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Hébergement d’urgence dans le Rhône : le gouvernement fait marche arrière sur les suppressions de places prévues

[Article mis à jour le 31 octobre] Le gouvernement prévoyait de supprimer plusieurs milliers de places d’hébergement d’urgence entre 2022 et 2023, dont 430 dans le Rhône. A la suite de la mobilisation d’élus locaux et d’associations, le ministre délégué au logement a annoncé le 28 octobre qu’il renonçait à ce projet.

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[Article initialement publié le 22 octobre] Le projet de loi de finance prévoit la fermeture de 14 000 places en hébergement d’urgence entre 2022 et 2023. Dans le cadre de cette loi, 430 fermetures de place sont envisagées dans le Rhône pour 2022. La préfecture indique que ces fermetures n’auront pas lieu « dans les mois à venir. » Cette décision signe la fin d’une politique plus protectrice mise en place pendant la crise sanitaire, entre 2020 et début 2022.

« Un toit c’est un droit », scandent des manifestants devant la préfecture, ce 17 octobre « journée mondiale du refus de la misère ». Plusieurs banderoles tendues demandent aux services de l’État de loger les personnes sans-domicile et leurs enfants. Pour cela, la préfecture du Rhône dispose d’un peu moins de 8000 places d’hébergement. À cela s’ajoutaient 500 places exceptionnelles et provisoires ouvertes pour l’hiver 2021-2022. Un dispositif insuffisant mais qui a été augmenté lors de la crise sanitaire. Cette politique solidaire devrait prendre un coup d’arrêt.

Sur toute la France, le projet de loi de finance 2023 (PFL 2023) prévoit la fermeture de 7000 emplacements en hébergement d’urgence cette année, et de 7000 autres l’année prochaine. Selon nos informations, dans le Rhône, 430 places pourraient être supprimées.

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Lors d’une manifestation, lundi 17 octobre, les militants de Jamais sans toit ont demandé à la préfecture de mettre à l’abri des familles en hébergement d’urgence dans le Rhône.Photo : MA/Rue89Lyon

« Logement d’abord » et fin de la politique de protection liée à la crise sanitaire

Contactée par Rue89Lyon, la préfecture explique que, pour le moment, « la fermeture de 430 places n’est pas programmée dans les mois à venir. » Selon les services de l’État : « Les arbitrages ne sont pas encore tous rendus » car le plan hivernal est en cours de préparation et la préfecture ne souhaite pas s’avancer sur la loi de finance qui n’a pas encore été votée.

Selon nos informations, la possible fermeture des 430 places concernerait deux sites d’hébergement et une trentaine de places d’hôtel.

En réponse, la préfecture ne dément pas mais spécifie que :

« Des sites utilisés actuellement à des fins d’hébergement dans le cadre de mises à disposition temporaires ont vocation à être rendus à leur propriétaires dans les prochains mois (…) Une recherche de sites adaptée est en cours pour transférer une part de cette offre sur d’autres lieux.»

Elle mentionne qu’une partie de ces places doivent être redirigées vers « des réponses plus qualitatives, notamment de logement adapté et accompagné».

Cette stratégie s’inscrit dans la politique du « logement d’abord » initiée en 2017. Comprendre : plus de places en logement pérenne à bas coût, et moins en hébergement d’urgence. Selon la préfecture, dans le Rhône, le dispositif d’intermédiation locative a augmenté de près de 1000 places entre 2021 et 2022 et compte actuellement 2175 places.

Seul problème de cette stratégie : les publics les moins insérables, aux situations administratives précaires (comme des personnes sans papiers par exemple) pourront difficilement accéder à ce parc de logement. Elles seront redirigées vers les places en hébergement d’urgence.

L’hébergement d’urgence dans le Rhône dépend d’une politique nationale

Une tribune du collectif des associations unies, parue dans le Journal du dimanche, signée par des députés (notamment des députés de la majorité) et des associatifs, appelle à poursuivre le financement de places d’hébergement d’urgence.

