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Dark kitchens à Lyon et Villeurbanne : « ce modèle vide nos cœurs de ville de ce qui fait leur singularité »

Les dark kitchens comme les dark stores se multiplient à Lyon depuis les confinements de 2020 qui ont joué le rôle d’accélérateur de la demande de livraison à domicile. Les exécutifs de Lyon et Villeurbanne redoutent des villes fantômes mais disposent de peu d’outils pour s’opposer à ce phénomène.

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Dans le 8ème arrondissement de Lyon, Rue Audibert et Lavirotte, la dark kitchen Out Fry est installée juste derrière les tables du Pizza Hut. Les livreurs attendent en face les commandes. ©Marine Delrue/Rue89Lyon 2022.

De l’ombre, les dark kitchens et les dark stores sont revenues dans la lumière médiatique. Un projet d’arrêté ministériel pourrait permettre de faciliter leur installation dans les villes. Une dizaine d’élus de plusieurs grandes villes, dont Lyon et Villeurbanne, sont montés au créneau. Dans une lettre adressée à la Première ministre, ils font part de leurs craintes :

« Le risque est de voir se démultiplier sur nos territoires ces établissements qui, même dotés d’un comptoir d’accueil, n’en resteraient pas moins des entrepôts ou des cuisines opaques ».

Lettre du 19 août 2022 signée par une dizaine d’élus dont les maires de Lyon et Villeurbanne, destinée à la première Ministre, Élisabeth Borne

Le maire PS de Villeurbanne, Cédric Van Styvendael, avait refusé en février 2022 l’installation d’une grande dark kitchen Deliveroo sur son territoire. Cette dernière aurait pu avoisiner les 4 000 livraisons journalières, selon le maire de la ville :

« Quand j’ai fait ce coup d’arrêt, tous les restaurateurs m’ont dit merci. En venant concurrencer le commerce et les services de proximité, ce modèle vide nos cœurs de ville de ce qui fait leur attractivité, leur qualité de vie et leur singularité ».

Les dark stores et les dark kitchens se sont multipliés dans le centre de la métropole, à Lyon et Villeurbanne.

La ville de Villeurbanne recense 8 dark kitchens en activité.

dark kitchen Villeurbanne
Dark kitchen du restaurant Fuzi, située dans le quartier de Charpennes à VilleurbannePhoto : Marine Delrue/Rue89Lyon 2022.

Du côté de Lyon, les dark kitchens sont beaucoup plus nombreuses que les dark stores, mais la Ville de Lyon a dû mal à les dénombrer (lire encadré) et estime qu’il y en aurait plusieurs dizaines dont sept « labos », c’est à dire des entrepôts qui hébergent plusieurs dark kitchens.

On peut dater le début de ces implantations à grande échelle de ces locaux commerciaux borgnes aux confinements de 2020, période durant laquelle la demande de livraison de repas à domicile a fortement augmenté.

La convivialité mise à l’épreuve par les dark kitchens ?

En créant des entrepôts et des cuisines uniquement réservés à la vente en ligne et à la livraison, les élus redoutent des villes fantôme. Si Grégory Doucet, maire EELV de Lyon, n’a pour le moment, refusé aucune dark kitchens sur le territoire de la ville, il considèrent que ces locaux sont « un danger majeur pour la convivialité et la qualité de vie urbaine ».

Outre une « convivialité » des centres urbains menacée, les élus pointent également les « nuisances » engendrées par la multiplication des dark stores et dark kitchens : la pollution et le bruit.

Camille Augey, adjointe EELV en charge du commerce, explique :

« On est passé d’un modèle où les livreurs étaient à vélo, à des scooters parce qu’il faut livrer toujours plus vite. On a donc vu la hausse du nombre de scooters en ville, ce qui engendre de la pollution, des nuisances sonores et des risques pour la sécurité routière ». 

Les élus mettent également en avant l’occupation de l’espace public, puisque des livreurs stationnent près des dark kitchens en attendant de récupérer les commandes.

Dans le 8ème arrondissement de Lyon, Rue Audibert et Lavirotte, la dark kitchen Out Fry est installée juste derrière les tables du Pizza Hut. Les livreurs attendent en face les commandes.Photo : Marine Delrue/Rue89Lyon 2022.

Restaurants à Lyon, une présence qui rassure dans la rue

Dans le premier arrondissement de Lyon, à l’angle des rues du Garet, Giuseppe Verdi et de l’Arbre Sec, pas de livraison, pas de chauffeurs qui attendent devant les portes, seulement des plats servis sur place.

Le souvenir des rues vidées par les confinements semble bien loin. Les tables des restaurants se remplissent, même en pleine semaine d’août.

Dark kitchens Lyon Café 203 en début d'après midi ©Marine Delrue/Rue89Lyon 2022.
Café 203 en début d’après midiPhoto : Marine Delrue/Rue89Lyon 2022.

Grâce à sa terrasse qu’il paye « 8 000 euros l’année », Christophe Cédat, gérant du Café 203, au cœur de l’Arbre Sec, donne de la vie au quartier. D’après lui, « les lieux qui souffrent des dark kitchens sont les lieux où la convivialité est appauvrie ».

