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Brasseur indépendant : « Un métier pour les passionnés, pas pour faire fortune »

Figure incontournable de la scène brassicole locale, David Hubert est un hyperactif. Directeur industriel du Ninkasi, il est aussi délégué régional du Syndicat National des Brasseurs Indépendants et secrétaire de l’association BIERA (Brasseurs Indépendants En Rhône-Alpes). Entretien.

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Brasseur indépendant : « Un métier pour les passionnés, pas pour faire fortune »

A l’approche de la nouvelle édition du Lyon Bière Festival, nous avons souhaité en savoir plus sur la situation actuelle de la bière artisanale en France, ainsi que sur les tenants et les aboutissants du métier de brasseur indépendant en 2018.

David Hubert, qui participe activement au développement de la filière brassicole indépendante depuis de nombreuses années, notamment dans la région Rhône-Alpes-Auvergne, a répondu aux questions de Rue89Lyon.

 

© Ninkasi / Trafalgar – Maison de Portraits

Rue89Lyon : L’image de la bière semble avoir évolué auprès du public ces dernières années en France. D’après vous, quelles sont ces évolutions ? Existe-t-il de nouvelles façons de consommer la bière ?

David Hubert : Effectivement, son image a bien évolué. La bière est devenue un produit diversifié et gastronomique, voire de terroir. Elle se déguste maintenant en mangeant, ce qui est nouveau. On peut la retrouver sur les tables de grands restaurants. Beaucoup d’accords mets et bières, avec les fromages en particulier, ont fait leur entrée sur la scène gastronomique.

Peut-on ainsi dire que la bière française a désormais sa propre identité ?

Bien qu’elle n’ait pas encore acquis de véritable identité comme en Belgique et en Allemagne, il n’est pas impossible que la bière artisanale française devienne prochainement un produit phare de l’hexagone au même titre que le vin.

Quelles sont les dernières innovations brassicoles qui semblent remporter un certain succès ? Des liens se sont-ils créés avec le vin et le whisky ?

Les grandes tendances actuelles sont les IPA (India Pale Ale), des bières à fermentation haute, fortement houblonnées, et leurs dérivés comme les NEIPA (New-England India Pale Ale). Le houblon retrouve donc aujourd’hui ses lettres de noblesse. Les bières acides (de type Sour Ale) font également un grand retour en force. Les bières en barrique, aussi, sont très en vogue. Par ailleurs, on voit apparaître beaucoup d’expérimentations sur les levures (comme les Brett).

Concernant le vin et le whisky, on peut faire le lien par le vieillissement en barrique et l’utilisation de levures. Le lien entre whisky et bière reste plus évident dans la mesure où le malt d’orge constitue presque systématiquement un ingrédient-clef de la recette. En réalité, le whisky se rapproche d’une forme de bière distillée et sans houblon. Fait intéressant, un nombre croissant de brasseurs se lance dans la distillation de whisky aujourd’hui.

On considère habituellement que la bière artisanale provient de brasseries indépendantes. Tout d’abord, qu’est-ce qu’une brasserie indépendante ?

Si l’on s’en réfère à la définition utilisée par le Syndicat National des Brasseurs Indépendants, une brasserie indépendante doit répondre cumulativement à cinq critères pour pouvoir bénéficier de ce qualificatif.

  • Sa production annuelle n’excède pas 200 000 hectolitres.
  • Elle ne possède pas plus de deux sites brassicoles.
  • Elle produit 100% de ses marques, sauf cas exceptionnel.
  • Elle n’adhère à aucun réseau de franchise.
  • Son indépendance s’affirme à la fois juridiquement et économiquement.

Toutefois, le principe d’indépendance est parfois difficile à mettre en œuvre pour les brasseries. Lorsque les géants de la bière rachètent ou acquièrent une partie du capital de ces dernières, leur indépendance s’en voit amoindrie.

Les géants de la bière doivent-ils justement s’inquiéter de la multiplication des brasseries indépendantes ? Cette multiplication entraîne-t-elle une forme de concurrence entre les brasseries indépendantes ?

Oui, les géants de la bière peuvent s’en inquiéter. La consommation de bière industrielle stagne en France et les brasseries indépendantes continuent de grignoter des parts de marché. De par leur multiplication, la concurrence entre brasseries indépendantes augmente nécessairement, notamment pour celles qui partagent le même territoire. Mais leurs principaux concurrents restent tout de même les trois grands groupes (Heineken, Carlsberg et AB-InBev).

Selon vous, quelles sont les forces et les faiblesses de la filière brassicole indépendante en France à notre époque ?

Pour ses forces, créativité, diversité et authenticité sont les maîtres-mots. L’enthousiasme du consommateur, le partage de valeurs autour du produit et la recherche de transparence représentent également des atouts indéniables.

En revanche, la proportion élevée de petites structures économiquement fragiles constitue sa principale faiblesse. D’autre part, la manque de règles sur l’étiquetage nuit à l’image des producteurs indépendants. On recense beaucoup de bières avec une communication mensongère sur leur origine.

Où en est-on de la création de filières indépendantes de matières premières pour la bière ? La question du terroir entre-t-elle en compte ?

De plus en plus de fermes-brasseries produisent elles-mêmes leur orge ou leur houblon. De petites structures émergent, comme Malteurs Échos ou la Malterie des Volcans, notamment dans le bio. C’est aussi le cas pour le houblon, avec de nombreux projets de micro-houblonneries. Je pense que ce type d’initiatives va fortement se développer dans les prochaines années.

La question du terroir gagne, effectivement, en importance ces derniers temps. Un nombre croissant de brasseurs utilise des plantes, des fleurs et des fruits locaux (comme le génépi ou la châtaigne) dans leurs recettes de bière.

Est-ce que les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans les activités des brasseries indépendantes ? Quel regard porte le Syndicat National des Brasseurs Indépendants sur les systèmes de notation et d’avis en ligne ?

Généralement, les bières sont notées par les « beer geeks ». Ces internautes ne sont pas représentatifs de la majorité des consommateurs. Disons que l’on prend ce phénomène avec humour et recul. Cependant, je sais que certains cavistes sélectionnent leurs bières d’après les avis en ligne. Les notations de ces « beer geeks » peuvent alors faire la différence dans ce genre de situation.

Les problématiques écologiques animent-elles également le syndicat ?

Le thème du rejet des eaux usées revient souvent chez nos adhérents. Il faut savoir que certains brasseurs investissent beaucoup pour traiter leurs rejets. Nous nous devons, en tout cas, de respecter les lois environnementales.

Dans quelles directions évolue le métier de brasseur, sur le plan réglementaire plus particulièrement ? Doit-on se résoudre à emprunter quand on se lance dans le métier ou la débrouillardise suffit-elle encore ?

Sur le plan réglementaire, le syndicat essaie de faire évoluer le « décret bière » vers plus de liberté pour les professionnels du secteur. Nous voulons aussi créer un guide d’usage à l’intention des fraudes et redéfinir l’activité brassicole dans le répertoire des métiers de la CMA. Pour l’instant, il n’y a aucune volonté de notre part de rendre une formation obligatoire afin d’exercer comme brasseur.

Lorsque l’on se lance comme tel, le besoin en argent dépend forcément de la taille de la brasserie. Pour de petits volumes, on peut encore se débrouiller et bricoler du matériel de récupération. Mais cela devient difficile dès que la production augmente, car il faut alors investir et embaucher. De nombreuses brasseries peinent à atteindre la rentabilité. C’est pourquoi brasseur indépendant est un métier pour les passionnés, pas pour faire fortune.

 


#David Hubert

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Capture d'écran du site RateBeer.
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