Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Comment va l’eau du Rhône ? « Le problème, c’est surtout les pesticides »

[Série] Rue89Lyon tente d’estimer la pollution qui touche le Rhône en abordant dans un premier temps la pollution chimique et ses conséquences.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.

Quais de Rhône avec vue sur le pont de la Guillotière, le 12/04/2019. ©NP/Rue89Lyon.

Olivier Fontaine est chef de projet à l’Agence de l’eau Rhône Corse Méditerranée. Son travail est de surveiller la qualité des cours d’eau en analysant les 850 points d’observation répartis sur le fleuve Rhône et ses affluents. Pour juger de cette qualité, la méthode est très simple :

« Toute qualité d’eau est comparée à sa source, où l’on trouve la qualité optimale. »

L’optimal de la qualité de l’eau, c’est là où l’homme n’a pas encore pu l’altérer. Olivier Fontaine poursuit :

« On classe les cours d’eau par couleur. Le bleu, c’est quand on est quasiment dans une situation de référence. Le jaune, l’orange ou le rouge, ça veut dire que la qualité de l’eau est de plus en plus dégradée. »

Quand l’eau se dégrade, la faune et la flore ont alors de plus en plus de mal à se développer :

« Normalement on peut observer jusqu’à 50 espèces dans une eau non dégradée. Quand les indicateurs sont au rouge il ne reste plus que quelques espèces, comme les parasites : les vers, les sangsues… »

Le Beaujolais, point noir de la qualité de l’eau dans la région

Au nord de Lyon, la majorité des cours d’eau sont en rouge sur la carte de l’Agence de l’Eau. Olivier Fontaine l’explique :

« C’est le Beaujolais. Toute la chaîne alimentaire y est bouleversée à cause des pesticides utilisés par les viticulteurs. »

Carte de l'Agence de l'Eau portant sur l'état des cours d'eau des bassins Rhône-Méditerranée et Corse de 2015 à 2017 : la moitié des cours d'eau sont en bon état.
Carte de l’Agence de l’Eau portant sur l’état des cours d’eau des bassins Rhône-Méditerranée et Corse de 2015 à 2017 : la moitié des cours d’eau sont en bon état.

Olivier Fontaine confesse un certain sentiment d’impuissance :

« L’Agence de l’Eau ne peut pas mettre les viticulteurs face à des arguments réglementaires réellement contraignants. On les incite à moins polluer en leur versant des aides pour que les agriculteurs puissent se convertir au bio. »

« 608 nouveaux produits de synthèses ont été trouvés dans l’eau du Rhône et les bassins avoisinants »

Les substances les plus toxiques présentes dans les pesticides ont pourtant été retirées du marché et le prix de celles restantes a aussi été augmenté. Cependant, les pesticides continuent de représenter l’un des polluants les plus dangereux pour la faune et la flore. L’autre souci est qu’ils ne sont pas les seuls produits concernés :

« Il y a aussi les fongicides (produits anti-champignons). Avec les épidémies de mildiou qu’il y a eu cette année, on a vraiment peur des quantités qui seront épandues au cours des années à venir. »

Plus généralement, l’agriculture intensive altère grandement la qualité de l’eau du Rhône :

« Dans une étude réalisée entre 2016 et 2018, 608 nouveaux produits de synthèses ont été trouvés dans le Rhône et les bassins avoisinants. 325 substances différentes ont été identifiées. La plus présente est l’AMPA, un métabolite du glyphosate. »

Le risque de contamination de l’eau par les pesticides, une pollution diffuse dont il est parfois difficile de situer l’origine précise, reste prégnant pour 26% des cours d’eau, principalement situés dans le Beaujolais.

Une réglementation de plus en plus stricte mais insuffisante

Si on prend un peu de hauteur, la qualité de l’eau du Rhône se serait nettement améliorée depuis les années 1990. Olivier Fontaine explique :

« Dans les années 1970-1980, il y avait encore des villages qui vidaient leurs eaux usées directement dans le Rhône. »

Pour ne citer qu’elle, la pollution en ammonium par exemple, a été divisée par 20 en 30 ans dans la région. Le grand lyonnais serait-il devenu plus propre ? D’après Olivier Fontaine :

« Pas forcément. On ne rejette pas moins de choses, c’est juste qu’on nettoie mieux. »

Carte de l'Agence de l'Eau représentant l'évolution de la concentration moyenne en ammonium dans l'eau.
Carte de l’Agence de l’Eau représentant l’évolution de la concentration moyenne en ammonium dans l’eau jusqu’à 2018.

