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Hirondelles, martinets et chouettes effraies « en chute libre » à Lyon

[Série] Hirondelles, martinets et chouettes effraies de Lyon : focus sur ces animaux qu’on croyait à tort adaptés à l’homme.

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Un jeune martinet noir tombé du nid et recueilli à l'Hirondelle ©LS/Rue89Lyon

Sur les terrasses de Lyon, il suffit de lever les yeux pour voir quelques oiseaux voltiger de toits en toits. Pourtant, leur nombre décroît d’année en année en ville. Certaines espèces fragiles et discrètes comme les martinets, les hirondelles ou même les chouettes effraies, sont particulièrement touchées en périphérie.

Réchauffement climatique, destruction des habitats et disparition de leurs mets de prédilection, pourquoi les oiseaux lyonnais se font-ils la malle ?

Sous les toits de Lyon, les jeunes martinets étouffent

Cette année, une des adhérentes de l’association l’Hirondelle, qui récupère les oiseaux et mammifères sauvages blessés, a prêté sa grange pour accueillir une drôle d’activité. Bienvenue à Montrottier, à l’ouest de Lyon, où des jeunes bénévoles se démènent du soir au matin pour remettre sur pied de drôles d’oiseaux : les martinets noirs.

Par cette chaude après-midi de la mi-juillet, ils et elles sont une trentaine à avoir posé leurs tentes au cœur d’un paysage aux collines verdoyantes, près d’un bâtiment duquel s’échappent de petits pépiements. La plupart de ces bénévoles étudient à la fac de biologie de Lyon.

Agathe est diplômée d’un master en biodiversité. Elle participe au nourrissage des petits oiseaux chaque été depuis quatre ans :

« Les martinets sont la hantise des centres de soin, car ils sont incapables d’imprégnation [prendre l’habitude de l’homme], ou même simplement de se nourrir seuls. Ils demandent donc beaucoup d’attention. »

Sur les étagères du refuge improvisé qu’est devenue la grange, des dizaines de boîtes mais aussi quelques couveuses accueillent des martinets noirs et des martinets alpins. Alors que l’horloge de la grange indique 17 heures, tous les bénévoles vont s’asseoir à leurs bureaux respectifs, enfilent leurs gants et se saisissent des petites boîtes pour attaquer le nourrissage.

Ils sortent délicatement les oiseaux et, non moins adroitement, glissent des insectes dans leur bec. Il s’agit surtout de grillons et de teignes de ruche.

Les oisillons tiennent dans la paume de la main et semblent bien mal à l’aise avec leurs grandes ailes et leurs petites pattes posées sur les bureaux du refuge, piaillant et attendant impatiemment d’être nourris. Petits et noirs, le regard perçant, certains semblent prêts à s’envoler alors que d’autres sont frêles, hagards et déplumés. Ils viennent en grande partie de Lyon, notamment des vieux quartiers comme celui des pentes de la Croix-Rousse, où ils sont tombés de leur nid.

Agathe, soigneuse de martinets pour le refuge de l'Hirondelle ©LS/Rue89Lyon
Agathe, soigneuse de martinets pour le refuge de l’HirondellePhoto : LS/Rue89Lyon

C’est souvent les gros épisodes de chaleur qui précipitent la chute des jeunes martinets. Les couples nichent et pondent sous les toits, qui se transforment en fournaises quand les températures sont trop élevées, explique Agathe :

« Les bébés étouffent. Alors, ils partent prématurément. Le problème c’est que les nids sont inaccessibles, donc on soigne ceux qui tombent par terre, mais on ne sait pas combien d’entre eux meurent déshydratés sous les toits. »

Une fois au sol, il est quasiment impossible pour les jeunes martinets de décoller à nouveau. Leurs petites pattes leur servent surtout à s’accrocher aux rebords des maisons et des toits, mais peinent à soulever leurs corps, encore plus à les propulser, d’autant qu’ils sont déshydratés.

