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Violences policières à Lyon : le procès de deux agents de la BAC reporté dans un climat tendu

Ce vendredi 1er avril devait s’ouvrir à Lyon le procès de deux agents de la BAC pour des violences policières contre Arthur Naciri. Devant une audience incrédule, l’audience a été renvoyée pour la quatrième fois.

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Arthur Naciri au tribunal de Lyon

De vifs échanges, ce vendredi après-midi au tribunal, ont tendu une atmosphère déjà lourde dans cette affaire médiatique que Rue89Lyon avait lancée en publiant les premières images des violences. Récit.

« Ça me fait péter un plomb ! »

Ces mots, ce sont ceux d’Arthur Naciri. Ce vendredi 1er avril 2022, le jeune homme s’est rendu au tribunal de Lyon pour la troisième fois pour assister au procès de deux policiers jugés pour des faits de « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » à son encontre. Ces derniers sont accusés de lui avoir « brisé la mâchoire » et neuf dents, en marge d’une manifestation contre la réforme des retraites datant de décembre 2019.

Ce vendredi, le matin précédent l’audience programmée de longue date, Arthur Naciri a appris que le procès allait être renvoyé pour la quatrième fois. Une annonce faite dans un climat de fortes tensions qui a emmené un geste d’intimidation incompréhensible du côté d’un soutien des policiers.

Devant une salle pleine de journalistes, le tribunal a expliqué devoir décaler le procès à cause d’une autre affaire, retenue sur cette même date. « Nous n’avons, de plus, reçu le complément d’information que la semaine dernière », a complété la magistrate. Elle a alors proposé alors de juger l’affaire le 13 septembre. Une date qui ne convient par ailleurs pas à l’un des deux policiers.

« Serait-il possible de décaler la date après le 18 septembre ? », a demandé leur avocat, Laurent-Franck Liénard.

Violences policières à Lyon
Arthur Naciri à la sortie de son troisième passage au tribunal de Lyon, le 1er avril 2022.Photo : PL/Rue89Lyon.

Une scène d’intimidation devant la salle d’audience à Lyon

Devant des soutiens d’Arthur Naciri médusés, la juge a ainsi accordé cette demande à la défense. Prévue initialement le 10 décembre 2020, le procès aura lieu (en théorie) le 22 septembre 2022. Soit presque trois ans après les faits (lire par ailleurs).

Assez vite, les esprits se sont échauffés. En sortant de la salle d’audience, Arthur Naciri a apostrophé les policiers d’un : « Bonnes vacances ! », faisant référence à sa demande de report. Un des soutiens de l’agent, non identifié, est revenu sur ses pas. Après avoir marché quelques mètres, il est venu pointer son visage à quelques centimètres du visage d’Arthur. L’index sur le nez, il lui a ainsi intimé de se taire avec un « chut », avant de repartir.

Fait devant témoins, ce geste d’intimidation a envenimé une ambiance déjà délétère. Le jeune homme a fini par retenir son père pour que personne n’en vienne aux mains.

« Non mais vous vous rendez compte ? Dans un palais de justice ! », a crié son père.

« Je vais encore passer tout l’été à penser à ça »

Interrogé à chaud, le jeune homme était hors de lui :

« Je vais encore passer tout l’été à penser à ça, a-t-il lancé. La raison de tout ça, c’est que la justice est nulle, voilà. »

Il a aussi craqué :

« Ils veulent que je fasse une grève de la faim ou quoi ? »

Cela fait deux ans et demi qu’il attend ce procès. Depuis les images de sa bouche ensanglantée révélées par Rue89Lyon, l’affaire a eu une résonance médiatique importante. Mais l’aspect juridique patine.

« On avait trouvé que la justice allait vite lorsque l’on a eu notre première date de procès. Aujourd’hui, on peut juste dire qu’elle a retrouvé son rythme normal », ironise avec une pointe d’aigreur son avocat, Thomas Fourrey.

Ce dernier ne comprend pas le motif du renvoi. Le fameux « complément d’information », une expertise vidéo de l’affaire, était sur son bureau depuis février. Pourquoi le tribunal ne l’a-t-il pas eue avant ?

« Ce dossier est un symbole, il montre que l’institution judiciaire va mal. Les magistrats ne sont pas assez nombreux et on voit ici les conséquences de cette situation. »

Du reste, l’avocat d’Arthur Naciri s’interroge sur l’attitude du « comparse » des agents venu défier son client. « J’espère qu’il y aura des retombées à ce propos ».

