Au regard de l’investissement et de la foi que Gérard Collomb a très tôt destinés à Emmanuel Macron, il était impossible que le Président lui refuse quoi que ce soit. Le maire de Lyon et désormais ministre a donc fait comme il l’entendait sur son territoire métropolitain, désignant des candidats de la République en marche issus de son sérail politique, faisant fi de la promesse de grand renouvellement et d’air frais.
Gérard Collomb a justifié ses choix par le fait que ces candidats, issus du PS ou de la « Collombie », ont pris le risque (juste à temps) de suivre Emmanuel Macron et ont donc participé à sa victoire.
Des éléments de langage remâchés par les principaux concernés. Jean-Louis Touraine a bien conscience que sa candidature peut faire tiquer, pour rester soft. Et il a lui aussi la réponse prête à l’emploi :
« Il faut aussi des députés qui aient de l’expérience dans l’assemblée, qui puissent guider ceux qui arrivent. Le fonctionnement du travail parlementaire est complexe et il y a besoin de temps pour se l’approprier. Je serai là pour accompagner. »
À ses côtés, sa suppléante Sarah Peillon acquiesce. Elle qui, en tant qu’ancienne attachée parlementaire, aurait pu envisager que son heure était enfin arrivée. Et qui, bien qu’affublée de l’étiquette PS, aurait davantage incarné le renouvellement, tout en pouvant elle aussi revendiquer la maîtrise des arcanes de cet hémicycle.
« Jean-Louis Touraine est légitime sur ce territoire, nous en avons discuté ensemble, il n’y a pas de problème ».
Aussi Jean-Louis Touraine joue-t-il sur du velours, sur cette 3e circo favorable à la gauche. Si la France insoumise y a réalisé un bon score lors de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a raflé la mise sans problème avec plus de 30% des voix au premier tour et atteignant plus de 84% des voix au second tour.
Cette écrasante victoire peut laisser penser à Jean-Louis Touraine qu’il pourra dès cet été commencer à dispenser la leçon aux petits nouveaux dans les travées de l’assemblée.
Ou presque.
Sociétés louches ou tout ce que Jean-Louis Touraine ne sait pas
Le député sortant doit faire face dans cette campagne à quelques intempéries. Lyon Capitale écrit dans son mensuel de juin que Jean-Louis Touraine possède une société de « support juridique de gestion de patrimoine immobilier ». Elle a été créée en 1990 mais n’a pas été déclarée à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en 2014.
Défense du député socialiste : il n’aurait jamais eu connaissance de l’existence de cette société, qu’on lui a signalée et qu’il a donc fait fermer en mai 2017.
« C’était une erreur, effectivement je l’ai fait fermer parce qu’on a attiré mon attention sur cette chose qui existe. Je ne sais pas de quoi il s’agit. D’ailleurs ce n’est peut-être pas moi », dit-il à Lyon Capitale.
Ce n’est pas la première fois que Jean-Louis Touraine use de l’argument « à l’insu de mon plein gré » puisque ses liens avec une société installée dans les Bermudes l’avaient rattrapé il y a quelques années. Rue89Lyon avait publié une enquête sur cette affaire embarrassante.
Une adversaire comme une vieille copine ou les forces centristes de Lyon
En face de lui, Jean-Louis Touraine retrouve entre autres la candidate Les Républicains (LR) Nora Berra, qu’il connaît bien. C’est l’habituel combat des médecins sur ce territoire (elle avait toutefois renoncé à se présenter aux législatives en 2012, après une grosse dispute avec son parti).
L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, qui a appelé à voter Emmanuel Macron entre les deux tour de l’élection présidentielle, prétend représenter davantage le renouvellement et pouvoir être une « députée libre ». Traduction : elle fait partie de ces candidats LR qui n’entendent pas s’opposer systématiquement aux choix du Président de la République et de sa majorité.
Tout comme Christophe Geourjon, candidat UDI très actif sur ce territoire et, plus largement, dans son travail d’opposant à Lyon. Dans le casting au centre, on trouve aussi Eric Lafond, qui se présente régulièrement aux élections locales. Il a un temps porté l’étiquette Modem, dont il s’est débarrassé pour adopter une étiquette toujours centriste mais avec une couleur plus citoyenne et porteuse d’un propos fort sur la transparence et l’éthique.