« On a un peu plus de 200 martinets au centre »

« En ce moment, on a un peu plus de 200 martinets au centre, précise Agathe. C’est moins que l’été 2019, qui avait été particulièrement caniculaire. On a eu jusqu’à 550 martinets en simultané. »

Les associatifs ignorent si la baisse de récupération de martinets n’est pas aussi due aux nombreux orages de cette année. Ils auraient empêché les parents de pondre et de nourrir leurs petits. Les martinets trouvés par terre sont amenés aux refuges de Dardilly ou de Saint-Forgeux par des bénévoles ou des sympathisants. Ils y sont auscultés et y reçoivent les premiers soins. Ensuite, ils sont envoyés au site de Montrottier, explique Agathe :

« Il y a des martinets qui restent deux mois, d’autres qui restent une nuit. Parfois, certains ont seulement pris un faux départ. »

Le nourrissage d'un jeune martinet noir tombé du nid et recueilli à l'Hirondelle ©LS/Rue89Lyon
Le nourrissage d’un jeune martinet noir tombé du nid et recueilli à l’HirondellePhoto : LS/Rue89Lyon

Chaque été, le refuge de l’Hirondelle réalise en moyenne 70% de « relâchés ». Plus trivialement, cela veut dire que le refuge sauve 70% des martinets qui leur sont confiés. Ceux qui ne survivent pas sont souvent tombés trop jeunes ou arrivent au centre trop affaiblis. De plus, Agathe déplore que certaines personnes aient pris l’habitude d’essayer de remettre sur pattes les jeunes oiseaux par eux-mêmes :

« Les personnes vont souvent leur donner un peu n’importe quoi à manger, et sans s’en rendre compte, ils vont provoquer des carences aux martinets. »

Et les carences, ça déplume les martinets. D’ailleurs au centre, ils sont plusieurs à avoir perdu leur manteau. Agathe précise :

« Ça met parfois six mois à repousser. »

Les habitants de la métropole de Lyon invités à signaler les nids

Patrice Franco est président de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) du Rhône. Il invite tous les Grands-lyonnais à signaler à l’association la position des nids de martinets, d’hirondelles et de chouettes effraies :

« Nous organisons des opérations de sensibilisation chaque printemps : on envoie des flyers d’info aux entreprises et on intervient auprès des collectivités. Nous les invitons à nous solliciter avant toute opération de rénovation. »

Un très jeune martinet noir tombé du nid et recueilli à l'Hirondelle ©LS/Rue89Lyon
Un très jeune martinet noir tombé du nid et recueilli à l’HirondellePhoto : LS/Rue89Lyon

Patrice Franco ne souhaite pas apparaître comme un « empêcheur de tourner rond » des opérations de rénovation, mais désire plutôt encourager un réflexe, celui de vérifier systématiquement la présence de nids d’oiseaux sauvages avant toute forme de travaux.

« Il arrive que des citoyens nous appellent parce qu’il y a un projet de rénovation qui touche des nids. Nous venons alors constater, et faire appliquer la loi. »

En effet, les martinets et les hirondelles sont intégralement protégés d’après une loi du 10 juillet 1976 : il est interdit de les toucher, les attraper, tenter de les transporter, mais aussi et surtout d’abîmer leurs lieux de vie et de reproduction. En cas d’infraction, les contrevenants risquent jusqu’à 9 146,94 euros d’amende et six mois de prison. Patrice Franco ajoute :

« On comprend que ça soit ennuyeux, c’est pour ça que c’est important de le dire avant que les échafaudages ne soient installés par exemple. »

Il y a d’ailleurs des collectivités auprès desquelles la LPO est intervenue avec succès et sans fâcheries :

« À Champagne-au-Mont-d’Or par exemple, la mairie a décalé les travaux de rénovation de certains bâtiments jusqu’à temps que les oiseaux s’en aillent. Après, ils ont fait leurs travaux et nous avons installé ensemble des nichoirs de remplacement. »

Les nichoirs de remplacement copient l’architecture de ceux bâtis ou adoptés par les oiseaux :

« Si on installe des nichoirs proches de leur ancien lieu de ponte, les hirondelles de fenêtres comme les martinets peuvent les adopter. »

Ils peuvent mais ce n’est pas une obligation, précise Patrice Franco :

« Personne ne peut forcer ces oiseaux à s’installer quelque part. »

A Lyon, le nombre d’hirondelles est « en chute libre »

En revanche, on peut les y inciter, en installant des nichoirs mais aussi de la « repasse », c’est-à-dire des enregistrements de cris d’hirondelles.

