

4 jours après l’annonce du démantèlement, certaines familles apprennent la fermeture prochaine du campement Esmonin, à Grenoble. Crédit : VG/Rue89Lyon
Sur le long de l’avenue Esmonin, dans le sud de Grenoble, près de 400 personnes, dont une moitié d’enfants, vivent dans un urbanisme de planches, de bâches et de tapis. Chacun y trouve ses quartiers par nationalité.
À droite de l’allée centrale, les Roumains sont majoritaires. Quelques Albanais se sont retrouvés sous le panneau où défile la bâche publicitaire d’une campagne de recrutement de l’armée. Le long du rond-point, c’est la place des Kosovars, voisins – ironie de cette géopolitique de terre battue – de la cabane des Serbes. Constituée de longs volets métalliques et de panneaux siglés « Appartement Décoré », c’est assurément la plus aboutie des lieux.
En février dernier, le maire de Grenoble rendait une réponse ferme, à un conseiller municipal UMP qui l’interrogeait sur l’avenir du vaste bidonville. Eric Piolle concluait qu’une « évacuation massive du campement [serait] inefficace ».
Trois mois plus tard, le voici contraint de réviser sa position. Car lundi, au sortir d’une réunion à la préfecture de l’Isère en compagnie de ses homologues des communes voisines de Fontaine, Saint-Martin-d’Hères et Echirolles, Eric Piolle a annoncé qu’il allait déposer un recours auprès du tribunal administratif pour faire évacuer le campement Esmonin.
L’émergence d’un « système mafieux organisé »
Pour justifier son changement de discours, il explique que le site serait « désormais en proie à un système mafieux ». Lui, évoque des faits de rackets et de tarification des emplacements, dont seraient victimes les occupants du site, et un de ses collaborateurs relate une prostitution organisée dans des cabanons.

Le « chalet serbe » et sa pergola. La construction la plus aboutie du campement. Crédit : VG/Rue89Lyon
Mais cette situation alarmante est pourtant connue depuis plusieurs mois. En novembre, l’association Vinci-Codex était contrainte de délaisser le site lors de ses maraudes nocturnes de samu social, suite à plusieurs incidents sur place avec des individus visiblement gênés dans leurs activités de trafic de stupéfiants et de prostitution.
Un officier de police de la direction départementale de la sécurité publique confirme :
« Il n’y a pas de recrudescence particulière ces derniers mois de ces activités mafieuses, organisées de façon clanique, que nous constatons depuis l’émergence de ce campement en début d’année 2014 ».
S’agit-il d’une prise de conscience tardive ou ce rétropédalage aurait-il une autre explication ?
Le suivi du campement devenu impossible
Interrogé à ce sujet, Alain Denoyelle, adjoint aux affaires sociales et vice-président du centre communal d’action social (CCAS) de Grenoble, reconnait d’autres facteurs entrés récemment en ligne de compte.
L’élu évoque un incident survenu dernièrement :
« Le week-end du 1er mai, des occupants ont détourné des lignes électriques de l’entrepôt situé derrière le camp, et d’autres de l’éclairage public. C’est non seulement illégal, mais aussi très dangereux en raison du risque d’incendie et d’électrocution. Par conséquent, le fournisseur Gaz et Electricité de Grenoble (GEG) a dû couper l’alimentation dans ce secteur ».

Alain Denoyelle (Réseau Citoyen), adjoint aux affaires sociales et vice-président du CCAS de Grenoble. Crédit : VG/Rue89Lyon
Par ailleurs, pour ce campement qui s’est progressivement agrandi au fur et à mesure que les villes voisines d’Echirolles, Fontaine et Saint-Martin-d’Hères, évacuaient leurs propres squats et bidonvilles, la ville de Grenoble s’était fixée un plafond d’environ 400 personnes à ne pas dépasser. Une contrainte démographique impossible à tenir, selon l’élu.
« De nouvelles personnes arrivent régulièrement pour s’installer à leur tour et nous n’avons pas les prérogatives pour les empêcher. Ils le savent ».
Grenoble multiplie les programmes d’insertion
Ce campement relève également d’une configuration particulière. Car derrière cette zone de cabanons en bordure de route qui s’est étendue au fil des mois, le CCAS de Grenoble a initialement installé durant l’été un campement légal sous tentes-marabout, où vivent 70 personnes.
Un emploi à mi-temps est consacré à l’accompagnement social de ces personnes et une société de gardiennage est présente en permanence sur le site. La prestation est facturée 17 000 euros par mois, auxquels s’ajoutent la mise à disposition de l’eau pour l’ensemble du campement, prise en charge par la communauté métropolitaine.

