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Dans le Beaujolais, le #MeToo du vin attaqué en justice

Isabelle Perraud, la présidente de Paye ton pinard, association ayant lancé le Me Too du vin, a été attaquée en justice par Sébastien Riffault pour diffamation.

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Beaujolais gamay

C’est le type d’affaire qui est parti pour durer des années. Depuis cet été, Isabelle Perraud, vigneronne dans le Beaujolais et présidente de l’association Paye ton pinard, se démène dans une affaire judiciaire complexe avec Sébastien Riffault, vigneron à Sancerre (Centre-Val-de-Loire). Viticulteur « star » dans le milieu du vin nature, il l’accuse d’avoir relayé des propos diffamatoires tenus à son encontre. Dans ces derniers, le vigneron est accusé d’être l’auteur de harcèlements et de violences sexuelles.

Pour comprendre cette affaire, il faut revenir au Danemark, en février dernier. Sans donner de nom, un témoignage de Lisa Lind Dunbar publié sur un blog met en cause un « vigneron français bien connu » pour des faits de harcèlements et d’agressions sexuelles. À la suite de cette publication, la journaliste danoise pour le média Frihedsbrevet, Maya Tekeli, recueille des témoignages accusant cette « star » du milieu de faits similaires, toujours sans nommer ce vigneron.

L’affaire s’emballe. Bien qu’il ne soit pas cité, Sébastien Riffault est identifié par certains clients. Ils retirent leurs vins de leurs cartes dont les responsables du Noma, le très prestigieux restaurant de Copenhague, comme l’indique le média spécialisé dans le vin Vitisphere. Sur le réseau social Reddit, des commentaires anonymes mettent en cause directement le vigneron. Enfin, un caviste de New-York affiche littéralement le vigneron sur les réseaux sociaux en reprenant ces accusations et en le citant.

Me too du vin : la présidente de Paye ton pinard a été attaqué en diffamation par un vigneron. ©PL/Rue89Lyon
#MeToo du vin : la présidente de Paye ton pinard a été attaqué en diffamation par un vigneron.Photo : PL/Rue89Lyon

#MeToo du vin : les articles arrivent en France relayés par Paye ton pinard

Jusqu’alors à l’étranger, l’affaire arrive en France via Paye ton pinard en mai. L’association, regroupant une cinquantaine d’adhérent·es, reprend sur ses réseaux le témoignage de la blogueuse danoise. Elle reprend également l’article de la journaliste et la publication du caviste new-yorkais. Une décision « collective » précise la vigneronne Isabelle Perraud à Rue89Lyon. En tant que présidente, c’est elle qui va être attaquée en justice.

En juin, un groupe se monte pour soutenir Sébastien Riffault. Une trentaine de professionnels du vin « donnent l’alerte à propos du lynchage médiatique » que connaît, selon eux, le vigneron. L’avocat du berrichon met en demeure le caviste new yorkais pour son post, qui le retire. Il met ensuite en demeure Paye ton pinard. L’association refuse alors de retirer sa publication.

« J’ai subi des pressions pour ne pas parler de l’affaire avant qu’elle sorte en France, assure Isabelle Perraud. C’est ce qui m’a paru louche… »

Isabelle Perraud à l'édition 2022 de Sous les pavés la vigne. Une photo par Houcine Haddouche
Isabelle Perraud à l’édition 2022 de Sous les pavés la vigne.Photo : Houcine Haddouche

La Beaujolaise reprend le fil de la procédure. Après une audience le 1er septembre dernier, le juge des référés (en charge des procédures d’urgence) demande le retrait d’une publication le 22 septembre – celle postée par le caviste new yorkais – des réseaux. Il condamne également Isabelle Perraud à verser 500 euros au vigneron.

« Elle a été condamnée à verser une avance pour dommage et intérêt », martèle Sébastien Riffault auprès de Rue89Lyon.

Faux et « achi faux », répond Isabelle Perraud.

Les sommes ont été versées pour rembourser les frais de l’avocat de l’audience en référé, au titre de l’article 700 du code de procédure civil. Dans sa défense, l’avocat d’Isabelle Perraud a demandé à ce que le juge en référé soit considéré comme « incompétent » pour juger « sur le fond » l’affaire. Une chose qui a été faite. Le jugement a ainsi été renvoyé à une autre juridiction.

« Je n’ai pas du tout été condamnée à verser quoi que ce soit des 300 000 euros de dommage et intérêt qu’il réclame ! », s’énerve-t-elle.

Contacté, le tribunal judiciaire de Bourges refuse de communiquer sur le dossier « car il n’y a pas de décision rendue sur le plan pénal ». Il confirme cependant que les dossiers ont été « disjoints ». Autrement dit, le traitement du caractère diffamatoire n’a pas encore eu lieu.

Isabelle Perraud : « Est-ce qu’on doit céder et ne plus en parler ? »

Confronté à une importante perte de son chiffre d’affaires, Sébastien Riffault met la responsabilité sur les épaules de la vigneronne du Beaujolais.

« Sur les accusations au Danemark, mon nom n’est mentionné nulle part, rappelle-t-il. On est seulement dans un rapport de cause à effet. Je ne peux rien faire ! »

Il le rappelle : aucune plainte n’a été déposée contre lui. Il s’agit donc, selon lui, uniquement de « rumeurs » colportées par une « blogueuse ». En face, Isabelle Perraud met, elle, en avant le travail d’enquête de la journaliste Maya Tekeli, à côté du témoignage paru en amont. Elle précise avoir été plusieurs fois en contact avec cette journaliste.

Fatiguée, elle s’agace. Depuis le début de l’affaire, elle aussi a perdu un nombre important de clients. Si certains se taisent, d’autres prennent position pour le vigneron. Dans ce contexte, elle comprend d’autant plus celles qui n’osent pas prendre la parole contre les agressions sexuelles.

« Est-ce qu’on doit céder et ne plus en parler ? Cette attaque nous dit clairement : taisez-vous ! », lâche-t-elle.

Le 6 décembre prochain aura lieu une audience de procédure. Elle ne sera sûrement pas la dernière. Dans cette affaire, Sébastien Riffault va tenter de faire condamner sur le fond la présidente de Paye ton pinard pour diffamation. Isabelle Perraud devra, elle, prouver sa « bonne foi ». Pour cela, elle compte sur deux témoignages venus de Suède et du Danemark.


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