La guerre des images encore reportée

Parti à la va-vite avec les prévenus, l’avocat de la défense, Laurent-Franck Liénard, n’est pas resté pour répondre aux questions de la presse. Dans ce contexte tendu, il n’a pas pu préciser la raison de la demande de ce report. En-tout-cas, après avoir réalisé un coup de poker en février 2021, il éloigne encore le moment de la bataille des images.

Car celles-ci sont bien là. Révélées par Rue89Lyon, des photos et vidéos ont permis de réaliser plusieurs analyses du jour du drame.

Les soutiens d'Arthur Naciri
Violences policières à Lyon : des images de la bouche ensanglantée d’Arthur Naciri ont été montrées à la sortie du tribunal.Photo : PL/Rue89Lyon.

Vidéos de violences à Lyon : la nouvelle expertise n’identifie toujours pas le policier

Selon les conclusions de l’expertise du service national de la police scientifique, que Rue89Lyon s’est procurées, un policier est incriminé. Elles s’appuient, notamment, sur les vidéos tournées par les caméras de surveillance autour de la place Bellecour.

Le rapport, demandé par l’avocat des deux policiers, identifie un agent, responsable de plusieurs coups de BTD (bâton télescopique de défense). Arrivé au moment du coup fatal, l’arbre, selon le rapport, empêche de voir le responsable.

« Le porteur de téléphone s’éloigne, ne permettant pas d’en décrire plus », indique même le rapport. Un affirmation (un regret ?) qui résonne tout particulièrement avec les débats ayant eu cours l’année dernière contre la loi de sécurité globale.

« Nous n’apercevons pas de coups portés au visage d’Arthur Naciri », indique la police scientifique.

Pourtant, le rapport médical, lui aussi demandé par le tribunal est clair : les liaisons au niveau de la face sont évocatrices de l’utilisation « d’un objet contondant, sans pouvoir préciser le type d’arme utilisée ». Le jeune homme ne s’est donc pas cassé les dents en tombant sur le trottoir, ce que la défense avait pu suggérer.

Une analyse montre des violences de deux policiers

En face, le collectif de soutien aux victimes de violences policières Flagrant Déni a une autre version des faits. « On a les mêmes images, commente l’un d’eux. La différence, c’est qu’on n’a pas cherché la même chose. »

Grâce à un travail de concordance des différentes sources d’images, de deux vidéos et de photos prises sur le moment, le collectif (autrefois appelé comité contre les violences policières) retrace le moment où la victime se fait attraper par les forces de l’ordre, tiré par terre, et frappé au sol.

Il montre qu’un policier a été oublié car ils sont au moins deux à avoir donné des coups de tonfa à Arthur.

Mais pour l’avocat des agents, Laurent-Franck Liénard, cette vidéo n’a que peu de poids face à la nouvelle expertise de la police scientifique. Elle reste à son avantage : le policier porteur du coup au visage n’est pas identifié. Une « brebis galeuse », selon les termes qu’il avait lui-même employés l’an dernier, courrait toujours au sein de la police, mais ne serait aucun de ses deux clients.

Violences policières à Lyon : une première manche judiciaire en attente

Il faudra attendre pour confronter leurs versions. L’avocat de la partie civile, Thomas Fourrey, a demandé à la juge si le tribunal pouvait s’attarder sur une nouvelle vidéo. Cette dernière a accepté. Cela jouera-t-il en faveur d’Arthur Naciri ? Méfiant, son avocat appelle à la prudence pour la suite.

« La première instance n’est parfois que la préparation de l’appel. Il faudra être patient… »

À ce rythme, la partie pourrait continuer jusqu’en 2024. Une chose qui ne semble pas faire peur au jeune homme. Arthur Naciri travaille actuellement toujours pour payer ses frais dentaires. Via le procès, il espère bien se les faire rembourser. « Et en attendant, eux [les agents de la brigade anti-criminalité, BAC, ndlr], ils continuent de travailler comme si de rien n’était… », s’est-il agacé.

En septembre, son avocat pourrait demander à ce que les agents soient jugés pour « violences en réunion ». Cette qualification pourrait alors aboutir à la condamnation des deux policiers avec un facteur aggravant. Si le procès a bien lieu, le verdict sera lui connu un mois plus tard.


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