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A Lyon 8e, quartier États-Unis : « On ne peut plus boire l’eau du robinet ! »

Dans le 8e arrondissement de Lyon, les habitants du quartier des États-Unis vivent dans des barres d’immeubles de Grand Lyon Habitat, usées, vétustes et délaissées. Nous avons recueilli leurs témoignages.

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Barre d'immeuble Grand Lyon Habitat dans le quartier des Etats-Unis, à Lyon 8ème.

De la plomberie défaillante et rouillée, des caves sales et condamnées, des espaces communs jonchés de déchets, des câbles électriques qui sortent des murs, des cafards et des punaises de lit… Bienvenue dans cet immeuble du quartier des États-Unis, dans le 8e arrondissement de Lyon.

Ce secteur doit son nom aux imposantes barres d’immeubles grises qui quadrillent toute la zone allant à partir de l’ouest de l’avenue Francis de Pressensé (limitrophe de Vénissieux), à l’avenue Paul Santy, à l’est, entre les arrêts du tramway T4 Lycée Lumière et Viviani.

Les habitant·es de ce quartier sont à bout de nerf, et voudraient faire connaître leurs conditions de vie, dans les barres d’immeubles qui s’alignent le long du boulevard des États-Unis et des rues adjacentes. La grande majorité d’entre ces barres est la propriété du plus gros bailleur social du quartier, Grand Lyon Habitat.

En mars 2021, des voisins du 8e arrondissement ont même créé un comité pour épauler les habitant.es dans leur bras de fer avec leur bailleur.

Barre d'immeuble Grand Lyon Habitat dans le quartier des Etats-Unis, à Lyon 8ème.
Barre d’immeuble Grand Lyon Habitat dans le quartier des États-Unis, à Lyon 8ème.Photo : OM/Rue89Lyon

« Depuis 2018, on ne peut plus boire l’eau du robinet »

Dans le quartier des États-Unis, la vétusté des barres d’immeubles saute aux yeux. Des blocs grisâtres et ébréchés construits dans les années 60 s’alignent au garde-à-vous le long du boulevard, à peine réchauffés par les cris et les rires des enfants des nombreuses familles qui y habitent.

La quasi-totalité de ces constructions appartient au bailleur social Grand Lyon Habitat, soit 4900 logements au total sur le seul quartier des États-Unis, détaille le bailleur, surnommé « GLH » par les initiés.

A 43 ans, Stéphane habite dans l’une de ces barres, non loin de la place du 8 mai 1945, depuis plus de 20 ans. Pas une année n’a passé sans qu’il y ait un souci dans l’immeuble.

« Depuis 2018, on ne peut plus boire l’eau du robinet », explique-t-il en montrant le liquide marron qui coule dans son lavabo.

Au sous-sol, la colonne d’eau, usée, fuit dans les garages. Quant à la chaudière, elle a des loupés chaque année.

A côté, rue Ludovic Arrachart, une longue barre d’immeuble surplombe la place du 8 mai 1945. La plomberie y est si vétuste qu’un morceau de la colonne d’eau est tombé, grignoté par la rouille.

Chez Stéphane, locataire dans une des barres d'immeubles du quartier des États-Unis, propriété de Grand Lyon Habitat, l'eau du robinet est marron depuis 2018. DR
Chez Stéphane, qui habite dans une barre d’immeuble du quartier des États-Unis, propriété de Grand Lyon Habitat, l’eau du robinet est marron depuis trois ans. DR

De son côté, Grand Lyon Habitat assure n’avoir reçu aucune réclamation au sujet des problèmes de plomberie et propose aux locataires de « se faire connaître en signalant ce problème auprès de la ligne directe des locataires ». Le bailleur social reconnaît :

« Certaines canalisations peuvent être anciennes. Des interventions ont lieu à la demande des locataires en attendant des actions de rénovation plus globale. A ce jour, toutes les réclamations concernant ce problème d’étanchéité dans les garages ont été traitées. »

Quant aux espaces verts communs, derrière ce rectangle de logements, ils sont jonchés de déchets. A quelques mètres des jeux pour enfants, des fils électriques sous tension pendent depuis un lampadaire lui aussi très abîmé.

Grand Lyon Habitat assure pourtant que des opérations de nettoyage sont effectuées deux à trois fois par semaine, selon les sites :

« Les espaces verts communs sont effectivement régulièrement jonchés de détritus et notamment le week-end, admet le bailleur social. Les équipes sont formées pour être très attentives aux déchets et salissures et n’hésitent pas à sensibiliser bon nombre de locataires, qui, pour la majorité d’entre eux, ne semblent pas concernés par cette problématique. »

Un « comité populaire d’entraide et de solidarité » à Lyon 8e États-Unis

Comme d’autres locataires, Stéphane tente depuis plusieurs années de faire remonter ces divers problèmes. Il ne compte plus les fois où il s’est rendu à l’agence de Grand Lyon Habitat, dans le quartier.

