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Chronologie : 40 ans de mesures sécuritaires à la Guillotière

La présence permanente de deux unités de CRS place Gabriel Péri est le dernier acte pris par les pouvoirs publics à la Guillotière, devenu progressivement centre de l’attention médiatique et politique. Depuis 40 ans, ce quartier d’immigration du centre-ville de Lyon a connu une profusion de mesures sécuritaires. Chronologie.

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Les 30 CRS mis à disposition par le Ministre de l'Intérieur. Ils restent la plupart du temps statiques, à proximité du Mac Donald. ©LS/Rue89Lyon

Voici pour les derniers rebondissements dans l’escalade sécuritaire qui frappe la Guillotière. À présent, rembobinons car les mesures sécuritaires ne datent pas d’hier dans ce quartier populaire du centre-ville de Lyon. Depuis 2019 en particulier, les faits divers survenus à la Guillotière font l’objet d’une large couverture médiatique, tant dans la presse locale que nationale, qui relaie – et renforce – le sentiment d’insécurité que certains habitants disent ressentir. Depuis les années 80 et l’ébauche d’une station de métro pour éloigner les classes populaires et surtout les immigrés jusqu’aux derniers renforts de CRS en date envoyés par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, les dispositifs se succèdent. Chronologie.

Les 30 CRS mis à disposition par le Ministre de l'Intérieur. Ils restent la plupart du temps statiques, à proximité du Mac Donald. ©LS/Rue89Lyon
En novembre 2021, 30 CRS ont été mis à disposition par le ministre de l’Intérieur pour lutter contre l’insécurité sur la place Gabriel-Péri, à la Guillotière.Photo : LS/Rue89Lyon

Années 80 : un tas de galets devant le Prisunic

Depuis les années 80, les aménagements urbains servent à “fluidifier” les attroupements Place du Pont (le micro quartier autour de la place Gabriel-Péri). A l’origine, on ne voulait plus des hommes maghrébins qui peuplaient la place centrale de ce quartier d’immigration. En parallèle des projets de rénovation du bâti (du projet de la « percée Moncey » jusqu’à l’inauguration du Clip au milieu des années 90) qui ont suscité de nombreuses oppositions habitantes, le mobilier urbain a été utilisé comme un outil de prévention situationnelle. En 1986, un tas de galets est installé devant l’ancien Prisunic pour empêcher les personnes de se regrouper. Il sera démonté en même temps que la démolition du Prisunic en 1989 (voir l’exposition de 2012 « Le quartier Moncey – 250 ans d’urbanisme de Marie-France Antona).

1991 : un arrêt de métro pour gentrifier la Guillotière

Dès les années 80, on note la volonté de mettre un arrêt de métro place Gabriel-Péri pour gentrifier le quartier de la Guillotière, jugé peuplé par trop de personnes issues de l’immigration. Un cas de figure étudié par Antoine Lévêque, qui a consacré sa thèse de science politique aux transports en commun dans la métropole de Lyon, plus précisément à Vaulx-en-Velin, et ce qu’ils nous disent en terme de redistribution des richesses dans les banlieue :

« Je me suis beaucoup intéressé à l’arrivée du métro à la Guillotière (en 1991) pour comprendre la politique plus globale du Sytral dans les quartiers populaires de l’agglomération. En 1981, un rapport est rédigé sur le projet d’une nouvelle station sur la ligne D. Une station à Saxe-Gambetta est nécessaire pour croiser la ligne B qui existait déjà. Or, la station Guillotière était beaucoup trop proche selon les ingénieurs. Il fallait creuser pour passer sous le Rhône, il y avait des contraintes…

L’agence d’urbanisme intervient alors à ce moment-là. Elle indique que le lieu de vie dans ce quartier-là est la place Gabriel-Péri et qu’il y aurait tout intérêt à faire une station là. Pour vendre ça aux élus, l’agence d’urbanisme réalise une cartographie de la part d’immigrés dans chaque immeuble de la Guillotière en reprenant un seuil symbolique de 15 %, au-delà duquel on comprend qu’il y en aurait trop, ce seuil étant directement issu des politiques coloniales (voir les travaux de Fatiha Belmessous).

L’agence d’urbanisme a proposé trois scénarios. Le troisième dit que la construction de la station de métro à Guillotière pourra peut-être alimenter une promotion immobilière avec des effets sur le changement de la population et l’éloignement des classes populaires et surtout des immigrés.

Pour bien comprendre le contexte, quatre ans auparavant, le préfet et certains responsables parlent de « colonisation » du centre de Lyon par les familles immigrées. »

2004 : arrivée du tram et réaménagement de la place Gabriel-Péri

A l’occasion de la création de la ligne de tramway, la place Gabriel-Péri est réaménagée. Des sortes de petites fontaines sont installées devant le Clip et les caméras de vidéosurveillance font leur apparition.

