Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Police : 40 ans de morts, d’émeutes et de mobilisations à Lyon

[Chronologie] Depuis les années 80, de nombreux Lyonnais.es sont décédé.es suite à une intervention de la police. C’est surtout dans les années 1990 que les émeutes se multiplient, comme une conséquence de ces morts.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.


Thomas Claudio, Fabrice Fernandez, Waild Houha, Tina Sebaa, Raouf Taïtaï, Mehdi Bouhouta… Rue89Lyon a essayé de compiler, dans une chronologie, les personnes tuées à la suite d’interventions policières et les éventuelles émeutes qui ont succédé à ces décès, depuis l’ »été chaud » des Minguettes en 1981 jusqu’à aujourd’hui.

Dans les quartiers populaires des Minguettes à Vénissieux ou du Mas-du-Taureau à Vaulx-en-Velin, les événements et les émeutes qui ont suivi sont encore bien présents dans les esprits. Le 2 juin dernier à Paris, à la suite de la mort de George Floyd aux Etats-Unis, un rassemblement réunissant plus de 20 000 personnes pour Adama Traoré, décédé en 2016 dans une gendarmerie de la banlieue parisienne, est venu remettre sur la table la question des morts à la suite d’interventions de la police.

Morts et émeutes

Certaines morts restent gravées plus longtemps que d’autres dans la mémoire collective. Régulièrement, des émeutes dans les quartiers d’origine des victimes servent de piqûres de rappel. Dans la région lyonnaise, on a entendu parlé de « l’été chaud des Minguettes » à Vénissieux en 1981, ou des « émeutes du Mas-du-Taureau » à Vaulx-en-Velin en 1990.

Pour autant, les noms de Barded Barka, Aziz Bouguessa ou Thomas Claudio ne sont pas connus de tous. Pourquoi certaines morts ont-elles déclenchées des émeutes et d’autres non ?

Pour Naguib Allam, président de l’Association des victimes de crimes sécuritaires (AVCS), il est difficile de trouver les causes immédiates d’une émeute :

« Une émeute, on ne sait jamais comment ça commence. Ça peut être très calme la veille, et le lendemain ça part, personne ne peut contrôler ça. »

Dans un article intitulé « La bavure et l’émeute », paru en 2016 dans la Revue française de sciences politiques, le chercheur en sciences politiques Alessio Motta s’est penché sur les facteurs déclencheurs d’émeutes. Sa recherche porte plus particulièrement sur les événements survenus dans l’Est lyonnais entre 1979 et 2000.

Le chercheur note que jusqu’à la fin des années 80, les décès étaient rarement suivis d’émeutes mais plus de marches silencieuses et de poursuites judiciaires. Dans les quelques cas d’émeutes sur cette période, il note certaines conditions favorables :

« Il arrive par deux fois qu’une réaction d’émeute ou mini-émeute ait lieu, dans des cas où plusieurs conditions pratiques sont réunies pour faciliter ces sorties nocturnes : week-end, vacances scolaires, météo favorable, etc. La réaction n’a lieu que dans des cas où l’endroit ou les conditions du décès ont favorisé une diffusion précoce de l’information dans le quartier, permettant un important travail de coordination explicite des acteurs. »

Une « institutionnalisation du signal » déclenchant une émeute

Dans les années 90, Alessio Motta évoque une « institutionnalisation du signal » déclenchant une émeute :

« Apparaissent, dans les années 1990, des émeutes à la suite de toutes les « bavures », généralement moins de vingt-quatre heures après le décès et cela même par grand froid. »

La presse de l’époque fait ainsi régulièrement allusion à des « affrontements entre des jeunes et des forces de l’ordre », sans aller plus loin. Le chercheur pointe le rôle de la médiatisation des bavures policières, justifiant souvent le décès de la victime, et également « le rôle joué localement par plusieurs acteurs et associations qui, sans être engagés dans les mouvements émeutiers, contribuent à cette objectivation par leur travail de construction des bavures et violences racistes en causes militantes et en objets de mémoire ».

Ici, l’AVCS est un bon exemple. Cette association recense les violences policières et suit les affaires survenues dans les banlieues lyonnaises depuis 1983. Les « comités vérité et justice », collectif souvent montés par les proches des victimes, organisent également régulièrement des actions. Le plus connu reste le comité Adama, mené par la sœur d’Adama Traoré, décédé en 2016 dans une gendarmerie parisienne.

Dans la région lyonnaise, les comités Vérité et Justice pour Mehdi à Vénissieux ou Vérité et Justice pour Mehdi Bouhouta à Vaulx-en-Velin, ainsi que les proches d’autres familles de victimes de la police et l’AVCS organisent régulièrement des événements et des rassemblements. Ce travail souterrain, plus ou moins coordonné nationalement selon les comités, permet de rappeler les faits à l’opinion publique.

Zyed et Bouna morts à Paris, des émeutes à Lyon en 2005

Parfois, les émeutes traversent la France. Le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, en banlieue parisienne, les jeunes Zyed Benna et Bouna Traoré meurent électrocutés dans un transformateur électrique dans lequel ils s’étaient réfugiés pour fuir un contrôle de police. Le soir même, des émeutes éclatent dans les banlieues de plusieurs villes françaises – dont Lyon.

