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Abandons massifs de lapins à Lyon : « On ne s’en sort plus »

À Lyon et environs, les refuges accueillant des (NAC) comme les lapins ou les cochons d’inde sont surchargés : un pic d’abandons jamais atteint.

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Cet été, les associations observent un phénomène d'abandons massif de lapins à Lyon. Une photo Pexels par Piya Nimityongskul

Sur le bien connu site de petites annonces de particuliers LeBonCoin, les annonces se succèdent : des lapins de tous les âges sont vendus à des prix dérisoires allant de 0 à 40 euros. Ils sont tantôt cédés seuls, tantôt en kit, avec leur cage, leur nourriture et leur litière, dans une ambiance de déstockage proche du « tout doit disparaître ».

Certains particuliers prennent la peine d’expliquer brièvement leur choix, comme « Nab », habitante du 7e arrondissement, à Lyon :

« Je donne mon lapin nain âgé de 3 ans car j’adopte un chien. »

Gaëlle, utilisatrice habitant Oullins offre une variante moins laconique :

« Je donne mon lapin de cinq ans contre bon soin, j’avais un grand appartement avant mais je suis passée dans plus petit suite à une grosse perte financière. C’est un lapin très calme qui vit en enclos. Il demande quelques caresses et un peu d’attention chaque jour. »

Un phénomène similaire existe pour les cochons d’inde. Cependant, il s’agit plus souvent de dons de bébés que d’animaux déjà âgés.

On peut trouver des lapins et des rongeurs domestiques à vendre sur LeBonCoin durant toutes les périodes de l’année. Cependant, les dons estampillés « urgents » apparaissent majoritaires en été. Une façon parmi d’autres de se débarrasser de la responsabilité d’un animal en période estivale. À l’évocation de cette tendance, Béatrice Tauvel, cheffe animalière de la SPA de Lyon, soupire, désabusée :

« C’est toujours mieux que les personnes qui abandonnent leur lapin dans les rues ou dans les parcs. »

« Pour la première fois on a dû mettre en place une liste d’attente »

Dernière arrivée en date au refuge de Brignais, un lapin domestique trouvé errant dans le parc de Miribel-Jonage :

« Ce sont des particuliers qui les capturent et nous les ramènent, la plupart du temps, ils arrivent déshydratés et affamés. On ne va pas se mentir, beaucoup se font croquer ou écraser. »

Aujourd’hui, la SPA de Brignais ne peut plus accueillir de lapins, les 20 places réservées aux lagomorphes sont toutes occupées. C’est le cas pour toutes les structures similaires dans la région, comme le refuge de Chloé Machado, « Les grandes oreilles » situé dans le Nord-Isère. Spécialisé dans les NAC, une cinquantaine de lapins a été recueillie les derniers mois, mais ce n’est pas suffisant :

« Pour la première fois on a dû mettre en place une liste d’attente. En presque dix ans, nous n’en avions jamais eu besoin. Là on a une vingtaine de personnes qui attendent de nous confier leur lapin, c’est dingue. »

Caravelle fait partie des lapins abandonnés au refuge des Grandes Oreilles, près de Lyon. Chloé Machado organise régulièrement des shootings pour mettre en avant les animaux à adopter. Photo : Les Grandes Oreilles
Caravelle fait partie des lapins abandonnés au refuge des Grandes Oreilles, près de Lyon. Photo : Les Grandes Oreilles

« On ne s’attendait pas à un tel contre-coup du Covid »

Autre phénomène étonnant, en plus de l’avalanche de lapins, de nombreux particuliers sont venus abandonner leurs cochons d’inde :

« D’habitude on en a deux ou trois. En ce moment, on en a une quinzaine, on a dû réorganiser nos locaux. »

Les cochons d’inde vivent le plus souvent à plusieurs ou en petites colonies. Ils peuvent s’habituer à l’extérieur, même l’hiver. Généralement considérés comme très faciles d’entretien, le phénomène est inédit pour Chloé Machado. Et pourtant, cela fait presque dix ans que « Les grandes oreilles » accueille des NAC sur le territoire :

« On s’attendait un peu au fait qu’il y ait un contre-coup des deux années Covid, mais pas de cette ampleur. »

Chloé Machado a du réorganiser son espace face au pic d'abandon des cochons d'inde. Photo : Les Grandes Oreilles
Chloé Machado a du réorganiser son espace face au pic d’abandons des cochons d’inde. Photo : Les Grandes Oreilles

Un contre-coup de deux ans où les particuliers ont beaucoup moins abandonné leurs petits compagnons à fourrure. Béatrice Tauvel partage ce constat. Elle a remarqué que les périodes Covid ont donné à beaucoup l’envie d’adopter, et que le retour à la vie « normale » a fait perdre le sens des responsabilités à certains. Elle ose une théorie :

« On ne voit pas du tout le même comportement chez les adoptants de NAC que chez les adoptants de chats ou de chiens. Les lapins sont souvent considérés comme des objets de consommation, qu’on achète sur un coup de tête parce que c’est mignon et dont on se débarrasse sans trop se poser de question. »

Béatrice Tauvel rappelle que le lapin fait partie des animaux que l’on retrouve dans nos assiettes, en France, et que cela doit aussi jouer dans l’imaginaire collectif. Elle poursuit :

« Ce sont des animaux loyaux, intelligents et sensibles, je trouve ça dommage qu’ils soient vu comme une distraction, un « truc » dont on peut se séparer quand on a décidé que ça ne fonctionnait plus. »

« À Lyon, beaucoup de parents abandonnent le lapin qu’ils ont acheté pour leur enfant »

Chloé Machado dessine le même constat. La plupart des particuliers qui viennent abandonner des NAC dans son refuge sont des parents, qui ont cédé au caprice « lapin » de leur enfant, oubliant leurs propres obligations :

« Il est souvent dit des cochons d’inde et des lapins que ce sont des bons animaux pour responsabiliser un enfant, et c’est vrai, si les parents donnent un minimum l’exemple et se comportent de façon responsable aussi. »

Autre motif d’abandon : les particuliers oublieraient un peu vite que les lapins se reproduisent très vite. Dépassés par le nombre, leurs portées indésirées envahissent les refuges.

