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Éboueur de Lyon : « J’aime mon boulot. Je sers à quelque chose et ça fait du bien »

Florian, 33 ans, documente chaque jour son quotidien d’éboueur à Lyon sur Twitter. Une façon pour lui de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un travail anodin. Témoignage

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Florian, éboueur à Lyon, durant sa tournée du 18 août 2022.

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Florian (il s’agit d’un pseudo) a 33 ans. Grenoblois d’origine et titulaire d’une licence de géographie, il est arrivé à Lyon en 2019. Alors qu’il avait déjà travaillé dans la restauration et en tant que coursier, c’est la quête de nouveauté qui l’a amené à poser ses valise dans la métropole.

Une fois installé, il a cherché un nouvel emploi, avec en tête un seul critère : avoir ses fins d’après-midi libres pour pouvoir s’investir dans des activités associatives, comme les maraudes ou les ateliers de réparation de vélo.

C’est sous le statut d’intérimaire que Florian a donc commencé à exercer en tant qu’éboueur « ripeur », ceux qui vont chercher les poubelles et qui les accrochent à la benne. Une profession qu’il pratique toujours aujourd’hui, à temps plein et en CDI pour une entreprise en délégation de service public, Pizzorno, sur le secteur de Villeurbanne, qui est aussi celui où il réside.

Florian, éboueur à Lyon, durant sa tournée du 18 août 2022. Photo de Florian.
Florian, éboueur à Lyon, durant sa tournée du 18 août 2022. Photo de Florian.

Au début du confinement, Florian a commencé à documenter quotidiennement le compte Twitter Éboueurs de Lyon qui cumule aujourd’hui 1400 abonnés. Un compte qu’il souhaite non militant et collaboratif, ayant pour seul objectif de mettre en valeur le travail quotidien de tous les acteurs de la gestion des déchets à Lyon, ceux qu’il aime à appeler « les invisibles ». Témoignage.

« Je suis fier d’être éboueur à Lyon »

« Les gens sont étonnés quand je leur dis que j’aime mon boulot. Je ne sais pas si je voudrai l’exercer toute ma vie, mais aujourd’hui, il me convient toujours autant. Je me sens utile, ça correspond au besoin de concret qui m’a fait tourner le dos à des études plus longues. Je ne dis pas non plus que c’est tout rose, ça abîme physiquement. Cependant on se serre les coudes avec mes collègues.

C’est sûr que ça m’a fait bizarre quand j’ai commencé, je n’étais pas à l’aise. Je me souviens, mes collègues de l’époque m’avaient reproché de ne pas les avoir regardés dans les yeux les premiers jours. Comme si j’avais honte d’être parmi eux.

Quand j’y pense, je crois que j’avais peur de ne pas y arriver, mais j’étais aussi un peu mal à l’aise. Je craignais la réaction des gens quand je leur disais que j’étais éboueur. Maintenant, je suis vraiment fier, même si je sais que les clichés persistent.

J’ai perdu au moins 5 kilos en acceptant ce boulot ! On ne peut pas être éboueur si on n’a pas une excellente hygiène de vie. D’une part parce que c’est très physique, on soulève et on traîne des bacs très lourds, mais aussi du fait de nos horaires. Même si je travaille dans mon quartier, mon réveil est à 4h, car le camion est à Vénissieux. J’y vais parfois en voiture, parfois en vélo et tramway.

« On a le luxe de pouvoir garer le camion pour prendre le café à Villeurbanne »

On quitte le dépôt entre 5h10 et 5h20 pour nos secteurs respectifs, ça dépend des recommandations du matin. J’officie dans le secteur de Grandclément. J’aime bien, c’est plutôt tranquille. Pourtant, il y a beaucoup de personnes qui nous plaignent parce que ça construit à toute vitesse dans ce coin-là, les maisons sont remplacées par des immeubles.

Comme les zones de collecte ne sont pas adaptées au fur et à mesure de l’accroissement démographique, on a de plus en plus de bacs à ramasser dans le même laps de temps. Par exemple, ils ont couvert la rue Antonin Perrin d’immeubles de sept ou huit étages. Tant et si bien que chaque lundi, on a un camion de renfort sur Villeurbanne ! Ils font les mêmes horaires que nous et ils ont le camion plein.

On a une pause de 20 minutes vers dix heures. Beaucoup ne la prennent pas pour finir plus tôt, mais nous, avec mes coéquipiers, on y tient. C’est aussi qu’on a le luxe de pouvoir garer le camion dans le quartier pour aller prendre un café. Dans le centre de Lyon, c’est une autre affaire.

« J’ai l’impression que dans la tête des lyonnais, leurs déchets disparaissent par magie »

Florian, éboueur à Lyon, durant sa tournée du 18 août 2022.
Florian, éboueur dans la métropole de Lyon, aux alentours de 6h30 durant sa tournée du 18 août 2022.

On fait souvent deux à trois collectes par jour, donc deux à trois allers-retours, soit aux incinérateurs de Gerland et Rilleux-la-Pape, soit à Saint Fons ou Saint-Priest pour se rendre au poste de tri.

On finit chaque jour à des horaires différents, c’est difficile de donner une norme. Le lundi, on a rarement terminé avant 14 heures, car il y a toutes les ordures du week-end. Le mardi, ça peut aller très vite comme très lentement car c’est le recyclage. Il suffit que les gens aient mal plié leurs cartons et que les poubelles bloquent, il y a souvent beaucoup de petits papiers qui s’envolent.