Quelques jours auparavant, entre le 16 et le 19 octobre, des tensions étaient déjà bien présentes dans le quartier du Mas-du-Taureau, à Vaulx-en-Velin, suite à une rumeur selon laquelle un adolescent aurait été violemment interpellé par la BAC. Les circonstances de la mort de Zyed et Bouna ont mis le feu aux poudres dans la banlieue lyonnaise quelques jours plus tard.

D’après 20 Minutes, 714 véhicules auraient été incendiées début novembre à Lyon, et 155 personnes interpellées. Le 8 novembre, le président de la République Jacques Chirac a décrété l’état d’urgence lors d’un Conseil des ministres exceptionnel. A partir du 12 novembre, un couvre-feu a été appliqué pour Lyon et dix de ses banlieues : les mineurs n’avaient plus le droit de circuler entre 22h et 6h le lendemain matin. Suite à cette décision, des affrontements ont éclaté place Bellecour entre une centaine de jeunes et les forces de l’ordre. Ce n’est que le 17 novembre que les échauffourées se sont apaisés.

Manifs mondialisées après la mort de George Floyd

Il arrive aussi que l’indignation traverse les frontières mais pas sous la forme d’émeutes. Suite à la mort de George Floyd, étranglé par un policier aux Etats-Unis, le comité Adama Traoré a organisé le 2 juin dernier un rassemblement à Paris contre les violences policières. Plus de 20 000 personnes ont répondu à l’appel. A Lyon, près de 2000 personnes ont suivi le mouvement en se rassemblant devant l’ancien palais de justice.

Les jours suivants, plusieurs rassemblements se sont succédé à Lyon. Le 6 juin, une manifestation contre les violences policières et le racisme a réuni plusieurs milliers de personnes (12000 selon les organisateurs, 3400 selon la police) ; le 9 juin, jour des obsèques de George Floyd, c’était un rassemblement pour lui rendre hommage ainsi qu’à Adama Traoré puis le 13 juin, un nouveau rassemblement  devant l’ancien palais de justice avec les comités vérité et justice locaux.

Manifestation contre les violences policières 6 juin
Manifestation contre les violences policières le 6 juin à Lyon
©AB/Rue89Lyon

L’ « ancienne » et la « nouvelle » génération

Ces manifestations marquent-elles une nouvelle forme de mobilisation durable contre les violences policières ?

Les comités vérité et justice sont mitigés. Farid El-Yamni, frère de Wissam El-Yamni, décédé suite à sa violente interpellation par la police de Clermont-Ferrand dans la nuit du 31 décembre 2011 au 1er janvier 2012, regarde ces rassemblements avec espoir :

« Avec les autres comités vérité et justice, nous faisons le même constat partout en France : on voit davantage de jeunes blancs aux événements, dont c’est souvent la première mobilisation. »

Pour lui, c’est la nouvelle génération qui pourrait bien faire changer les choses :

« L’ancienne génération a envie de croire que c’est pire aux Etats-Unis, qu’en France il n’y a pas de racisme systémique et de croire au mythe républicain. La jeunesse, elle, n’accepte pas. »

Myriam Bouhouta, elle, n’ose pas y croire. Son frère Mehdi a été abattu par un policier alors qu’il tentait de forcer un barrage de police à Sainte-Foy-lès-Lyon, le 3 septembre 2015. Pour elle, cet engouement pour lutter contre les violences policières risque de ne pas durer :

« Depuis George Floyd, c’est devenu une mode de faire des rassemblements contre les violences policières, mais ça va s’essouffler. Il y avait beaucoup de monde aux premiers rassemblements pour mon frère puis les mois, les années passent… C’est bien beau de venir à un rassemblement, mais il faut aussi que ça dure dans le temps. »

Dans la région, des affaires en cours

L’affaire concernant le frère de Myriam a été rouverte l’été dernier. La famille Bouhouta est toujours en attente d’une date pour effectuer la première reconstitution des faits.

A Clermont-Ferrand, les El-Yamni encaissent difficilement la décision rendue le mercredi 15 juillet par la chambre de l’instruction : la juge d’instruction entendra de nouveau les policiers mais pas les trois jeunes qui se trouvaient dans le couloir du commissariat le soir de l’interpellation de Wissam, et qui auraient assisté à son passage à tabac par les policiers.

En attendant, les comités Vérité et Justice pour Lakhdar Bey, pour Mehdi Bouhouta et pour Joail Zerrouki ainsi que l’AVCS ont organisé samedi 13 juillet une marche pour réclamer justice pour Lakhdar Bey. Ce père de famille de 50 ans était décédé le 3 juillet 2019 entre les mains de police, venue expulser violemment la famille de son logement de Chambéry. Fatima Bey, son épouse, a porté plainte contre les policiers. Depuis, elle n’a aucune nouvelle du parquet qui n’a toujours pas restitué le corps de son mari, plus d’un an après son décès.

L’AVCS et le comité Vérité et Justice pour Mehdi Bouhouta envisagent d’organiser prochainement de nouveaux rassemblements, annonce Myriam Bouhouta :

« Il faut que les gens comprennent que ça peut arriver à tout le monde, regardez Steve ! »


#Violences policières

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

À lire ensuite


Sophie Divry, écrivaine vivant à Lyon et autrice de "Cinq mains coupées" © J. Panconi (pour les Editions du Seuil).

Photo : J. Panconi (pour les Editions du Seuil).

Femmes de Crobatie aux Subsistances
Les écologistes et la sécurité à Lyon : les cartes en main ?
Plus d'options