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Aux Minguettes, une surveillante comme prof de maths : « Jamais ça ne serait arrivé dans un collège du 6ème »

Depuis le début de la période de Covid, l’Éducation nationale rencontre des difficultés encore plus importantes pour remplacer les professeurs absents. Dans les zones dites « REP » ou « REP + » (Réseaux d’Education Prioritaires), là où la lumière n’est pas tournée, certaines directions n’hésitent pas à employer des surveillant·es en lieu et place des profs. C’est le cas de Chloé (nom d’emprunt), embauchée comme surveillante dans un collège des Minguettes à Vénissieux.

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Minguettes Marche

Diplômée en sciences politiques, cette jeune femme d’une trentaine d’années s’est pourtant retrouvée à enseigner les mathématiques, puis le français alors qu’elle était embauchée avec un contrat d’assistante d’éducation. Elle témoigne.

« Début mars 2021, j’ai été embauchée par un collège des Minguettes à Vénissieux comme surveillante. Les choses étaient présentées de la sorte et rien ne m’a au départ fait penser que cela allait en être autrement.

J’ai signé mon contrat d’assistante d’éducation un mercredi, et le vendredi j’étais déjà convoquée dans le bureau du principal. Il m’a expliqué que le professeur de mathématiques ne pouvait plus assurer ses cours en présentiel, qu’il fallait donc quelqu’un présent sur place. Mon cursus est bien loin du domaine scientifique, ils le savaient. J’ai proposé une solution : le professeur étant en télétravail, ne pouvait-il pas assurer ses cours via une webcam pendant que je surveillais la classe ? La réponse fut simple : le prof ne possédait pas de webcam.

J’étais alors en période d’essai, impossible pour moi de perdre ce travail. Je me suis sentie obligée d’accepter.

Voilà comment j’ai commencé à enseigner les mathématiques à 6 classes d’élèves allant de la 6ème à la 3ème, soit de 12 à 15 heures de cours par semaine, de mars à mai.

« Des décisions qui leur ferment les portes de l’école, de l’éducation et de l’instruction »

Le professeur de mathématiques en télétravail se chargeait de fournir les polycopiés, il n’avait aucune obligation d’effectuer un travail minimum. Moi, je devais assurer le cours, et les polycopiés évidemment ne suffisaient pas. Parfois, je me trouvais obligée de faire les exercices moi-même, sur mon temps de pionne, afin d’avoir des corrigés.

L’idée générale était “Je remplace votre professeur, mais il voit tout, il corrige vos copies et je fais des compte-rendus“. Sauf qu’au vu des délais pour rendre les copies, les élèves ont rapidement compris que j’étais un peu seule aux commandes. Il m’a fallu parfois corriger moi-même les contrôles. Et lorsque le professeur venait récupérer les copies, difficile d’expliquer aux élèves pourquoi ce dernier ne pouvait pas leur faire cours alors qu’ils le croisaient dans les couloirs de ce collège des Minguettes.

Pour le remplissage des bulletins du dernier trimestre, le professeur a mis lui-même les appréciations. Il n’avait pourtant quasiment pas été là du trimestre et ne m’avait posé aucune question sur les élèves. A ce moment-là, je n’ai même pas été concertée.

Au bout d’un mois de remplacement, après les mathématiques, ce fut le français. Le principal m’a enlevé quatre classes de maths. Et je me suis retrouvé avec quatre classes de français et deux de mathématiques. La professeure, en prolongation de son arrêt maternité, avait besoin d’une remplaçante. Là encore, j’ai pris la place sans dire mot. Cette fois-ci, je me retrouvais carrément sans aucun cours.

Alors que dans ces deux matières, je me devais de préparer au mieux les 3ème pour le brevet.

« Dans ce collège des Minguettes, on se fiche de vous, on ne prend même pas la peine de vous mettre de vrais professeurs, voilà le message transmis »

Comment expliquer à des gamins difficiles à gérer, parfois en perdition, cette différence de statut. Il était complexe d’instaurer un rapport de confiance avec eux lorsque d’une heure à une autre j’étais pionne, puis prof. Surveillante, il pouvait dès lors me tutoyer et m’appeler Chloé. Professeure, il fallait me vouvoyer et m’appeler Madame. Instaurer le respect ne fut pas une mince affaire. Cette alternance de statuts me discréditait de facto.

On se fiche d’eux, on ne prend même pas la peine de leur mettre de vrais professeurs. Les élèves le comprennent bien.

Cette situation a duré trois mois au total. J’ai bien tenté de demander un salaire en conséquence, mais n’ayant pas le statut de professeur je n’y avais évidemment pas droit. Je travaillais 41 heures/semaine, avec des horaires bien différents de ceux prévus initialement. La charge mentale et émotionnelle était toute autre. J’exerçais comme professeure avec un salaire de surveillante de 1230 euros, sans aucun droit à la prime REP +. 

Lors de ma première semaine, j’ai été convoquée par le principal qui m’a fait une proposition plus qu’étrange. Afin de faciliter la gestion des classes, il souhaitait en exclure quelques-uns de manière préventive. Des profils qui sont selon lui impossibles à canaliser. Je me suis opposée radicalement à cette idée qui me semblait profondément injuste. Pour moi, ils ne devraient être exclus que s’ils franchissaient la ligne. Sinon, c’est considérer que ce sont des gamins irrécupérables, sans possibilité d’avenir.

Minguettes collèges Vénissieux
Ville dans la ville, le plateau des Minguettes (146 hectares) compte 23 000 habitants et trois collègesPhoto : HP

« Jamais cette situation ne se serait passée dans un collège du 6ème arrondissement »

J’aurais pu choisir de ne rien faire et de ne faire que du gardiennage, personne n’en aurait rien dit. Mais, il m’était inconcevable de léser davantage ces enfants. Personne n’avait véritablement l’air de se soucier d’eux, à part une partie de l’équipe pédagogique qui se montrait plus investie. Les parents n’étaient même pas avertis du fait qu’une surveillante faisait la classe à leurs enfants. Soyons honnête, jamais cela ne se serait passé dans un collège du 6ème arrondissement. Un collège se situant au cœur des Minguettes, à Vénissieux, n’intéresse pas grand monde.

La plupart de ces enfants connaissent déjà des difficultés, et évoluent dans un environnement bien souvent défavorisé. L’école pourrait, devrait être, une chance pour eux, c’est donc ici qu’il faut mettre le personnel compétent. J’ai conscience d’avoir perdu au moins quatre ou cinq élèves en cours de route. Des élèves qui n’auraient peut-être pas décroché s’ils avaient pu recevoir une scolarité digne ce nom. Pour beaucoup, il est inenvisageable d’avoir une scolarité ailleurs que dans leur quartier.

Lorsque j’ai arrêté mes fonctions, il restait 3 semaines de cours. Trois semaines durant lesquelles les 3ème n’ont eu aucun professeur en mathématiques, juste avant le brevet. Pour les 5ème, il n’y a eu aucun cours français et de mathématiques lors du dernier mois. Sans compter les absences avant mon arrivée.

Ma crainte est qu’en septembre la situation se reproduise avec d’autres surveillants dans ce collège de Vénissieux ou d’ailleurs. Si tout le monde s’en contente, pourquoi arrêteraient-ils d’employer des surveillants en guise de professeur ? »

Propos recueillis par Camille Brenot


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