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A Lyon, le choix du privé pour fuir le collège public de secteur

Dans la métropole de Lyon, de nombreux parents tentent d’éviter le collège public du quartier en lui préférant un collège privé, au détriment de la mixité sociale.

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Le nouveau collège Gisèle Halimi, dans le 7e arrondissement de Lyon, a ouvert à la rentrée de septembre 2021.

Georges Clémenceau, Garbiel Rosset, Jean de Verrazane, Victor Schoelcher, Elsa Triolet… Autant de collèges publics de la métropole de Lyon dont le nom revient souvent dans la bouche des parents d’élèves. Devant les écoles primaires, ils et elles échangent leurs astuces pour contourner la carte scolaire des collèges et envoyer leurs rejetons dans un établissement à la meilleure réputation.

Certain·es décident ainsi d’inscrire leur enfant en spécialité musique ou d’en faire un gamin bilingue pour obtenir une affectation dans un collège particulier de la métropole de Lyon. D’autres utilisent carrément l’adresse d’un membre de la famille qui habite dans un autre quartier.

Enfin, de manière plus simple et plus sûre, ou en dernier recours après que les tentatives de dérogation aient été refusées, un nombre non négligeable de parents se tournent vers les collèges privés.

Quelle que soit la stratégie d’évitement retenue, toutes ont la même conséquence : une mixité sociale en chute libre, en particulier dans les quartiers qui pâtissent d’une mauvaise réputation, héritage d’un passé industriel, ouvrier ou populaire.

Le nouveau collège Gisèle Halimi, dans le 7e arrondissement de Lyon, doit ouvrir pour la rentrée du 2 septembre 2021.
Le nouveau collège Gisèle Halimi, dans le 7e arrondissement de Lyon, a ouvert ses portes à la rentrée de septembre 2021.Photo : OM/Rue89Lyon

Dans l’académie de Lyon, des inscriptions en collège privé en augmentation constante

Infirmier libéral dans le quartier des Minguettes, à Vénissieux, Farid Ben Moussa fait partie de l’association No Ghetto qui milite pour favoriser la mixité sociale dans les collèges publics de la métropole de Lyon. Dans un précédent article, il nous racontait ses années collège aux Minguettes, dont il garde un très mauvais souvenir. Devenu père de famille, il a décidé d’éviter à sa fille de connaître la même expérience et l’a inscrite dans un collège privé de la métropole de Lyon, La Xavière, en fin de primaire.

« Dans mon collège public des Minguettes, j’ai vu des choses qui ne devraient pas exister, raconte-t-il. J’ai vu des profs se prendre des coups de tournevis, des bagarres générales, des histoires de malade que je ne veux pas que ma fille connaisse. Moi, je suis passé entre les balles par chance. L’école publique, c’était une sorte de poids qu’on m’a dit de porter. A aucun moment je n’ai été aidé dans l’école publique, ça a été la pire des choses qui me soit arrivée. »

Dans la métropole de Lyon, le nombre d’élèves inscrits dans les collèges d’enseignement privé (catholique) sous contrat connaît une augmentation modérée mais constante. D’après les chiffres de l’enseignement catholique de l’académie de Lyon, en 2016, il y avait 20 847 adolescents dans les collèges privés de la métropole, contre 22 299 en 2021.

Cette augmentation constante du nombre d’inscriptions a permis à certains établissements de se développer largement. C’est le cas du centre scolaire de La Xavière, ouvert en 1927 et qui compte aujourd’hui trois écoles, trois collèges et un lycée. Du côté des Maristes, un nouveau lycée a ouvert ses portes à la rentrée de septembre 2021, sur la commune de Meyzieu, à l’est de Lyon.

D’après les chiffres de l’académie de Lyon, la proportion d’élèves dans le public et dans le privé reste stable ces dernières années : aux alentours de 70% dans le public, et 30% dans le privé.

Le collège et le lycée des Lazaristes, dans le 5e arrondissement de Lyon, est un établissement scolaire privé d'enseignement catholique, sous contrat avec l'Etat.
Le collège et le lycée des Lazaristes, dans le 5e arrondissement de Lyon, est un établissement scolaire privé d’enseignement catholique, sous contrat avec l’Etat.Photo : OM/Rue89Lyon

A Vaise, « à peine la moitié des élèves de primaire ont intégré le collège public de secteur »

Cette image de quartier mal famé ne colle pas qu’à la peau de Vénissieux ou de Vaulx-en-Velin. A Vaise, dans le 9e arrondissement de Lyon, tous les moyens sont bons pour éviter le collège public de la place Ferber, Jean de Verrazane.