Un amendement au projet de loi de finances (PLF) avait été déposé par Stella Dupont, députée Renaissance, pour que ces places soient maintenues. Il a aussi été signé par trois députés renaissance du Rhône : Thomas Rudigoz (1ere circo), Anne Brugnera (3e circo) et Sarah Tanzili (13e circo). Il a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, qui «interdit toute création ou aggravation d’une charge publique.»

Depuis la crise du covid, les services de l’Etat avaient opté pour une stratégie dite de la fin de la « gestion au thermomètre. » En résumé : cela signifie une augmentation du nombre de places pérennes en hébergement d’urgence mais pas d’ouverture de sites d’hébergement pour l’hiver. Priorité au logement, disent les services de l’État.

Sauf que, dans l’agglomération lyonnaise, il y a comme un effet bouchon. L’hébergement d’urgence et l’accès au logement à bas coût est saturé et presque aucune nouvelle personne à la rue n’est donc hébergée. Sans intervention de l’État, les tentes qui ont fait leur apparition dans Lyon risquent donc de rester en place.

Alynea, association lyonnaise qui accompagne les personnes en situation de précarité, a signé la tribune parue dans le JDD. Une prise de position forte, puisque Alynea travaille avec les services de l’État.

« On se retrouve face à des situations auxquelles nous n’étions plus habitués, réagit Maud Bigot, directrice opérationnelle du pôle veille social à Alynea. Par exemple, un enfant de deux mois avec un père et une mère, dépendant des services de l’État, ne va pas être pris en charge. »

Selon nos informations, 1242 personnes restaient sans solution après avoir appelé le 115 dans les rues du département du Rhône début octobre. Des chiffres à prendre avec des pincettes. Nombre de sans-abris n’appellent plus ce numéro par lassitude et les familles à la rue ont également tendance à ne pas demander cette aide. Selon la préfecture, la Maison de la veille social reçoit chaque année environ 2600 demandes d’hébergement d’urgence.

Enfants à la rue : une question qui mobilise dans le Rhône

Sur le sans-abrisme, ce qui choque le plus, à Lyon et en France, reste sans doute la question des enfants à la rue. Le collectif Jamais sans toit, qui se mobilise pour les mineurs scolarisés et sans abri, dénombre 197 enfants sans domicile dans la métropole de Lyon. Presque trois fois plus que l’année précédente. Raphaël Vulliez, porte-parole de JST, explique cette différence :

« On retrouve les niveaux d’avant covid. L’année dernière, il y avait beaucoup moins de familles à la rue parce que de 2020 à mars 2022, les familles étaient prises en charge à l’hôtel par la préfecture et la Métropole de Lyon.»

Le militant, également professeur des écoles, s’inquiète de l’hiver qui arrive et des suppressions de places annoncées. « Il va y avoir un drame. On a compté 26 bébés à la rue. Avant, c’était très rare», souffle-t-il. Une situation qui alarme aussi Henri Branciard, de l’association CLASSES069. Il œuvre pour la scolarisation des élèves sans-abri. Avec émotion, il évoque une famille à qui il a rendu visite :

« Dans une tente, il y avait une maman avec un bébé de 7 mois et une petite de deux ans. Jamais sans toit compte uniquement les enfants scolarisés et leurs frères et sœurs mais il y a aussi tous ceux qui ne sont pas à l’école. Ce nombre est inconnu.»

Des occupations d’école dans le Rhône pour lutter contre le sans-abrisme

Alors, pour mettre à l’abri les enfants à la rue, les militants de Jamais sans toit occupent des écoles. À l’aube des vacances de la Toussaint, cinq écoles sont investies pour loger les familles à Lyon et Villeurbanne. On retrouve notamment l’école Berthelot (7e), l’école Joannès-Masset (9e), l’école Jean-Pierre Veyet (7e) à Lyon et l’école Lazare-Goujon à Villeurbanne. D’autres écoles se mobilisent par des cagnottes pour loger les familles en hôtel ou en hébergement citoyen.

