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Antoine Moroni, un paysan sans terre de l’Ouest lyonnais

[Série] Antoine Moroni aurait pu choisir la Drôme ou l’Allier pour faire pousser ses légumes. Mais il a préféré l’Ouest lyonnais, à une cinquantaine de kilomètres de la place Bellecour. Mal lui en a pris. Entre les villas et les zones logistiques, les terres agricoles sont « gelées » et ce paysan, comme d’autres, ne trouve pas de terre.

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Ouest lyonnais paysan

A 29 ans, Antoine Moroni est l’incarnation d’une des nombreuses contradictions de nos politiques publiques. On nous rebat les oreilles avec l’autonomie alimentaire, l’agriculture bio et les circuits courts. Mais les jeunes paysans qui veulent s’installer en périphérie des métropoles ont toutes les peines du monde pour trouver des terres agricoles.

Nous avions croisé des vignerons qui en ont fait l’amère expérience autour de Grenoble. Dans la région lyonnaise, les paysans du nord ouest de Lyon vivent durement cette difficulté pour accéder au foncier. Ils se sont même montés en « Collectif paysan du Val-de-Turdine ». Antoine en fait partie.

« Si on était venu pour mettre 300 000 euros dans une villa, on nous aurait mieux accueillis que pour un projet agricole »

En 2017, quand Antoine a posé ses valises à Saint-Romain-de-Popey avec femme et enfant, il ne s’imaginait pas une telle galère.
Les collines vertes laissent apparaître les grandes exploitations agricoles maraîchères et arboricoles. A cette distance-là de Lyon, on n’est plus dans le périurbain où les lotissements jouent à touche-touche.
Mais l’arrivée de l’autoroute A89 fait flamber les prix des terrains et attire les convoitises des entreprises en recherche de zones d’activité.
Ses camarades du lycée agricole d’Écully sont partis ailleurs, loin des grandes villes. Même désertion du côté des saisonniers qui travaillaient avec lui chez un maraîcher local. « Trop cher, pas de terrain ».

Antoine s’est accroché. Méthodiquement.
Dès le début de sa formation pour obtenir son Brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole (BPREA) en maraîchage bio, il se met à prospecter tous azimuts :

« Safer, chambre d’agriculture, paysans du coin, j’ai contacté tout le monde, comme on nous apprend en formation ».

S’installer comme maraîcher, c’est son projet. Son « business plan est carré ». Certes, il a une capacité d’investissement limité mais les débouchés en maraîchage bio dans la grande région lyonnaise sont légion. Il se montre raisonnablement optimiste.

Une piste de vente s’esquisse. Mais le propriétaire renonce finalement à lui vendre le terrain.

« Beaucoup d’agriculteurs ont intérêt à conserver des terres pour toucher les subventions de la PAC qui sont fonction de la surface possédée. Même s’ils n’en font rien ».

Finalement, il se rabat sur de la location. Il repère un terrain de 1,5 hectare « avec une grosse retenue d’eau », point essentiel pour le maraîchage.
L’été dernier, il a une nouvelle piste. Mais au moment de signer le bail, la location capote.
Il craque. Dans la foulée de cette déception, il envoie un mail sous forme de lettre ouverte à tous ses interlocuteurs y compris les élus locaux qu’il a rencontrés.

« Je leur ai dit que c’était du foutage de gueule. Si on était venu pour mettre 300 000 euros dans une villa, on nous aurait mieux accueillis que pour un projet agricole. »

Antoine pointe les contradictions des élus qui soutiennent l’artificialisation de plusieurs dizaines de terres agricoles à travers le projet de zone logistique de l’ouest rhodanien alors que, lui, n’arrive pas à trouver moins de deux hectares de terre.

Un choix de « retour à la terre » dans l’Ouest lyonnais

Avec sa femme, il a fait le choix d’un « retour à la terre ». Un projet de couple. Lui, se présente comme ayant grandi dans la banlieue lyonnaise.

« C’est en rencontrant un paysan qui livrait la grande surface bio Satoriz où je travaillais que j’ai découvert le maraîchage ».

Sa femme était intermittente du spectacle. Elle est devenue céramiste et a désormais un atelier dans la petite ville voisine de l’Arbresle.