La seule amélioration visible dans les rejets humains fait suite à des adaptations de la législation française. Par exemple, l’ajout de phosphate dans les lessives a été interdit. Olivier Fontaine en profite pour rappeler la responsabilité individuelle dans la pollution des cours d’eau. Il met notamment en avant la présence de nombreux produits phytosanitaires difficilement filtrables dans le Rhône :

« On a un pic de pollution en aval de Lyon à cause des produits de nettoyage utilisés à échelle individuelle par les Lyonnais. Beaucoup des produits vendus en grande surface ne permettent pas un filtrage optimal. »

« La Vallée de la Chimie ne pollue pas beaucoup plus que les Lyonnais au final »

Olivier Fontaine, chef de projet à l'agence de l'eau. ©LS/Rue89Lyon
Olivier Fontaine, chef de projet à l’agence de l’eau.Photo : LS/Rue89Lyon

Les industriels aussi ont aussi été contraints de faire mieux suite à des durcissements de la législation :

« La Vallée de la Chimie ne pollue pas beaucoup plus que les citoyens lyonnais au final. C’est vrai que dans les années 70-80 c’était un peu catastrophique, les industriels n’étaient pas obligés de passer par des stations d’épuration pour rejeter leurs eaux usées. »

On trouve quand même dans le Rhône un pourcentage plutôt élevé de perchlorates, des sels très solubles dans l’eau utilisés par les industriels. La pollution par rejets de substances toxiques restent donc préoccupants dans 10% des cours d’eau autour et incluant le Rhône.

D’après Olivier Fontaine, les industries pourraient difficilement tricher sur ce qu’elles rejettent, une pollution soudaine dans les cours d’eau à proximité d’usines serait visible dans leurs échantillons :

« Quand on constate une hausse de pollution industrielle, on finit toujours par en trouver la source. »

Une carte de l'agence de l'Eau sur la concentration de substances toxiques contenant des pesticides dans le bassin du du Rhône.
Une carte de l’agence de l’Eau sur la concentration de substances toxiques contenant des pesticides dans le bassin du du Rhône.

L’impact toxique des pesticides a lui aussi été divisé par deux entre 2008 et 2018 :

« On retire peu à peu le plus toxique des pesticides, mais ce n’est pas suffisant, bien sûr. »

« La présence d’hydrocarbures reste 15 fois supérieure aux normes admises par le Grenelle de l’environnement »

Il en va de même pour les hydrocarbures :

« Ils ont été divisés par 4 au cours des dernières années. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que leur présence reste 15 fois supérieure aux normes admises par le Grenelle de l’environnement. »

Olivier Fontaine insiste :

« On dit souvent que la qualité des cours d’eau se dégrade en France, c’est faux, c’est notre observation qui s’améliore. »

Jean-Pierre Faure, président de la fédération de pêche du Rhône, partage le même constat. La qualité de l’eau est nettement meilleure depuis les années 90. Il précise tout de même :

« Le souci c’est qu’on a été très désinvoltes avec les cours d’eau pendant longtemps, qu’on a du mal à rattraper l’impact dévastateur qu’on a eu pendant de nombreuses années. »

Il pointe du doigt de nombreuses idées reçues qui ont participé à la non-prise en compte de la pollution des cours d’eau par l’opinion publique :

« C’est important par exemple de ne pas toujours penser qu’un cours d’eau va forcément bien car il est transparent. Depuis les années 1970, le Rhône a été colonisé par des corbicules qui filtrent l’eau : des petits mollusques qui se nourrissent des algues. Ils n’ont rien à voir avec la qualité de l’eau. »

Paul Monin est directeur de la réserve naturelle de l’île du Beurre, située en aval de Lyon, sur le Rhône. Il se souvient de l’époque où la régulation était moins stricte à l’égard des industries :

« Jusque dans les années 80 on pouvait voir des nappes de poissons morts arriver. A l’époque c’était les PCB, les hydrocarbures… Maintenant ça n’arrive plus. »

Cependant Paul Monin craint toujours les résurgences de ces pollutions :

« Les concentrations de PCB se sont fixées au fond de l’eau et dans les sables. Ils ont été recouverts par des vagues de sédiments qui se posent en lasagne année après année. Cependant, une tempête, un gros lâché de barrage… peut très bien les exhumer, c’est déjà arrivé. »

