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« Andatu », l’opaque programme d’intégration des Roms à Lyon

Dans les prochaines semaines, le préfet du Rhône régularisera 150 nouveaux Roms de Roumanie, à travers un programme d’intégration unique en France, nommé « Andatu ». Mais la préfecture refuse toujours de dévoiler les conditions d’accès à ce programme.

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Les expulsions de squats ou de bidonvilles sont souvent plus médiatisées que les régularisations. Dans sa communication, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a en effet, comme ses prédécesseurs, pris le parti de stigmatiser les Roms en remettant en cause la « volonté d’intégration » de ces populations.

A Lyon comme ailleurs en France, les préfectures rechignent donc à donner des informations sur ces processus d’intégration qui existent pourtant. C’est particulièrement le cas avec le préfet du Rhône qui a, depuis un an et demi, massivement régularisé, à travers un programme unique en France.

En comptant les 150 personnes qui seront régularisées dans les prochaines semaines, ce sont 400 Roms de Roumanie qui auront des titres de séjour. Un chiffre à rapprocher, selon le préfet, des 2 000 Roms que compte l’agglomération lyonnaise. Les associations parlant plutôt d’un millier de personnes qui vivent majoritairement dans des squats et des bidonvilles.
Ces familles bénéficieront également d’un logement en lieu et place, généralement, d’un squat ou d’une cabane de bidonville.

 

Des papiers, un logement et le RSA

Le préfet du Rhône, Jean-François Carenco, a confié à l’association Forum Réfugiés le soin de monter un programme d’intégration, nommé « Andatu » (« pour toi », en romani, la langue des Roms), destinés aux Roumains. Et ce programme ne se limite pas à donner des titres de séjour.
Grâce à l’appui de la préfecture, la caisse d’allocation familiale (CAF) et le département du Rhône dérogent à la réglementation en vigueur, qui empêche les Roms de bénéficier des principaux minima sociaux. Avec « Andatu », ils ont droit :

  • au RSA
  • aux allocations familiales
  • à un logement social
  • à n’importe quel type d’emploi alors que les Roumains sont limités, jusqu’en 2014, à 150 métiers en tension

En contre-partie, la personne doit suivre un apprentissage du français et s’inscrire dans une démarche de recherche d’emploi. Elle doit également s’engager à ne plus mendier et à scolariser ses enfants. Un contrat d’un an renouvelable une fois est signé pour formaliser cette démarche.

Forum Réfugiés entend, avec ces conditions dérogatoires, réussir une « insertion complète ».
Pour ce faire, l’association dispose d’un budget 2013 d’un million d’euros dont plus de la moitié provient du Fonds social européen. L’Etat, le département du Rhône et le Grand Lyon mettent aussi au pot.

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Aramis Nistor avec sa femme et leur fille photographiés dans le salon de leur foyer Adoma. Photo : Laurent Burlet / Rue89Lyon.

 

Les heureux élus

Aramis Nistor nous reçoit avec sa femme et son unique fille dans un appartement d’un foyer Adoma (ex-Sonacotra) du 8e arrondissement de Lyon. Les Nistor le partagent avec une autre famille rom du programme « Andatu ». Ils font partie des heureux élus du dispositif, choisis par la préfecture, sans qu’ils ne sachent vraiment pourquoi.

Prochainement, ils devraient accéder à un logement social, comme les 20 familles qui ont été régularisées les premières. Après avoir suivi des cours de Français, Aramis Nistor est désormais chauffeur-manutentionnaire pour le Foyer Notre Dame des Sans abri. C’est un emploi d’insertion de 25 heures par semaine payer au smic. Il travaille avec son frère Ionel, sur lequel France 3 avait déjà fait un reportage.

 

Pour le moment, sur les 22 adultes, dix adultes Roms travaillent sur ce mode, avec des contrats d’insertion à temps partiel. Ils et elles sont agents d’entretien, manutentionnaires ou couturières. Huit autres sont en formation.