« Les animaleries sont responsables des abandons de lapins »

Jarod Winston est une sommité lyonnaise dans le domaine des lapins. Sa page Facebook « Quoi de neuf docteur » est suivie par plus de 14 000 personnes. Il y documente ses sauvetages de NAC et donne des conseils à sa communauté pour s’occuper de ces derniers correctement. Ancien artisan du bois, il a fabriqué bon nombre de petits fauteuils roulants pour des lapins immobilisés des pattes arrières.

Corona fait partie des lapins abandonnés au refuge des Grandes Oreilles, près de Lyon. Chloé Machado organise régulièrement des shootings pour mettre en avant les animaux à adopter. Photo : Les Grandes Oreilles
Corona fait partie des lapins abandonnés au refuge des Grandes Oreilles, près de Lyon. Chloé Machado organise régulièrement des shootings pour mettre en avant les animaux à adopter. Photo : Les Grandes Oreilles

Pour lui, cela ne fait aucun doute, les premiers responsables des abandons des NAC sont les animaleries qui vendent en gros :

« On parle de magasins qui tablent sur cette stratégie : vous allez acheter une truelle et vous repartez avec un lapin. Au prix auquel ils sont vendus, on ne se pose pas trop de questions avant d’acheter. »

À l’achat en animalerie, un lapin ou un cochon d’inde excède rarement les 40 euros. Ce sont les cages, enclos ou clapiers qui leur servent de logis qui coûtent bien plus cher, ainsi que la nourriture et la litière. Jarod Winston détaille :

« Ça ne rapporte pas grand-chose de vendre l’animal, c’est surtout fidéliser la clientèle à revenir au même magasin toute sa vie pour acheter la même nourriture, la même litière, une nouvelle cage… »

À Lyon, des lapins récupérés dans les parcs, les poubelles, sur les trottoirs

Il tacle au passage les produits vendus en « grandes » animaleries, accusant celles-ci de proposer des aliments qui ne sont pas adaptés aux lapins. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Jarod Winston va bientôt ouvrir -avec quelques vétérinaires de la région- Le comptoir des NAC, dans le centre de la Croix-Rousse, qui vendra et conseillera les Lyonnais au sujet de la nourriture à favoriser pour leur animal.

Travaillant très régulièrement avec Chloé Machado du refuge « Les Grandes Oreilles », Jarod Winston lui confie souvent les lapins qu’il a récupérés à Lyon, dans les poubelles, les parcs, sur les trottoirs :

« Ceux qui ne vont pas trop mal je les envoie à Chloé quand elle a de la place, ceux qui sont blessés je m’en occupe le plus longtemps possible. »

Tout comme Chloé Machado, Jarod Winston consacre beaucoup d’argent à sa vocation. Des vétérinaires lyonnais l’aident pour la plupart bénévolement, cependant les lapins qui souffrent de maladies, amputés d’une patte ou de deux, nécessitent des soins (et des moyens) accrus.

« Le futur est trop incertains pour adopter des lapins à Lyon »

Une fois soignés, Jarod Winston propose régulièrement des lapins à l’adoption. Contrairement à l’idée reçue, ce ne sont pas les plus mignons qui partent en premier :

« Il arrive très souvent qu’on me demande d’adopter un vieux lapin ou un handicapé. Il y a des personnes qui ont vraiment envie de faire une bonne action. »

Il dresse le même constat que Chloé Machado ou encore Béatrice Tauvel : non seulement les mois derniers ont été marqués par un pic des abandons, mais aussi et surtout par une baisse massive des adoptions. La page Facebook du refuge « Les Grandes Oreilles » en témoigne : à part une adoption en août, les derniers messages annonçant des prises en charge datent du 2 avril dernier.

Chloé Machado fait coïncider le coup d’arrêt des adoptions avec le début de la guerre en Ukraine :

« Ça peut sembler étonnant, mais je crois que ça a vraiment donné un sentiment d’incertitude face à l’avenir. Nos adoptants sont l’opposé de ceux qui achètent des lapins sur un coup de tête. Ils veulent être sûrs de leur donner une vie agréable. »

Cet été, les associations observent un phénomène d'abandons massif de lapins à Lyon. Une photo Pexels par Riika
Cet été, les associations observent un phénomène d’abandons massifs de lapins à Lyon. Une photo Pexels par Riika

Elle conclut en rappelant que pour beaucoup, la baisse du pouvoir d’achat a eu un impact dévastateur sur leur budget :

« Il y a de plus en plus de personnes qui abandonnent leur compagnon car ils n’ont plus les moyens de s’en occuper. J’imagine que d’autres s’empêchent d’en adopter pour les mêmes raisons. »


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