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29/03/2024 date de fin
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Julie Balagny, la vigneronne parisienne adoptée par le Beaujolais

[Portrait] Depuis 2009, Julie Balagny a pris ses marques dans le Beaujolais. Cette vigneronne d’origine parisienne, non issue du milieu agricole, a réussi à trouver sa place grâce à son tempérament et une méthode de travail bien à elle.

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Julie Balagny

C’est une terre meuble, envahie d’herbes en tout genre. En ce début octobre, Julie Balagny, vigneronne dans le Beaujolais, fait une très rapide visite de ses vignes. D’un bon pas, elle remonte son terrain situé à cheval entre Fleurie et Romanèche-Thorins, en Saône-et-Loire. À certains moments, celui-ci peut être incliné à 35 %. La pente est rude. Elle ne fait pas peur à la vigneronne.

Aujourd’hui âgée de 44 ans, cette « Parisienne de chez Parisienne » depuis plusieurs générations a débarqué dans le Beaujolais en 2009. À cette époque, beaucoup de gens n’auraient pas donné cher de sa peau. Quinze ans plus tard, elle est « ravie » que la vie l’ait fait atterrir ici.

« Quand je passe au bar, les vieux du coin me félicitent », glisse-t-elle. Une consécration quand on connaît le prix d’un compliment chez certains vignerons du cru. Des lauriers mérités dans une aventure partie de (très) loin.

Julie Balagny vigneronne Beaujolais
Sur un terrain parfois hostile, la Parisienne d’origine a su trouver sa place dans le Beaujolais.Photo : PL/Rue89Lyon.

Vigneronne du Beaujolais : la découverte du bio au début des années 2000

L’histoire remonte au début des années 2000. Après avoir mis de côté un concours de psychomotricienne, celle qui rêve de campagne quitte sa famille parisienne et très citadine pour le Sud-ouest. Après un passage par Cahors pour un BTS en viticulture et œnologie, Julie Balagny commence à travailler dans des vignes près de Perpignan. À côté de celles-ci, elle découvre la nourriture « bio » chez un maraîcher.

« Je me suis dit que je venais de manger la première tomate de ma vie », rigole-t-elle.

À l’époque, le « bio » est encore un phénomène marginal. Mise à part quelques magasins « La vie claire », cette « mode » parle peu. Après cinq ans à Perpignan, elle rejoint un domaine en biodynamie à Nîmes.

En 2004, alors qu’elle travaille dans le Sud-est, elle rencontre Marcel Lapierre, le patron du vin nature dans le Beaujolais. Besogneuse, la jeune femme plaît à ce précurseur qui l’invite à son méchoui annuel. Là, elle rencontre toutes les figures de proue du vin nature : Yvon Métra, Pierre Overnoy, Jean-François Ganevat… Des portes s’ouvrent.

vigneronne Beaujolais
La vigneronne Julie Balagny chez-elle, à Romanèche Thorins, dans le Beaujolais.Photo : PL/Rue89Lyon.

Une femme vigneronne, non-native du Beaujolais et sans famille dans le domaine…

À une époque où 70 % des vignerons du Beaujolais le sont devenus par héritage, le parcours de Julie Balagny, loin de la vigne et du Rhône, détonne. La jeune femme, avec son parler cru, plait aux vignerons. « En gros, ils m’ont dit : si on te trouve de la vigne, tu déménages ? » Deux vignerons lui parlent de trois hectares disponibles entre Romanèche-Thorins et Fleurie. Elle s’y rend.

« Je ne vois alors que les bois et les sources du coin, pouffe Julie Balagny. Pas du tout la pente, les cailloux… L’enfer quoi. »

Femme vigneronne, sans famille dans la vigne, Parisienne… Celle qui aime « gravir les faces Nord, sinon je m’ennuie » s’en est trouvé une belle. Travailleuse, la quadra met de côté son bon tempérament. Elle se fait discrète, et bosse. À l’ancienne, diront certains. 

« Quand on veut s’insérer, il faut faire ses preuves et monter patte blanche », constate-t-elle.

Une politique qu’elle n’applique pas pour autant aux personnes qu’elle forme. Ancienne salariée, elle essaye de choyer ses travailleurs et les personnes de passage pour apprendre. Sur ce point (seulement), elle laisse un peu de côté les méthodes des aînés.

Julie Balagny
Julie Balagny, vigneronne dans le Beaujolais depuis 2009.Photo : PL/Rue89Lyon.