Il y a un an, Aramis et sa famille vivaient dans le sous-sol d’une église de Gerland. Il nous parle de sa chance d’avoir des papiers, un travail et un logement. Il voudrait être « médiateur culturel » :

« Ce sera après cet emploi de manutentionnaire. Je veux travailler comme tout le monde en aidant les Roms et les Français à mieux se connaître. On souffre souvent d’une mauvaise image ».

Comme les autres Roms d’« Andatu », il a bénéficié d’un apprentissage intensif en français et, ensuite, d’une aide renforcée dans ses recherches d’emploi et de formation.

Il faut dire que l’accompagnement social n’a pas été négligé. On compte deux enseignantes Français langue étrangère (FLE), deux conseillers d’insertion, trois assistants sociaux.

Habituellement, il y a 60 allocataires du RSA pour un conseiller d’insertion. Pour les premiers adultes entrés dans le programme « Andatu » (depuis décembre 2011), ils sont 22 pour une conseillère, Guylène Constable. A l’entendre, l’insertion par le travail fonctionne :

« On est loin de l’image de la personne assistée qui resterait à la maison en attendant que ses allocations tombent. Ils sont super motivés pour les cours de français. Une fois qu’ils ont obtenu un emploi d’insertion, ils veulent que ça avance vite pour travailler comme tout le monde. »

37 familles de la deuxième vague (entrées dans le programme en décembre 2012) ont commencé les cours de français. Dans quelques mois, elles pourront passées à l’étape suivante. Comme Aramis Nistor et les autres, elles passeront par un emploi d’insertion. Au bout de deux ans, ce « sur-accompagnement » social doit se terminer.

Le directeur de Forum Réfugié, Jean-François Ploquin, commente :

« Ils bénéficient d’un sur-investissement à titre dérogatoire car il s’agit d’opérer un rattrapage par rapport au droit commun ».

 

Critères flous et pouvoir discrétionnaire du préfet

Contrairement à la plupart des dispositifs sociaux, il n’y a pas de guichet pour faire valoir ses droits. Inutile par exemple aux Roms intéressés par ce programme de venir voir Forum Réfugiés, comme en témoigne le chef de service d’« Andatu », Damien Malard :

« Nombreux sont venus nous voir. Nous avons été obligés de leur dire qu’on ne pouvait rien pour eux ».

Car c’est bien la préfecture qui choisit les bénéficiaires. Mais impossible de déposer un dossier auprès de la préfecture non plus. Contacté sur le sujet par Rue89Lyon, le préfet a refusé de répondre.

L’association Forum Réfugiés elle-même ne connaît pas les critères qui fondent les décisions des autorités. « C’est empirique », constate donc le directeur Jean-François Ploquin, qui nous explique que la préfecture prend sa décision aux regards des « remontées du terrain » qui se font via les « services sociaux des mairies » ou par « les élus » eux-mêmes. Selon lui, les critères, très vagues, seraient les suivants :

  • Une longue durée de séjour sur le territoire français
  • Une volonté d’insertion en France qui se matérialise notamment par la scolarisation des enfants

Ensuite, les services de la préfecture procède à un deuxième tour de sélection. « Ce sont des critères négatifs qui s’appliquent », poursuit Jean-François Ploquin ». Il faut :

  • Ne pas avoir bénéficié de l’argent de l’aide au retour volontaire pour rentrer en Roumanie
  • Ne pas avoir être recherché par la police

 

« L’injustice » vécue par les familles recalées

Mais ces critères sont tellement flous qu’en dernier ressort, entre deux familles à régulariser au parcours équivalent, c’est le pouvoir discrétionnaire du préfet qui s’applique, comme la loi l’autorise en matière de régularisation.

Chez les familles qui sont recalées d’« Andatu », c’est l’incompréhension et un grand sentiment d’ »injustice ». Nous avons rencontré plusieurs d’entre elles, actuellement hébergées dans un foyer d’hébergement d’urgence de l’agglomération lyonnaise, après avoir longtemps été dans les squats.