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À Lyon et dans le Rhône, plusieurs écoles sont mobilisées pour des enfants scolarisés et sans domicile.Photo : MA/Rue89Lyon

Ces occupations servent à loger les familles, mais aussi à maintenir un rapport de force avec les pouvoirs publics pour obtenir des places d’hébergement. L’annonce de la suppression de places et l’absence de plan froid préoccupent Raphaël Vulliez :

« Cette année il n’y a pas de perspectives. Auparavant, on disait aux familles qu’on allait occuper et tenir bon jusqu’à l’ouverture de places début décembre. »

Hébergement d’urgence : des occupations d’école au lobbying politique

Le 27 septembre 2022, le ministre du Logement Olivier Klein était questionné par BFM Lyon au sujet des enfants sans abri dans le Rhône. Il s’est engagé à trouver des solutions, toujours attendues.

« C’est une situation inacceptable, les enfants doivent avoir un toit et doivent être protégés. Sur cette situation, j’ai saisi le préfet de région qui m’a assuré qu’une solution allait être trouvée. Au-delà de ce cas particulier, l’ensemble du gouvernement et du ministère est mobilisé pour que ces situations n’existent pas. »

Sur la base de cet engagement, Jamais sans toit espère que la fermeture de places prévue dans la loi de finances sera abandonnée. Pour peser, le collectif a monté un réseau national avec des collectifs similaires d’autres villes en France. JST en est la tête de proue, car ses militants font office « d’anciens » dans ce combat.

En lien avec des parlementaires, notamment la députée écologiste de la 3e circonscription du Rhône, Marie-Charlotte Garin, ce réseau espère peser à l’Assemblée Nationale. Avec le collectif des associations unis, Jamais sans toit y a donné une conférence de presse lundi 17 octobre.

Zéro enfants à la rue à Lyon : la mairie intervient dans l’hébergement d’urgence

Localement, à Lyon, la mairie écologiste s’était engagée sur la question des enfants sans-abris, alors même que l’hébergement d’urgence ne fait pas partie de ses prérogatives. En 2021, l’adjointe au maire chargée des solidarités et l’inclusion sociale, Sandrine Runel, annonçait le plan « Zéro enfants à la rue« .

Ce plan consistait à mettre du patrimoine vacant de la mairie à disposition de la préfecture pour y créer des places d’hébergement d’urgence pour les familles. Elle s’est aussi engagée à ne pas expulser les écoles occupées. Si la volonté politique est clairement affichée, dans les faits, des enfants restent sans solution à Lyon.

« Aujourd’hui la Ville accueille beaucoup de familles dans ses écoles. Ce n’est pas le lieu, il y a besoin de places d’hébergement. Dans les prochaines semaines, la Ville devrait conventionner dix logements de fonction vacants pour renforcer le plan Zéro enfants à la rue. Mais cela prend du temps, et ça ne suffira pas», détaille l’adjointe au maire.

Dans le Rhône, le 17 octobre 2022, Jamais sans toit recensait 197 enfants à la rue dans la Métropole de Lyon. ©MA/Rue89Lyon
Dans le Rhône, le 17 octobre 2022, Jamais sans toit recensait 197 enfants à la rue dans la Métropole de Lyon.Photo : MA/Rue89Lyon

Sur la stratégie du gouvernement de ne pas ouvrir de places pour cet hiver, et même d’en supprimer, l’adjointe s’interroge :

« Je ne sais pas comment ils vont pouvoir faire. Il y a des gens à la rue et des tentes un peu partout à Lyon. Nous ne sommes qu’en octobre et je suis inquiète de ce que le gouvernement est en train de faire, ou, plutôt, de ne pas faire. »

Du côté de JST, on évoque deux solutions possibles pour éviter l’engorgement des dispositifs d’hébergement d’urgence. Raphaël Vulliez cite la réquisition de logements vacants, qui seraient près de 18 000 dans la métropole. Il évoque aussi la régularisation de personnes sans papiers, ce qui pourrait leur permettre d’accéder au marché du travail, puis au parc locatif privé. Deux prérogatives qui relèvent de la préfecture.


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