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Vin naturel : une autre histoire du Beaujolais

À partir de ce jeudi, on pourra boire du Beaujolais nouveau, un primeur en gamay. Mais avec les soirées annulées, les dégustations en catimini, pour cause de confinement, ce millésime 2020 n’aura pas la banane.

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Raphaël Saint-Cyr, dans ses vignes d'Anse dans le Beaujolais en novembre 2020. ©FD/Rue89Lyon

À Rue89Lyon, on est quand même allé dans les vignes pour rapporter images et bonnes bouteilles. Et on a décidé de vous asséner quelques vérités pour ne pas réduire le Beaujolais à un primeur qui fait mal à la tête. Bien au contraire, le « troisième fleuve de Lyon » est une terre incontournable du vin naturel.

1/ Un modèle écologique et économique vertueux

Raphaël Saint-Cyr est emblématique de la démarche de cette nouvelle génération de vignerons branchés « vin naturel ». En 2007, à 21 ans, quand il rejoint le domaine familial d’Anse, il convertit tout de suite les 20 hectares en bio.

« Gamin, mon pire souvenir, c’était de passer dans les rangs avec mon bidon sur les épaules pour pulvériser les vignes de pesticides. Quand j’ai repris, j’ai dit à mon père que je préférais encore la pioche ».

La transition en bio s’est faite en douceur, son père étant déjà engagé dans une démarche d’agriculture raisonnée. Ce sont les banques qui ont posé des difficultés :

« On avait besoin d’investir dans le matériel pour travailler la terre. Mais, à cette époque, les banques avaient fait une croix sur le Beaujolais. On s’est pris des portes. Heureusement que mon père avait pu mettre de côté ».

Mais ce modèle strictement fondé sur le cahier des charges bio et la vente en vrac a été remis en cause en 2014.

« Cette année-là, les prix de vente du bio se sont écroulés pour le négoce. Or, on vendait la moitié de notre production en vrac. Il a fallu se réinventer pour continuer à vivre. »

Aiguillonné par le vigneron Paul-Henri Thillardon, il a rencontré tous les vignerons qui font de la vinification naturelle. Une révélation.

« J’ai découvert des vins encore plus légers et qui se vendent ».

Depuis, il s’est tourné totalement vers des macérations carboniques, en grappe entière. Et si besoin, il ajoute seulement quelques milligrammes de sulfite lors de la mise en bouteille. Un succès.

« Passer en vinification naturelle nous a permis d’inventer de nouvelles cuvées – comme la Galoche -, d’augmenter nos prix et de trouver de nouveaux débouchés, surtout à l’export. »

Raphaël Saint-Cyr, dans ses vignes d'Anse dans le Beaujolais en novembre 2020. ©FD/Rue89Lyon
Raphaël Saint-Cyr, dans ses vignes d’Anse dans le Beaujolais en novembre 2020. ©FD/Rue89Lyon

2/ Le Beaujolais est le berceau historique du vin naturel

Dans les années 1980, alors que les pesticides et autres produits chimiques coulaient à flot dans les vignes et les cuves, une bande de jeunes vignerons s’essayaient à refaire le vin de leurs grands-parents.

Autour de Marcel Lapierre, à Villié-Morgon, une bande élaborait du vin « sans levure, sans souffre et sans argent. Du vin avec seulement du raisin », raconte son fils Mathieu.

À cette époque, le père Lapierre était en contact avec Jules Chauvet, celui que l’on appelle « le père des vins naturels ». Installé à La Chapelle-de-Guinchay, ce négociant, vigneron et chimiste a jeté les bases de la vinification sans intrants et de la macération carbonique (une fermentation qui passe par des grappes entières dans une cuve saturée en dioxyde de carbone).

D’abord regardés de travers car prenant le contre-pied de la production de masse du Beaujolais, ces vignerons « nature » sont aujourd’hui plus que reconnus.

Aujourd’hui, Jules Chauvet figure évidemment en bonne place dans le « carnet » de l’Inter-Beaujolais (l’interprofession qui a pour mission de représenter l’ensemble des viticulteurs conventionnels et autres) comme l’un des « grands hommes du Beaujolais ».

