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Carte scolaire à Lyon : regardez la non-mixité sociale dans les collèges de la métropole

A l’occasion de cette rentrée scolaire de septembre 2021, Rue89Lyon a décidé de se pencher sur la question de la carte scolaire et de la mixité sociale des élèves de la métropole de Lyon. On a superposé notamment la carte des revenus avec celle de la sectorisation des collèges. Dans certaines zones, le découpage de la carte scolaire s’aligne sur les limites invisibles qui séparent ces quartiers pauvres des quartiers aisés de la métropole

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Part de cadres La Duchère

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Le collège Henri Barbusse, à Vaulx-en-Velin, dans la métropole de Lyon, à la rentrée de septembre 2021
Le collège Henri Barbusse, à Vaulx-en-Velin, dans la métropole de Lyon, à la rentrée de septembre 2021.Photo : OM/Rue89Lyon

Début septembre, le président de la Métropole de Lyon, Bruno Bernard, a présenté son plan pour les collèges dans celui baptisé Aimé Césaire, à Vaulx-en-Velin. Il a notamment annoncé une enveloppe de 300 millions d’euros pour construire de nouveaux établissements scolaires et réhabiliter ceux qui en ont besoin, ainsi qu’une cantine pour le collège Aimé Césaire. Jusqu’ici, aucun des quatre collèges de Vaulx-en-Velin ne disposait de demi-pension sur place.

En plus des deux nouveaux collèges qui ont ouvert leurs portes pour cette rentrée 2021 à Lyon 7e et Saint-Priest, la Métropole de Lyon a annoncé la création de trois nouveaux établissements scolaires sur ce mandat : un collège à Villeurbanne pour 2022, un deuxième à cheval entre Vénissieux et Saint-Fons pour 2023 et un à Albigny pour 2026.

Pas un mot sur la mixité sociale, en revanche.

« Nous faisons un travail très régulier sur la question de la mixité qui est un enjeu très complexe, nous a pourtant assuré Véronique Moreira, vice-présidente en charge de l’éducation et des collèges, en marge de la conférence de presse. Il nous faut maintenir un accueil de qualité des jeunes, avec des collèges équilibrés. A chaque nouvelle création de collège, la carte scolaire est modifiée. C’est plus simple d’assurer de la mixité sociale dans les quartiers où il y a une population plus hétérogène, comme à Gerland dans le nouveau collège Gisèle Halimi. »

L’association No Ghetto, basée à Vénissieux et qui promeut une plus grande mixité sociale et d’origine à l’école, demande tout simplement une refonte totale de la carte scolaire pour favoriser la mixité sociale dans les collèges. Or, c’est la Métropole de Lyon qui est compétente en matière de carte scolaire. La vice-présidente Véronique Moreira et l’association No Ghetto se sont rencontrées une première fois en octobre 2020. La Métropole de Lyon aurait alors fait preuve d’un « fort enthousiasme sur la carte scolaire », d’après le secrétaire de l’association, Farid Ben Moussa. S’en est suivi un an de silence du côté de la collectivité, déplore-t-il.

Une nouvelle réunion doit avoir lieu en octobre prochain.

En 2018, une étude de l’INSEE portant sur les collèges français pointe « une forte hétérogénéité selon l’origine sociale des élèves ». En d’autres termes, les riches et les pauvres ne se mélangent pas, et ce dès la classe de 6e. Qu’en est-il dans la métropole de Lyon ?

La carte scolaire des collèges de la Métropole au regard des réalités socio-économiques

Ces frontières invisibles deviennent davantage perceptibles lorsqu’on met en miroir le découpage de la carte scolaire et certains indicateurs socio-économiques. L’objectif ici est de montrer comment, dans certains secteurs, le découpage de la carte scolaire des collèges peut favoriser l’entre-soi.

L’entreprise demeure complexe. En gardant une logique de capacité d’accueil mais aussi de proximité et de desserte en transport en commun, la carte scolaire regroupe la plupart du temps des élèves résidant à proximité du collège d’affectation. Lorsque certains quartiers présentent une forte homogénéité socio-économique, la carte scolaire ne fait alors que renforcer l’entre soi.