Il ajoute, en taclant les élus écologistes comme cette figure de la restauration lyonnaise en à l’habitude :

« Les dark kitchens existeront de plus en plus, car on ne fait rien pour nous aider à entretenir la convivialité. Réduire l’amplitude des terrasses pour développer des voies piétonnes et les terrasses des autres commerces ne va pas dans le sens d’une politique contre les dark kitchens ».

Au-delà de la convivialité qui se dégage de ces terrasses, parmi les restaurateurs du quartier de l’Arbre Sec, l’avis est unanime : la présence de restaurants rassure. Et afin d’assurer cette sécurité, le Café 203 et l’Ultimo, positionnés l’un en face de l’autre, ont pris également l’initiative d’employer une personne pour assurer la sécurité de leurs terrasses les week-ends.

Des investissements limités avec la dark kitchen

Pour s’installer à cet emplacement dans l’hypercentre de Lyon, Cyril, chef et gérant de l’Ultimo, a dépensé 500 000 euros de fonds de commerce. À cela, il a dû ajouter 200 000 euros de travaux. Un investissement bien plus important que celui des dark kitchens qui répondent à une autre logique d’entrepreneuriat.

« Avec le secteur de la restauration qui peine à trouver du personnel, il n’est pas étonnant que des restaurateurs se tournent vers ce modèle qui coûte moins cher en termes d’installation et de personnel ».

A contrario, Raphael Roques, co-fondateur du « Food’Lab », entreprise proposant la location de cuisines destinées à devenir des dark kitchens, explique la philosophie des dark kitchens :

« Cela permet de commencer vite, à moindres frais et sur une courte durée d’engagement ».

Intégrer « Food’Lab » ne nécessite pas de fonds de commerce à acheter. Il est demandé un engagement sur seulement un an, le tout pour un investissement minimal de départ de 5 000 euros. Et quasiment tous les travaux faits.

Dark kitchens Lyon
Couloir du Food’Lab Lyon 9 à 9h53, réunissant 17 dark kitchens.Photo : Marine Delrue/Rue89Lyon 02/08/2022.

Pour les livraisons, les dark kitchens s’inscrivent sur des plateformes en ligne comme Deliveroo, Uber Eats ou Just Eat. Une logique très différente de celle des restaurants de la rue de l’Arbre Sec :

« le système Uber me dégoûte à cause des mauvaises conditions de travail et de l’injonction à la performance », déclare Cyril, gérant de l’Ultimo.

Dark kitchens à Lyon : un système dépendant des plateformes de livraisons

Camille Augey, adjointe à la ville de Lyon en charge de l’emploi et de l’économie durable, invoque également « l’ubérisation » pour également s’opposer à ce phénomène des darks kitchens :

« Ces plateformes reposent sur une rémunération basse, pas de protection sociale et une grande précarité parmi les livreurs. Ce système ne sécurise personne et se base sur la pression de la rentabilité ».

S’il assure qu’il n’a rien contre le principe de livraison à domicile, le maire de Villeurbanne Cédric Van Styvendael s’interroge :

« Les dark kitchens pourraient nous mener à des villes fantôme, avec des vitrines factices qui dissimulent une armée de personnes plus ou moins bien payées et sécurisées par le droit du travail. Dans cette soif de l’immédiateté qu’on a tous, quelle ville construisons-nous ? »

« Dans l’idée, la dark kitchen ne vient pas en contradiction avec les restaurants »

Raphael Roques, co-fondateur du Food’Lab, défend le modèle des dark kitchens. Pour lui, « la dark kitchen ne vient pas en contradiction avec les restaurants, ce sont deux logiques différentes ».

« C’est comme Uber et les taxis, si les dark kitchens existent, c’est qu’elles répondent à une demande. Les habitudes de consommation ont évolué et les plateformes aussi. Les gens ont envie de se nourrir autrement et il faut en prendre conscience ».

Il ajoute :

« Cela n’empêche pas les restaurants de faire de la livraison. En plus, on propose à des restaurants de se lancer, ce qui diversifie l’offre de restauration grâce à des typologies différentes et qualitatives ».

L’une des explications à la large gamme de choix réside dans le fait qu’une dark kitchen peut héberger plusieurs marques, assurant une réduction des coûts et une livraison plus rapide.

Dark kitchens Lyon Dans la dark kitchen 17 du Food'Lab Lyon 9, les marques Kinoko, Kino'Bowl, Krispy Koï, Umami Ramen et Gua Bao Shop sont préparées au même endroit. ©Marine Delrue/Rue89Lyon 2022.
Dans la dark kitchen 17 du Food’Lab du 9ème arrondissement de Lyon, les plats des « restaurants » Kinoko, Kino’Bowl, Krispy Koï, Umami Ramen et Gua Bao Shop sont préparées au même endroit.Photo : Marine Delrue/Rue89Lyon 2022.

Le Food’Lab de Lyon 9 génère entre 500 et 1 000 livraisons quotidiennes, grâce aux 17 cuisines de l’ombre et à leurs 51 employés.

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