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À Lyon, la galaxie antifasciste dispersée face à l’extrême droite

Tandis que Lyon est une place forte des groupuscules d’extrême droite radicale, le mouvement antifasciste se présente profondément divisé. Revue des effectifs, à la veille d’une manifestation des « antifas », la première depuis trois ans.

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La manif sauvage a sillonné rapidement les rues de la Guillotière à Lyon. ©LB/Rue89Lyon

En novembre 2014, la manifestation organisée contre le congrès du FN a laissé des traces. Et pas seulement matérielles.

À peine partie de la place Jean Macé, des vitrines de banques de la Guillotière (Lyon 7è) volaient en éclat. Après plusieurs charges de police, le cortège n’avait pas atteint son terminus.

L’échec de cette manifestation a surtout révélé de profondes divisions du mouvement. Apparaissait de manière évidente une fracture entre les insurrectionnalistes, partisans d’actions directes violentes, et les organisations institutionnelles, regroupées au sein du Collectif de vigilance 69 contre l’extrême droite (CV69). Au sein de ce même CV69, des divergences avaient déjà abouti aux départs de nombreux partis ou syndicats.

L’antifascisme à Lyon, combien de divisions ?

La Gale, antifas « rouge et noir » en quête de visibilité

Ce sont les organisateurs de la manifestation du 17 décembre.

Créé en octobre 2013, suite à la mort du militant antifa parisien de Clément Méric, le Groupe antifasciste Lyon et environs, autrement appelé la Gale, est d’abord un regroupement de militants qui oeuvraient en dehors des organisations, de manière « affinitaire », selon le jargon.

Nous avons rencontré plusieurs de ses membres dont un de ses leaders, Lakdar (de son pseudo), âgé de 30 ans :

« Après la mort de Clément Méric, on avait besoin de visibilité. Mais sans tomber dans le folklore ».

Les fondateurs de la Gale optent tout de même pour un logo au double drapeau rouge et noir, l’emblème classique des militants antifas.

Le drapeau de la Gale. Capture d'écran Facebook.
Le drapeau de la Gale. Capture d’écran d’une page Facebook.

La base idéologique est l’anarchisme, même si, disent-ils, un tiers de leurs membres est « marxiste-léniniste ».

Lakdar insiste sur « l’intersectionnalité » de leur positionnement. En clair, ils et elles sont anti-capitalistes, anti-racistes, anti-sexistes, etc., mais ne « hiérarchisent pas ces luttes ».

La Gale revendique une cinquantaine de membres et de sympathisants. Ce nombre pouvant monter à une centaine en additionnant le milieu squat libertaire ou certains membres de « l’Assemblée de lutte » qui se réunissait notamment à la Bourse du travail durant le mouvement protestataire relatif à la loi travail.

Même si la Gale ne dispose pas d’un local, ce groupuscule est basé à la Guillotière. Et c’est dans ce quartier cosmopolite de Lyon que deux rassemblements ont été organisés :

La manif sauvage a sillonné rapidement les rues de la Guillotière à Lyon. ©LB/Rue89Lyon
Le 7 février dernier, suite au rassemblement de la Gale, une manif sauvage a sillonné rapidement les rues de la Guillotière à Lyon. Bilan : 12 interpellations. ©LB/Rue89Lyon

« Auto-défense populaire et stratégie offensive »

Dans le texte fondateur datant d’octobre 2013, les antifas de la Gale appellent à construire « solidarités et auto-défense populaire contre le capitalisme et ses chiens de garde nationalistes. »
Il faut lire cette affirmation au pied de la lettre. Lakdar fait l’explication de texte :

« Nous sommes des révolutionnaires. Nous refusons de demander à la police ou à la Justice de faire le boulot contrairement à la Confédération des Groupes Anarchistes (CGA) ou au Collectif de vigilance 69 contre l’extrême droite (deux autres acteurs de la lutte antifasciste à Lyon – lire plus loin, ndlr). »

Et il ajoute :

« On comprend que les gens fassent appel à la police et à la Justice. Mais en tant que militant, je n’irai jamais porter plainte si je me fais agresser par l’extrême droite. »

