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« Faites de la bière, pas la guerre » : un Oktoberfest en Palestine

Un juif d’Israël, un chrétien d’Orient et un musulman de Palestine réunis autour d’une pinte : l’image peut paraître surréaliste. Elle se fait pourtant réalité à l’Oktoberfest de Taybeh, un village biblique millénaire situé à une trentaine de kilomètres au nord de Jérusalem.

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« Faites de la bière, pas la guerre » : un Oktoberfest en Palestine

Chaque année ou presque, depuis 2005, une famille de brasseurs palestiniens organise un festival de la bière, unique en son genre, dans la région cisjordanienne.

Perchée sur une colline au milieu des champs d’oliviers, Taybeh reste la dernière localité entièrement chrétienne dans les territoires palestiniens occupés (soit la Cisjordanie et la bande de Gaza).

Tous les ans au début de l’automne, près de 15 000 personnes du monde entier se déplacent jusqu’à Taybeh pour assister au festival. Au programme : dégustations de bière artisanale le jour et concerts de musique contemporaine la nuit, le tout dans une ambiance conviviale. A première vue, rien ne semble le différencier de ses homologues occidentaux comme le Lyon Bière Festival (voir encadré ci-contre).

« L’Effet Papillon » sur Canal+ a dédié à l’Oktoberfest, à l’occasion de sa douzième édition, un reportage passionnant (voir un extrait vidéo ci-après). Le zoom réalisé dans cette zone du globe où l’instabilité est devenue la norme, la moindre manifestation culturelle prend nécessairement une dimension politique, polémique.

Pour les organisateurs, le festival incarne un mode de résistance pacifique au conservatisme religieux et, surtout, à l’occupation israélienne.

Au-delà du festival en lui-même, les équipes de « L’Effet Papillon » nous emmènent également à la rencontre des habitants de Taybeh et des municipalités voisines.

De l’identité chrétienne en péril à la désertification des services publics, en passant par les relations qu’entretiennent les multiples communautés entre elles, leur reportage nous invite à découvrir une partie des enjeux qui façonnent la société locale.

Le slogan de l’Oktoberfest ? « Goûtez à la révolution ! »

Pionniers de la bière palestinienne

Aux origines de cet Oktoberfest se trouve la famille Khoury. D’abord réfugiés dans le Massachusetts aux États-Unis, les deux frères Nadeem et David Khoury décident de rentrer à Taybeh, leur village natal, au moment des accords d’Oslo.

Sous l’impulsion de leur père et portés par l’espoir d’un potentiel armistice avec Israël, ils souhaitent concrétiser un projet inenvisageable jusqu’alors : celui de lancer leur propre brasserie artisanale en Palestine.

En 1994, après avoir obtenu l’autorisation personnelle de Yasser Arafat (président de l’Autorité Palestinienne à l’époque), les Khoury investissent plus d’un million de dollars dans la création de la brasserie Taybeh. La première bière du même nom voit le jour l’année suivante. On en dénombre désormais 12 variétés selon RateBeer, le plus grand site web de référencement et de notation des bières.

Aujourd’hui, leurs enfants Canaan et Madees ont repris le flambeau, faisant probablement de Madees la seule femme brasseuse de bière du Moyen-Orient.

L’entreprise familiale produit maintenant environ 6 000 hectolitres par an et exporte dans une dizaine de pays d’Occident. Depuis 2017, la France fait partie de ces destinations grâce à l’initiative déployée par l’association Enfants de Palestine.

La publicité pour l’alcool demeure interdite dans les territoires occupés. Les Khoury ont donc misé sur l’événementiel, afin de promouvoir leur marque, en répliquant la célèbre formule allemande de l’Oktoberfest.

A leurs yeux, ce festival représente aussi un moyen d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le sort des chrétiens d’Orient, menacés de disparaître.

La famille Khoury : Nadeem et David (en haut) puis Canaan et Madees (en bas)

Une route barrée d’obstacles

En France, monter une brasserie ou un festival constitue un défi en soi. En Palestine, c’est un parcours du combattant jour après jour. Les Khoury sont sans cesse confrontés à des difficultés d’ordre social, économique et technique.

Loin de faire l’unanimité, ces derniers doivent souvent jongler entre les vives critiques des imams traditionalistes, de colons d’inspiration sioniste et de certains membres du quatrième gouvernement Netanyahou.

La bière Taybeh, symbole d’une résistance pacifique ?

Cependant, les discours hostiles à leurs activités n’ont pas particulièrement l’air d’effrayer les brasseurs. Davantage problématiques au quotidien, les diverses contraintes matérielles s’avèrent être leur principale source de préoccupation.

Entre les taxes excessives imposées par Tel-Aviv et les temps de livraison exceptionnellement lents à cause des « checkpoints », ils se retrouvent inévitablement désavantagés face à la concurrence étrangère.

De plus, les forces armées israéliennes contrôlent la totalité des points d’accès à l’eau potable aux alentours de Taybeh. Ainsi, en période estivale, les Khoury peuvent passer deux à trois semaines sans qu’une seule goutte ne tombe de leurs robinets.

Quand on sait que l’eau entre à hauteur de 90% dans la composition de la bière, on devine amplement la complexité de la situation affrontée par les brasseurs, en particulier durant les épisodes de sécheresse.

Malgré les nombreuses pressions rencontrées, l’établissement Taybeh continue de prospérer à son rythme et le démontre annuellement grâce à son festival de la bière. Maria Khoury, l’écrivaine de la famille, témoigne à ce propos dans un billet :

« Dans un environnement où l’on ne sait jamais ce que le lendemain réserve, la réussite de ce festival tient au seul fait qu’il existe. »

 


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