« Quoi qu’on demande, c’est non, soupire-t-il. A chaque fois qu’on demande à parler à un responsable, ils ne veulent pas. On a l’impression d’être des pestiférés. »

Lassé d’attendre des solutions qui ne viennent pas, Stéphane a décidé d’agir. Depuis quelques temps, quand il se balade dans le quartier, il voit sur les murs des barres d’immeubles des nappes sur lesquelles brillent en rouge les slogans « GLH nous vole ! ». Ou « Grand Lyon Habitat nous vole ! ».

Elles sont l’œuvre du « comité populaire d’entraide et de solidarité » (CPES), dont faire partie Thibault, 22 ans, veste de survêtement et crâne rasé, qui habite également dans le coin.

Au printemps 2020, pendant le confinement, le jeune homme participait aux distributions de nourriture organisées à destination des habitant·es les plus précaires du quartier des États-Unis. Petit à petit, ces derniers se sont mis à évoquer les problèmes rencontrés avec leur bailleur social.

Les nappes du CPES collées au pied des immeubles de Grand Lyon Habitat dans le quartier des États-Unis.
Les nappes du CPES collées au pied des immeubles de Grand Lyon Habitat dans le quartier des États-Unis. DR

« S’il y avait ces problèmes place Bellecour, ce serait déjà réglé ! »

Un an et trois confinements plus tard, en mars 2021, Thibault et d’autres habitant·es du coin décident de fonder le CPES, qui compte actuellement un noyau dur d’une quinzaine de personnes du 8e arrondissement de Lyon, ainsi que des dizaines de sympathisants.

« L’idée, c’était de partir des problèmes concrets des gens dans le quartier et de s’organiser, explique le jeune homme. Il y a plein d’habitants qui nous ont dit qu’ils ne savaient pas à qui s’adresser. On veut établir un rapport de force, être un outil dont les habitants puissent se saisir et par lequel ils puissent s’informer. »

Deux réunions publiques sont organisées par le CPES dans l’été. Elles rassemblent chacune une cinquantaine de personnes, venues faire part de leurs problèmes de logement dans le quartier des États-Unis.

« S’il y avait ces problèmes place Bellecour, ce serait réglé bien plus rapidement qu’ici ! » s’exaspère Thibault.

Des cafards et des punaises de lit

Boulevard des États-Unis, plusieurs petits blocs d’immeubles s’enroulent autour de pelouses défraîchis entre les arrêts de tram Professeur Beauvisage et Viviani. A l’intérieur, les bâtiments ne sont guère en meilleur état.

Deux locataires montrent un enchevêtrement de vieux câbles électriques sous la gaine de ventilation, au-dessus de leur porte d’entrée. Dans la cuisine, la prise du four est inaccessible à cause des tuyaux de chauffage qui passent devant. Les deux locataires doivent en outre partager leur appartement avec un troupeau de cafards.

Dans une barre d’immeuble de la rue du professeur Tavernier, non loin de là, les locataires sont aux prises avec des punaises de lit, ces nuisibles particulièrement envahissants et coriaces.

Là aussi, Grand Lyon Habitat assure être sur le coup :

« Nous menons des actions de grande envergure sur l’ensemble immobilier situé  6/8/10/12 rue Professeur Tavernier (160 logements). Sur la seule allée du 8 Tavernier, qui était la plus infestée, plus de 43 000 € ont déjà été engagés pour venir à bout de ce fléau. »

Un mail, que Rue89Lyon a pu consulter, a été adressé le 10 août dernier pour faire remonter le problème à Grand Lyon Habitat. Mise à part une visite d’une société de désinsectisation fin juillet, les locataires n’ont pas eu de nouvelles depuis.

Les caves condamnées pour « occupations abusives » et « trafic organisé »

Dans plusieurs barres d’immeubles, les caves ont été tout simplement condamnées par Grand Lyon Habitat. Sans que cela ne se traduise par une diminution des charges locatives.

Pour les caves, Grand Lyon Habitat justifie sa décision de les condamner par l’existence de « réelles problématiques sécuritaires », notamment sur « les sites de Viviani, Million et Tony Garnier ». Le bailleur évoque également la nécessité de condamner l’ensemble des caves du 158 de la rue professeur Beauvisage, « du fait d’occupations abusives sévères et d’un véritable trafic organisé ».

