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Changement climatique dans le Beaujolais : le gamay peut-il disparaître ?

[Enquête] Dans les vignes du Beaujolais, le changement climatique pourrait-il mettre en péril son cépage roi ? Peu habitué aux fortes chaleurs, le gamay peut souffrir de sécheresses à répétition. Pour plusieurs techniciens, il devrait cependant poursuivre sa route. À condition d’adaptations non-négligeables.

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Beaujolais gamay

C’est le genre de petites phrases qui irritent certains, et en font réfléchir d’autres. Plombé par un mois d’août particulièrement chaud, Julien Merle, vigneron à Légny, dans le Beaujolais, s’interrogeait lors d’un de nos entretiens sur l’avenir de son cépage :

« Est-ce que ce ne serait pas la fin du gamay en Beaujolais ? Le cépage peut-il résister ? »

Ainsi, quand certains agriculteurs du pays de Bessenay s’interrogent sur l’avenir de la production de cerises, que des forestiers se posent des questions sur les futures essences à planter, des vignerons, logiquement, se questionnent sur l’avenir de leur cépage. À la différence que la vigne est jugée beaucoup plus résistante aux fortes chaleurs. Mais l’est-elle suffisamment ?

Intensification des périodes de sécheresses, manque d’eau, augmentation des températures… Selon les derniers rapports du GIEC, le climat du Rhône pourrait correspondre à celui de Montélimar, voire de Marseille, dans les vingt prochaines années.

Pour rappel, sur la période allant de 1960 – 1970 à 2009 – 2018, les températures ont augmenté de 1,92°C dans le Rhône avec des pics à 2,2 °C dans le Beaujolais, comme à Claivesolles. Sur Lyon, suivant une projection « intermédiaire » réalisée par Météo France, on pourrait passer de sept nuits tropicales (particulièrement chaudes) ce mois de juillet 2022 au double à l’horizon 2040 – 2070. Une évolution, parmi d’autres, qui irait nécessairement avec des changements environnementaux conséquents.

Beaujolais gamay
Dans le Beaujolais, l’avenir du gamay pose question pour certains vignerons.Photo : PL/Rue89Lyon

Dans le Beaujolais, le gamay, un cépage fertile mais « pas très costaud »

Pour répondre à cette question, il faut revenir aux spécificités biologiques du gamay.

« Il y a des cépages plus fertiles que d’autres, commente Benjamin Bois, maître de conférence à l’Université de Bourgogne et membre de son centre de recherche sur la climatologie. On a peu de recul sur son adaptabilité au changement climatique pour l’instant. Il a la réputation d’être fertile, mais pas très costaud. »

Le gamay est ainsi décrit comme peu vigoureux, faible mais fertile. Avantage d’être « peu vigoureux » ? Le plant produit peu de bois et est faiblement consommateur d’eau. L’inconvénient ? Les petits arbustes qui composent cette essence ont tendance à s’épuiser dans des climats trop chauds. Des grappes de raisins trop grosses pourraient le fragiliser, voire le briser sous leurs poids. Littéralement.

« Sur des terres granitiques, cela pourrait poser problème », constate Benjamin Bois. Cependant, cette délicatesse ne devrait pas être fatale au cépage. Pour une raison simple : les vignerons vont adapter leur production.

A propos des sols du « Beaujo », Bertrand Chatelet, directeur du centre de recherche appliquée Sicarex, abonde en ce sens :

« Il n’y a pas de soucis à avoir concernant le gamay parce que des techniques d’adaptation vont être mises en place », assure-t-il.

Pour protéger le gamay : planter dans d’autres lieux du Beaujolais…

Pour lui permettre de résister, les vignerons vont devoir planter du gamay différemment. Selon le Sicarex, autour de 13 000 hectares de vignes sont actuellement cultivés sur un total de 40 000 hectares exploitables. Il va donc être possible de jouer sur le relief du territoire. Comprenez : il faudra sûrement planter dans des secteurs abrités du soleil où sur des collines de manière à s’adapter aux effets du réchauffement climatique.

« Il y a beaucoup de zones non plantées dans le sud du Beaujolais, reprend Bertrand Chatelet. Pour la zone des crues, cela sera un peu plus complexe. »

Un travail doit être également fait sur la densité des vignes. Pour permettre aux pieds de respirer, les espacer est recommandé. La mise en place de paillage, de couvertures végétales l’hiver, est également préconisé par le Sicarex pour éviter l’évaporation d’eau. Dans un domaine « laboratoire », le centre de recherche teste aussi la mise en place d’ombrage avec des filets. Une manière de se protéger de la grêle et des fortes températures.

Des expériences que mènent déjà plusieurs vignerons à l’échelle de leur domaine, via l’agroforesterie. Marine Bonnet et Pierre Cotton, par exemple, ont mis le paquet pour créer ces ombres naturelles, du côté d’Odenas.

Beaujolais vignes
Dans le Beaujolais, les plants de vignes pourraient évoluer pour permettre au gamay de résister au changement climatique.Photo : PL/Rue89Lyon

… Et jouer sur les différentes souches de gamay

Autre possibilité étudiée : le changement de variété. Bertrand Chatelet souligne qu’il existe plus de 1000 souches de gamay. Certaines sont ainsi plus résistantes aux hautes températures que d’autres. Sur ce point, il met en avant un changement de paradigme important. Pendant longtemps, le Sicarex a cherché à mettre en avant des plants plus précoces. Aujourd’hui, le centre de recherche s’intéresse à des souches plus tardives pour résister à l’augmentation des températures.

Enfin, il note la possibilité de travailler sur la partie enterrée de la vigne.

« Aujourd’hui, nous utilisons pas, ou peu, les porte-greffes que l’on trouve dans le sud de la France. Il pourrait être intéressant de les développer. »

Là encore, le Sicarex fait des expérimentations sur une trentaine de porte-greffes afin de voir lesquels seront adaptés à un climat plus chaud.

Des choix de nouveaux lieux et pieds déterminants pour la suite

Pas de doute, pour le directeur du Sicarex, « le gamay a encore de beaux jours devant lui ! ».

Pour lui, la résistance du cépage à la sécheresse de cet été est de bonne augure pour la suite.

« On a eu des retours positifs sur la résistance du gamay, confirme Nadège Fellot, vigneronne à Rivolet. Mais peut-être, qu’à terme, il faudra mette en place de nouvelles variétés. »

C’est là que le sujet peut devenir vite pressant. Tout en se voulant rassurant, Betrand Chatelet rappelle l’évidence : planter des plants engage un vigneron sur plusieurs dizaines d’années. Après arrachage, il n’a pas le droit à l’erreur.

« Le tout va aussi dépendre des modèles de changement climatique qui arrivent, constate le spécialiste. A priori, même si les températures augmentent, nous devrions toujours avoir de la pluie. »

Pour lui, le changement climatique aura plus de conséquences sur le vignoble, en règle générale, que sur tel ou tel cépage. Gel, grêle, sécheresse, absence de rosée… Les aléas climatiques vont être de plus en plus forts. Indéniablement, cela pourra remettre en cause la production des vignobles et la viabilité des entreprises. De la santé de ces professionnels dépendra le futur du vin rouge issu du gamay en Beaujolais.


#Beaujolais

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