Cette concentration des forces centristes de Lyon, sur cette circonscription, affaiblit davantage encore les chances de Nora Berra.
À la gauche de Jean-Louis Touraine, on trouve Pascal Lebrun. Lui été investi par la France insoumise qui a réalisé avec Jean-Luc Mélenchon un score honorable de 24,71% des voix. Mais comme sur les autres circos, cette gauche part très divisée et compte, notamment, un candidat communiste.
Europe-Ecologie-Les-Verts replace ici Fanny Dubot, une personnalité que le parti écolo semble peu à peu faire monter.
« Même si Touraine, ce n’est pas mon truc, il faut que je reste cohérente »
Nous sommes allés nous promener sur le marché, où les candidats font campagne, afin de receuillir quelques témoignages d’électeurs de la 3e circo. Morceaux choisis, à côté des légumes de saison :
Natacha, 31 ans, employée dans l’éducation privée :
Pour moi, c’est plus important de faire de la bonne politique utile plutôt que de rester fixer sur un parti. C’est important de pouvoir changer de parti afin de pouvoir œuvrer mieux. Je ne suis pas pour rester attaché au PS ou au LR, je comprends l’attitude de Touraine. Je voterai pour En Marche ! sans trop regarder les autres, pour que le président ait plus de pouvoir. Quant à l’âge de Touraine, selon moi, un renouveau politique, c’est plus en termes de changements d’idées. Donc ce n’est pas parce qu’on est là depuis longtemps qu’il ne peut pas y avoir de changement. Mais avant Macron, j’étais plutôt de droite.
Neima, 50 ans, auxiliaire de vie scolaire, habitante du Bachut :
Pour les élections présidentielles, j’ai voté En Marche ! aux deux tours. Alors que normalement, je suis plus de gauche. Le PS est obligé de changer, et avec ce qu’il se passe aujourd’hui, c’est peut-être le premier changement. Il était temps que les deux partis principaux explosent. Je suis donc prête à voter pour Jean-Louis Touraine s’il n’incarne pas du tout le renouvellement politique promis par Emmanuel Macron.
Christiane, 71 ans, retraitée :
J’ai toujours voté à droite. Aux primaires j’avais voté Juppé mais je n’ai pas voté Fillon à cause de toutes ses affaires. Donc je me suis reporté sur Macron car je veux lui donner une chance. Alors même si Touraine, ce n’est pas “mon truc”, il faut que je reste cohérente. Je ne vais pas voter pour lui mais pour le parti. Il peut paraître opportuniste, mais il ne faut pas être toujours dans l’opposition frontale. Il faut échanger pour avancer.
Jocelyne, 63 ans, retraitée, réside dans le 8ème arrondissement :
Ceux qui passent du PS à En Marche ! ne sont pas de vrais socialistes de gauche, ils sont socialistes de droite. C’était d’ailleurs la politique de François Hollande pendant cinq ans. Moi j’ai toujours voté à gauche, la vraie gauche. Donc la seule gauche dans laquelle je me reconnais aujourd’hui est celle de Jean-Luc Mélenchon. En plus, Jean-Louis Touraine, ce n’est pas du renouvellement. Dans la politique d’Emmanuel Macron, il y a du renouvellement mais aussi des vieux briscards, vu qu’il y a Gérard Collomb.
Didier, 57 ans, artiste peintre, réside à Grange-Blanche :
Ce changement d’étiquette me dérange. Jean-Louis Touraine était de gauche, il est passé à En Marche ! alors que ce n’est pas du tout la même politique. Il renie ses anciennes convictions pour saisir l’opportunité d’aller vers Macron, qui est plutôt centre-droit. Il racole pour garder son poste. Moi je vote à droite et je vais voter pour un candidat de droite.
Philippe, 56 ans, retraité, a travaillé 35 ans dans l’armée :
Le fait qu’il vire d’un parti à un autre me dérange beaucoup. Pour moi c’est une entourloupe. Comme on ne connait pas beaucoup de gens qui se présentent, je vais voter pour un parti. Personnellement je voulais me diriger vers le PS mais il n’y a pas de candidat officiel, alors je peux voter blanc.
