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#Enjeux2020 – Quelle gestion de l’eau à Bordeaux, Strasbourg et Lyon ?

#Enjeux2020 – En vue des élections locales de mars 2020, les trois Rue89 locaux, Lyon, Bordeaux et Strasbourg proposent des regards croisés sur des problèmes communs à ces trois métropoles. Pour ce quatrième épisode, retour sur la politique de gestion de l’eau.

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La gestion de l'eau potable, un enjeu de taille pour les communes

1/ A Bordeaux Métropole, l’eau reste une affaire privée

Le vin de bordeaux fait plus de vagues que son eau. Les menaces de nouvelles taxes américaines sur les bouteilles françaises mobilisent à plein les élus girondins. Si une association, Trans’Cub, dénonce en justice les profits engrangés par Suez, peu de candidats plaident pour un retour en régie de l’eau. La Métropole a déjà acté que la distribution d’eau potable continuerait à être gérée par le privé.

L’avenir de la ressource en eau potable de l’agglomération bordelaise est pourtant dans l’actualité : la Métropole vient de voter un contrat afin d’exploiter les nappes profondes du Médoc, et d’alimenter ainsi 905 000 habitants, soit les deux tiers de la population du départements.

Principal objectif de ce projet à 60 millions d’euros : « pallier le risque de surexploitation des nappes de l’éocène« , qui ne se reconstituent pas au rythme des prélèvements. 120 millions de m3 par an sont actuellement nécessaires pour abreuver une population girondine en plein boom (20 000 nouveaux habitants par an). Les nouveaux forages permettront de puiser à 250 mètres de profondeur, dans la nappe de l’oligocène, 10 millions de m3/an.

L’eau sera ensuite distribuée aux 270 000 abonnés de l’agglo (du moins à 23 des 28 communes de la Métropole, dont Bordeaux) par Suez Eau de France. Opérateur historique, l’ex Lyonnaise des eaux est délégataire du service public jusqu’au 31 décembre 2021. La prolongation de ce contrat pour 7 ans, actée en 2015, est au cœur d’un conflit juridique entre Bordeaux Métropole et l’association de défense des consommateurs Trans’Cub.

Les candidats interpellés sur l’eau

Cette dernière s’était battue avec succès pour que l’ex communauté urbaine de Bordeaux (CUB) renégocie avantageusement son contrat, dans les années 2000.

Aujourd’hui, elle estime que la collectivité aurait du profiter de la loi Sapin limitant à 20 ans la durée des DSP (délégations de service public) pour prononcer la caducité du contrat en 2015. Elle jaugeait à 160 millions d’euros la ristourne qu’aurait pu obtenir la Métropole de Suez au titre de la rentabilité excessive du contrat.

Déboutée le 18 décembre 2018 par la cour administrative d’appel de Bordeaux, Trans’Cub a saisi le Conseil d’Etat, qui a jugé le recours recevable. Avant que la plus haute juridiction française ne tranche ce litige, l’association compte interpeller les candidats aux municipales pour leur demander de « s’engager sur une décision symbolique », explique un de ses responsables, Denis Teisseire :

« saisir la chambre régionale des comptes sur ce dossier, afin qu’elle dise si oui ou non ce contrat est caduc, et que la métropole prenne une décision le 1er juillet 2020. »

Mais après ? A part l’ancien candidat (Nouveau parti anticapitaliste) à la présidentielle, Philippe Poutou, tête de liste pour Bordeaux en Luttes, aucun aspirant à la mairie de Bordeaux (et à la métropole) ne plaide pour un retour en régie de l’eau potable. Trop tard, explique Maxime Ghesquière, ex président de l’association Dynam’eau, en charge du dossier pour Pierre Hurmic, le candidat de l’alliance écolo-PS-PC :

« Bordeaux Métropole a déjà acté le fait que le contrat d’eau potable serait à nouveau une DSP, et cela fait deux ans que les services travaillent sur l’appel d’offre (en affermage, et non plus en DSP, NDLR). Tout doit être bouclé début 2021. Si on gagne, cela parait très tendu en termes de timing de passer en régie. »

Bien commun de l’humanité

En revanche, la liste de gauche travaille sur « le retour en régie directe de l’assainissement de l’eau (détenu par Veolia depuis 2019), au plus tard au terme du contrat, en 2025″. D’autant plus que la Métropole a développé davantage de compétences internes en optant pour l’affermage à la SABOM (filiale de Veolia) la collecte, le traitement des eaux usées et la gestion des eaux pluviales urbaines de l’ensemble de son territoire.