Le Clip, bâtiment emblématique du quartier de la Guillotière, sur la place Gabriel Péri (Lyon 7e).
Le Clip, bâtiment emblématique du quartier de la Guillotière, sur la place Gabriel-Péri (Lyon 7e). Photo de novembre 2021Photo : LS/Rue89Lyon

Printemps 2010 : des jardinières contre le marché à la sauvette de la Guillotière

A partir du milieu des années 90, ce sont les populations roms qui sont considérées comme indésirables. Les Roms sont venus Place du Pont dès leur arrivée à Lyon, au milieu des années 90. Leur présence s’est concentrée côté 7e arrondissement quand les autorités ont décidé d’en finir avec le marché à la sauvette qui avait lieu de l’autre côté du cours Gambetta (côté 3e arrondissement), au pied de l’immeuble de verre, le Clip. Depuis plusieurs décennies, des vendeurs, essentiellement des immigrés maghrébins, étalent par terre quelques fripes et autres objets à la provenance mal identifiée pour en tirer quelques euros.

Dans l’hebdomadaire Tribune de Lyon, le maire du 3e arrondissement de l’époque, Thierry Philip (PS) donne les raisons d’en finir avec cet usage : “Le marché sauvage qui, jusque-là était assez bien toléré s’est transformé en marché de roumains qui viennent vider les poubelles pour en vendre le contenu sur la place”.

Pour supprimer ce marché, la mairie associée à la police n’a pas lésiné sur les moyens. Pendant plusieurs jours, au moins un véhicule de police nationale ou municipale stationnait constamment place du Pont et chassait tous les vendeurs qui tentaient de s’installer.

Ensuite, la mairie a fait installer plusieurs jardinières pour occuper l’espace libre. 

13 avril 2010 : une jardinière de 14 mètres garnie de plantes piquantes à la place du marché

Côté 7e, la méthode est la même. Outre des passages réguliers des polices municipales et nationales, la mairie prévoit un nouvel aménagement de cette partie de la place.

Présenté aux riverains et commerçants le 13 avril, le plan est entré en action dans la foulée. Une jardinière longue de 14 mètres a été installée au dos de l’arrêt de tram. Dedans poussent des plantes particulièrement piquantes.

14 juin 2010 : finis les abris et les sièges à l’arrêt de tram

L’arrêt de tram “Guillotière/Place Gabriel Péri” lui-même a été modifié. Les abris ont été rasés et les sièges supprimés. Restent les poteaux et les abris de deux bornes automatiques. Les sièges, absents, sont remplacés par une barre pour s’appuyer à l’arrêt Guillotière du tram T1.

Coupe du monde de football 2014 : énorme dispositif policier à la Guillotière pour les matchs de l’Algérie

Le 22 juin, des supporters et des familles attablés en terrasse sur la place Gabriel-Péri, à la Guillotière, fêtent la qualification de l’Algérie pour la Coupe du monde de football. Les personnes dansent et chantent leur joie, bloquant notamment les quelques trams qui circulent encore à cette heure avancée de la soirée. En réponse, une intervention musclée des forces de l’ordre qui bouclent la place et arrosent les supporters comme les personnes en terrasse de gaz lacrymogène. Un homme aurait été victime de violences policières cette soirée-là.

Le 26 juin, pour les 8e de finale opposant l’Algérie à la Russie, la police déploie un énorme dispositif en prévision dans les lieux supposés à risque de l’agglomération lyonnaise : place Gabriel-Péri (Guillotière, Lyon 3e et 7e), Vénissieux et place Guy Môquet à Vaulx-en-Velin.

Été 2014 : un faux chantier pour chasser les Roms de la Guillotière

Fin juillet 2014, à l’arrière de l’arrêt de tram Guillotière, sont dressés de hauts grillages verts sur des blocs de béton. A l’intérieur de ces grillages, un espace vide. 

A demi-mot, la mairie de Lyon reconnaît qu’il n’y a pas de travaux en cours mais qu’il s’agit d’une expérience en vue d’“aménagements futurs”.

Ce faux chantier est destiné à éloigner les populations considérées comme indésirables sur la zone (Roms de Roumanie pour la majorité d’entre eux). Ils s’y réunissent chaque jour, certains pour tenter de tenir un marché à la sauvette.

Mais cette “expérience” menée par la Ville est un échec. A cause de ce vrai faux chantier, l’espace public est encore plus encombré par les biffins, qui se sont malgré tout installés, et par leurs acheteurs. Devant l’entrée du supermarché Casino, le passant doit slalomer au milieu du marché à la sauvette. Sans parler de la décharge sauvage qu’était devenu l’intérieur des enclos formés par les grillages.

Début septembre, après un début de polémique, l’enclos est démonté.

En août 2014, la municipalité dirigée par Gérard Collomb avait installé un faux chantier place Gabriel Péri pour tenter de limiter le marché sauvage de la Guillotière. ©LB/Rue89Lyon
Fin juillet 2014, la municipalité dirigée par Gérard Collomb installe un faux chantier place Gabriel Péri pour tenter de limiter le marché à la sauvette de la Guillotière.Photo : LB/Rue89Lyon

Automne 2019 : début de l’escalade sécuritaire à la Guillotière

La thématique de l’insécurité à la Guillotière revient à l’agenda politique – et médiatique. En septembre et en octobre, plusieurs descentes de police dans le quartier mobilisent à chaque fois une cinquantaine de membres de la police nationale, municipale et des douanes. Ces interventions débouchent sur des saisines de stupéfiants et de cigarettes trafiquées, des amendes et des arrestations de personnes en situation irrégulière dont la presse locale se fait systématiquement l’écho ou presque.

