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« En un week-end nous avons dû réinventer notre métier d’enseignant »

TÉMOIGNAGE / J. est professeure d’anglais en lycée. Comme ses collègues, elle a pris la vague de plein fouet et a dû très rapidement adapter ses cours. Et la deuxième vague est arrivée, logistique celle-là : la gestion de centaines de mails, trouver une nouvelle organisation.

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Une salle de classe au Canada

Sa charge de travail au quotidien a augmenté, surtout quand on s’occupe de son bébé de 6 mois. Elle s’inquiète pour ses élèves qui lui manquent. Mais elle doute, en raison des contraintes inhérentes, qu’un retour en classe soit finalement une bonne solution.

« Après l’annonce de la fermeture des écoles, je me suis empressée de réfléchir à ce que j’allais faire faire aux élèves et comment. En un weekend nous avons dû réinventer notre métier, adapter notre contenu et penser aux moyens logistiques de le faire.

Avec le recul je regrette d’avoir participé à cette précipitation. Il aurait été plus judicieux de prendre quelques jours pour tout mettre en place, et de le faire en équipe pour que les élèves n’aient pas, en plus, à gérer l’organisation. Comme si une semaine sans travail allait nuire à toute la scolarité des élèves. »

« J’ai fait des erreurs que j’ai payées dès la première semaine »

« Chaque enseignant a donné du travail mais certains l’ont fait par mail, d’autres ont créé des espaces de partage sur différentes plateformes. Les élèves étaient donc loin d’être désœuvrés parce qu’ils avaient non seulement du travail mais aussi toute une organisation à intégrer. Sans parler des serveurs qui n’étaient pas suffisants pour supporter autant de connexions.

De mon côté, j’ai fait des erreurs que j’ai payées dès la première semaine. Je me suis retrouvée assaillie de messages, submergée par le nombre de corrections. En plus de devoir réfléchir au contenu du cours, il faut revoir la façon de transmettre le message.

Avec le numérique, il faut aussi gérer tout le côté logistique : comment recevoir les devoirs pour ne pas se retrouver avec 200 mails sans objets, 200 devoirs intitulés Anglais1, envoyés d’adresses mails certes originales mais peu pratiques, les mails sans bonjour ou ceux avec tout le message en objet, les 30 devoirs pris en photo et les 30 autres illisibles. »

« Au bout de 5 semaines, on a trouvé un rythme »

« L’adaptation a donc été difficile des deux côtés. Au bout de cinq semaines je pense qu’on a trouvé un rythme mais les conditions sont loin d’être idylliques.

Je dois m’occuper de mon fils de 6 mois car mon conjoint travaille à l’extérieur. Les journées sont longues et j’ai cependant l’impression d’être toujours en retard. J’essaye de m’astreindre à des horaires réguliers, de ne pas travailler le soir et les weekends mais la situation est épuisante.

Le temps devant les écrans a été considérablement augmenté et je n’ai jamais été aussi pressée d’être en weekend que depuis le confinement. »

« Mes élèves me manquent, je ne sais pas s’ils vont bien »

« De par ma situation familiale je ne peux pas assurer de visioconférences et mes élèves me manquent. Je ne sais pas s’ils vont bien, dans quelles conditions ils travaillent ou s’ils comprennent le cours.

En classe on sait dès les cinq premières minutes si le cours précédent s’est mal passé, s’ils ont reçu des mauvaises notes. On remarque ceux qui ont mal dormi, s’ils sont excités ou tristes. On a aussi un retour direct sur la façon dont ils interprètent les documents, ce qu’ils comprennent ou pas. Et on peut alors s’adapter, répondre à leurs interrogations, prolonger une séance qui leur plait ou au contraire abréger un document qui ne fonctionne pas.

Là, on ne sait même pas si on corrige leur travail ou celui de leurs parents ou frères et sœurs. Certains de mes élèves en difficulté sont en effet devenus parfaitement bilingues grâce à la magie du confinement. »

« Alors, en vacances ? », « Tu ne t’ennuies pas trop ? »

« Je n’ai pas eu de retours des parents mais j’ai la chance d’avoir des lycéens donc des élèves plutôt autonomes. Les remarques blessantes viennent de l’entourage : « alors, en vacances ? » ou « tu ne t’ennuies pas trop ? ».

Ce n’est pas méchant mais quand je passe des heures devant mon écran à adapter mon contenu, le diffuser, récupérer et corriger les devoirs en plus de m’occuper d’un bébé et du fonctionnement de la maison, c’est assez frustrant. »

« C’est un peu le flou artistique concernant les directives »

« C’est un peu le flou artistique concernant les directives sur ce que l’on doit faire faire aux élèves. Au départ il ne fallait pas commencer de nouvelles notions et se contenter de révisions. À présent, on sait que les épreuves du bac des terminales et des premières sont annulées mais que l’année scolaire ne sera terminée qu’en juillet. Je doute qu’on tienne jusqu’en juillet à faire uniquement des révisions. Nous avons décidé de poursuivre avec le programme en l’adaptant du mieux possible.

Il est assez désagréable d’être informé par la presse de ce qui nous attend. Ce n’est pas la première fois que cela se produit. Les annonces sont lapidaires et nous devons ensuite attendre plusieurs jours voire semaines pour avoir des explications plus précises de l’administration ou de la direction. À chaque annonce du ministre, ce sont les établissements qui s’adaptent. Cela a été le cas avec la réforme du lycée, les E3C, la continuité pédagogique, et ça le sera en cas de retour en classe le 11 mai. »

Réintégrer seulement les élèves en difficulté ? Une double charge de travail

« Cette date du 11 mai semble être un soulagement sur le plan pédagogique. Tant pour les élèves que pour les professeurs. On se rend bien compte que rien ne vaut un cours en classe mais on ne peut pas s’attendre à un retour à la normale. On ne peut pas entasser 40 élèves dans une salle et des centaines dans les couloirs et s’attendre à ce qu’ils respectent les gestes barrière.

Sans compter le nombre de claviers, poignées de portes, télécommandes que l’on manipule toute la journée. Les salles ne sont pas adaptées, les bâtiments non plus. La solution de ne réintégrer que les élèves en difficulté sous-entend une charge de travail double pour les enseignants. Il faudra assurer les cours en présentiel et les cours à distance. »

« C’est donc à nous enseignants de prendre des décisions pour que tout fonctionne ? »

« Des collègues ont déjà reçu des mails de leur direction leur demandant de penser à comment mettre en place ce retour à l’école. C’est donc aux enseignants et aux équipes éducatives de prendre des décisions pour que tout fonctionne.

Revenir en classe, cela voudrait dire de nouveaux emplois du temps, de nouveaux groupes, une organisation totalement nouvelle pour tous. La charge de travail que cela va demander est incroyable, et pour quels résultats ? Si l’on pense uniquement à la réussite des élèves, je ne pense pas qu’un retour en classe signifie des progrès considérables dans l’acquisition de leurs savoirs. La situation est anxiogène pour tous et le retour en classe n’est pas la panacée.

Non, nous n’étions pas prêts, personne ne l’était. Pourquoi alors vouloir faire croire le contraire ? »


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