« Il n’y a pas une grande différence entre un affermage et une régie, estime même Denis Teisseire. Dans l’affermage, la collectivité ne délègue que la gestion courante du service, et conserve les principaux investissements, ce qui est le plus important, car ils lui permettent d’avoir le contrôle des dépenses en main (notamment grâce à la maîtrise des systèmes d’information, NDLR). A l’arrivée, le coût repose moins sur les usagers : la gestion courante de l’assainissement est rémunérée sur la base de 3% du chiffre d’affaires de Veolia, contre près de 15% pour Suez dans le marché de l’eau potable. »

En 2016 à Bordeaux Métropole, sur un prix total de 3,47 euros le m3 (pour une facture moyenne de 120 m3), l’assainissement s’élevait à 1,10 euros HT/m3, davantage qu’à Lyon et Strasbourg (un peu moins de 1 euro), mais bien moins qu’à Nice ou Dijon (près de 1,80 euros). La moitié du montant de la facture revenait à Suez, au grand dam de Maxime Ghesquière :

« L’eau est un bien commun de l’humanité, on ne conçoit pas que des sociétés fassent des bénéfices sur ce bien commun. Nous demandons à ce qu’il soit accessible à tous, notamment dans les squats de la métropole. Et on voit bien depuis des années la complexité à le faire quand la collectivité, qui est sur le dossier de l’eau un client des multinationales, n’a pas la main. »

Sauf pour creuser profondément sous nos pieds pour aller en chercher.

2/ A Strasbourg, un service de l’eau assuré en régie directe

Le service de l’eau est assuré en régie directe par l’Eurométropole de Strasbourg pour Strasbourg et 11 communes voisines. Les 20 autres villes et villages de seconde couronne sont desservies par le vaste Syndicat des Eaux et de l’Assainissement Alsace-Moselle qui s’étend sur 8 départements. Seule la station d’épuration fait l’objet d’une délégation de service public. En 2018, Suez a succédé à la Lyonnaise des eaux. « Eau de Strasbourg » propose un prix stable de 2,86 euros / m3, soit moins d’un centime par litre. L’eau est puisée dans la nappe phréatique d’Alsace une des plus vaste réserve d’Europe, réputée de bonne qualité.

Le service de l’eau ne fait pas l’objet de remise en cause des groupes politiques, ni des listes aux élections municipales. Le système est jugé économique et efficace. À tel point que la métropole a d’ailleurs été autorisée à piocher dans les excédents du « budget annexe de l’eau » lorsqu’elle a dû faire face à la crise à 200 millions d’euros pour son incinérateur amianté, à l’arrêt près de trois ans.

Seule la station d’épuration est gérée par Valorin (filiale de la Lyonnaise des Eaux) depuis 2010.

La gestion de l'eau potable, un enjeu de taille pour les communes
Le siège de Eau du Grand Lyon à Lyon (à gauche) et le réservoir d’eau rue Paulin à Bordeaux (à droite). Photos TS/Rue89Lyon et Métropole de Bordeaux.

3/ Veolia : stop ou encore à Lyon ?

Il y a six ans, quelques semaines avant les élections municipales, Gérard Coulomb, après avoir opté pour le maintien de la délégation de service public, choisissait de nouveau Veolia pour gérer l’eau du Grand Lyon bien que l’ex-Générale des eaux ait surfacturé pendant de nombreuses années ses prestations.

Ce nouveau contrat, d’une durée de huit ans et non plus de 30 ans, était assorti de l’engagement de baisser le prix de l’eau de 24 %. Pour une consommation moyenne de 120 m3, le prix de l’eau est de 3,15 euros / m3 (ce prix couvre la distribution, la collecte et le traitement des eaux usés).

En outre, Veolia s’était engagée à limiter les fuites pour atteindre un rendement du réseau de 85%. Lequel a été atteint en 2016 selon la Métropole de Lyon.

Le contrat arrivant prochainement à échéance, la future assemblée de la Métropole devra de nouveau choisir le mode de gestion de la production et de la distribution de l’eau, entre la délégation de service public ou un passage en régie (l’assainissement est déjà assuré en régie).

Pure comme l’eau d’Evian

En matière d’eau potable, les habitants de l’agglomération lyonnaise sont particulièrement chanceux.
L’eau qui alimente nos robinets est de très bonne qualité et disponible en grande quantité.

L’eau provient principalement du champ captant de Crépieux-Charmy, situé entre Villeurbanne et Vaulx-en-Velin. Celui-ci est alimenté par la nappe souterraine qui accompagne le cours du Rhône. L’eau est filtrée par les alluvions (sables, graviers, galets…), ce qui la rend naturellement potable.
On a même déjà comparé l’eau du Grand Lyon à l’Evian.

Question volume, on est large. 240 000 m³ d’eau sont pompés chaque jour à Crépieux-Charmy – qui peut en produire près du double –, soit environ 90% des besoins quotidiens des 358 000 abonnés métropolitains.

