise.
L’étude s’appuie sur les données d’observation de la Maison de l’habitat (MDH), tenue par l’association l’Alpil qui accompagne des demandeurs dans des situations très diverses allant du sans-abrisme aux difficultés de paiement des loyers. Le travail a été mené par Loïc Bonneval, sociologue, maître de conférences à l’université de Lyon 2.
De nombreux couples avec enfants souhaitent être aidés pour leur logement à Lyon
Les difficultés pour se loger à Lyon sont-elles imputables à une dégradation de la situation financière des locataires, ou à une augmentation globale des loyers ? Pour répondre à cette question, Loïc Bonneval s’est penché sur les profils des demandeurs et sur les causes pour lesquelles les locataires ont fait appel à la Maison de l’habitat.
Qu’il s’agisse des locataires du privé ou du social, ceux qui ont formulé une demande d’aide auprès de la Maison de l’habitat sont souvent des travailleurs pauvres ou précaires, souvent dépendants des aides sociales, et notamment des aides au logement, en dépit de leur activité professionnelle rémunérée.
D’après le rapport de la Fondation Abbé Pierre :
« Ils se composent pour les deux tiers de ménages avec enfants (40 % de couples avec enfants et 28 % de familles monoparentales), le tiers restant étant surtout composé de personnes seules (27 %) et de couples sans enfants (5 %). Depuis 2007, c’est surtout la progression de la part des couples avec enfants (de 28 % à 40 %), relativement à celle des personnes seules, qui est notable. »
L’évolution des motifs liés à la situation locative dans le Grand Lyon.
Un tableau extrait du rapport Auvergne-Rhône-Alpes sur le logement à Lyon de la Fondation Abbé Pierre d’après les données de la MDH traitées par Loic Bonneval.
La majeure partie de ces personnes sont actives, en CDI ou dans des formes d’emploi plus précaires. Elles se situent souvent à la lisière du seuil de pauvreté :
« Le revenu disponible s’élève à 11 808 euros par an pour les locataires du parc privé et à 10 824 euros pour les locataires HLM, soit entre 900 et 1 000 euros par mois pour une personne. »
Une part importante des locataires privés qui s’adressent à la Maison de l’habitat mettent en avant des motifs liés à « la situation locative » : cela peut être un indicateur de difficultés liées aux rapports de location et aux prix des loyers.
« Beaucoup ont fait une demande de logement social à Lyon depuis plusieurs années »
L’écrasante majorité -quel que soit leur motif principal pour s’adresser à la Maison de l’habitat- ont des budgets très fortement affectés par le loyer. Une allocation des ressources qui peut être quantifiée par le « taux d’effort » : c’est-à-dire la somme des dépenses liées à l’habitation principale comparée aux revenus du ménage. Ainsi le rapport de la Fondation Abbé Pierre décrit :
« Leur taux d’effort moyen est de 50 %, même en comptant l’aide au logement (sans laquelle il s’approche des 60 %), très loin des 33 % couramment admis comme seuil maximal. Leur taux moyen atteint même des niveaux insoutenables pour plusieurs catégories de demandeurs. Leur situation se complique souvent d’impayés et de dettes locatives. Beaucoup ont fait une demande de logement social, depuis parfois plusieurs années. »
L’évolution du taux d’effort lié à la situation locative dans le Grand Lyon.
Un tableau extrait du rapport Auvergne-Rhône-Alpes sur le logement à Lyon de la Fondation Abbé Pierre d’après les données de la MDH traitées par Loic Bonneval.
Un autre indice témoigne du poids « insoutenable » du logement dans le budget des foyers : les problèmes locatifs comme les coupures (téléphone, électricité) mais pas seulement :
« Les informations recueillies font également état de la pression qui s’exerce sur les ménages concernés, sous forme légale, avec le lancement de procédures d’expulsion, ou non (menaces, insultes…). »
Une évolution qui suggère un effet des logiques de marché sur le logement à Lyon
Il est nécessaire d’accompagner cette tendance par une autre :
« On compte moins d’expulsions et de conflits avec le bailleur et un peu plus de logements repris (notamment pour être mis en vente) ou trop chers entre 2007 et 2020. »
L’évolution des loyers moyens dans le Grand Lyon.
Un tableau extrait du rapport Auvergne-Rhône-Alpes sur le logement à Lyon de la Fondation Abbé Pierre d’après les données de la MDH traitées par Loic Bonneval.
Une évolution qui serait symptomatique de l’envol du prix du mètre carré à Lyon :
« Même légère, cette évolution suggère un effet des logiques de marché, avec une intensification des congés pour vente et des pressions à la hausse sur les loyers : s’il n’y a pas d’explosion des congés pour vente, ils sont le signe de l’effet continu des tensions sur le marché, bien que peu visible (car donnant lieu à peu d’alertes ou de controverses). »
Un « congé pour vente » désigne la procédure par laquelle un propriétaire peut demander à son locataire de quitter l’appartement pour le vendre. Le locataire bénéficie alors d’un droit de préemption, c’est-à-dire qu’il peut acheter en priorité l’appartement, si il en a les moyens.