C’est le cas notamment dans les secteurs de Vénissieux, Saint-Fons ou de Vaulx-en-Velin pour les moins favorisés. Ou à l’inverse dans ceux des Brotteaux, de Caluire, d’Ecully ou de Sainte-Foy-lès-Lyon pour les plus favorisés. Là, le découpage de la carte scolaire des collèges publics colle à des périmètres où la population semble très homogène.

Par exemple, lorsqu’on regarde la répartition des revenus à l’intérieur des secteurs des collèges (ou à l’inverse du taux de pauvreté) :

Lecture des cartes sur la carte scolaire des collèges à Lyon

  • Lignes noires : périmètre du secteur de chaque collège
  • Lignes bleues : périmètre des IRIS (découpage de l’INSEE pour les données statistiques)
  • Survoler la carte pour voir le nom du collège correspondant à chaque secteur (la plupart sont d’un seul tenant, d’autres non, dans ce cas cela signifie qu’ils sont affectés à deux collèges)
  • Le découpage des périmètres d’affectation des collèges n’épousent pas toujours ceux des IRIS de l’INSEE. La superposition des deux permet toutefois de mesurer la réalité socio-économique des premiers.
  • Pas souci de facilité de lecture nous n’avons pas ajouté la localisation précise des collèges mais seulement leur sectorisation

Ou encore la répartition des cadres dans la population :

Et à l’inverse la concentration des ouvriers dans certains secteurs de la métropole de Lyon (mais aussi des employés) :

Des frontières sociales qu’on perçoit également en observant la répartition sur le territoire des personnes diplômées ou à l’inverse sans diplôme.

Les secteurs de Lyon où davantage de mixité semblerait possible avec la carte scolaire des collèges

Dans certains secteurs il semblerait qu’une plus forte mixité sociale soit possible. Toutefois, là, le découpage de la carte scolaire reprend des frontières sociales sans que des logiques ou des contraintes géographiques les expliquent. En superposant le découpage de la carte scolaire 2020 des collèges de la Métropole de Lyon et celle de certains indicateurs socio-économiques, certains de ces secteurs se détachent. Nous en avons noté au moins quatre :

  • La Duchère (Lyon 9e)
  • le secteur du quartier Bellecombe (Lyon 6e)
  • le secteur Montchat-Monplaisir (Lyon 3e)
  • une partie de Saint-Priest

La Duchère et Écully ne se mélangent pas au collège

Le découpage du secteur du collège Victor Schoelcher à La Duchère reprend ainsi presque parfaitement le découpage du quartier. Limitrophe d’Écully à l’ouest, il n’a pourtant rien à voir en termes socio-économiques. Le revenu médian en 2018 y est bien plus faible, la part des personnes sans diplôme et des ouvriers bien plus élevée par exemple. Alors qu’aucune frontière géographique n’existe, la carte scolaire s’arrête pourtant aux frontières des deux communes. Le contraste socio-économique entre les deux territoires est assez évident.

Part de cadres La Duchère
Part de cadres dans la population totale dans le secteur de La Duchère et d’Ecully. Source INSEE, carte Rue89Lyon

La frontière entre Bellecombe et le Tonkin et Charpennes

Même chose dans le quartier Bellecombe (Lyon 6e). Là aussi le découpage de la carte scolaire s’arrête aux limites administratives de Lyon. Le secteur se trouve alors séparé d’une partie des quartiers du Tonkin et de Charpennes à Villeurbanne. Avec là aussi des disparités socio-économiques relativement importantes.