Une violence « défensive » mais aussi « offensive » est ainsi revendiquée.
Les membres de la Gale ont, par exemple, participé aux black blocs qui étaient parfois dans le cortège de tête des manifestations contre la loi travail. Lakdar l’affirme :

« Dans l’émeute, il y a l’expression de nos revendications politiques. »

L’affrontement avec la police, « gardienne de la classe possédante », est vu comme la « cristallisation de la lutte révolutionnaire » :

« C’est le premier barrage avec nos revendications. Il faut l’affronter. »

En matière d’extrême droite, la Gale aimerait faire davantage :

« Si on avait les moyens de les harceler dans la rue, on le ferait tous les jours. »

Les récentes actions de cassage des vitrines des magasins liés à l’extrême droite sont ainsi, selon Lakdar, le fait de « personnes proches de la Gale ».
Par conséquent, ce groupe est particulièrement surveillé par la police et fait régulièrement l’objet de contrôles et d’interpellations. Lors de distributions de tracts dans le Vieux Lyon ou lors des trois rassemblements organisés contre le « Bastion social » du GUD (lire ici, et ).

"Zona antifa" sur un mur du quartier de la Guillotière (Lyon 7ème).
« Zona antifa » sur un mur du quartier de la Guillotière (Lyon 7ème). ©LB/Rue89Lyon

Vie et mort des groupes autonomes antifas

Cet activisme visible dans la rue et sur les réseaux sociaux est fortement critiqué.

« Quand on est antifa, on reste discret, on n’est pas dans l’hypercommunication. Les gens de la Gale font de la merde et s’exposent à la répression. Il est plutôt conseillé d’agir en sous-marin pour lutter contre les fachos ».

Ainsi s’exprime un ancien militant antifasciste « autonome » de la Croix-Rousse. Ce quarantenaire faisait partie d’un groupe antifa croix-roussien qui a connu son apogée au début des années 2010.
Assez classiquement, ce groupe oeuvrait dans deux directions :

  • Des actions menées contre les groupes d’extrême droite dont quelques comptes-rendus anonymes ont été postés sur Rebellyon ou sur le site spécialisé La Horde. Lire ici, et encore là pour l’une de leurs dernières actions.
  • La collecte d’informations sur les militants d’extrême droite et leurs diffusions. Cette récupération d’infos pouvaient passer par le piratage de boîtes mails comme l’opération menée par les « Anonymous antifa » qui ont révélé la correspondance entre Bruno Gollnisch et Robert Faurisson. Des articles pouvaient être publiés sur le site Fafwatch.

C’était aussi l’époque d’un autre groupe antifa de la Croix-Rousse, « les Voraces » qui avaient notamment diffusé des photos des soirées au relents néo-nazis du Bunker Korps Lyon. Le local a ensuite été fermé par la Ville de Lyon.
Tous ces groupes n’ont pas passé l’année 2013. Cet ex-militant antifa analyse :

« Du fait de leur nature affinitaire, ces groupes ont une existence limitée dans le temps. Cette volonté d’étanchéité et de ne pas apparaître publiquement, autant pour esquiver la répression que dépersonnifier la lutte, aboutit à un renouvellement générationnel difficile. »

Cet ancien militant soutient toutefois que des « actions de harcèlement » ont été récemment menées contre les boutiques tenues par le GUD dans le Vieux Lyon, notamment des dégradations de serrures ou de vitrines. Une affirmation que nous n’avons pas pu vérifier.

La place Colbert, traditionnel lieu de rassemblement des antifas des Pentes de la Croix-Rousses. ©LB/Rue89Lyon
La place Colbert, traditionnel lieu de rassemblement des antifas des Pentes de la Croix-Rousses. ©LB/Rue89Lyon

Après le sommeil, la réanimation du « Collectif de vigilance 69 contre l’extrême droite »

Une chose est sûre : on ne verra pas les membres du Collectif de vigilance 69 contre l’extrême droite (CV69) manifester le 17 décembre aux côtés des antifas lyonnais de la Gale. Ils et elles ne le « sentent pas ».

