Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Face au dérèglement climatique, les options éthiques de vignerons dans le Sud de la France

Le réchauffement climatique est une réalité tangible pour les Côtes-du-Rhône du Sud de la France. A tous les niveaux de la viticulture, on cherche les parades pour continuer de produire des vins qui restent buvables. En la matière, les vignerons orientés nature ont des solutions.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Elodie Aubert du Clos des Cimes en compagnie de ses moutons et ânes. ©FD/Rue89Lyon

Au Sud de la Vallée du Rhône, entre Avignon et Nyons, les vignes forment une mer verte à perte de vue. En s’approchant de plus près, on aperçoit un tuyau qui court le long des pieds de vigne. Ici, dans la plaine, la plupart des vignobles sont irrigués. Les cahiers des charges des différentes appellations Côtes-du-Rhône l’interdisent. Mais les dérogations sont délivrées à la pelle, conséquence de la hausse des températures et des déficits en eau.

Comme nous l’expliquait, il y a un an, Hervé Quénol directeur de Recherches au CNRS et coordinateur du projet LIFE-ADVICLIM (ADapatation of VIticulture to CLIMate change), « la grande question sera l’adaptation par rapport à l’augmentation des sécheresses ».

Irriguer la vigne : « un non-sens »

Dans le Sud de la France, face au réchauffement climatique, la réponse standard de l’agriculture conventionnelle semble être évidente : l’irrigation.

Du côté des Côtes-du-Rhône, cette réponse n’est pas acceptable chez tous les vignerons.

« Il y a de plus en plus deux mondes dans la viticulture. Soit on lutte contre la nature, soit on l’accompagne. La vigne est une culture qui a peu besoin d’eau, en tout cas qui n’a pas besoin d’irrigation si l’on respecte un certain bon sens agronomique : un cépage adapté, un travail pour favoriser la vie du sol, des objectifs de production raisonnables. On gâche de l’eau dans une région qui manque d’eau. »

Matthieu Dumarcher, vigneron a La Baume-de-Transit dans le sud de la Drôme, exploite cinq hectares. Il est déçu que la profession « aille plus dans le sens du marketing que dans celui de la logique agronomique et climatique » :

« Aujourd’hui, pour faire des Côtes-du-Rhône, il faut de la syrah même sur des terroirs chauds et secs. Or, c’est un cépage qui souffre de la chaleur et de la sécheresse. »

Alors que de plus en plus de voix, même au sein de l’interprofession de la Vallée du Rhône, appellent à adapter les cépages au réchauffement climatique, les pratiques ont la vie dure.
Et l’irrigation au gouttes-à-gouttes est devenue la norme.

Pour Matthieu Dumarcher, tout est question de « mode »:

« La Syrah est un cépage à la mode. Du coup, on donne des aides à la plantation et à l’installation de système d’irrigation. Dans le sud de la Vallée du Rhône, elle est bien sur certains terroirs mais il semble difficile de la généraliser ».

La Syrah est plutôt un cépage du nord de la Vallée du Rhône (on pense aux Saint-Joseph) qui a besoin de plus de fraîcheur que la grenache pour ne citer qu’un autre cépage emblématique des Côte-du-Rhône.
Matthieu Dumarcher reste droit dans ses bottes de vigneron :

« Pour une question éthique, je refuse d’irriguer. Je sais qu’à l’avenir, ce sera de plus en plus dur de maintenir des parcelles en syrah et donc, si le cahier des charges ne change pas, de rester dans le cahier des charges des Côte-du-Rhône ».

Matthieu Dumarcher dans une de ses parcelles. ©FD/Rue89Lyon
Matthieu Dumarcher dans une de ses parcelles. ©FD/Rue89Lyon

Des vignes aux racines plus développées

Dans cette région aux frontières de la Drôme et du Vaucluse, au royaume des coopératives, les vignerons orientés nature comme Matthieu Dumarcher essayent d’exister.

Créé en 2011, le collectif « Nouvelle Lune » regroupe une dizaine de vignerons. Il organise des événements, dont des dégustations, en off, pendant « Découvertes en Vallée du Rhône » en Avignon, pour montrer qu’un autre vin est possible. Mais l’essentiel de la vie du collectif se déroule en interne, dans l’échange sur les bonnes pratiques entre vignerons et vigneronnes.

Et, entre deux dégustations des vins des uns et des autres, la question du réchauffement climatique est mise sur la table.