Habitante de Vaise, Marie* est mère de deux filles adolescentes, dont une scolarisée en 3e au collège Jean de Verrazane. Depuis son entrée en 6e, Marie* a assisté à plusieurs conseils d’administration et de discipline de l’établissement, ce qui lui a permis de prendre le pouls des familles et des enseignants du collège. Elle constate que de nombreux parents ont refusé d’inscrire leur enfant à Jean de Verrazane :

« Force est de constater qu’à peine la moitié des élèves de primaire ont intégré le collège public de secteur à cause de sa réputation, déplore-t-elle. Le collège Jean de Verrazane pourrait bénéficier d’une mixité positive s’il était attractif. Malheureusement, les familles ayant un peu de moyens privilégient le privé et la mixité du collège n’est pas représentative de la mixité du quartier. »

C’est le cas de Myriam*. Cette couturière de Vaise élève seule sa fille. En 6e, elle a préféré l’inscrire dans un collège privé de la Croix-Rousse, dans le 4e arrondissement de Lyon, plutôt qu’elle mette un orteil à Jean de Verrazane et sa « trop mauvaise réputation », à en croire ses amies et leurs enfants. Elle raconte ne s’être pas sentie « en capacité » de suivre sa fille dans un collège public avec cette réputation.

Pour elle, « un collège privé était une évidence ».

Marie* reconnaît qu’il existe des collèges plus calmes que Jean de Verrazane. La faute à un manque de moyens dans l’Éducation nationale qui ne permet pas un accompagnement optimal des élèves, selon elle. Si sa fille aînée se plaît à Jean de Verrazane, l’environnement du collège s’est avéré inadapté à sa fille cadette.

« J’ai préféré l’inscrire, à contre cœur, dans un collège privé de Lyon. A Saint-Louis-Saint-Bruno, où beaucoup d’enfants du quartier sont déjà scolarisés. »

A Lyon 7e, les collèges publics Clémenceau et Rosset ont mauvaise presse

Même son de cloche dans le 7e arrondissement de Lyon. Laurène, auxiliaire de puériculture, a emménagé dans la Cité Jardin de Gerland en 2012. Ses deux filles ont fait leur école primaire dans le public. A l’entrée au collège, sa fille aînée a été affectée à Gabriel Rosset.

Hors de question de l’envoyer là-bas, affirme Laurène, catégorique :

« Je suis plutôt favorable au public, mais j’aurais voulu qu’elle aille à Gisèle Halimi [le nouveau collège de Lyon 7e, ouvert en septembre 2021 dans la ZAC des Girondins]. Depuis que ma fille aînée est en CE2, nous nous renseignons sur le collège de notre secteur, Gabriel Rosset, et ce que nous en entendons par des parents, des élèves, des professeurs ou dans la presse est de pire en pire : bagarre au couteau, professeurs démissionnaires, coupures de chauffage, élèves de 6e scarifiant un autre élève de 6e… »

collège public Gabriel Rosset Lyon 7
L’entrée du collège Gabriel Rosset (Lyon 7e), lundi 11 février 2019.Photo : PB/Rue89Lyon

Laurène connaît des parents qui ont tenté d’obtenir des dérogations pour éviter Gabriel Rosset, sans succès. Elle n’a pas voulu prendre de risque. Sa fille a donc fait sa rentrée de septembre au collège privé des Chassagnes, à Oullins, au sud de Lyon.

Emilie* travaille à la Métropole de Lyon. Elle habite elle aussi dans le 7e arrondissement de Lyon, un peu plus au nord que Laurène. Son fils aîné n’a donc pas été affecté au collège Gabriel Rosset mais à Clémenceau, dans le quartier de la Guillotière.

Après avoir longuement hésité, Emilie* a préféré l’inscrire dans le privé, au collège jésuite Saint-Louis de la Guillotière, toujours dans le 7e arrondissement de Lyon. « Un petit collège très cocooning, avec peu d’élèves bien suivis » décrit-elle. Très différent du collège public Clémenceau et son millier d’élèves, ou peu s’en faut.