Marie-Paule, 70 ans, réside rue Dr Bonhomme :
L’attitude de Jean-Louis Touraine n’est pas honnête, ça me dérange énormément. Je n’ai pas confiance en lui car je n’aime pas les gens qui retournent leur veste. Quand on est dans un parti politique, on ne devrait pas déroger ailleurs, on devrait rester dans son parti. Emmanuel Macron avait prôné le renouvellement alors qu’actuellement, il ne s’est entouré que des gens d’un certain âge. Pour les élections législatives, ça sera une abstention car aucun candidat ne me convient, et tout le monde se mélange avec tout le monde.
Djé, 70 ans, retraité, réside place Ambroise Courtois :
Que Jean-Louis Touraine soit passé à En Marche ! ne me gêne pas du tout. On peut évoluer dans l’esprit, dans les positions, on va dans le bon sens si on est coopératif entre nous tous. C’est vrai que ce candidat est vieux, mais il ne faut pas non plus qu’il n’y ait que des jeunes. Parce qu’à ce moment-là, c’est de la ségrégation.
André, 57 ans, restaurateur, réside place Ambroise Courtois :
Je voterai Jean-Louis Touraine. Au départ pour les présidentielles, j’étais sur Fillon. Mais maintenant que Macron est en place, je veux suivre En Marche !.
Martine, 70 ans, retraitée, résidente du quartier Monplaisir :
L’attitude de Jean-Louis Touraine me surprend. J’ai été déçue de voir que c’était lui qui représentait le candidat d’En Marche ! sur cette circonscription, vu que Touraine, on le connait à Lyon, il est socialiste. Moi j’espérais voir une nouvelle tête. Pourquoi on a voté pour Macron ? Parce qu’il a des idées nouvelles. Je ne veux pas qu’on nous ressorte tous les vieux des partis. En revanche, pour avoir travaillé au Conseil régional dans le passé, on voyait qu’il y avait de bonnes idées à gauche mais aussi de bonnes idées à droite.
Odette, 79 ans, retraitée, réside rue Dr Bonhomme :
Je ne suis pas d’accord avec ce changement d’étiquette. En plus je ne sais pas trop ce que va donner Macron, il me fait penser à Napoléon ! Et puis de toute façon maintenant il n’a plus de socialisme, il fallait bien qu’ils fassent quelque chose. Mais on est perdu avec tout ce qui se passe. Moi j’ai peur que ça s’aggrave, je vais voter à droite.
Candidats aux législatives sur la 3e circo en juin 2017
• Jean-Louis Touraine (République en marche)
• Nora Berra (Les Républicains)
• Christophe Geourjon (UDI)
• Fanny Dubot (Europe Écologie Les Verts)
• Fanny Lucius (Parti communiste français)
• Pascal Lebrun (La France insoumise)
• Nadia Bouhami (Lutte Ouvrière)
• Corinne Ferretti (Debout la France)
• Michel Dulac (Front national)
• Gaëlle Navaranne (Parti Chrétien Démocrate)
• Vincent Ollion (UPR)
• Eric Lafond (Mouvement 100%)
• Marc Chinal (Voter AM)
• Lérie Nicolaï (Régionaliste)
• Olivier Mayer (Divers gauche)
• Nathalie Dehan (Divers)
Résultats de l’élection présidentielle sur la 3e circo du Rhône, 1er tour
Emmanuel Macron 30,32%
Jean-Luc Mélenchon 24,71%
François Fillon 20,06%
Marine Le Pen 9,01%
Benoît Hamon 10,16%
Nicolas Dupont-Aignan 2,71%
François Asselineau 1,02%
Philippe Poutou 0,84%
Jean Lassalle 0,61%
Nathalie Arthaud 0,39%
Jacques Cheminade 0,18%
Abstention 19,6% des inscrits
Vote blanc 1,23% des votants
Résultats de l’élection présidentielle sur la 3e circo du Rhône, au deuxième tour
Emmanuel Macron 84,29 %
Marine Le Pen 15,71%
Abstention 24,2 % des inscrits
Vote blanc 6,89 % des votants
Résultat des élections législatives 2012 (second tour)
Jean-Louis Touraine (PS) 59,15%
Laure Dagorne (UMP) 40,85%
Chargement des commentaires…