Avec le Mas de Libian et Philippe Viret, le domaine de Gramenon est l’une des locomotives du collectif. Ce sont 25 hectares cultivés depuis 40 ans en bio et depuis 15 ans en biodynamie, au pied de la montagne, entre Valréas et Montbrison-sur-Lez.

Michèle Aubèry-Laurent, infirmière de son état, a repris le domaine en 1999 à la mort de son pionnier de mari, Philippe Laurent. Elle en revient toujours aux fondamentaux : « le travail du sol ».

« Comparés aux viticulteurs conventionnels voisins, nous souffrons moins du changement climatique. Après 40 ans de bio, nous avons des sols qui ne sont pas tassés des racines en profondeur qui peuvent trouver de l’eau. Lorsqu’on travaille avec des produits phytosanitaires, la vignes, par fainéantise, n’enfonce pas suffisamment ses racines dans le sol. Chez nous, quand nous arrachons une vigne, on peut trouver des racines de 15 à 20 mètres. »

Aujourd’hui, comme d’autres, elle commence à expérimenter des cépages que l’on dit plus adaptés à la chaleur comme la counoise et le bourboulenc.

Michèle Aubery-Laurent a repris le domaine Gramenon en 1999. FD/Rue89Lyon
Michèle Aubèry-Laurent a repris le domaine Gramenon en 1989. FD/Rue89Lyon

Sélection massale contre les clones

Si au Nord de Montélimar, les viticulteurs souffrent un peu moins des effets de la chaleur, dans le Sud, les raisins sont trop gorgés en sucre et peuvent donner des vins à 16 degrés avec peu d’acidité.
Pour faire baisser le sucre, on peut mettre la rafle (ce qui tient les raisins). Cela participe à l’équilibre du vin.

On peut notamment diminuer de 0,5 degré. C’est peu et cela exclut au passage un grand nombre de domaines en conventionnel mais aussi en bio voire en biodynamie qui vendangent à la machine. Il faut en effet vendanger à la main pour garder cette rafle.

Pour Michèle Aubèry-Laurent, il faut surtout sortir des greffons clonés « qui sont de vraies usines à sucre ».

Car aujourd’hui, la grande majorité des vignes est issue de clonage. Ce système a permis de sélectionner des cépages plus résistants aux maladies avec le risque d’une standardisation des cépages.

A l’image d’autres vignerons, Michèle Aubèry-Laurent pratique la sélection massale d’abord dans l’objectif « de garder de l’originalité et de la diversité ».

Second objectif recherché : multiplier les plants de vigne les plus résistants à la chaleur, ceux qui pourraient avoir une maturité plus lente.

Mais cette pratique demande du temps. Il faut repérer, prélever, greffer des sarments puis replanter le plant de vigne avec le risque de transmettre une maladie.

Enfin, on doit être bien sûr que ce sont des vignes d’avant 1970 (date de l’arrivée des clones) ou issues de sélection massale.

D’où la nécessité de faire appel à un pro. Dans le Sud, Michèle Aubèry-Laurent s’est tournée vers Lilian Bérillon, pépiniériste à Jonquières, surnommée « l’orfèvre du vignoble ».

Oui, on peut garder de l’herbe dans les vignes

Autre point de rupture, l’herbe. Habituellement, les vignes sont désherbées avec des pesticides comme le glyphosate voire pire. Evidemment, pour les vignerons « nature », rien de tout ça. Mais il reste un débat sur le niveau d’enherbement. Avec cette question sous-jacente : dans une période de sécheresse, l’herbe concurrence-t-elle la vigne ?

La réponse des vignerons du collectif « Nouvelle Lune » que nous avons rencontrés est unanime : « il n’y a pas de concurrence car les racines sont profondes ». Matthieu Dumarcher explique :

« J’aime laisser un couvert végétal. Cela permet de protéger le sol du soleil. »

Sur certains terrain argileux, cela permet aussi aux tracteurs de pouvoir entrer dans les vignes quand il pleut trop comme au printemps dernier. Chacun a ses techniques pour travailler ses sols : en tracteur, à cheval (comme au Mas de Libian) ou en laissant paître des brebis.

Des brebis et du raisin

Sur une route des Baronnies, au sommet du col de Propiac, on découvre niché le domaine du Clos des cimes (le bien nommé). Quarante brebis se promènent tranquillement au milieu des huit hectares de vignes. Et tondent l’herbe depuis 2012.

En 2006, Elodie Aubert a hérité de la terre de son père qui l’avait lui-même hérité de son grand-père. Et a créé la cave. Elle a gardé également les deux hectares et demi d’abricots.

