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Les rats de Lyon : « Ils ne semblent plus craindre l’humain »

[Série] C’est souvent à la tombée du jour qu’on les aperçoit à Lyon, courir le long des berges du Rhône ou jaillir d’une poubelle. Hantise de nombreux lyonnais, doit-on se débarrasser des rats à tout prix ?

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Un rat, photo de Denitsa Kireva/Pexels

Ils seraient plus d’un million sous les pieds des lyonnais, selon la rumeur qui grouille. Prêts à déferler sur la ville à la moindre vibration dans les souterrains. Pourtant on leur trouve certaines utilités : avertisseurs de fuites de gaz, mangeurs de déchets, nettoyeurs d’égouts… Comment interpréter et appréhender la présence et l’augmentation des rats à Lyon ?

Florent est un jeune consultant en stratégie. Début 2020, il s’installe avec son conjoint dans un appartement qui donne sur la place Bir-Hakeim (Lyon 3e). De son balcon, il a une vue imprenable sur les jeux pour enfants :

« Tous les jours, il y avait des enfants qui venaient y jouer, et aussitôt que le soleil déclinait et qu’ils rentraient chez eux avec leurs parents, de nouveaux occupants prenaient leur place. »

De drôles d’occupants, plus petits, et plus poilus :

« Ils étaient entre le gris et le marron, bien costauds. Je me suis dit que ce n’était pas possible d’avoir autant de rats au même endroit. Mais si, c’en était. »

La situation empire et le nombre de rats qui reviennent chaque soir autour et sur les jeux pour enfants ne cesse d’augmenter. Ils font toutes les poubelles du square, grimpent au toboggan…

« J’ai même vu un combat entre un rat et un pigeon une fois. C’était rigolo et en même temps un peu sinistre. »

« Le rat est présent à Lyon là où il y a des eaux souterraines »

N’y tenant plus, six mois après son emménagement, Florent écrit à la Ville de Lyon et la Métropole :

« Les services d’écologie urbaine m’ont répondu dans les heures qui ont suivi. Quelque chose de très bref comme : « On s’en occupe, merci de nous avoir prévenus. ». Je n’y croyais pas trop mais trois jours après, les rats avaient disparu. »

Florent a par la suite revu des rats traverser la place dans les mois qui ont suivi, mais c’était anecdotique.

Quentin Brunelle est fondateur de l’association lyonnaise Des espèces Parmi’Lyon qui vise à sensibiliser à la protection de la biodiversité. Il le souligne, ce n’est pas n’importe quel rat qui se balade dans les égouts de Lyon, mais le surmulot :

« Le surmulot est originaire des zones humides. Il a transféré son habitat dans les égouts. Pour faire simple, le rat est surtout présent là où il y a des eaux souterraines. »

rats Lyon rat
Un rat CC Denitsa Kireva/Pexels

Mais des égouts et des eaux souterraines, n’y en a-t-il pas partout ?

« Les égouts ne sont pas tous pareils, ça dépend de quand et comment on a bâti le quartier. Par exemple, pour construire le 1er arrondissement on a beaucoup creusé de zones souterraines longues. On a fait comme des autoroutes pour les rats. »

« J’interviens pour dératiser dans des bâtiments neufs, parfois même dans des grands hôtels »

Au même titre que cinquante autres sites à Lyon, le 1er arrondissement est une zone rouge du rat pour les services d’écologie urbaine. Dans cette classification, on retrouve tous les espaces de verdure, vieux quartiers, traboules, souterrains, voies sur les berges… Comme lieux particulièrement « rats-friendly ». De même, le quartier Part-Dieu ainsi que le 7e sont particulièrement surveillés.

Parfois, dans ces quartiers, les rats déferlent du jour au lendemain, comme ce fut le cas dans la rue des Marronnier en 2019 (Lyon 2e).

