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À Lyon, une manifestation difficile mais toujours imposante contre la réforme des retraites

Ils et elles étaient 34 000 selon les syndicats, 13 000 selon la police, à répondre au onzième appel à manifester contre la réforme des retraites. Une manifestation toujours imposante, mais un peu en décalage avec les précédentes à Lyon. La faute à un tracé alternatif à tous ceux précédemment empruntés. Reportage.

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Une manifestation très dense à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon. ©LS/Rue89Lyon

« Il est merdique ce tracé », tempête un syndiqué CGT à l’issue de la laborieuse manifestation de ce 6 avril 2023. Les yeux rougis, il a passé – comme une bonne partie des manifestants situés à l’avant du cortège – la manifestation sous les gaz lacrymogènes.

Une manifestation très dense, passant par des boulevards plus serrés que le tracé habituel reliant la Manufacture des Tabacs (Lyon 8e) à Bellecour. Cette fois-ci, le défilé a commencé place Jean-Macé (Lyon 7e) et s’est achevé place du Maréchal-Lyautey (Lyon 6e). Un tracé bien plus rare.

Pourtant, ce sont les syndicats qui ont demandé ce changement de parcours. La faute, explique le cgtiste, à la rue de la Barre, interdite d’accès lors de toutes les dernières manifestations. De ce fait, le cortège passait par les quais Claude-Bernard puis la place Antonin-Poncet.

Ce carrefour a été, depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, le théâtre d’affrontements violents entre les manifestants et les forces de l’ordre à un endroit particulièrement dangereux.

« La préfecture a peur que les manifestants repeignent l’Hôtel Dieu, mais là avec leur déviation, il y a des mouvements de foule juste au-dessus du passage de la trémie, sous laquelle passent des voitures à toute vitesse, souffle le syndiqué. Notre service d’ordre n’en peut plus, donc on a essayé autre chose. »

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Les gaz lacrymogènes étaient omniprésents à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon

Un groupe de tête hétéroclite à la manifestation de Lyon

Un « autre chose » qui a débuté sous un soleil radieux aux alentours de 11 heures, sur la place Jean-Macé. On y a retrouvé les groupes habituels se regroupant par professions, appartenances syndicales ou militantes. Les égoutiers, les pompiers, les enseignant·es, les métiers pénibles, les étudiant·es ou encore les féministes, dans une chorégraphie aujourd’hui très rodée.

Le camion de la CFDT, qui ferme la marche a dû se placer sous les voûtes de la gare, faute de place à Jean-Macé. La fréquentation, moins importante que la grosse journée du 7 mars, était cependant plus conséquente que lors de la dernière manifestation du 28 mars. Une belle performance après presque quatre mois de mouvement social.

Le camion de l’intersyndicale et sa banderole – ouvrant traditionnellement la marche – ont un peu tardé à partir, un peu avant midi. Dès le début, ils ont été devancés par un groupe hétéroclite formé de gilets jaunes, de militants anarchistes mais aussi de manifestants moins chevronnés, heureux d’ouvrir la marche.

Ce groupe composite a été rejoint rapidement et par grappes par des membres du black bloc, munis de parapluies, de boucliers de récupération, eux aussi venus avec une imposante banderole sur laquelle on pouvait lire « Lois Darmanin lois fascistes, ripostes antiracistes ». Ils se sont placés pour la plupart entre le service d’ordre et le groupe de tête.

Une manifestation très dense à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon. ©LS/Rue89Lyon
Une manifestation très dense à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon

Un premier gazage 500 mètres après le début de la manifestation à Lyon

Le service d’ordre des syndicats, placé en arc de cercle hermétique devant la banderole de l’intersyndicale, marquait une rupture nette entre le bloc et le reste de la manifestation. Cependant des couloirs, matérialisés par les trottoirs ont permis aux manifestants de passer de l’un à l’autre sans trop de difficulté.