Marcel Lapierre et ses copains (Jean-Paul Thévenet, Yvon Métras, Jean Foillard et Guy Breton) figurent, eux, sur les cartes de grands restaurants et dans le catalogue de l’importateur de vins le plus réputé des Etats-Unis, Kermit Lynch.

Pour la presse anglo-saxonne, ils ont même un nom : le « gang of five ».

Dans les années 2000, alors que le vignoble s’enfonçait dans la crise, d’autres vignerons ont également montré qu’on pouvait faire du bon Beaujolais, sans chimie, et bien le vendre, surtout à l’export. On pense notamment à Jean-Claude Lapalu, Jean-Louis Dutraive ou encore Bruno et Isabelle Perraud de la Côte de la Molière.

3/ Une jeune génération de vigneron·es talentueuse

Depuis une dizaine d’années, c’est une nouvelle génération, faite de vigneron·es qui s’installent ou reprennent les vignes de leurs parents. Avec autant de succès que leur aînés.
Il y a d’abord les « fils et filles de » la bande des cinq qui prolongent le domaine comme la réputation parentale.

Mathieu et sa sœur Camille, fils et fille de Marcel Lapierre, ont repris les 11 hectares de leur père. Mais il faut compter aussi sur Jules Métras, Justin Dutraive et Alex Foillard.

Alex Foillard, vigneron à Villié-Morgon, en novembre 2020. ©FD/Rue89Lyon
Alex Foillard, vigneron à Villié-Morgon, en novembre 2020. ©FD/Rue89Lyon

Après avoir roulé sa bosse en Australie et au Japon, Alex Foillard s’est fait embaucher par son père et a sorti, parallèlement, son premier millésime en 2016. Il avait 24 ans. Un pied dans les 21 hectares de vigne parentale et l’autre dans ses 2 hectares, il prolonge le travail de son père, Jean.

Dans ses cuvées comme dans celles de son père, il ne met aucun intrant, « mise à part un peu de souffre » tout de même lors de la mise en bouteille.

La liste serait longue à égrener de cette nouvelle génération qui ne sont pas tous des « fils et filles » de vignerons réputés du Beaujolais. Certains ont repris des domaines peu valorisés, comme Sylvère Trichard, David Large, Rémi Dufaitre, Pierre Cotton ou Yann Bertrand « la nouvelle star du Beaujolais » dixit Les Echos. D’autres sont nouveaux dans la profession, comme Sébastien Congretel à Lantignié.

Mathieu Lapierre note le phénomène :

« De nombreux jeunes se sont installés en bio ces dernières années, souvent à l’occasion d’un changement de main du domaine. Cela fait boule de neige. La qualité est au rendez-vous et ils arrivent tous à vendre leur production et à des bons prix. »

De gauche à droite : Sébastien Congretel, Fabien Forest, Cédric Lecareux et Raphaël Chopin. Une partie des membres actifs de l'association des vignerons de Lantignié. ©LB/Rue89Lyon
De gauche à droite : Sébastien Congretel, Fabien Forest, Cédric Lecareux et Raphaël Chopin. Une partie des membres actifs de l’association des vignerons de Lantignié photographiés en juillet 2018. ©LB/Rue89Lyon

4/ Dans le Beaujolais, le bio et le vin naturel boostent le vignoble

Cette dynamique autour du bio et du vin nature passent par les rencontres professionnelles.
Dans le Beaujolais, un événement est organisé depuis une dizaine d’années au printemps, Bien Boire en Beaujolais (BBB).

Cette année, pour la neuvième édition, s’il n’y avait pas eu la pandémie, les pros auraient pu rencontrer près de 200 vigneron·es dans trois lieux différents – dont le château de Pizay.

À l’origine de ces rencontres et toujours à l’animation, des vigneron·es du « vin naturel ». À la fin des années 2000, c’est notamment Mathieu Lapierre qui avait imaginé la Beaujoloise comme une dégustation en marge du rendez-vous professionnel organisé par l’inter-profession. Or, ce « off » a rameuté plus de monde que le « on ». Depuis, il a grossi et plusieurs associations sont nées, toutes ne réunissant pas que des vigneron·es bio mais le cap a été maintenu.