Mais la repasse n’est pas nonplus une baguette magique pour attirer les oiseaux. Il faut surtout que les hirondelles ou les martinets aient de quoi manger à proximité, c’est-à-dire un grand nombre d’insectes. Et pour avoir des insectes, il faut de la boue et des plans d’eau par exemple.

Une hirondelle. Photo de Philip Ackermann provenant de Pexels
Une hirondelle. Photo de Philip Ackermann provenant de Pexels

La disparition d’une des dernières colonies d’hirondelles de Lyon témoigne aussi de la raréfaction de ces animaux. Celle-ci avait établi ses quartiers dans l’ancienne prison de Saint-Paul, située au sud de la gare de Lyon-Perrache. Désormais occupé par l’Université catholique de Lyon, le bâtiment n’a pas vu le retour de ses petites habitantes après les travaux. Un phénomène courant, explique Patrice Franco :

« Mon analyse c’est qu’elles n’ont pas trouvé de support pour faire leur nid dans le nouveau bâtiment, ou qu’il s’agissait de surfaces qu’elles n’apprécient pas. En règle générale les hirondelles sont en chute libre. »

« On ne voit plus de chouettes effraies »

Les hirondelles ne sont pas les seuls oiseaux à disparaître à vitesse grand V. La chouette effraie se fait, elle aussi, de plus en plus rare. Anne Fourier est chargée de développement au refuge de l’Hirondelle. Elle récupère de moins en moins de chouettes effraies au refuge :

« Quand on ne reçoit plus certaines espèces ce n’est pas forcément un bon signe. Cela peut vouloir dire qu’elles sont de moins en moins nombreuses. Avant, on en récupérait et soignait bien plus. »

Une chouette effraie. Photo de mark broadhurst provenant de Pexels
Une chouette effraie. Photo de mark broadhurst provenant de Pexels

Patrice Franco abonde en ce sens :

« C’est une catastrophe. C’est un peu triste comme illustration du problème mais la chouette effraie était un des animaux qu’on voyait le plus écrasé sur le bord des routes, tout comme le hérisson. Elles ont disparu. »

La chouette effraie souffrirait d’une part de la disparition des campagnoles, qui était son mets favori, mais aussi de la perte de ses lieux de ponte et de repos. Patrice Franco poursuit :

« On l’appelait l’effraie des clochers, car c’est là qu’elle nichait beaucoup. On y pose désormais des grillages contre les pigeons mais la chouette effraie ne peut plus venir non plus. »

« Il faudrait obliger les véhicules à ralentir »

Il en va de même pour les granges des particuliers :

« Les chouettes logeaient dans les vieilles granges. Aujourd’hui beaucoup sont rénovées et fermées complètement car on les chauffe et qu’on ne souhaite pas perdre d’énergie. »

Les chouettes effraies aiment particulièrement les cavités, elles nichaient aussi dans les souches creuses de vieux arbres qu’on coupe désormais pour des raisons de sécurité. Pour trouver des solutions à ce problème, la LPO organise des week-ends consacrés à la fabrication de lieux de ponte pour les chouettes effraies :

« On fabrique des nichoirs qui ressemblent à des grosses caisses qui font 80 centimètres sur un mètre. À chaque fois, on en confectionne entre 30 et 40 et on les installe dans les fermes. »

Les nichoirs ne prennent pas toujours. De cet oiseau qui était un commun des campagnes françaises, il ne reste plus grand-chose.