Le temps qu’on met dépend aussi de facteurs extérieurs, comme des difficultés rencontrées avec les voitures mal garées, qui nous obligent parfois à traîner les bacs sur plusieurs dizaines de mètres. J’ai un chauffeur intrépide, mais parfois rien n’y fait.

C’est mon quotidien. Je me suis rendu compte que très peu de personnes connaissaient ce métier ou même, s’y intéressaient un minimum. Des fois, j’ai l’impression que dans la tête de beaucoup de Lyonnais, leurs déchets disparaissent tout seuls, comme par magie.

« Le compte Twitter m’a permis de revendiquer fièrement mon métier d’éboueur à Lyon »

J’ai un peu changé d’avis quand il y a eu le premier confinement, les personnes nous saluaient ou nous applaudissaient parfois de leur fenêtre. Il y avait même des dessins d’enfants sur les poubelles pour nous remercier. C’était fort, c’est pour ça que j’ai créé le compte twitter, pour leur répondre.

Je n’ai rien inventé, il existe un compte Éboueurs de Paris, duquel je me suis inspiré. J’ai tout de suite gagné beaucoup de followers car David Kimelfeld [ancien président de la Métropole, PS puis LREM, ndlr] m’a retweeté. Le compte m’a permis de revendiquer fièrement mon métier, de tenter de faire de la pédagogie sur le tri, le gaspillage alimentaire.

J’ai toujours voulu garder l’anonymat, j’avais trop peur que mes collègues pensent que je voulais attirer la lumière sur moi. Ils ont peu à peu appris, j’ai eu des retours positifs. Dorénavant, ils me font passer des infos, ça me fait plaisir.

« Les vélos mettent en danger les éboueurs à Lyon »

On entend parler des éboueurs seulement quand il y a des grèves. J’ai l’impression qu’on nous reproche beaucoup de choses : de ne pas travailler suffisamment, de faire du « fini parti », alors qu’on fait souvent plus d’heures que prévu.

Florian, éboueur à Lyon, durant sa tournée du 18 août 2022.
Florian, éboueur à Lyon, au moment du lavage de camion en fin de tournée. (Seule la trémie a été lavée et non la carrosserie, du fait des restrictions liées à la sécheresse). Photo de Florian.

Je veux montrer qu’on fait notre travail du mieux qu’on peut, et que c’est un job difficile, notamment parce que les Lyonnais ne font pas toujours l’effort de jeter correctement leurs déchets, ou même d’êtres patients. Il n’y a pas que les voitures qui empêchent le camion de passer, il y a aussi celles qui nous klaxonnent parce qu’on bouche une rue.

Les vélos nous mettent aussi en danger, car ils roulent à toute vitesse, en oubliant qu’il y a toujours les ripeurs qui gravitent autour du camion, y compris sur la piste cyclable. Maintenant, dès qu’on peut, on fait rouler le camion sur la piste cyclable : Sinon, le cycliste passera quoi qu’il arrive, même si il nous frôle de quelques centimètres.

Le pire c’est vraiment le tri. On trouve tout le temps des personnes qui mettent des sacs d’ordures ménagères dans le recyclable, parce que la poubelle grise est pleine.

Il y en a d’autres qui ne trient pas le moins du monde. C’est toutes les populations, il n’y a pas de délimitation si claire que ça entre quartiers pauvres et quartiers riches.

« Nous sommes indignés par le gaspillage à Lyon »

Beaucoup de paresseux mettent le verre dans les poubelles grises. Je ne comprends pas, il y a des cubes à verre tous les dix mètres. Sans oublier que les lyonnais se trompent beaucoup sur ce qui est recyclable ou ce qui ne l’est pas. Les cagettes, la boîte de camembert en bois : ça ne se recycle pas. Je crois que peu sont au courant.

Il y a aussi des personnes qui sont vraiment sans cœur, une fois on a trouvé un chiot dans un sac de sport posé à côté des poubelles.

Avec les collègues, on a l’impression que cette désinvolture face au tri des déchets a augmenté depuis le confinement. Je ne saurai pas dire pourquoi. On pense aussi que malgré la médiatisation des problématiques de gaspillage alimentaire en France, rien ne se passe.

Le pire c’est évidemment les cantines, les collectivités, mais pas seulement. Par exemple, j’ai un commerçant qui jette tous les jours 40 baguettes de la veille. Ce n’est pas normal.

Mon collègue et moi, ça nous indigne. Moi, pour des raisons écologiques; lui, parce qu’il a une famille et qu’il compte ses sous. La surconsommation, le gaspillage, je ne pense pas me tromper en disant que la plupart des éboueurs les ont en en horreur. C’est aussi pour ça que je refuse la stigmatisation des éboueurs.

« Je ressens parfois qu’on nous assimile aux déchets qu’on ramasse »

Certains nous voient comme une population peu consciencieuse, qui fait ce métier par défaut. Dans les yeux des passants, je ressens parfois qu’on nous assimile aux déchets qu’on ramasse. Surtout en été, quand la benne pue.

Mais ce n’est pas tout le monde, il y a beaucoup de personnes qui nous sourient, qui nous saluent. Il y a des enfants qui veulent faire coucou aux éboueurs chaque matin et leurs parents les accompagnent tout sourire. Si j’ajoute à cela que j’aime beaucoup mon équipe, j’ai envie de rester encore éboueur pour un bout de temps.

Même si les horaires m’empêchent souvent d’avoir une vie sociale normale car je dois me coucher très tôt, ça vaut le coup. Mon travail sert à quelque chose et ça me fait du bien. »

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