Et aujourd’hui, cinq associations se réunissent donc chaque mois d’avril pour organiser un salon sur plusieurs sites. Parmi les piliers de BBB, on trouve encore Mathieu Lapierre, président de la Beaujoloise :

« Au départ, quelques vignerons craignaient que les jeunes leur prennent leurs clients pros. Mais ces craintes ont vite été balayées. Car on a vu de plus en plus de pros arriver de partout. C’était d’abord régional, puis national et enfin international ».

Mathieu Lapierre insiste sur les débouchés apportés par ces rencontres pros mais aussi des échanges informels entre vignerons qui ont franchi le pas vers le bio voire la vinification naturelle et les conventionnels.

« C’est plein de gens qui se parlaient peu qui se sont retrouvés. Ça a participé à mieux faire comprendre notre démarche. »

Il y a un an, Raphaël Saint-Cyr est devenu président de la Biojolaise pour « rendre ce qu’on lui avait donné » :

« Lors de ces rencontres, j’ai pu comprendre comment ça marchait et trouver des importateurs. Je veux désormais continuer à faire passer le message. »

Cette dynamique bio ne se limite pas à cette vitrine que représente BBB. Elle se lit surtout dans les conversions des domaines. Selon l’Inter Beaujolais, en 2010 environ 60 viticulteurs étaient labellisés AB. Ils sont aujourd’hui 188, avec 100 nouveaux bio pour les cinq ans. En sachant que le seul label bio ne permet pas de prétendre que son vin est naturel.

Sur environ 2000 domaines, les vigneron·es bio restent minoritaires et une grande partie du vignoble reste empêtré dans la crise. Mais l’accélération du bio est bien là.

L’arrivée d’un investisseur comme le patron du groupe de BTP Maïa Sonnier, Christophe Guy, dans le Beaujolais, est également un signe de changement. Dès le rachat du domaine de la Chaize en 2017 – un des plus vastes du vignoble -, il a annoncé le passage des 132 ha de vignes en bio.

C’est le retour des investisseurs dans le Beaujolais, comme le relevait Tribune de Lyon. Et c’est dans le bio qu’ils veulent investir. Désormais, la question du partage de la terre se pose aussi dans un vignoble où, jusque là, la question tournait encore autour de l’arrachage des vignes et du papy boom.

5/ Le Beaujolais se vend bien chez les cavistes

Bien vendu à l’export, très présent à Paris, le Beaujolais a été aussi poussé à Lyon par une nouvelle génération de restaurateurs et de cavistes. Par des salons des vins dédiés (comme celui que Rue89Lyon co-organise ou celui des Débouchées).

Frédéric Lignon, caviste du Vercoquin, rue de la Thibaudière (7ème arrondissement), réalise aujourd’hui la majorité de ses ventes avec des Beaujolais (un tiers) :

« Quand on a commencé en 2004, vendre du Beaujolais, c’était une sinécure. Les clients n’en voulaient pas car ils avaient en tête Duboeuf et la chaptalisation abusive. Aujourd’hui, on a une clientèle, plutôt trentenaire ou quarantenaire, qui a une confiance totale. »

Benjamin Poussardin, de la Bellecave dans le 6ème arrondissement, note toutefois qu’il reste un soupçon de cette « mauvaise réputation ».

« Il y a une génération très dynamique qui a redonné de la lumière au vignoble (…). Mais lorsqu’il s’agit de passer la barre des 16 euros, ça reste compliqué. »

Au Vin nature, Yohan Tysebaert, caviste et depuis peu vigneron, défend cette « belle dynamique » à l’œuvre dans le Beaujolais autour du nature.

« Il y a une énorme diversité alors qu’il n’y a qu’un seul cépage, le gamay. »

Yohan est tellement passionné qu’il s’est mis à produire son propre vin, issu d’un quart d’hectare cultivé à Chénas et vinifié chez Paul-Henri Thillardon (qui lui prête aussi le cheval).

Car tous les cavistes vous le diront :

« Le Beaujolais, c’est comme une grande famille conviviale. Ça se chamaille pas mal, mais il y a toujours quelqu’un pour donner un coup de main quand il y a besoin ».

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