Jonathan Rive est gérant de Nuisiprotect, une société familiale de désinfection et de lutte contre les nuisibles située 91 Rue Paul Bert, à Lyon 3e. Selon lui, les invasions soudaines de rats dans les rues et les habitations sont la conséquence de démolitions ou de travaux :

« Par exemple, en ce moment il y a beaucoup de travaux de voirie à Villeurbanne. Les vibrations délogent les rongeurs et ils sortent. »

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Jonathan Rive, dans les locaux de son entreprise Nuisiprotec, dans le 7è, à Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon

Jonathan Rive est récemment intervenu dans une école au sud de Villeurbanne, que des rats fraîchement dérangés avaient envahie. Il précise :

« Il y a plein de clichés sur les rats et les endroits où ils infesteraient. J’interviens majoritairement dans des bâtiments neufs, parfois même dans des grands hôtels. »

Il ajoute :

« On m’appelle été comme hiver ! Les cafards, rats et souris, avant, c’était saisonnier. On travaillait à les chasser surtout en été. Aujourd’hui la météo est tellement déréglée que c’est toute l’année. »

« Les rats de Lyon sont plus nombreux chaque année »

rat toilettes Lyon
Un rat arrivé par des toilettes à Lyon, photo de Jonathan Rive

Il ajoute :

« Ils sont plus nombreux année après année, c’est sûr. Ce qui me met le plus mal-à-l’aise c’est qu’ils semblent ne plus craindre l’homme. »

Les rats s’invitent tout de même plus souvent dans les bâtiments pourvus de malfaçons, là où les interstices et les trous sont nombreux dans les cloisons. Jonathan Rive précise quand-même :

« J’aimerais pouvoir dire qu’il y a un logement typique pour les rats, mais ils peuvent arriver de plein de façons différentes. Par exemple, ils peuvent débarquer par les toilettes. Les rats ont la capacité d’aplatir leur cage thoracique et de respirer trois minutes sous l’eau. »

Glaçant. Pourtant Jonathan Rive semble considérer l’animal :

« Je les respecte beaucoup. Ils sont vraiment intelligents, c’est pour ça qu’ils ne peuvent être tués qu’avec des produits qui mettent 72 heures à agir : Pour ne pas qu’ils fassent le lien entre la mort d’un autre rat et le raticide. »

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Un poste à appâts pour rongeursPhoto : LS/Rue89Lyon

Piéger un rat n’est donc pas chose facile : Il faut penser la configuration de l’appartement et y placer stratégiquement le poste à appâts, pour que celui-ci fasse partie du décor. Il s’agit d’une petite boîte couverte -donc rassurante pour les rongeurs- dans laquelle on met du raticide : Une dose d’anticoagulant létal qui frappe plusieurs heures après avoir été ingérée.

« Avant il y avait les pièges à glu, heureusement, maintenant c’est interdit. Quand une souris se faisait prendre par un piège à glu, il pouvait y avoir jusqu’à cinq souris qui s’y collaient aussi, juste à côté, limite en rangs d’oignons. »

En revanche :

« Un rat, c’était rare qu’il se fasse prendre, et quand il y en avait un, tous les autres retenaient la leçon. »

« Les rats de Lyon participent à l’élimination de nos déchets ainsi qu’à l’entretien de nos égouts »

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Un rat se baladant dans une maison de Lyon, photo de Jonathan Rive

Jonathan Rive considère qu’il « pense comme un rat ». Selon lui, c’est pour cela qu’il est un bon professionnel. Il lui arrive régulièrement d’attraper des rats à mains nues pour aller les relâcher en campagne :

« J’ai des clients qui n’aiment pas ça, ils aimeraient bien que je les tue tous. »

Jonathan Rive a beaucoup réfléchi à la nuisibilité que représentent les rats :

« Je ne pense pas qu’on puisse dire que, seuls, dans la nature, les rats soient des nuisibles. Le problème, c’est quand ils sont trop nombreux et envahissants. »

Il poursuit :

« Les punaises de lit par exemple, je ne sais pas si elles apportent quoi que ce soit à la biodiversité. Les rats, en revanche, mangent les déchets dans les égouts, par exemple. »

Un point de vue partagé par Patrice Franco, le directeur de la Ligue de Protection des Oiseaux du Rhône :

« Il faut toujours vérifier qu’un animal n’apporte rien à la biodiversité, avant de considérer que c’est un nuisible. Je crois bien que le rat participe à l’élimination de nos déchets ainsi qu’à l’entretien de nos égouts. »

A Paris, Pierre Falgayrac, l’auteur d’un « Manuel de lutte raisonnée contre les nuisibles » estime que les rats mangent plus de 30 000 tonnes de détritus par an. Cette étude part du postulat que 3,8 millions de rats sont présents dans la capitale. Or on sait qu’un surmulot en milieu urbain mange en moyenne 25 grammes de déchets par jour.