Marion Athiel est la représentante du Planning familial au sein du CV69. Elle tranche :

« C’est la politique du fait accompli. La Gale et les autres organisateurs nous convient à des réunions où les bases ont été décidées avant. Le fond politique ne nous va pas et les conditions de manifestation ne sont pas acceptables. On comprend que « tout le monde pourra faire ce qu’il veut ». Cela veut dire que ça peut dégénérer comme en novembre 2014. »

Le clivage visible lors de la manifestation anti-FN de novembre 2014 est toujours le même en décembre 2017.
Sauf qu’aujourd’hui, le CV69 essaie de sortir de trois ans d’hibernation et n’a, par conséquent, aucune envie de prendre le risque d’un manif où la probabilité d’actions violentes est importante.

Créé en 2010 au moment où les identitaires commençaient à faire parler d’eux (lire ici ou ) et après l’agression de trois syndicalistes de la CNT, ce collectif de syndicats, de partis politiques et d’associations a compté jusqu’à une trentaine d’organisations, de l’extrême gauche à la social-démocratie, des anarchistes aux socialistes.

« L’idée était de construire un grand front antifasciste contre l’extrême droite, explique Armand Creus, membre d’Ensemble et ancien conseiller régional Front de gauche. Nous partions du postulat qu’au-delà de nos divergences, l’extrême droite est un péril pour la démocratie. »

Trois axes de travail avaient été définis :

  • travailler sur les différents groupuscules radicaux : les surveiller et diffuser l’information ;
  • accompagner les victimes d’agressions et suivre les plaintes (lire ici, ou encore là) ;
  • mobiliser contre l’extrême droite avec l’organisation de manifestations, comme en 2013.

C’est le CV69 qui a notamment organisé toutes les manifs antifascistes lyonnaises de 2010 à 2014 ;
2012 marquant l’apogée de ce collectif. L’attitude des socialistes, qui avaient rejoint le CV69 en cours de route, a généré des crispations.

Marion Athiel raconte :

« L’arrivée du PS au pouvoir, en 2012, avec François Hollande, a changé la donne. La Ville de Lyon voulait que plus rien ne sorte sur l’extrême droite à Lyon et, en réunion, les représentants du PS étaient les pieds sur le frein. Alors que de 2010 à 2012, on employait les termes de « racisme d’Etat », « chasse aux Roms » ou « islamophobie », ce n’était plus possible en 2013. Plus aucun communiqué de presse n’arrivait à sortir et la confiance s’est perdue. »

Cette cassure a abouti à des vagues de départs : les libertaires (Alternative libertaires, Voraces, CGA, CNT), la FSE puis les syndicats sont partis ou se sont mis en retrait.

Et puis il y a eu cette manifestation de novembre 2014 qui a conduit à la mise en sommeil, de fait, du CV69. En deux ans et demi, pas un tract, pas un communiqué de presse n’est sorti. Cela a aussi correspondu à une période où les groupuscules d’extrême droite étaient moins actifs.

Durant l’hiver 2016/2017, la nouvelle implantation du GUD dans le 5è arrondissement, les attaques successives de la Plume noire et de la Maison des passages ont suscité une première réaction.
Ce début de réactivation est passé par deux actes :

  • la publication d’une carte de l’implantation des groupuscules au printemps dernier,
  • une journée d’information sur l’extrême droite le 11 novembre.

Marion Athiel précise :

« On essaye de remonter quelque chose avec le NPA, la Ligue des Droits de l’Homme, Ras l’Front, Ensemble, Planning et Agir pour l’égalité ».

On est encore loin des trente organisations du début du CV69. L’ambition est nécessairement plus modeste :

« Plutôt que de faire une énième manif entre nous, nous préférons appuyer ce qui se construit, notamment dans le Vieux Lyon. Nous aidons les habitants et les associations dans leur mobilisation contre l’extrême droite ».