Dans le Beaujolais : « Le canon est un véritable vecteur de lien social »

Une humilité qui plaît. Elle loue un Beaujolais solidaire où tout le monde s’entraide. « Le canon (de rouge) est un véritable vecteur de lien social ici », sourit-elle. Avant de lâcher en plaisantant : « Il ne faut pas aller chez quelqu’un après 10 h du matin, c’est vite l’enfer… »

Tombée amoureuse de la région, elle assure que les vignerons le lui rendent bien. Les institutions agricoles locales, moins. Elle se souvient d’entretiens à la chambre d’agriculture particulièrement tendus. « C’était le pot de fer contre le pot de terre », grince-t-elle. Lors de son récit, son visage se crispe. On lui fait comprendre que son projet va être difficile à mener. Les conditions qui lui sont proposées pour obtenir des subventions ne lui conviennent pas.

Elle décide de partir seule, sans aide financière.

« Au moins, si je me cassais la gueule, je ne m’en serais voulu qu’à moi-même ».

Une vigneronne du Beaujolais : « Ma structure ne pouvait marcher que sur l’humain »

L’histoire lui donnera raison. 2009 et 2010 sont de bons millésimes. Dès sa deuxième année, elle dit arrêter le soufre dans ses bouteilles. Rapidement, elle embauche. Dans ses vieilles vignes, de parfois 90 ans, impossible de faire passer des tracteurs. Leur chute, dans des pentes à 35%, serait fatale.

« Ma structure ne pouvait marcher que sur de l’humain, constate-t-elle. Or, c’est vrai que l’humain coûte plus cher qu’un tracteur. »

L’équipe fait passer le treillis dans les vignes. Julie achète des moutons qui s’en vont paître entre ses pieds. Pour transporter le matériel, pas de tracteur non plus. Elle s’appuie sur deux ânes.

Une façon de travailler à l’ancienne, avec sa logique. « Si on travaillait comme ça à l’époque, il devait bien y avoir une raison ! », lance-t-elle. Japonais, Américains, Danois… Les premiers clients séduits sont étrangers. Aujourd’hui encore, elle vend près de 80 % de son vin à l’international. Un aspect qui chagrine un peu cette viticultrice militante et écolo. 

La vigneronne ne serait pas contre vendre plus près… Mais, en même temps, elle apprécie les liens forts tissés avec ses exportateurs. Il leur arrive souvent de venir chez Julie Balagny, pour déguster une bonne bouteille, sans regarder les étiquettes. « La vérité est dans la bouteille », aime-t-elle rappeler.

Vignes
Dans les vignes du Beaujolais, Julie Balagny a trouvé sa place.Photo : PL/Rue89Lyon.

« Ce qui me tient à cœur, c’est la cohérence et le sens de la démarche »

« Balagny », comme elle a tendance à s’appeler, a son caractère. En 2015, elle a arrêté de demander le label bio AB. « Ils me cassaient les pieds pour que je le mette sur chaque bouteille », grogne-t-elle. Elle s’embrouille avec les spécialistes qui veulent lui faire changer sa manière de fonctionner. Depuis le début, elle « traite » ses vignes avec de la tisane issue de racines de rhubarbe, venant d’Eure-et-Loire. Une manière de stimuler la vigne. Elle préfère cette solution en circuit-court à d’autres certifiées bio, mais venant de l’étranger. Bref, elle arrête le label.

« Ce qui me tient à cœur depuis le début, c’est la cohérence et le sens », martèle-t-elle.

Pour cette raison, elle songe à changer le type de société de son domaine. Objectif : intégrer au mieux ses deux salariés permanents, et ceux qui viennent plus ponctuellement.

Un autre rapport au temps pour un vin différent

Le jour de notre visite, ces derniers viennent tout juste de terminer d’écraser le raisin avec « l’homme de la maison », un pressoir du début du XXe siècle. Cette activité, d’à peine quatre heures chez d’autres vignerons, a duré 24 heures ici. « Une main d’homme sait quand le raisin est dur et s’arrête de presser. On est dans un respect total du produit », explique-t-elle.

Celle qui cherche à s’extraire des chiffres des laboratoires pour « faire confiance à sa bouche et son palet » loue une temporalité différente. Pas de doute pour elle : en s’éloignant de la nature, l’homme a changé son rapport au temps. « Une minute aujourd’hui n’est pas la même qu’une minute de 1900… » Une manière de faire qui se sent, elle l’assure, dans la conception de ses vins : « Je ne suis pas folle, j’en suis la première consommatrice ! »

Visiblement, elle n’est pas la seule. Avec près de 10 000 bouteilles vendues par an, Julie Balagny a fait son trou. Aujourd’hui, ses bouteilles sont prisées et trouvent leur place sur les tables à Paris, la ville de sa famille. Un sympathique clin d’œil pour cette cette ancienne citadine devenue une vraie habitante du Beaujolais.

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