30 000 tonnes de déchets en moins, il s’agit d’un plus non négligeable à l’heure où la gestion des déchets est une grosse épine dans le pied des villes de France. On peut même retourner le problème du rat : Si les rats n’étaient pas là, les villes seraient-elles confrontées à des problèmes sanitaires, conséquence de l’accumulation des déchets ?

« La population de rats s’adapte à la nourriture à disposition »

À Lyon, la rumeur veut que la métropole compte un rat par habitant, soit un peu moins d’1,3 millions de rats. Une rumeur difficile à faire apprécier par des élus qui ne « savent pas » et qui semblent peu enclins à reconnaître une quelconque utilité au rat.

Nicolas Husson est l’adjoint au maire de Lyon chargé de la biodiversité, de la nature en ville et de la protection animale. Il ne semble pas avoir les mêmes égards pour les rats que pour les pigeons, pour lesquels il condamne la mort par asphyxie au CO² :

« A l’hôtel de ville on a des pièges à rats avec des systèmes de noyade. Ça fonctionne bien. »

L’élu déclare surtout se préoccuper du risque sanitaire que représentent les rats de Lyon, notamment en termes de maladies zoonotiques telles que la leptospirose.

Il chapeaute le service d’écologie urbaine qui intervient pour dératiser dans les lieux publics. Contrairement à Paris, où la ville multiplie les « Plans rats » depuis 2017, il semble que les services d’écologie urbaine de Lyon soient pour l’instant jugés suffisants pour lutter contre les invasions.

Du reste, comme pour les pigeons, Nicolas Husson aimerait que les Lyonnais laissent un peu moins traîner leurs déchets alimentaires. Il ajoute :

« Quand on nourrit les pigeons – ce qui est interdit -, on oublie souvent que ceux qui passent derrière, ce sont les rats. Et la population de rats s’adapte à la nourriture à disposition. »

Nathalie Dehan est conseillère métropolitaine en charge d’une mission sur la condition animale à Lyon. Elle aussi insiste sur la responsabilité citoyenne :

« Personne ne veut l’éradication totale des rats. Par contre, on veut les faire fuir. Ce serait bien que les individus prennent leurs responsabilités avec leurs détritus, qu’à la fois ils fassent bien attention à fermer leurs poubelles, et surtout qu’ils ne laissent pas traîner leurs déchets alimentaires. »

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A gauche, Pierre Athanaze, 11e vice-président de la Métropole en charge de l’environnement et de la protection animale. A droite, Nathalie Dehan, conseillère métropolitaine en charge d’une mission sur la condition animale à Lyon, notamment les animaux domestiques de compagnie, les animaux d’élevage pour la consommation, les animaux sauvages captifs et les animaux liminaires.Photo : LS/Rue89Lyon

Les fouines à Lyon, prédateurs des rats

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Une fouine, prédatrice des rats à Lyon. Photo : Zefram derivative work/ Mariomassone/Wikimedia Commons

Pierre Athanaze est vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’environnement et de la protection animale. Il complète en rappelant qu’en ville, les prédateurs du rat ne sont pas nombreux :

« Dans nos grands parcs, il y a des rapaces qui chassent les rats. En revanche, dans les petits squares de ville, il n’y a presque rien. »

Presque ? Il reste un discret prédateur du rat : la fouine. Elle est régulièrement vue à Lyon, particulièrement dans le Vieux Lyon, autour de Fourvière ainsi que sur les Pentes de la Croix-Rousse (Lyon 1er).

Pierre Athanaze déplore qu’on lui fasse une mauvaise réputation :

« Certains chasseurs leur font parfois de la « contre-pub », parce qu’historiquement les fouines étaient vues comme des voleuses de gibier et faisaient aussi de gros dégâts dans les poulaillers. »

Une fouine fait généralement la même taille qu’un chat, même si sa morphologie est différente. Son corps est très long, et ses pattes plutôt courtes. Elle est pourvue d’une longue queue touffue.

Nathalie Dehan conclut :

« Les fouines sont très discrètes et elles ont un territoire étendu. Ce sont des animaux timides qui n’attaquent pas les hommes. C’est réjouissant de savoir qu’elles sont là. »

Il y a cependant une ombre au tableau. Il arrive que les fouines, prédatrices des rats, ingèrent du bromadiolone, les pastilles anticoagulantes utilisées pour tuer ces mêmes rats.


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