Un rassemblement d'une centaine de personnes place du Change, jeudi 23 novembre, en soutien à "l'horloger de Saint-Paul" © TS/Rue89Lyon
Un rassemblement d’une centaine de personnes place du Change, jeudi 23 novembre, en soutien à « l’horloger de Saint-Paul ». Etaient présents des membres du CV69 © TS/Rue89Lyon

La CGA : la charnière lyonnaise de l’antifascisme

La CGA ne participera pas, non plus, à la manif antifa du 17 décembre.
Ce week-end là, la Coordination des groupes anarchistes (CGA) ira manifester à Menton, avec pour thème « ouvrez les frontières ». François (prénom d’emprunt), un des militants de la CGA, explique :

« Lutter contre les fascistes, c’est organiser le soutien aux migrants. »

Créée en 2004, la CGA est issue de la Fédération anarchiste dont elle a récupéré le local, la Plume noire qui a connu deux adresses sur les Pentes de la Croix-Rousse.
Le groupe lyonnais (30 adhérents, une centaine de sympathisants revendiqués) est le plus important de France. Compte tenu de leurs forces limitées, les anarchistes de la CGA mènent « trois luttes principales » : « syndicale, antipatriarcale et antifasciste ».

Par son idéologie « communiste libertaire » et sa revendication de « l’autodéfense collective », la CGA se situe à la charnière entre les antifas radicaux de la Gale et les organisations institutionnelles du CV69.

Aujourd’hui, le groupe lyonnais penche toutefois du côté du CV69 que la CGA a quitté du temps du gouvernement socialiste. La récente cartographie de l’extrême droite à Lyon ainsi que la journée d’information du 11 novembre ont été une co-production entre la CGA et le CV69.

Quant à son rapport à la violence, il se veut uniquement « défensif ». François précise la nuance :

« Contrairement à la Gale, nous ne sommes pas dans une stratégie insurrectionnaliste. Nous devons agir de manière libertaire et unitaire. Et le rapport de force n’est pas en faveur du mouvement antifasciste. Son état est tel que nous ne mettrons pas un millier de personnes dans les rues de Lyon comme en 2012 ou 2013. »

Les différends se lisent également lorsque les militants de la CGA subissent des agressions de l’extrême droite radicale.

L’absence de solidarité est relevée alors que l’existence d’un local rend la CGA plus vulnérable à la violence d’extrême droite que les autres groupes antifascistes.

La librairie-bibliothèque "La Plume noire", le local de la CGA, sur les Pentes de la Croix-Rousse. ©LB/Rue89Lyon
La librairie-bibliothèque « La Plume noire », le local de la CGA, sur les Pentes de la Croix-Rousse. ©LB/Rue89Lyon

À la recherche d’une formule contre l’extrême droite à Lyon

« Tout le monde a conscience que la menace de l’extrême droite est grandissante et qu’il faut œuvrer de manière unitaire. Mais quel doit être ce cadre ? »

Un des responsables de la CGT du Rhône résume la situation et s’interroge à haute voix. La plupart des organisations syndicales ont mis en place des réponses à la poussée de l’extrême droite. Une cinquantaine de sections syndicales ou fédérations participent à l’association nationale « Vigilance initiatives syndicales antifascistes » (VISA).

Localement, quatre unions départementales (CGT, FSU, Solidaires et CNT) faisaient partie du CV69. Mais trois en sont parties.

« L’équilibre du CV69 tenait sur la non-hiérarchie des luttes contre toutes les discriminations et oppressions dont l’extrême droite se fait le fer de lance. En épargnant le gouvernement PS, cet équilibre a été rompu », analyse le même syndicaliste CGT.

Aujourd’hui, ne reste que la FSU comme membre du CV69. Depuis ce printemps, les organisations se reparlent sur le sujet. Un meeting syndical a été organisé au printemps par la FSU, Solidaires et la CGT. Les représentants étaient également présents à la journée d’information du 11 novembre dernier.

Mais les syndicats n’ont pas réinvesti le CV69, pas plus qu’une intersyndicale n’a été créée sur le sujet.
L’accent semble plutôt mis sur le travail en interne. A l’image de la CGT qui organise des formations intitulées « syndicalisme contre fascisme » avec, comme point de référence, la réponse aux arguments du FN.

A Lyon, dans ces formations, la question de l’extrême droite ne se limite pas au FN :

« Il y a quelques années, les responsables syndicaux n’évoquaient pas les groupuscules. Aujourd’hui, le danger est connu et on en parle. »

Déjà une première prise de conscience.


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