C’est à la première banque, la Banque Populaire, située 500 mètres après le départ de la place Jean-Macé que des premières tensions ont eu lieu. Alors que plusieurs membres du bloc se sont attaqués aux vitrines de la banque, arrachant les planches installées le matin même, les forces de l’ordre ont lancé bon nombre de gaz lacrymogènes sur le cortège de tête, occasionnant un important mouvement de reflux, jusqu’à l’arrière du camion de l’intersyndicale. Des manifestants surpris ont trébuché dans une atmosphère de cohue générale.

Ce premier épisode a vu le départ de dizaines de manifestants du cortège de tête, tandis que le speaker du camion de l’intersyndicale les exhortait à se placer derrière le camion. Par la suite, le black bloc ne s’est jamais éloigné de plus d’une vingtaine de mètres du camion de l’intersyndicale.

De la casse et des charges lors de la 11è manifestation contre la réforme des retraites à Lyon

L’intégralité des arrêts de bus et des panneaux JC Decaux ont été démolis. Plusieurs feux rouges ont été cassés, de même pour les caméras de surveillance de la ville et les devantures de banques, boîtes d’assurance et d’intérim. Une échoppe Nespresso a également été cassée.

La première vitrine entièrement brisée a été celle de la Matmut, puis celles d’entreprises immobilières situées un peu plus loin. À chaque fois, cela a occasionné des gazages, des charges et des arrêts plus ou moins longs du cortège.

La première charge a eu lieu au carrefour Saxe-Gambetta : les forces de l’ordre sont parties en même temps des deux côtés du cour Gambetta et de l’avenue du Maréchal-de-Saxe et ont fendu la foule distribuant des coups de matraques sur au moins une dizaine de mètres avant de se replier.

La première vitrine entièrement brisée a été celle de la Matmut à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon. ©LS/Rue89Lyon
La première vitrine entièrement brisée a été celle de la Matmut à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon

La densité de la manifestation empêchant souvent les manifestants de reculer sur l’arrière du cortège, les cours et halls des immeubles ont été envahis à plusieurs reprises. Interrogés par Rue89Lyon, deux Street Médic ont déclaré être à cours de matériel pour secourir les manifestants tant le nombre de blessés était important.

Pour la plupart, il s’agissait de personnes tombées lors de mouvements de foule. Rue89Lyon a croisé trois manifestants le visage ensanglanté. En fin de manifestations, la préfecture faisait état de quatre blessés pris en charge par les pompiers chez les manifestants. Selon elle, neuf membres des forces de l’ordre ont été blessés.

La tête du cortège a atteint la place du Maréchal Lyautey sans heurts supplémentaires mais dans une atmosphère de fébrilité palpable à 15 heures. À 19 heures, la préfecture dénombrait 13 interpellations.

Lors de la manifestation à Lyon : « On peut encore faire tomber cette réforme »

Un peu plus en amont, loin de la cohue de la tête du cortège, la manifestation s’est déroulée plus calmement. Nils, étudiant en deuxième année de master d’économie à l’université Lyon 2 a déclaré n’avoir pas peur des affrontements dont il reniflait pourtant les effluves :

« Le pouvoir en place aimerait qu’on ait peur, ils jouent sur la médiatisation de la casse, du sabotage, des affrontements. Ils sont très violents aussi, et on en parle bien trop peu. »

Pour l’étudiant qui en est à sa cinquième manifestation, si on ne l’écoute pas, la colère des manifestants reviendra plus forte.

« On a essayé de décrédibiliser la colère des gilets jaunes en leur reprochant leur violence, et deux ans après on a à nouveau tout le peuple dans la rue. Il faut que le gouvernement écoute les citoyens, il va être bien obligé de le faire, affirme-t-il. On peut encore faire tomber cette réforme. »

Nils, étudiant en deuxième année de master d'économie à l'université Lyon 2 à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon. ©LS/Rue89Lyon
Nils, étudiant en deuxième année de master d’économie à l’université Lyon 2 à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon

