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Pénurie de personnel en crèches à Lyon : « Je fais deux heures de trajet chaque jour pour un SMIC »

Embaucher du personnel est une tâche ardue pour les crèches de Lyon. Les salaires ne feraient pas le poids face au coût du logement.

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Les couches lavables ont aussi été instaurées dans certaines crèches du 3è arrondissement de Lyon. Ici, la crèche Rochaix 2. ©LS/Rue89Lyon

« Dans ma crèche, je crois que personne n’habite à Lyon. »

Élise* (qui a préféré garder l’anonymat), 38 ans, travaille dans une crèche associative du 2e arrondissement de Lyon. Elle fronce les sourcils pensive :

« Je crois que j’ai une collègue qui habite à la Duchère [Lyon 9e, ndlr], mais je ne suis pas trop sûre. Moi, j’habite à Saint-Fons, dans un appartement avec mon conjoint et nos deux filles. »

Élise est EJE, éducatrice de jeunes enfants, un métier qu’elle a exercé toute sa vie en crèche. En dépit des revalorisations de son salaire et des primes régulières, elle n’a jamais envisagé de vivre plus près de son travail. Elle avoue même trouver l’idée saugrenue :

« Vous m’imaginez moi, mon mari et nos deux filles dans un studio d’étudiant ? On a déjà bien du mal à joindre les deux bouts en habitant à Saint-Fons, il est hors de question de lâcher notre appartement. »

De nombreuses travailleuses en crèches habitent hors de Lyon

Un appartement qu’Élise considère luxueux, car il s’agit d’un T3 lumineux, plutôt bien isolé, à moins de 700 euros par mois. Elle fait donc 40 minutes de bus aller, et 40 minutes de bus retour chaque jour. Elle ironise :

« Bon, c’est quarante minutes sur le papier. Le plus souvent c’est une heure. Deux heures de trajet par jour, un travail pénible, et je gagne un SMIC amélioré. »

Cette heure et demie de trajet quotidien n’est pas niée par les élu•es du territoire, comme Aurélie Gries, adjointe chargée de la petite enfance à la mairie du 7e arrondissement de Lyon, ex-candidate insoumise aux législatives :

« Cette crise de l’emploi dans les professions du soin est particulièrement présente à Paris et dans une moindre mesure à Lyon. Pourquoi ? Parce que la vie est chère, que ce soit le logement, les transports, l’alimentaire… »

Elle ajoute que dans son arrondissement, la plupart des travailleuses en crèches vivent aussi en dehors de Lyon, dans la première ou la seconde couronne. Elles passent donc une partie de leurs journées dans les transports en commun.

Un trajet qui ne se passe d’ailleurs pas toujours sereinement pour Élise, qui doit, après sa journée de travail, « courir » pour s’occuper de ses propres enfants à Saint-Fons :

« Mon mari travaille dans le bâtiment, il finit souvent trop tard pour aller chercher les filles à l’accueil périscolaire. »

« On pousse les plus précaires en dehors de Lyon »

En France, la crise de l’attractivité touche tous les métiers du soin à majorité féminine. L’élue insoumise ne manque donc pas de marteler :

« On ne valorise pas ces métiers parce que ce sont des métiers de femmes. On oublie les problématiques de double journée de travail et ça ne pose pas de souci qu’elles aient à faire de longs trajets pour atteindre leurs familles et leurs domiciles. »

Les couches lavables ont aussi été instaurées dans certaines crèches du 3è arrondissement de Lyon. Ici, la crèche Rochaix 2. ©LS/Rue89Lyon
Le changement de la couche à la crèche Rochaix 2, dans le 3è arrondissement de Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon

L’élue en profite pour tacler le projet de zone à faibles émissions [ZFE], visant à interdire les véhicules les plus polluants dans le centre-ville de Lyon :

« Avec la gentrification, on pousse les plus précaires en dehors de Lyon. La ZFE va aussi y participer parce que beaucoup de précaires sont obligés de venir en voiture sur leur lieu de travail. »

Cette inquiétude est aussi exprimée par Nadia, déléguée syndicale CGT, employée officiant en cuisine et avec les enfants dans une crèche municipale de Lyon 7e. La mère de 42 ans habite Vernaison, au sud de Lyon. L’offre de transports en commun depuis son domicile ne lui permet pas de rejoindre son lieu de travail aussi rapidement qu’en voiture :

« J’essaye de prendre les transports en commun le plus souvent possible mais entre le train et la voiture, le temps de trajet passe du simple au double, d’une à deux heures de trajet par jour. »

Pas de vacances pour les travailleuses en crèches à Lyon

Avec la hausse du prix de l’essence, Nadia avoue qu’elle ne pourra de toute façon bientôt plus se permettre le luxe d’utiliser sa voiture pour réduire son temps de trajet. Elle confie s’inquiéter chaque jour de son budget serré :

« En dix ans à la Ville de Lyon, je touche 1300 euros par mois sans les primes, pour un temps partiel. »

Nadia déclare payer chaque mois un loyer de 680 euros, et dépenser un peu moins de 80 euros dans ses abonnements de train et de transport en commun à Lyon. La mère de famille annonce être à découvert à chaque fin de mois :

« On ne fait pas d’excès, on compte chaque sou. Cette année, comme beaucoup de collègues, nous ne sommes pas partis en vacances. Et encore, j’ai de la chance parce que c’est surtout le salaire de mon mari qui nous permet de vivre. »

Le conjoint de Nadia est commercial, ce qui permet au couple de pourvoir aux besoin de leurs trois enfants. Cependant, elle s’inquiète que ce ne soit plus suffisant quand son aîné, encore au collège, atteindra les études supérieures :

« Je n’ose pas y penser. Il a suffi d’une petite hausse du coût de la vie pour qu’on supprime tout ce qui n’est pas le plus strict nécessaire de nos vies. J’ai perdu espoir. »

« On ne veut plus parler, on veut partir »

Une affliction telle que Nadia envisage de quitter son emploi en crèche à Lyon. Elle avait pourtant été ravie d’avoir été formée pour travailler dans la petite enfance, il y a six ans.