« Cette fermeture était fortement attendue par les 18 locataires qui avaient fait parvenir une pétition à l’agence de proximité, précise Grand Lyon Habitat. Il s’agissait d’une mesure provisoire en réponse à une situation d’urgence. Il a été décidé par la suite d’engager une opération de résidentialisation sur ce groupe avec la mise en place de barrières en contrôle d’accès. »

Et de rappeler, en réponse à l’étonnement des locataires à ne pas voir leurs charges diminuer du moindre centime alors qu’ils ne peuvent plus utiliser leur cave :

« Il est à souligner qu’il n’y a pas de ligne de charges spécifiques à la location des caves. »

Barre d'immeuble Grand Lyon Habitat dans le quartier des Etats-Unis, à Lyon 8ème.
Barre d’immeuble Grand Lyon Habitat, rue professeur Beauvisage, dans le quartier des États-Unis, à Lyon 8ème.Photo : OM/Rue89Lyon

« C’est comme si on payait deux fois la télévision »

En avril 1993, l’office public d’HLM et le Câble Téléservices (Numéricable) signent un contrat « triple play social ». D’après Grand Lyon Habitat, celui-ci prévoit la fourniture aux habitant.es des HLM d’une ligne téléphonique, de la télévision et d’une ligne internet, pour 4 euros par mois qui sont reversés à Numéricable.

Stéphane est antenniste. Il connaît bien ces contrats passés auprès de Numéricable, puis de SFR lors que celui-ci rachète la société en 2014. Sur un appel de loyer de 1997, on voit une ligne intitulée « service antenne », facturée 14,21 francs, soit à peine plus de 2 euros.

« Depuis le rachat par SFR, les tarifs ont augmenté et sont passés de 2 euros par logement et par mois à 5 euros ! s’indigne Stéphane, une plaquette Numericable à la main. Où est passée la différence ? »

Au moment de changer d’opérateur, il s’est aperçu qu’il était toujours prélevé de ces 5 euros par mois.

« Actuellement, il n’y a que la télévision qui fonctionne et ils prennent 5 euros quand même. Si on est chez un autre opérateur, on doit payer l’abonnement en plus, explique-t-il. C’est comme si on payait deux fois la télévision. »

« Dans le cas où un locataire choisirait un autre fournisseur, il n’y aurait pas de changement », confirme Grand Lyon Habitat.

« Il n’y a aucune info là-dessus au moment de la signature du bail, proteste Stéphane. GLH vient de nous faire parvenir à tous les locataires un document où il est indiqué noir sur blanc que le service antenne câble est, je cite, « à un prix unique », chose naturellement fausse car, sur les mêmes patrimoines, par exemple dans le quartier des Etats-unis, les prix sont différents d’un immeuble à l’autre. Et sans raison : entre 4 euros et 5.50 euros, au lieu de 2 euros qui est le véritable tarif. »

« Est-il logique que Grand Lyon Habitat contribue à l’enrichissement du fonds d’investissement privé Altice ? »

Fort de son expérience d’antenniste, Stéphane trouve aberrant que de tels contrats subsistent aujourd’hui. Pour lui, c’est de l’argent jeté par les fenêtres, et des frais supplémentaires pour les locataires. Il a même fait le calcul.

A raison de 5 euros par mois, chaque logement dépense environ 60 euros par an pour le câble. Soit 294 000 euros par an pour le seul quartier des États-Unis, étant donné que Grand Lyon Habitat y possède 4900 logements. Or, ces contrats existent depuis plus de 20 ans, ce qui fait au total près de 6 millions d’euros qui ont déjà été reversés à SFR. Stéphane peste :

« Est-il logique qu’un bailleur social contribue à l’enrichissement du fonds d’investissement privé Altice, dont fait partie SFR ? Une antenne collective coûterait beaucoup moins chère ! »

Il n’est pas le seul à avoir fait remonter ce problème à Grand Lyon Habitat, qui a fini par en prendre bonne note et annonce que des paraboles et des antennes collectives sont installées petit à petit depuis 2019.

« Pour supprimer à terme tous les contrats, au plus tard en 2023, précise le bailleur social. L’arrêt du contrat du groupe Viviani, par exemple, est prévu en 2022. »

Lorsqu’une antenne collective a été installée dans l’immeuble de Stéphane, il a continué à être prélevé pendant six mois, malgré ses relances régulières.

« Il ne suffit pas de mettre un pansement tous les 50 ans »

Pour le reste, Grand Lyon Habitat parle d’un grand plan de réhabilitation du quartier qui devrait débuter d’ici 2023. Un élément brandi systématiquement auprès des locataires lorsqu’ils parviennent à avoir quelqu’un de Grand Lyon Habitat au bout du fil.

« Aujourd’hui, les besoins d’intervention sur le patrimoine sont nombreux, reconnaît le bailleur social. Des réhabilitations ou interventions sont programmées. C’est un total de 409 M€, qui seront investis entre 2020 et 2029, sur le patrimoine, dont, évidemment, une partie des résidences du quartier des États-Unis. »

Et en attendant ?

« Il ne suffit pas de mettre un pansement tous les 50 ans, grince Stéphane. On a un salaire, un loyer, on paie des charges. On veut des interlocuteurs et des réponses concrètes. »


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