« Ces stratégies d’évitement pourrissent la mixité sociale des collèges publics »

«  Se tourner vers le privé, c’est se tromper de colère, c’est autant d’argent qui n’est pas mis dans le public, réagit Rachel, habitante de Vaise depuis une vingtaine d’années. Il faut arrêter de faire son marché, l’Éducation n’en est pas un ! »

Cette enseignante-chercheuse de l’Université de Lyon, originaire du 9e arrondissement de Lyon, défend bec et ongles l’enseignement public. Son fils vient de finir sa scolarité au fameux collège Jean de Verrazane, et elle y inscrira également sa fille quand celle-ci entrera en 6e. Pour elle, ces stratégies d’évitement de certains collèges publics par les parents aggravent la situation :

« Ces stratégies d’évitement des classes moyennes pourrissent la mixité sociale, affirme-t-elle. Il y a 20 ou 30 ans, Vaise était un quartier industriel mal famé. Aujourd’hui, Vaise affiche un profil avec de catégories socio-professionnelles (CSP) dominé par les cadres et professions intermédiaires, typique des secteurs urbains gentrifiés.

En clair, si tous ces ménages faisaient le choix de scolariser leurs enfants dans les collèges et lycées publics de secteur, ceux-ci refléteraient cette réalité socio-économique et il n’y aurait plus de débat concernant le caractère plus ou moins mal famé de tel ou tel établissement… »

Une relative mixité sociale que semble confirmer certains indicateurs socio-économiques.

Carte 1 : le niveau de revenus (en noir le secteur d’affectation du collège Jean de Verrazane à Lyon 9e)

Carte 2 : la part d’ouvriers dans la population ( en noir le secteur d’affectation du collège Jean de Verrazane à Lyon 9e)

Carte 3 : la part de cadres dans la population ( en noir le secteur d’affectation du collège Jean de Verrazane à Lyon 9e)

Carte 4 : part de la population vivant dans un ménage dont les revenus sont inférieurs à 60% du revenu médian annuel en France en 2018 ( en noir le secteur d’affectation du collège Jean de Verrazane à Lyon 9e)

Tous les parents interrogés se disent en faveur de l’enseignement public. Beaucoup auraient préféré inscrire leur enfant dans le collège public de secteur, mais disent ne pas être prêts à essuyer les plâtres du manque de moyens endémique de l’Éducation nationale.

Emilie*, par exemple, dit assumer pleinement son choix d’avoir inscrit son fils dans le privé, au détriment de la mixité sociale du collège Clémenceau.

« Le comble, c’est qu’on retrouve cette mixité sociale dans le privé, constate-t-elle. Au collège Saint-Louis de la Guillotière, mon fils a des camarades de classe qui viennent de partout, beaucoup de Vénissieux ou de Saint-Fons. Mais le privé est aussi une des raisons de la disparition de la mixité sociale dans le public. C’est compliqué. »

« La Métropole de Lyon aura-t-elle le courage de retracer la carte scolaire des collèges ? »

Dans un précédent article, nous avions montré que le tracé de la carte scolaire s’alignait dans certains quartiers avec les limites socio-économiques invisibles. Ce découpage ayant pour effet que les enfants de certains quartiers voisins ne se mélangent pas. Cette absence de mixité sociale est particulièrement visible dans certains quartiers de Lyon dont le 9e arrondissement et le plateau de la Duchère.

Comment faire pour convaincre les parents qui hésitent à scolariser leur progéniture dans le collège public de secteur ? Dans le 9e arrondissement de Lyon, Marie* assure que de nombreux parents auraient inscrit leur enfant à Jean de Verrazane si le collège public avait pu leur proposer des options attractives comme une section musique ou une classe bilingue. Mais le collège n’a obtenu ni l’une ni l’autre de la part du rectorat.

« Je regrette le fait que la mixité sociale dans l’enseignement public ne soit pas encouragée et soutenue par le gouvernement. Il y a de beaux discours mais pas grand-chose derrière », se désole-t-elle.

Pour l’association vénissiane No Ghetto, qui milite pour qu’il y ait davantage de mixité sociale dans les collèges de la métropole de Lyon, la solution tient en deux mots : carte scolaire. Compétence de la Métropole de Lyon, la carte scolaire découpe le territoire métropolitain en secteurs, correspondant chacun à un collège public précis. Une refonte de cette carte pourrait permettre d’améliorer la mixité sociale dans les quartiers où c’est nécessaire comme la Duchère, les Minguettes, le Tonkin ou Mermoz, mais aussi Bellecombe et Montchat.

« J’ai constaté que les nouvelles équipes de la Ville et de la Métropole de Lyon étaient présentes aux conseils d’administration, affirme Rachel. Je les sens plus concernés par le sujet que leurs prédécesseurs. Les élus de la Métropole de Lyon auront-ils le courage de retracer les périmètres de la carte scolaire des collèges ? »


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