« Certains médicaments passent tout droit dans les centrales d’épuration »

L’Agence de l’Eau se penche dorénavant sur des polluants qu’elle était jusqu’alors incapable d’analyser. Olivier Monin détaille :

« Maintenant, on sait retrouver les traces de médicaments dans les cours d’eau. Les stations d’épuration ne savent pas traiter tout ce qui arrive dans leurs stations. Certains produits comme la Metformine (un anti-diabétique) passent tout droit dans les centrales d’épuration. »

Les seules solutions éliminant le produit de l’eau sont très coûteuses. De plus on connaît plutôt mal les effets de ce type de molécule dans l’eau ainsi que les potentiels « effets cocktails » avec d’autres. Le chercheur déclare aussi constater que des bactéries résistantes aux molécules pharmaceutiques se développent. Autre signal plutôt alarmant : certains animaux changent de comportement dans le Rhône. Paul Monin en cite une :

« Les perches [des poissons carnassiers d’eau douce] par exemple sont devenues plus agressives à cause de la présence d’un anti-dépresseur (l’Oxazepam) dans l’eau. »

La contraception hormonale a aussi un impact sur la faune marine, même si le phénomène est difficile à quantifier :

« La pilule contraceptive est difficile à évacuer de l’eau. Elle passe dans les urines et finit par rejoindre les cours d’eau. Des premières études montrent qu’elles provoquent des changements de sexe chez certains poissons. Le problème c’est qu’on en est vraiment aux premières études sur le sujet. »

Une carte de l'agence de l'eau. En vert, la hausse soudaine de la détection de substances d'intérêt émergent, comme les substances pharmaceutiques.
Une carte de l’agence de l’eau. En vert, la hausse soudaine (2015) de la détection de substances d’intérêt émergent, comme les substances pharmaceutiques.

Une fois l’agriculture écartée, ce sont donc les villes de moyenne et grande importance qui ont le plus d’impact sur la qualité de l’eau du Rhône. Olivier Fontaine dresse un bilan sans appel :

« Les contaminants d’intérêt émergent sont les substances pharmaceutiques et les stimulants (nicotines, caféines). Il y en a beaucoup à l’aval de Lyon, même si l’eau est traitée. »

Les micro-plastiques : un risque d’ampleur pour l’eau du Rhône

Les micropolluants qu’on savait mal quantifier jusqu’à récemment semblent eux aussi en augmentation exponentielle au fil du Rhône. Des substances qui peuvent, notamment en s’agglomérant, avoir une action toxique.

La docteure Leila Meisterzheim est chercheuse pour la start-up Plastic at Sea, qui dirige une étude sur l’état de la pollution par les particules de plastique dans le Rhône :

« Les micro-plastiques sont quasi impossibles à enlever de l’eau. Ils sont inférieurs à 5 millimètres. Si on les enlève, on enlève le reste aussi, c’est-à-dire les fondations de la chaîne alimentaire des cours d’eau. »

Le micro-plastiques sont d’une part issus de fuites industrielles, on les nomme « larmes de sirènes ». D’autre part, ils sont aussi fabriqués par le délitement de macro-plastiques. Ingérés en permanence par toute la faune qui se nourrit dans l’eau, ils sont mortifères pour les animaux :

« Pour les oiseaux, on estime a minima qu’ 1,4 million d’oiseaux meurent l’estomac rempli de plastique chaque année en Méditerranée. »

Un autre risque avec ces micro-plastiques : ils sont porteurs d’agents bactériens et de polluants :

« Le plastique joue un rôle d’éponge avec les pesticides, métaux lourds, hydrocarbures, qui se collent au plastique et se détériorent alors moins vite dans l’eau, mais aussi dans l’estomac des poissons qui finissent par les relarguer dans l’eau en l’état. »

La présence de micro-plastiques dans le Rhône agît donc comme un multiplicateur de la durée de vie des polluants. Pour l’instant, il est difficile d’estimer à la fois l’ampleur du phénomène mais aussi les zones où celui-ci a le plus d’impact :

« Le Rhône est un cours d’eau en mouvement, les micro-plastiques s’y déplacent à la vitesse du courant, c’est très difficile d’isoler une seule zone, comme par exemple la région autour de Lyon. »


#Beaujolais

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

À lire ensuite


Voitures et SUV à Lyon

Photo : LM/Rue89Lyon

Plus d'options