Grâce à l’assistante sociale (AS) du foyer, de maigres dossiers accompagnés seulement des cartes d’identité ont été envoyés aux services de la préfecture.
Il y a quelques jours, l’AS leur a annoncé qu’ils n’étaient pas retenus. Pour une première famille, elle leur a expliqué que c’était en raison d’un recours engagé par la famille contre la préfecture pour demander un hébergement.

Selon des témoignages concordants de travailleurs sociaux, il semblerait en effet que la préfecture du Rhône ne sélectionne pas, en règle générale, les familles qui l’ont déjà attaquée en justice pour faire appliquer le droit au logement.

L’aînée des enfants de cette famille (qui souhaite garder l’anonymat) considère que « le préfet ne respecte pas les propres règles qu’il se fixe » :

« En faisant un recours devant le tribunal, nous demandons seulement l’application de la loi française. Nous connaissons des familles qui ont saisi la Commission sur le droit au logement opposable (DALO, ndlr) ou qui sont retournées en Roumanie avec l’argent de l’Etat français. Et elles sont dans « Andatu » ! »

 

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Les Roms d’un squat du 7e arrondissement le jour de leur expulsion en août 2012. Le soutien des habitants a conduit la préfecture a les inclure dans le dispositif « Andatu ». Photo : Leila Piazza / Rue89Lyon.

 

Le préfet régularise et reloge sous la pression

« Andatu » semble utilisé pour calmer les esprits qui s’échauffent. Ce programme a d’abord été créé pour reloger une centaine de Roms, comme la famille d’Aramis Nistor qui était accueillie volontairement par le curé de Gerland et un promoteur à Oullins.

Ensuite, en septembre dernier, suite à une manifestation de soutien aux Roms, Le préfet à l’égalité des chances de l’époque, Alain Marc, avait annoncé l’élargissement du programme « Andatu » à 150 nouvelles personnes.

Parmi les heureux élus se trouvaient les familles de l’ancien squat de la rue Montesquieu (Lyon 7e) pour lesquelles le préfet délégué avait promis une « solution pérenne ».

Résultat, une quarantaine de personnes (sur les 60) ont intégré le programme.

Parallèlement, la préfecture du Rhône a utilisé « Andatu 2″ pour reloger des familles qui allaient être remises à la rue au mois de mai, suite à la fermeture des structures d’accueil ouvertes pour le plan hivernal. Cette décision a fait suite à une campagne juridique lancée l’année dernière à Lyon par la Fondation Abbé Pierre pour contraindre la préfecture à maintenir les SDF dans les hébergements d’urgence, comme le prévoit la loi sur le Droit au logement (DALO).

 

« Andatu », un joker juridique

Comme on l’a vu dans un récent procès, le préfet du Rhône s’appuie également sur le programme « Andatu » pour expliquer qu’il fait déjà beaucoup pour les Roms et qu’il ne peut reloger tous ceux qui en font la demande.

Pour les associations et les avocats, le préfet n’applique pas le droit au logement (et donc à l’hébergement) lorsqu’il expulse les Roms de leur bidonville sans les reloger. C’est à dire quand ils perdent leur logement, fusse-t-il extrêmement précaire. Le juge administratif est allé dans le même sens :

« Si le préfet évoque également un dispositif d’accueil dénommé « Andatu », il n’apporte aucune précision sur les modalités de son application et des conditions qui permettront à M. XX et autres d’en bénéficier. »

Jean-Philippe, du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), se montre extrêmement critique à l’endroit d’« Andatu », comme de nombreux militant de la cause qui soutiennent les Roms :

« Il s’agit d’un programme dont personne ne connaît les conditions d’inclusion. Et, en plus, il sert d’excuse pour ne pas appliquer le droit commun ».

Selon nos informations, dans l’entourage du Premier ministre, on affirme que ce programme ne saurait justifier la non-application de la circulaire du 26 août 2012 de Manuel Valls qui prévoit que tous les habitants de terrains squattés fassent l’objet de propositions de relogement avant expulsion. A Lyon, cela n’a jamais été le cas.

 


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