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20/03/2024 date de fin
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WiFi, Doodle et repas chauds, la solidarité s’organise autour de familles SDF à Lyon Guillotière

Au départ une poignée de voisins inquiets puis l’effet boule de neige des réseaux sociaux par où passe aujourd’hui toute leur coordination. C’est ainsi qu’un collectif s’est constitué, de façon informelle, pour apporter son aide à neuf personnes actuellement SDF dans une rue du 7e arrondissement.

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WiFi, Doodle et repas chauds, la solidarité s’organise autour de familles SDF à Lyon Guillotière

C’est le quotidien modifié d’un petit quartier de Lyon, tout à coup traversé par une histoire collective et spontanée.

Sur le Doodle créé à cet effet les repas chauds du midi et du soir sont quasiment tous assurés jusqu’au 5 novembre prochain. Une vingtaine de personnes sont inscrites et vont se relayer. En commentaires, certaines demandent des précisions ou des conseils. Un café du 7e propose ses pâtisseries-maison invendues.

« Au bout d’un moment, il fallait décharger ceux qui depuis le début assuraient les repas pour neuf personnes », explique Marie.

Cette habitante du quartier a accepté de nous rencontrer après avoir laissé en suspend plusieurs demandes reçues dans sa boîte mail, provenant de la presse locale et nationale, alertée certainement par l’ampleur que prenait le mouvement de solidarité sur les réseaux sociaux. Elle tente de se présenter le plus modestement possible, pour ne pas devenir la figure ou la porte-parole du collectif. Elle travaille « dans la culture » et habite à quelques pas du coin de rue où se sont installées depuis un peu plus d’un mois neuf personnes originaires de Serbie.

Parmi elles, deux familles Roms. Deux couples avec deux enfants chacun. Le plus petit n’a pas un an et les deux plus grandes ont 3 ans.

Marie fait partie des premières personnes à s’être arrêtées sur ce trottoir, à l’angle de l’avenue Garibaldi et de la Grande Rue de la Guillotière.

« Les laisser là était insupportable surtout que l’automne commence à être froid. Alors on les a ramenés chez nous. Avec quelques uns, on les a hébergés pendant neuf nuits. On a fait une cagnotte pour leur payer l’hôtel pendant deux soirs. Et puis on s’est dit : qu’est-ce qu’on fait maintenant ? », raconte-t-elle.

Une page Facebook pour commencer. Pour alerter surtout et trouver d’autres bonnes volontés. Dans un premier temps, l’urgence a été de trouver des solutions d’hébergement.

« On s’est focalisé là-dessus, l’hébergement. C’était d’ailleurs le nom du groupe qu’on a créé sur Facebook. »

Marie a un réseau important, elle maîtrise les échanges sur le web l’appel lancé prend une tournure à laquelle elle pouvait s’attendre… en partie seulement.

« C’est fou de voir l’effet démultiplicateur d’un réseau social »

Le groupe apporte aussi une aide aux démarches de demandes d’asiles et d’hébergement des familles (voir encadré par ailleurs). Constatant que le toit qu’ils leur offraient les compromettaient, ils ont finalement décidé de les remettre à la rue, « pour eux ». Un « crève cœur ». Marie indique que 17 centres d’hébergement ont été sollicités, sans succès.

Mais l’appel sur les réseaux sociaux a fait boule de neige et beaucoup ont proposé leur aide. Des tentes, des matelas et des habits chauds sont apportés et donnés aux familles.

Capture d'écran de la page Facebook du collectif citoyens
Capture d’écran de la page Facebook du collectif citoyens

D’abord public, le groupe est désormais accessible sur invitation pour éviter le « shit storm » des commentaires haineux. Il regroupe à ce jour environ 200 personnes. C’est sur cet espace que tout se décide et que ce collectif informel et citoyen se coordonne.

« C’est fou de voir l’effet démultiplicateur que génère un réseau social », sourit Annie qui a assuré quelques repas et a aussi ouvert sa porte pour que les personnes puissent prendre une douche ou faire des lessives.