« Il en reste quelques-unes sur le plateau mornantais, au sud-ouest de Lyon, vers Givors, ainsi que vers l’Arbresle. Il s’agit de populations relictuelles », témoigne Patrice Franco.

Et cela n’empêche pas les plus gros prédateurs de l’animal de continuer à sévir : les voitures, qui écrasent encore régulièrement des chouettes effraies.

« Les chouettes effraie entendent trop bien, explique Patrice Franco. Elles chassent à ras de sol, en suivant le bruit des campagnoles. Elles sont tellement focalisées sur leur proie qu’elles n’écoutent pas les voitures arriver et se font renverser. Il faudrait obliger les véhicules à ralentir. »

« Les chats de Lyon menaçent les oiseaux »

Interrogées à ce sujet, la Métropole ainsi que la Ville de Lyon ont déclaré prendre ce problème d’extinction des oiseaux très à cœur. Nathalie Dehan est conseillère et membre de la commission permanente de la Métropole. Elle a été chargée d’une mission sur la condition animale en avril dernier. Interrogée au sujet des politique de préservation des oiseaux en ville, elle estime nécessaire la stérilisation des chats de Lyon représentants une menace pour ces derniers :

« Le 7e arrondissement de Lyon par exemple, est un point noir de la misère féline. Les chats errants y sont mal en point et se reproduisent sans contrôle. Forcément, ils les menacent. Nous réfléchissons à des politiques de stérilisation. »

Nathalie Dehan, 12ème conseillère membre de la commission permanente de la Métropole. En charge d'une mission sur la condition animale à Lyon, notamment les animaux domestiques de compagnie, les animaux d'élevage pour la consommation, les animaux sauvages captifs et les animaux liminaires.
Nathalie Dehan, 12e conseillère membre de la commission permanente de la Métropole. En charge d’une mission sur la condition animale à Lyon, notamment les animaux domestiques de compagnie, les animaux d’élevage pour la consommation, les animaux sauvages captifs et les animaux liminaires.Photo : LS/Rue89Lyon

Des toits qui ne seront plus des fours pour les martinets de Lyon

Nicolas Husson, l’adjoint au maire de Lyon en charge des questions de biodiversité, de nature en ville et de protection animale, a quant à lui mis en avant la signature d’une nouvelle charte urbaine et architecturale le 28 juin dernier par la Ville de Lyon ainsi que par « la majorité des acteurs du bâtiment et du logement ».

À la lecture de ladite charte, on trouve assez peu de mesures concrètes, mais Nicolas Husson assure qu’elles vont avoir un impact non négligeable sur les petits plumés :

« On pense des toits moins chauds, qui ne provoqueraient pas un « effet four » sur les nids martinets. On va aussi rafraîchir la ville avec notre projet de trame verte, qui en sus, amènera des insectes pour les oiseaux. »

Nicolas Husson, 16è adjoint à la Mairie de Lyon. Il s'occupe des questions de biodiversité, de nature en ville et de protection animale.
Nicolas Husson, 16è adjoint à la Mairie de Lyon. Il s’occupe des questions de biodiversité, de nature en ville et de protection animale.Photo : LS/Rue89Lyon

Il rappelle aussi le projet d’utiliser les cimetières comme lieux privilégiés de reproduction des oiseaux. Nous avions déjà abordé le sujet dans un autre article de notre série, portant sur les moustiques tigres à Lyon. C’est d’abord le cimetière de Loyasse (Lyon 5e) en 2016, puis celui de la Guillotière (Lyon 7e) en juin dernier, qui ont vu l’édification de perchoirs à oiseaux ainsi que de petites mares.

« Les mares attirent plein d’insectes dont les oiseaux raffolent, de même pour l’herbe que l’on coupe plus rarement. On va essayer de reproduire ce système de gîte et de couvert un peu partout dans la ville », précise Nicolas Husson.

Tout un programme pour empêcher que les martinets, hirondelles, chouettes effraies et autres voisins à plumes des Grands-lyonnais ne disparaissent.


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