« Avant, j’ai travaillé en Ehpad dans le 4e arrondissement. Les cadences étaient infernales, il y avait toujours plus de résidents pour moins de personnel, j’avais l’impression de ne pas respecter les individus. »

Nadia ne voulait pas quitter le soin. Elle avoue s’être crue sortie d’affaire en rejoignant les tout petits :

« Je n’imaginais pas que les logiques managériales d’Ehpad viendraient s’imposer dans les crèches. Je me suis trompée. Ça nous a mis un bourdon pas possible, déjà qu’on travaille pour des salaires de misère, maintenant on doit mal faire pour faire vite dans tous les domaines du soin. Ma génération est cassée, désabusée. »

Un discours unanime chez les employées de crèche avec qui nous avons échangé. Beaucoup ont refusé de témoigner et se disent trop « blasées », ou « brisées » comme Véronique :

«  Je manque de recul pour évoquer sereinement l’étendue des dégâts. Je suis entourée de personnes précarisées mais résignées. On ne veut plus parler, on veut partir. »

« Je vois des CDD qui ne sont pas CDisées en crèches à Lyon »

Nadia raconte que lorsqu’elle et la dizaine d’employées de sa crèche tentent de faire remonter l’alourdissement continuel de leur charge de travail, on leur donne toujours les mêmes explications :

« Ils nous disent qu’ils n’arrivent pas à embaucher. J’ai travaillé avec des filles en CDD très compétentes qui n’ont pas été CDIsées. J’ai du mal à donner du crédit à ce discours. De plus, je pense que les pouvoirs publics sont responsables de l’image extrêmement négative de nos métiers. »

Steven Vasselin, adjoint à la petite enfance de la Ville de Lyon, Véronique Dubois Bertrand, maire d'arrondissement du 3è arrondissement et Céline Grouzelle, directrice de la crèches Rochaix 2 à Lyon lors du point presse petite enfance du 8 septembre 2022. ©LS/Rue89Lyon
Steven Vasselin, adjoint petite enfance de la Ville de Lyon, Véronique Dubois Bertrand, maire d’arrondissement du 3è arrondissement et Céline Grouzelle, directrice de la crèche Rochaix 2 à Lyon lors du point presse petite enfance du 8 septembre 2022.Photo : LS/Rue89Lyon

À la conférence de presse consacrée aux crèches municipales de Lyon du jeudi 8 septembre, Steven Vasselin, adjoint à la Ville de Lyon chargé de la petite enfance a déroulé un discours bien moins défaitiste.

Il a rappelé les hausses de salaires versées à partir de janvier dernier aux employées de crèches à Lyon : 90€ brut par mois pour les auxiliaires de puériculture et 150€ à 200€ brut par mois pour les éducateurs et éducatrices de jeunes enfants. Il poursuit :

« Nous sommes passés de 80 postes vacants en crèche en juin à 15 aujourd’hui. Nous avons triplé le budget petite enfance par rapport au dernier mandat. »

Pour rappel, cela ne concerne que les 50 crèches municipales de la Ville de Lyon, contre les 100 associatives. Pour l’élu, une revalorisation globale de ces métiers doit venir non pas des municipalités mais de l’État.

La Ville de Lyon peut-elle attribuer des logements sociaux à ses personnels de crèche ?

En revanche, interrogé au sujet des difficultés d’accessibilité au logement pour les employés précaires, l’élu s’est montré plus hésitant :

« Nous savons que le logement pèse particulièrement dans le budget des travailleuses en crèche et que cela joue sur l’attractivité de la profession. Nous réfléchissons à un système de points bonus qui permettrait l’octroi de logements sociaux à des professions en tension et porteuses de sens. »

Une politique inédite dont la Ville n’a pas encore fait la promotion, tellement inédite que Laurent Bosetti, adjoint à la promotion des services publics, avait déclaré en juillet dernier à Rue89Lyon que de telles mesures lui semblaient difficiles à mettre en place :

« Nous avons déjà une centaine de logements sociaux SACVL et une trentaine de Grand Lyon Habitat qui sont réservées à nos agents [tous domaines confondus ndlr]. Il y a plusieurs milliers de personnes qui sont déjà dans l’attente d’un logement social à Lyon. Pour l’instant, nous nous focalisons surtout sur les revalorisations de statut et de salaire de nos agents. »

Pourtant, la municipalité persiste et signe, elle travaillerait aujourd’hui sur une politique d’aide au logement pour les travailleurs et travailleuses précaires à la Ville de Lyon.

Elle imaginerait donc d’éventuels partenariats avec des bailleurs sociaux comme la SACVL ou Grand Lyon habitat pour réserver des logements supplémentaires pour ses agents. Elle ajoute, sans précision, qu’elle souhaiterait délivrer de l’information prioritaire aux agents de la Ville sur la mise en vente de projets immobiliers en bail réel solidaire. Parmi les employées de crèche que nous avons interrogées, aucune n’est propriétaire ou s’imagine pouvoir le devenir.

Enfin, la Ville de Lyon a également pour projet de lancer la rénovation d’anciens logements d’instituteurs pour les attribuer aux agents. Les premiers devraient être attribués en 2023.


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