Revenu médian Lyon Brotteaux Bellecombe
Carte du revenu médian par unité de consommation en 2018 par IRIS dans le secteur des Brotteaux, Bellecombe à Lyon 6e et du Tonkin et de Charpennes à Villeurbanne. Source INSEE, carte Rue89Lyon

Pas de Bron ou de Laënnec avec Monplaisir ou Montchat

Dans le secteur de Montchat (Lyon 3e), la carte scolaire suit là aussi les frontières administratives. La sectorisation du collège Molière n’embrasse pas certains secteurs voisins de Bron, situés pourtant avant la frontière symbolique du périphérique. De même, la carte scolaire à cet endroit suit les frontières entre les arrondissements. Les collèges Professeur Dargent et Molière ne prennent pas ou très peu de secteurs des quartiers Laënnec et Mermoz moins favorisés.

Revenu médian Lyon Montchat Monplaisir
Carte du revenu médian par unité de consommation en 2018 par IRIS dans le secteur de Monplaisir, Montchat (Lyon 3e) et Laënnec, Mermoz (Lyon 8e). Source INSEE, carte Rue89Lyon

À Saint-Priest, une mixité qui ne semble que partielle

Enfin à Saint-Priest, où un nouveau collège a vu le jour lors cette rentrée de septembre 2021, le découpage des secteurs peut sembler par endroits plus équilibré. Cela ne semble pas toutefois être le cas partout. Le découpage socio-économique de la commune montre une concentration des plus hauts revenus et des cadres au nord. Ces indicateurs vont en diminuant plus on va vers le sud et le centre de la commune.

À l’est de la ville, le découpage des secteurs des collèges est plutôt fait de manière verticale, prenant ainsi un peu de chaque « couche » de la commune. Notamment pour le collège Boris Vian. Même s’il réunit tous les secteurs les plus « favorisés » socio-économiquement parlant de Saint-Priest, sa sectorisation comprend certains secteurs du centre-ville plus modestes. A l’ouest de la ville, le découpage est plus « horizontal ». Les secteurs des collèges Gérard Philippe et du nouveau collège Simone Veil (collège Revaison sur la carte) semblent ainsi regrouper des secteurs plus homogènes en termes de composition socio-économique. Tout comme, au sud, celui du collège Colette.

Revenus médian Saint-Priest
Carte du revenu médian par unité de consommation en 2018 par IRIS sur la commune de Saint-Priest. Source INSEE, carte Rue89Lyon

La carte scolaire : du sésame à l’entre-soi

Dans les années 60, la France construit des établissements scolaires à tour de bras. Cette frénésie constructrice est la réponse de l’Etat à deux éléments venus gonfler les effectifs dans la classe de manière non négligeable : l’explosion démographique de l’après-guerre et la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, une mesure entrée en vigueur en 1967. Il faut de nouvelles structures pour accueillir tous ces enfants, et en particulier des collèges pour les ados désormais obligés de rester sur les bancs de l’école jusqu’à leurs 16 ans.

En 1963, Christian Fouchet, ministre de l’Éducation nationale sous Pompidou, met en place la première carte scolaire française. A cette époque où on inaugurait un collège par jour ouvrable dans le pays, cette carte scolaire avait pour objectif d’assurer une répartition à peu près équitable des élèves dans ces nouveaux établissements fraîchement sortis de terre. Concrètement, la carte de la France est découpée en une myriade de secteurs géographiques plus ou moins grands, chacun correspondant à un ou plusieurs établissements scolaires. Selon l’adresse de son domicile, chaque enfant est ainsi affecté dans une école, un collège puis un lycée précis.

Ce puzzle administratif relève de la compétence des maires pour les affectations dans les écoles, du département ( ou de la Métropole de Lyon en l’occurrence) pour les collèges et des services de l’Etat pour les lycées.

Un des objectifs de la carte scolaire était également de limiter les inégalités sociales entre les élèves. Petit à petit, elle a été brandie comme un sésame contre la reproduction sociale à l’école théorisée par les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, toujours dans les années 60. Depuis le début des années 2000, des voix s’élèvent contre cette carte scolaire, accusée de favoriser l’entre-soi dans certaines établissements scolaires. La Cour des comptes pointe de son côté un risque de ghettoïsation. En 2007, à peine arrivé au pouvoir, le président Nicolas Sarkozy engage une réforme qui vise à en assouplir les contours.


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