Contrairement à la monoculture de la plaine voisine, elle a recréé ici une biodiversité rare pour la Vallée du Rhône.

« Les brebis ont fait venir les mouches qui ont fait revenir les oiseaux notamment les hirondelles. Et l’odeur des brebis protègent les lapins des renards. Pour la vigne, cela veut dire moins de maladies et moins de ravageurs ».

Elle se rend compte de la « chance » qu’elle a d’être à plus de 500 mètres d’altitude :

« En bas, ils ont une perte qualitative avec les cépages actuels, surtout la grenache, qui donne un vin trop alcooleux. De mon côté, quand mon grand-père a planté ses grenache, ils étaient peut-être trop en altitude. Aujourd’hui, c’est parfait. »

Et pour encore garder un maximum d’humidité dans son sol argileux, elle répand du fumier dans le sol. L’humus va ainsi éviter « l’effet yo-yo » de l’argile qui a tendance à se sécher et à craqueler trop rapidement.

Finalement, pour Elodie Aubert comme pour les autres vignerons que nous avons rencontrés, la plus grosse difficulté réside dans le « dérèglement climatique » :

« En ce début octobre, on connaît une sécheresse alors qu’il devrait pleuvoir. Ici, on se souvient encore des inondations meurtrières de Vaison-la-Romaine de septembre 1992. Cette année, il n’a pas plu depuis le 10 août. Inversement, au printemps, d’habitude il ne pleut pas énormément. Mais cette année, on eu trois semaines de pluie entre mi-mai et mi-juin. »

Elodie Aubert du Clos des Cimes en compagnie de ses moutons et ânes. ©FD/Rue89Lyon
Elodie Aubert du Clos des Cimes en compagnie de ses moutons et ânes. ©FD/Rue89Lyon

Tailler tôt ou tailler tard, et autres questions

Ce « dérèglement climatique » remet en question des pratiques quasi ancestrales comme la date de la taille de la vigne qui se fait généralement à partir de février.

Cette année est charnière : il a tellement plu au mois de mai que le mildiou a touché tout le monde mêmes les conventionnels qui traitent avec des produits dits « systémiques ».

Michèle Aubèry-Laurent du domaine Gramenon va expérimenter une taille de la vigne plus tôt, en janvier voire en décembre :

« Cette année, on a eu l’humidité et la chaleur en même temps. Et on s’est rendu compte que nos parcelles qui n’ont pas été touchées par le mildiou ont été celles taillées plus tôt. »

Olivier Trombetta s’est lancé à son compte en 2008 avec un libraire lyonnais pour « créer les vins que j’aime », c’est à dire « natures ». Ça a donné les cuvées des « les Grands enfants ». En 2014, il a lancé, tout seul, son domaine « Le cri de l’araignée ». Au total, il est à la tête de 8,5 ha en nature mais reste responsable de l’exploitation d’un énorme domaine également ancré à Saint-Cécile-les-Vignes. Une double activité harassante et un brin schizophrène.

Il fait partie des vignerons qui ont tout essayé s’agissant de la taille.

« J’ai taillé tôt (en novembre) et j’ai taillé tard (en mars). Je n’ai pas trouvé une grande différence. »

Quelle que soit la saison, lui préfère une taille courte particulière : une vigne en gobelet et non taillée le long de fil de fer, comme cela se pratique généralement dans le Sud de la France. Une question d’adaptation à la chaleur :

« En gobelet, la sève circule plus directement du vieux bois vers les sarments. La maturité et l’équilibre des raisins (sucre/acidité) sont meilleurs.
Quand il fait trop chaud et que la vigne est plantée sur un fil de fer, la sève ne va pas en bout de bois car la plante souffre ».

Ce n’est pas la panacée. Pour Olivier Trombetta, comme pour les autres membres du collectif, leur survie en tant que vigneron du Sud tient surtout à deux conditions : le « bon cépage, pour le bon terroir » et un travail du sol optimal.

« Le sol doit être suffisamment meuble pour que le peu de pluie pénètre profondément. Il ne faut donc pas trop passer avec le tracteur pour ne pas trop tasser. »

Olivier Trombetta du Cri de l'araignée au milieu de vignes taillées en gobelet. ©FD/Rue89Lyon
Olivier Trombetta du Cri de l’araignée au milieu de vignes taillées en gobelet. ©FD/Rue89Lyon

#Vin

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options