Les loyers des locataires du parc privé qui ont contacté la Maison de l’habitat ont augmenté en moyenne de 21 % entre 2007 et 2020, soit une hausse supérieure à celle de l’ensemble des loyers (en intégrant le parc social) sur l’agglomération lyonnaise.
« La disparition du parc social rattrape des fractions de plus en plus larges de la population »
Il faut noter que les revenus des locataires qui font appel à la Maison de l’habitat sont aussi plus élevés, ce qui peut représenter un nouveau public auparavant moins touché par ce type de problématiques :
« Le revenu [moyen] des locataires du parc privé va dans le même sens : leur revenu disponible moyen s’élève en 2007 à 8 928 euros (environ 15 % en-dessous du seuil du premier décile de revenus) et passe à 11 808 euros en 2020 (soit légèrement au-dessus du seuil du premier décile). »
Le rapport conclut donc assez naturellement qu’entre 2007 et 2020, l’alourdissement du budget logement ne semble pas être dû qu’à un appauvrissement des ménages. On observe au contraire que l’ampleur du budget logement n’inquiète plus seulement les foyers les plus pauvres, même s’ils restent tous modestes.
L’évolution des loyers moyens dans le Grand Lyon.
Un tableau extrait du rapport Auvergne-Rhône-Alpes sur le logement à Lyon de la Fondation Abbé Pierre d’après les données de la MDH traitées par Loic Bonneval.
Les motifs pour s’adresser à la Maison de l’habitat seraient de plus en plus imputables aux pressions du marché locatif (logement trop cher et surtout reprise pour vente). Les locataires en détresse en 2020 sont moins paupérisés que ceux qui ont fait appel à la Maison de l’habitat en 2007 :
« Le poids du loyer se fait trop lourd pour des ménages moins précaires qu’il y a 15 ans, comme si la poursuite de la disparition du parc social de fait rattrapait des fractions de plus en plus larges de la population. »
Difficile d’obtenir une mutation de logement social à Lyon
On observe plus d’expulsions dans le secteur social que le parc privé. Cela s’explique notamment par l’appauvrissement d’une partie des locataires. Pour la plupart, ils viennent à la Maison de l’habitat parce qu’ils n’arrivent par à se faire muter dans un autre logement :
« Le tableau est différent pour les locataires du parc social. Leurs motifs de demandes à la Maison de l’habitat sont moins souvent liés à des demandes locatives que par le passé (30 % en 2007 et 16 % en 2020) et plus à des difficultés de mobilité résidentielle (taille du logement notamment) qui renvoient aux files d’attente pour obtenir un logement social. »
La présentation de l’éclairage régional de la fondation Abbé Pierre sur le logement a Lyon a fait salle comble.Photo : LS/Rue89Lyon
Cette différence de problématique entre public et privé souligne les dynamiques de marché des locations privées. Ces difficultés ne se résument donc pas à une dynamique de précarisation.
Entre 2007 et 2017, le revenu des 10 % les moins riches n’a augmenté que de 7 % , soit moins de la moitié des hausses des loyers (17 %). D’après le rapport de la Fondation Abbé Pierre :
« On voit bien ici de quelle façon l’absence d’un « parc social de fait » fait peser une pression particulière sur les plus modestes. De ce point de vue, un encadrement agissant même sur de faibles hausses de loyers peut avoir un effet sur la possibilité des moins fortunés de se maintenir ou d’accéder à un logement dans le secteur privé. »
« De plus en plus de personnes solvables sont concernées par le loyer trop cher »
Qui conclut :
« De plus en plus de personnes solvables sont concernées par le loyer trop cher, le congé, les impayés, les expulsions et l’impossibilité de se reloger à l’identique dans le parc privé. »
Une évolution confirmée par l’ADIL, l’Agence d’Information sur le Logement Département du Rhône Métropole de Lyon qui témoigne de la croissance des sollicitations ces deux dernières années :
« [Les sollicitations concernent] les congés vente-reprise et plus récemment d’autres phénomènes (ventes à la découpe, surélévation d’immeubles et inquiétudes d’impayés de loyer liés à la crise sanitaire). »
A la conférence de presse présentant son rapport, Véronique Gilet, directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre tire la sonnette d’alarme :
« L’encadrement des loyers arrive tard, et la situation a eu le temps de s’installer à Lyon. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est réinvestir le parc privé, que des institutions publiques sanctuarisent des logements par l’achat. »