Melissandre habite dans l’immeuble au pied duquel les deux familles et E. (il n’a pas souhaité que son nom apparaisse), Serbe d’une quarantaine d’années, se sont installés en attente d’une solution d’hébergement.

Elle est entrée dans le collectif à l’occasion d’un goûter organisé un samedi, sur le trottoir, avec les familles. On lui a alors parlé du groupe Facebook.

« Aujourd’hui, ça a pris une telle ampleur, je ne sais pas si on aurait pu y arriver sans les réseaux sociaux. Il y a un Doodle pour les repas mais on va peut-être en créer un pour organiser les appels au 115», explique-t-elle.

D’un côté, la solidarité exprimée par cette voie est réjouissante. De l’autre, elle implique les instigateurs des appels sur les réseaux sociaux, alors même que beaucoup n’ont aucune envie de donner un tour politique à l’action, à l’heure où la question de l’accueil des migrants déchaîne les passions, libère les commentaires haineux, la suspicion.

Comment ne pas se faire dépasser par sa propre implication ?

Si les réseaux sociaux ont offert une caisse de résonance à la mobilisation, la présence visible de soutien au côté des familles à la rue a aussi amplifié l’élan. Peu après leur retour sur le trottoir, de nouveaux dons sont arrivés. Discrètement.

« La nuit après le premier repas que nous avons fait avec les familles dans la rue, quelqu’un a déposé des chaises et une table. Une nuit suivante, ce sont des sacs avec des pulls qui ont été apportés. Des gens qui n’ont pas osé le faire en plein jour », relate Marie.

Il faut désormais coordonner ce mouvement de gens dont le travail social n’est pas le métier. Et les tâches sont nombreuses.

« Plus on aide et plus on se rend compte qu’il y a de choses à faire. Et plus on a le sentiment de ne pas en faire assez », estime Melissandre.

Marie le dit avec ses mots :

« On ne peut se substituer à tout ce que nous ne sommes pas », résume celle qui ne souhaiterait maintenant pas « se faire dépasser par le mouvement ».

Il faut gérer les demandes tous azimuts, l’arrivée de nouvelles bonne volontés qui souhaitent prendre le train en marche, veiller à ne pas doublonner les actions… Une charge qui empiète parfois sur son temps de travail. Et sur la vie personnelle pour tous ceux qui ont choisi de s’investir, parfois intensément.

« Il faut savoir à un moment se préserver aussi, estime Annie. Tu ne te rends pas service et au final tu ne rends pas service aux personnes que tu aides. »

Devant l’ampleur du mouvement, le groupe s’organise aussi pour tenter de maîtriser désormais sa communication. Sollicités par des journalistes, ses membres se questionnent sur les suites à donner.

Il souhaitent aussi maitriser les répercussions individuelles.

« On met en place une méthodologie de travail. Tout le monde va expliquer sa décision sur le groupe Facebook. On demande ainsi à ne pas être tagué désormais pour ne pas que ces discussions sortent de là, pour ne pas aussi que ça impacte nos profils que certains utilisent professionnellement », détaille Arnaud.

Et un seau d’eau de javel jeté par le fenêtre

« Collectif », « un mouvement ouvert à tous ». Si personne ne souhaite se mettre en avant, un nom revient souvent : Dakwa.

« S’il y a une personne qu’il faut voir, c’est elle. »

Dakwa, originaire du Soudan, habite à Lyon depuis cinq ans. Cette jeune mère au foyer habite dans le même immeuble que Marie. C’est Dakwa la première qui est venue apporter son aide.

« Ils dormaient dans la rue avec leurs enfants et je me suis dit que ce n’était pas possible. »

Les siens jouent d’ailleurs sur le trottoir avec M., une des fillettes. Elle leur a apporté des repas chauds les premiers temps, midi et soir, et leur a ouvert son appartement pour les toilettes. Elle apportait aussi un peu de café ou de soupe. Ce soir là, elle est descendue au moment du repas et a apporté du thé.

