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A Lyon, des actrices afghanes réfugiées au théâtre : « Quand nous jouions, nos familles n’étaient pas au courant »

Depuis mi-septembre, une troupe de théâtre composée d’actrices afghanes est arrivée à Lyon. Accueillies par le TNG et le TNP, ces jeunes femmes et leur metteur en scène ont dû fuir Kaboul lors de l’arrivée des talibans. En amont du festival Sens Interdits, elles nous ont raconté leur histoire. 

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Cinq membres d'une troupe de théâtre afghane

Il y a un peu de fatigue dans les regards ce dimanche après-midi, au théâtre des Ateliers, rue du Petit-David (Lyon 2e). Ce 17 octobre, neuf jeunes artistes afghanes sont rassemblées dans le cadre du festival de théâtre Sens Interdits, à Lyon. Tout sourire, elles tapotent leurs bras pour montrer qu’elles ont reçu le vaccin contre la Covid-19 la veille. « Seconde dose », plaisante l’une d’elles. 

Parlant pour quelques-unes en anglais, elles tentent de s’exprimer aussi avec quelques mots de français. Arrivées en France mi-septembre, ces jeunes femmes d’une vingtaine d’années (voire moins) ont commencé à l’apprendre tous les matins. L’après-midi, elles se retrouvent en résidence pour faire du théâtre. 

Les artistes afghanes et leur metteur en scène
Quatre des artistes afghanes et leur metteur en scène lors du festival Sens Interdits.Photo : PL/Rue89Lyon.

A Kaboul, « des hommes devaient jouer les rôles des personnages féminins »

Rapidement, nous nous retrouvons avec trois d’entre elles et leur metteur en scène, en amont d’une conférence organisée par le festival. Dès le début des échanges, leur humour, presque enfantin, disparaît pour laisser s’installer un air sérieux.

Via l’aide de Daoud, un traducteur immigré afghan ayant fui l’arrivée des Russes dans les années 80, la troupe nous raconte son histoire en dari (persan afghan), une des langues les plus parlées dans ce pays multi-ethnique – avec le pachto. Un récit qui commence par celui de l’initiative prise par le metteur en scène, Naim.

« Quand on a commencé à jouer à Kaboul, on s’entrainait dans une tente, à côté d’une conteneur, se souvient-il. Mais au bout d’un moment, nous avons pu nous entraîner au centre culturel français. » 

A 31 ans, le jeune homme est l’aîné de la troupe et le fondateur du « Kabul Girls Theater Group. » Diplômé des Beaux-arts, il veut revenir dans ses créations sur « les difficultés de la société afghane ». 

« Quand j’ai commencé mes études d’art, nous ne jouions pas avec des femmes, se rappelle-t-il. Pour certaines pièces, des hommes jouaient les rôles des personnages féminins. » 

Sept membres d'une troupe de théâtre afghane accueillie à Lyon.
La troupe de théâtre afghane interprète Les ombres noirs, une pièce inspirée de leurs craintes.Photo : Naim/Kabul Girl’s Theater

Comédiennes afghanes : « Quand nous jouions, nos familles n’étaient pas au courant »

Après ses études, il commence à travailler et à intervenir dans différents établissements scolaires. Son objectif alors : aider, par le théâtre, les élèves à éviter la violence et à privilégier la parole aux coups. 

« En Afghanistan, beaucoup de violences sont le fait de luttes subsistant entre différentes ethnies, constate-t-il. Notre but était de combattre cela. » 

C’est par ce biais qu’ils rencontrent les jeunes filles. En 2015, il lance ce projet de troupe avec un objectif : faire faire du théâtre à des femmes. 

« A l’époque, quand nous jouions des pièces de théâtre, nos familles n’étaient pas au courant, raconte Fresha, 18 ans. C’était très dur de travailler. Il a fallu les convaincre de nous laisser faire. Puis, quand ils ont découvert ce que c’était réellement, ils sont venus nous voir jouer. » 

Rapidement, des pièces commencent à se monter. La troupe joue les jours de fête, autour de Kaboul, avec un accueil, parfois, consterné. Dans la ville, voir jouer sa fille dans une pièce, peut être considéré comme une « honte. » 

« Au début, les gens étaient plutôt méfiants, reprend Fresha. Puis, quand ils ont vu que l’on jouait sur des problématiques importantes, ils nous ont soutenues. » 

Six membres d'une troupe de théâtre afghane accueillies à Lyon.
Six membres d’une troupe de théâtre afghane interprète « Zombies », une de leur création.Photo : Naim/Kabul Girl’s Theater

Place des femmes, toxicomanie… Des pièces pour « faire évoluer les mœurs afghanes »

Quand on demande à Naim un nom de pièce qu’il a tenue à monter, il répond, en anglais, « To be or not to be ». Comme un symbole fort, Hamlet, la pièce de Shakespeare racontant « qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark », est l’une des premières jouées par la troupe dans un pays en proie à la violence.