C’est dans ce contexte que se structure officiellement un collectif de riverains de la Guillotière qui dénonce depuis plusieurs mois des problématiques d’insécurité dans le quartier. Ce collectif prend le nom de « La Guillotière en colère » et réclame plus de mesures sécuritaires notamment en interpellant différents élus via les réseaux sociaux. Ce collectif s’est auto-dissous en juillet 2022, au motif que ses suppliques restent sans réponse.

A ce moment-là, la thématique de l’insécurité à la Guillotière commence à faire couler beaucoup d’encre dans les médias nationaux, faisant l’objet de Unes, de dossiers, suscitant même le déplacement de figures médiatiques comme l’animateur de CNews Jean-Marc Morandini (par ailleurs accusé de corruption de mineur et de harcèlement sexuel).

Décembre 2019 : extension de la vidéosurveillance à la Guillotière

Dans une délibération en date du 19 décembre 2019, Jean-Yves Sécheresse, adjoint à la Sécurité du maire de Lyon, à l’époque Gérard Collomb, acte l’extension du dispositif de « vidéo verbalisation » à de nombreuses rues du 7e et du 3e arrondissement couvrant le quartier de la Guillotière.

jeunes migrants en errance Guillotière place Gabriel Péri Lyon
Le marché à la sauvette place Gabriel-Péri en juillet 2021.Photo : PL/Rue89Lyon.

15 et 16 novembre 2021 : Casino avance son horaire de fermeture, McDonald’s suit le mouvement

Le 15 novembre, la direction de Casino affirme que suite aux nombreuses « incivilités » constatées dans et devant le magasin, elle a pris la décision d’avancer l’horaire de fermeture à 17 heures tous les soirs.

« Nous avons fermé pour assurer la sécurité de nos employés et de nos clients, c’est notre préoccupation n°1. Cette décision n’a pas été prise du jour au lendemain. Toutes les mesures de renforcement de la sécurité avaient déjà été prises, mais le problème demeure surtout à l’extérieur du magasin. Lorsque nous estimerons que la situation sera durablement viable, nous réouvrirons comme d’habitude. »

La chaîne de restaurants McDonald’s a décidé, un jour après Casino, de ne plus permettre à ses clients de manger sur place :

« La sécurité de nos équipes et de nos clients est notre principale priorité. » 

Après les décisions de ces deux enseignes, la place Gabriel-Péri, généreusement élargie à tout le quartier Guillotière fait l’objet de reportages et « débats » dans les médias nationaux.

Novembre 2021 : arrivée de la première unité de CRS et descente de police médiatique

Alors que les grandes enseignes de la place Gabriel-Péri revoient leurs conditions d’ouverture au public, le préfet du Rhône, Pascal Mailhos annonce y avoir dépêché « 30 CRS ». D’abord prévus pour 5 semaines, ces CRS resteront pour une durée indéterminée. En novembre, ce sont sept camions qui sont garés en permanence sur la place Gabriel-Péri. Les forces de l’ordre restent statiques, au croisement entre le cours Gambetta et la rue de Marseille.

Pour « inaugurer » l’arrivée des CRS à demeure et « rassurer » les commerçants, un trio composé du préfet du Rhône, du procureur de la République et du maire de Lyon assiste à une nouvelle grande descente de police le 19 novembre. Une partie de la presse est invitée. Le Figaro relate une « opération de police d’envergure mobilisant 130 policiers » et cite le préfet Mailhos qui décline les chiffres de la police depuis début 2021 :

« 4000 contrôles et 1000 interpellations dont 40% portent sur des mineurs, aboutissant à 75 mises sous écrous. Pour un total de 350 opérations de police réalisées. »

Les CRS indiquent la route à un couple place Gabriel Péri ©LS/Rue89Lyon
Le 25 novembre 2021Les CRS indiquent la route à un couple place Gabriel-PériPhoto : LS/Rue89Lyon

15 décembre 2021 : une BST pour la Guillotière

La préfecture du Rhône annonce la mise en place d’une unité de police particulière à la Guillotière : une brigade spécialisée de terrain (BST) composée de 31 policiers. À partir de février, ceux-ci interviendront quotidiennement sur les secteurs de la Guillotière et de Part-Dieu. La BST sera présente l’après-midi et le soir, prenant le relais de la police municipale du matin.

Janvier 2022 : stratégie territoriale de sécurité de la Ville de Lyon

Le 27 janvier, la Ville de Lyon adopte en conseil municipal sa stratégie territoriale de sécurité pour la période 2022-2026 : prévention, médiation sociale et poursuite de la vidéo verbalisation dans les grandes lignes. Une stratégie jugée trop laxiste par de nombreux opposants de droite, qui remettent sur le tapis la question de l’insécurité à la Guillotière.


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