Une conclusion partagée par Christophe, 52 ans. Arborant une imposante pancarte satirique, il n’a quasiment pas raté une seule manifestation depuis le début du mouvement social. Un sacrifice pour le commerçant d’instruments de musique dans le deuxième arrondissement :

« C’est vrai que les commerçants et les artisans ne sont pas très représentés dans ce genre de mouvement social, mais on n’est pas tous les mêmes, j’en connais plein qui vont dans la rue. »

« C’est un choix de société qui se joue aujourd’hui »

Christophe ignore combien il va toucher à sa retraite, dans douze ans. Il n’a pas non plus pris le temps de calculer combien cela lui coûtait de fermer boutique à chaque journée de mobilisation :

« L’argent que je ne gagne pas quand je vais en manifestation ne vaudra jamais la perte de deux ans de retraite. Si on doit vraiment calculer : on parle de dix jours d’ouverture de mon magasin contre 24 000 euros. »

De plus, Christophe insiste : il manifeste plus pour le bien commun que pour lui.

« Je connais des femmes de ménage qui travaillent encore à 65 ans. Ce n’est pas ça le monde dans lequel je veux vivre. Au delà de mon petit cas personnel, c’est un choix de société qui se joue aujourd’hui », enfonce-t-il.

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Christophe, 52 ans artisan luthier à la manifestation du 6 avril contre la réforme des retraites à Lyon.Photo : LS/Rue89Lyon

Une réflexion partagée par Margot, enseignante de 35 ans. Syndiquée à Solidaires, elle participe d’habitude au service d’ordre de la manifestation. Mais aujourd’hui, elle défile avec le cortège féministe pour dénoncer le caractère sexiste de la réforme des retraites prévue par le gouvernement.

« Il n’y a aucune prise en compte des temps partiels et des carrières hachées dans cette réforme alors que ce sont généralement le fardeau des femmes », râle-t-elle.

« 30% des aides soignantes partent à la retraite avec au moins une invalidité partielle »

Elle évoque aussi les métiers féminins, comme aides soignantes et aides à domicile, qui effectuent des tâches éreintantes sans que la pénibilité de leur travail ne soit reconnue :

« Il y a des femmes qui portent des personnes âgées toute leur vie alors qu’elles mêmes sont devenues des personnes âgées. 30% des aides soignantes partent à la retraite avec au moins une invalidité partielle. »

Tout comme Nils, Margot déclare n’avoir pas peur d’aller manifester, même en tant que service d’ordre.

« Même si il y a des moments précis, pendant les manifestations, où j’ai peur, admet-t-elle. Quand on essaye de protéger les manifestants rue de la Barre et que des policiers suréquipés commencent à avancer vers nous… Là oui, j’ai le cœur qui bat. »

Le service d'ordre des syndicats, placé en arc de cercle hermétique devant la banderole de l'intersyndicale marquait une rupture nette entre le bloc et le reste de la manifestation. LS/Rue89Lyon
Le service d’ordre des syndicats, placé en arc de cercle hermétique devant la banderole de l’intersyndicale marquait une rupture nette entre le bloc et le reste de la manifestation. LS/Rue89Lyon

Margot milite d’ailleurs pour une féminisation du service d’ordre. Elle se félicite car aujourd’hui, beaucoup plus de femmes encadrent et protègent les manifestants :

« C’est du travail de recruter des femmes en SO. Il faut déconstruire l’idée que c’est un truc de gros bras, que c’est un truc de confrontation physique. Alors que non, c’est surtout une histoire de dialogue. »

Elle ajoute :

« Je pense que s’il y a plus de femmes qui s’investissent autant syndicalement, c’est aussi le résultat d’une colère liée à cette réforme. La colère est parfois un moteur pour oser. »

L’enseignante devait participer à l’organisation d’une soirée de soutien aux caisses de grèves ce jeudi 6 avril au bar De l’autre côté du pont (Lyon 3è). Les prises de paroles se feront en non-mixité choisie, sans hommes cis hétéro. « En 2019, on avait récolté 10 000 euros », se souvient-elle.


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