Le repas, ils tiennent à les prendre en commun. Tout le monde s’assoit et discute même si la communication est parfois difficile. Les deux familles ne parlent que le serbe et un peu l’allemand.

E., qui parle bien l’anglais, « appris en regardant des films et en écoutant des chansons », sert de traducteur. Ce soir-là, ce sont des plats préparés qui ont été apportés. Marie s’en excuse presque.

« Ce n’est pas comme ça d’habitude. On prépare quelque chose et on pose la marmite au milieu. On prend soin de faire quelque chose d’équilibré : viande, féculent. On apporte des laitages pour les enfants. Et puis on ne leur sert pas un repas, on le prend avec eux», insiste-t-elle.

Les repas se prennent en commun entre les familles à la rue et les riverains qui leur viennent en aide. Photo Arnaud
Les repas se prennent en commun entre les familles à la rue et les riverains qui leur viennent en aide. Photo Arnaud.

Cet élan de solidarité devient petit à petit une action collective importante. C’est aussi l’histoire d’un bout du quartier. Dakwa et Marie se « disaient bonjour » depuis deux ans. Sans plus. « Maintenant, on se connaît, on se parle même de nous ».

Des histoires de voisinage, plus ou moins heureuses.

Les familles sont installées sous les fenêtres d’Alice. Cette jeune étudiante et ses colocataires ont inscrit quelques messages de soutien sur leurs fenêtres. Ils les ont surtout ouvertes pour permettre aux familles de recharger leurs téléphones portables ou pour brancher l’appareil médical d’une des fillettes qui souffre d’un problème au cœur.

« Elles nous ont demandé de l’aide pour installer leur recharge internet qui coûtait 10 euros, pour seulement 1Go de données. On s’est dit qu’on allait leur donner le code de notre Wifi plutôt. On leur a aussi donné un sac d’affaires, servi quelques cafés. »

Dans l’immeuble qui surplombe les tentes des familles, tous ne sont pas aussi partants.

Un voisin aurait envoyé de l’eau de javel sur les familles depuis son balcon selon plusieurs témoignages. Une autre voisine a clairement fait savoir tout le mal qu’elle pensait de cette présence sous ses fenêtres. Dans le hall d’entrée de l’immeuble, les discussions entre voisins par petits mots interposés et punaisés sur un tableau témoignent des divergences de points de vue.

« Essayer de les rendre autonomes dans le quartier »

Si les chances d’obtenir un statut administratif à peu près vivable semblent faibles, certains au sein de ce collectif informel essayent de voir plus loin déjà que l’urgence de l’hébergement. Et pensent à « leur intégration », même si les projets de vie des familles restent pour le moment flous pour les membres du groupe d’entraide.

« Si on a assuré des repas ou des lessives au début on leur a aussi donné l’adresse des bains douches et indiqué des laveries pour essayer de les rendre autonomes au sein du quartier », relate Annie.

Dans son association, Singa, E. a quant à lui intégré un dispositif d’apprentissage de la langue française à destination des réfugiés. Sa situation est différente de celle des deux familles qu’il a rejointes sur le trottoir. Arrivé depuis trois semaines, il commence à maîtriser quelques mots de français. Ce soir-là il revenait d’ailleurs de son premier « cours ». Il devait y retourner deux jours plus tard.

« Tous les jours il lit les journaux gratuits pour apprendre la langue. On va l’accompagner à la médiathèque pour qu’il voit qu’il a accès à des livres ou de la musique », poursuit-elle.

La situation de ces familles reste très précaire. Lorsque nous les avons rencontrés ce soir-là, après une visite en urgence à l’hôpital la veille pour l’une des enfants, les pompiers sont de nouveau intervenus. Pour des soins qui entraînent des frais médicaux. Certaines structures assurent une prise en charge gratuite mais certains soins ont demandé malgré tout aux accompagnants de mettre la main à la poche.

« On ne veut pas se substituer aux services de l’État mais on ne peut pas supporter l’insupportable », conclut Marie.

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