Cela fait près de trois ans que l’on connaît « Vrac », cette association qui permet d’accéder à des produits bio et/ou locaux pas chers dans les quartiers populaires. Ce mercredi, sort un livre de cuisine « Femmes d’ici, cuisines d’ailleurs » (éd. Albin Michel) à la saveur particulière.
Depuis que nous l’avons rencontré, Boris Tavernier, le « dealer de zit zitoun », a fait du chemin. Le fondateur a fortement implanté son association « Vrac » dans l’agglomération lyonnaise et, depuis quelques mois, à Strasbourg et Bordeaux.
L’association se lance maintenant dans la littérature culinaire, avec toujours le même leitmotiv, une alimentation de qualité à un prix accessible. Il ajoute désormais le « plaisir et le partage ».
Après un concours façon « Top chef des cités », aux Noirettes (à Vaulx-en-Velin), en 2016, Boris Tavernier a eu l’idée d’un livre de cuisine où l’histoire se mélangerait à l’Histoire, sans oublier, bien sûr, les recettes.
Après un crowdfunding réussi, il a embarqué un graphiste, un dessinateur, un photographe, un cuisinier et un prix Goncourt, Alexis Jenni pour faire la tournée des popotes.
La Duchère, Le Mas du Taureau, Terraillon, Gerland et la Perralière
« Femmes d’ici et cuisines d’ailleurs », n’est pas seulement un beau livre (merci au graphiste Genaro Lopez), il raconte la trajectoire de 15 femmes.
Elles habitent La Duchère, Gerland (Lyon), Le Mas du Taureau (Vaulx-en-Velin), Terraillon (Bron) et la Perralière (Villeurbanne).
Elles cuisinent, ici, des plats de leur culture d’ailleurs. Ce qui fait dire à Boris Tavernier :
« Les banlieues sont un terroir français à part entière »
Le pitch du livre. A partir d’un plat qu’elles préparaient à la maison (avec les produits remboursés par Vrac), elles l’ont raconté ainsi que les souvenirs associés.
Les histoires nous font plonger dans des parcours extraordinaires, de femmes.
Il y a Sondes, arrivée en France il y a deux ans avec son mari et ses trois enfants. Elle est irakienne, chrétienne et kurde. Elle habitait Bagdad.
« Le mot fait frémir, écrit Alexis Jenni. La capitale des Mille et Une Nuits est devenue capitale du chaos, et ça ne manque pas : son père a été tué dans la rue, devant sa porte, d’un coup de pistolet ».
Nansy, sa voisine égyptienne, assure la traduction. Le récit se poursuit sur l’oncle de Sondes :
« Il a été décapité, son corps découpé, arrosé d’essence, brûlé ».
Aujourd’hui, dans un logement social de Vaulx-en-Velin, elle s’occupe surtout de ses deux enfants handicapés.
Autour d’un palaw, plat typique afghan, Sadia raconte qu’elle a atterri en France à 15 ans, après la mort de sa mère, après avoir traversé la guerre contre les Russes et le début de la guerre civile. C’est pendant la guerre, à Kaboul, qu’elle a appris à cuisiner pour les soldats qui louaient des pièces de la grande maison.
Elle travaille aujourd’hui à Lyon, au « Café 203 » (un bar lyonnais) comme cuisinière.
« Ma grand-mère montait à cheval de village en village pour cuisiner »
Ces femmes racontent la transmission d’un savoir de mère en fille ou de grand-mère à petite-fille.
Esme vit à Vaulx-en-Velin depuis ses six ans. Devant un plat de mantis, elle se souvient surtout de la figure de sa grand-mère :
« Ma grand-mère était cheffe de cuisine. Elle montait à cheval (en Anatolie, au centre de la Turquie, ndlr) et allait de village en village pour cuisiner les repas de fête. On lui préparait les braises, les grands plats, et elle dirigeait.(…) C’est elle qui a cuisiné pour mon mariage, elle a fait ça jusqu’à 80 ans ».
Amaria cuisine les « meilleurs makrouts » de la Duchère. Blogueuse et pâtissière, elle vouerait presque un culte au miel, « ce produit miraculeux » qui lui rappelle la Kabylie de sa famille :
« C’est une recette ancestrale, qui est passée par ma grand-mère, ma mère. L’amour de la cuisine m’a été transmis par mère ».
Dôme de Djerba et paupiettes
De cette tradition orale, sans livre de cuisine, ni Marmiton.org, le cuisinier de la bande, Valentin Luiggi, a traduit les recettes avec les quantités, à la petite cuillère prêt.
Ce ne sont pas seulement les plats traditionnelles des pays d’origine. Les recettes sont parfois métissées et inventées par les femmes.
Comme ce Dôme de Djerba de Zaineb :
« Le Dôme de Djerba, je ne l’ai pas inventée à partir de rien, c’est le riz djerbien, un riz aux épinard qu’on trouve dans tous les restaurants tunisiens. (…) Ma mère le faisait avec du poulet, j’ai pensé à du veau, et puis j’ai pensé paupiette ».
Elle parle alors de sa double culture. Elle est arrivée en France à six mois, mais elle se sent ni française, ni tunisienne ou les deux à la fois :
« Les Tunisiens me voient française. Ils me trouvent arrogante si je parle français. (…) Et en France, on ne me voit pas tout à fait française. Comme si j’avais deux peaux, qu’il fallait toujours que j’en enlève une. Mais si je n’ai pas à choisir entre là et là : on peut être française et musulmane ».
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