Pour le jeune homme, la réflexion d’Hamlet, héros de cette tragédie, devant un crâne se demandant « être ou ne pas être, telle est la question », est partagée par de nombreux d’Afghans. 

« Tout le monde se pose cette question en Afghanistan et se demande « Pourquoi » ? »

Mais l’équipe jouera aussi Le Malentendu, d’Albert Camus et des créations. 

« Chez nous, il y a énormément de toxicomanes, reprend, en exemple, Shegofa, Nous avons donc monté une pièce qui s’appelait Zombies. L’idée était de montrer aux gens qu’ils ne doivent pas finir comme ça. » 

A 21 ans, la jeune femmes est une des plus âgées du groupe. Sur un ton calme et serein, cette étudiante explique qu’elle voulait montrer à travers leur exemple que les Afghanes étaient capables de faire du théâtre, de travailler… Et de faire autre chose que du travail ménager.

De Kaboul à Lyon : « Les talibans sont allés plus vite que l’administration française »

Une expérience brutalement stoppée par l’avancée des talibans. Avec l’annonce de la reconquête des provinces par les fondamentalistes islamistes, les actrices cessent de jouer. Impossible pour elles de continuer à pratiquer leur art.

En France, un réseau se met en place pour accueillir des artistes afghan·es à l’initiative de l’artiste Kubra Khademi. A Lyon, plusieurs structures du monde du théâtre s’activent. Le TNP (Théâtre national populaire) et le TNG (Théâtre nouvelle génération) en font partie. 

« En juillet, nous avons commencé à faire les démarches pour accueillir des artistes. Nous avons lancé les demandes de visas afin de les accueillir un an en résidence, développe Joris Mathieu directeur du TNG. Malheureusement, les talibans sont allés plus vite que l’administration française. » 

Le jour de l’entrée des talibans dans Kaboul, la troupe reçoit par mail une convocation à l’ambassade de France. Malheureusement, la France n’a aucun moyen d’aller les chercher. « C’était une souricière », regrette Joris Mathieu en revenant sur l’événement, lors d’une conférence avec les actrices. 

Une troupe de théâtre afghanes accueillie à Lyon.
Le Kabul Girls’ Theater Group joue Hamlet de Shakespeare.Photo : Naim/Kabul Girl’s Theater

Dans la capitale afghane, où les combattants talibans circulent sans cesse, il leur faudra quatre jours pour rejoindre l’aéroport. Sans entrer dans les détails, elles montrent simplement une photo de la foule aux portes de ce dernier. Ces images, connues, peuvent laisser entendre les difficultés à quitter les lieux. 

Arrivées à Lyon mi-septembre, elles ont depuis commencé les démarches pour être reconnues réfugiées. La plupart ont eu leur rendez-vous à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) pour finaliser leur demande d’asile. Elles sont hébergées dans des appartements avec le soutien du TNG, du TNP et l’aide des Villes de Lyon et Villeurbanne.

Des pièces de théâtre à Lyon pour montrer que « l’Afghanistan n’est pas un pays terroriste »

Plus de deux mois après la prise de Kaboul par les talibans, elles ont repris le travail. Après des cours de français langue étrangère (FLE) le matin, elles travaillent dans des studios mis à disposition par les salles de théâtre l’après-midi.

En 2022, elles veulent monter une exposition photo sur la vie des Afghans. Elles souhaitent également monter une pièce de théâtre sur la vie dans leur pays, il y a dix ans. 

« L’Afghanistan n’est pas un pays de terroriste, et c’est ce que nous voulons montrer », reprend Naim, le metteur en scène. 

A travers ce travail, les actrices veulent également poursuivre des échanges, numériques, avec leur pays. Des pièces seront montrées aux amis et familles, restées sur place.

« Tout ce que nous n’avons pas pu faire en Afghanistan, je le ferai à Lyon, reprend Shegofa, 21 ans. Physiquement, je suis là. Mais mes pensées sont là-bas. » 

En les accueillants, les théâtres lyonnais leur ont au moins offert cette opportunité.


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