« On a choisi de vivre ici, de fonder une famille et de s’y investir professionnellement. Je ne veux pas faire comme un copain maraîcher à Chaponost qui est obligé de faire une demi-heure de voiture pour venir travailler sur ses terres. »

Mais le constat est amer :

« J’ai refusé des opportunités ailleurs, dans la Drôme et l’Allier. Dans ces départements, Ils nous proposaient de l’aide pour trouver facilement le terrain et le logement. Ils encouragent l’installation de couples d’actifs avec deux enfants qui peuvent créer une activité sur place. »

Antoine reste lucide sur la situation. Pour lui, trois choses expliquent ces difficultés d’accès au foncier pour des jeunes qui veulent s’installer :

« Ici, on cumule. Il y a tout d’abord les subventions de la PAC qui poussent des agriculteurs à conserver des terres mêmes s’ils ne les exploitent pas. Ensuite, les prix de l’immobilier qui grimpent et conduisent certains à conserver des terrains agricoles en se disant qu’ils deviendront un jour constructibles. Enfin, il y a ces projets de zones d’activité qui gèlent, encore, d’autres terres agricoles ».

A cela, s’ajoute le fait qu’il n’est pas issu du « milieu agricole ».

« Comme je ne suis pas du milieu, je n’ai pas accès aux maigres opportunités. Ce qu’on ne nous apprend pas à l’école, c’est qu’on ne trouve pas de parcelles via la Safer ou la chambre d’agriculture qui sont censées se charger de ça. Je ne suis pas au courant des infos. Pour beaucoup, je reste un étranger. Et quand il y a des opportunités, elles me passent sous le nez, comme pour le terrain que je devais louer. La grosse retenue d’eau a certainement attiré les convoitises d’autres agriculteurs du coin. »

Le potager d’un château comme « carte de visite »

Pour se faire une « carte de visite », il réhabilite depuis deux ans le potager du château d’Avauges. Une demeure du XVIIIe siècle située sur la commune de Saint-Romain-de-Popey, en bordure de la Turdine.
Un terrain de 3 500 m2 qu’il a défriché et qu’il cultive pour moitié. Ce sont les châtelains, la famille d’Albon, qui lui ont mis à disposition ce lopin de terre.

Un financement participatif lui a permis d’acheter un peu de matériel et des coups de main de son ancien patron du Potager de la Coccinelle, « le dernier à avoir réussi à s’installer en bio, il y a sept ans » lui a permis de faire le reste.
Ça lui permet de garder la main et de se faire connaître en vendant ses quelques légumes par bouche-à-oreille.

Dans la vidéo ci-dessous de l’association Quicury datée de décembre 2020, il présente son projet et le potager du château.

« Je ne veux pas être un martyr de l’installation toute ma vie »

La situation d’Antoine reste très précaire.

« Mon statut se situe entre le particulier et l’exploitant agricole. C’est comme si je vendais le surplus de mon potager ».

Avec la vente des légumes du potager du château, il ne peut que compléter ses revenus, à savoir ses allocations chômage qui arrivent à leur terme en septembre.

Il fatigue.

« Mentalement, c’est très dur », répète-t-il.

Cet ancien habitant du quartier Moulin-à-Vent de Vénissieux a le sentiment de se battre contre ces mêmes moulins.

« Je ne regrette pas d’avoir insisté. Mais je ne veux pas être un martyr de l’installation toute ma vie. Ça atteint aussi notre couple. C’est tendu ».

Antoine voudrait que les élus « débloquent les terrains » en obligeant les propriétaires à louer. Une procédure du code rurale les y permet et une commune de Bretagne l’a récemment expérimentée.
Antoine espère aussi que la lutte des différents collectifs contre la bétonisation des terres va aboutir et que ces terrains seront redistribués aux paysans.
Mais il ne peut pas attendre un changement de politique locale. Il s’apprête à refaire ses valises.

« On réfléchit à monter plus haut dans le département du Rhône ou aller ailleurs ».

A contre-coeur.

« Des gens nous ont tendu la main. Mais j’en ai marre de voir des zones d’activité se développer, des baraques se construire, des Lyonnais ou d’autres acheter des fermes à prix d’or sans rien y faire d’agricole. Les élus doivent dire stop ».

Antoine et sa femme n’ont plus les moyens de se battre.

« A court terme, on est obligé de partir. On est arrivé au bout. »

paysan lyonnais
Antoine, paysan de l’Ouest lyonnais, photographié avec en arrière-plan, le château d’Avauges puis, la plateforme logistique de Boiron.Photo : LB/Rue89Lyon

#Agriculture

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Jean-René et Jean-Noël Bourrat

Photo : PL/rue89Lyon.

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