Aujourd’hui, tout semble aller bien donc.

Mais comme dans d’autres grandes villes, deux menaces pèsent sur cette eau. D’une part, les pollutions émergentes et d’autre part le réchauffement climatique.

La menace des pollutions émergentes et du réchauffement climatique

Les « polluants émergents » ou « micropolluants », dont la pollution plastique, peuvent provenir d’activités industrielles ou agricoles (solvants, détergents, pesticides, retardateurs de flamme…), de nos modes de transport (hydrocarbures, microparticules de métaux, etc.) et des activités domestiques (produits ménagers, médicaments, cosmétiques, etc.).

À l’heure actuelle, il n’existe pas d’obligation réglementaire de suivi de ces polluants ni de protocole d’analyse officiel. Et il est pour l’heure impossible de détecter l’ensemble de ces substances dans nos ressources en eau étant donné leur diversité et nos limites technologiques.

Le vice-président de la Métropole en charge de l’eau, Jean-Paul Colin, affirme cependant que « de très faibles traces de certains composés ont été retrouvés » après analyses :

« Nous retrouvons des traces, à l’échelle du nanogramme par litre – c’est-à-dire un milliardième de gramme de substance dans un litre d’eau –, de substances médicamenteuses telles que le paracétamol. Nous retrouvons également, toujours à l’état de traces, des substances probablement issues de l’activité industrielle humaine comme les perchlorates ou l’acide perfluorooctanoïque, qui sont tous deux des perturbateurs endocriniens ».

S’agissant particulièrement du plastique, la Métropole reconnaît ne pas suivre spécifiquement les nanoparticules de plastiques aujourd’hui. On ne sait donc pas s’il y en a dans notre eau du robinet.

Au niveau national, la stratégie du Plan micropolluants 2016-2021 préconise avant tout l’accumulation de connaissances sur la présence de ces micropolluants dans les ressources en eau et leur réduction à la source.

Pour l’avenir, la Métropole certifie que cette problématique des micropolluants est bel et bien identifiée comme un des risques majeurs qui pèse sur les ressources en eau du territoire.

A la fin du siècle, le climat lyonnais pourrait ressembler à celui de Madrid ou, pire, à celui d’Alger – mais sans la mer. Conséquences : assèchement et disparition des glaciers alpins qui alimentent les fleuves et donc un plus faible débit du Rhône. Ce qui va entraîner des conflits d’usage et une augmentation relative des polluants.

Sécuriser la ressource…

Comme rappelé dans le rapport sur la « gestion de la ressource » présenté en novembre dernier lors d’une commission générale de la Métropole, l’enjeu des prochaines années est donc de sécuriser la ressource.
Cela passe notamment par la diversification de la production d’eau pour ne plus être dépendant à 90% du même champ captant.

L’objectif fixé en 2025 est que 20% de la ressource provienne d’un autre captage. Ainsi, en cas de pollution importante de Crépieux-Charmy, la Métropole de Lyon pourrait compter sur une autre source.
Actuellement, seulement 10% de l’eau provient de deux autres captages : 5% de la nappe de l’Est et 5% de la nappe d’accompagnement de la Saône.

… dans le cadre d’un nouveau mode de gestion

A très court terme, les futurs élus de la Métropole devront choisir entre continuer une gestion de l’eau (production+ distribution) sous la forme d’une délégation de service public (DSP), comme c’est le cas depuis plus de trente ans, ou le passage à une gestion directe par la Métropole, notamment sous la forme d’une régie.

L’un des principaux arguments des tenants de la régie est l’économie pour la collectivité et les particuliers qu’une gestion directe pourrait apporter. Dans un contexte où Veolia est régulièrement accusée de « se gaver » sur l’eau du Grand Lyon.

Depuis début septembre, le collectif Eau Bien Commun Lyon Métropole (EBCLM), composé de citoyens, d’associations de consommateurs d’eau, de syndicats et de partis politiques classés à gauche (EELV, LFI, PCF, Nouvelle Donne, Ensemble !, Génération.s), se mobilise pour le passage en régie publique. Avec le mot d’ordre que « l’eau doit payer l’eau ».

Paradoxalement, le 4 novembre dernier, lors de la Commission générale, François-Noël Buffet, tête de liste Les Républicains pour les élections métropolitaines, a réaffirmé la préférence de la droite pour une délégation de service public et, donc, des investissements privés :

« Tout ce qui est investi par le privé aura deux impacts positifs : il n’augmentera pas l’endettement de notre collectivité et il reviendra à la propriété publique au-delà de la durée de la délégation ».

>> Ce paragraphe sur Lyon est un extrait de l’article

#Enjeux2020 – L’eau du Grand Lyon n’est pas un long fleuve tranquille


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