Les tentes-marabout installée par le CCAS au courant de l’été 2014 abritent 70 personnes. Crédit : VG/Rue89Lyon
Alain Denoyelle dément une décision purement économique :
« L’argument budgétaire n’est pas décisif dans notre volonté de fermer le camp, mais ce n’est pas rien quand en parallèle, le conseil départemental de l’Isère vient de retirer sa subvention de 93 000 euros [après le basculement du département à droite], allouée à un autre dispositif, celui du Rondeau. C’est un manque à gagner qui aggrave le déficit de la ville et du CCAS ».
Il est vrai que par ailleurs la ville de Grenoble multiplie les initiatives d’hébergement. Sur cet autre terrain, le CCAS coordonne un programme d’insertion élaboré avec la communauté d’agglomération, l’Etat, et le conseil départemental de l’Isère, avant qu’il ne s’en retire. Là, 120 personnes vivent dans des mobile-homes en bois et sont accompagnées par cinq personnes, entièrement consacrées au suivi social, inspiré du programme lyonnais « Andatu ».
Ailleurs dans la ville, ce sont 16 logements réformés d’instituteurs, appartenant à la ville, qui hébergent une cinquantaine de personnes.
La circulaire Valls au secours du relogement
En déposant prochainement ce recours devant le tribunal administratif, comme annoncé, Eric Piolle place l’échéance d’expulsion « à l’issue de l’année scolaire » afin « d’éviter les ruptures de parcours des 90 enfants scolarisés ».
Ensuite, il compte s’appuyer sur la circulaire Valls pour résoudre la délicate question du relogement. Ce texte du 26 août 2012 impose aux préfets, en cas de démantèlement de campement, de procéder à un diagnostic social et de proposer des solutions d’hébergement et d’insertion aux populations concernées.
Mais le maire de Grenoble reste circonspect :
« L’Etat n’a pas actuellement la volonté de résorber les bidonvilles. Le fonds national alloué est aujourd’hui de seulement 500 000 euros. Il n’est plus capable de faire pour 20 000 personnes ce qui a été fait pour 65 000 autres, dans les bidonvilles des années 60 ».
Il en appelle aussi aux autres communes de l’agglomération, estimant que la ville de Grenoble n’a plus de capacité de relogement.
La « stupéfaction » d’un colistier
Dans la semaine, plusieurs associations expertes des problématiques d’hébergement d’urgence ont été reçues par Eric Piolle à l’hôtel de ville pour les informer directement de la situation.
D’autres n’ont pas eu cette chance. À l’image de Jo Briant, retraité-animateur de la Coordination iséroise de solidarité avec les étrangers migrants (CISEM).
Cet ancien colistier d’Eric Piolle lors des élections municipales dit avoir été « stupéfait » par l’annonce du candidat qu’il a soutenu.
« Certes, ces taudis de la misère doivent être éradiqués. Mais annoncer ce démantèlement sans identifier de solution de relogement, c’est provoquer la dispersion de ces populations en situation d’extrême précarité. Notre expérience de précédents démantèlements catastrophiques – comme celui de La Tronche – nous alerte. Nous serons extrêmement vigilants sur les conditions de son exécution ».

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J'ai lu dans le D.L. (il sert parfois à quelque chose) que de l'argent européen pourrait être débloqué. Il y en aurait bien besoin. Il faudrait que l'agglo en prenne aussi sa part, tiens, pourquoi pas Meylan ... hein ?
Et que fait le conseil départemental alors qu'il y a tellement d'enfants qui devraient dépendre de ses services ? Il enlève les 93000 € du Rondeau ... pour les donner pour le Central Parcs ?
Je préfère que la municipalité réfléchisse comment héberger les étrangers plutôt qu'agir comme La Relève, l'association bras "armé" de la Préfecture, qui envoie, dans la plus parfait illégalité, des huissiers remettre aux étrangers un ordre de quitter les logements au 15 juin.
Je crois savoir que vous travaillez justement dans une association en proximiité des sujets d'insertion, sociaux...imaginez simplement que le Maire ne soit pas Eric Piolle, mais un autre, PS ou UMP peu importe, comment est ce que vous réagiriez à la décision du Maire surtout si ce dernier avait prétendu de ne pas déloger Esmonin ?
Je n'avance pas aveuglément vers une décision parce que Monsieur Eric Piolle a pris une décision, celle là je la conteste fermement, et je rejoins Jo Briant.
Vous savez très bien que la ville de Grenoble est en retard sur son parc de logements sociaux, et vous indiquez préférer que la ville "réflechisse à l'hébergement", il n'y a pas à réflechir, il y a juste à décider et agir, sauf que dans cette municipalité on réfléchit, on concerte, on réfléchit, on réfléchit...et on n'avance pas beaucoup.
Je constate qu'il est en de même (dans une moindre mesure quand même) à la Métro où les discussions vont bon train, mais où le programme clair concernant les solidarités, le logement, le transport supra-urbain, l'éducation reste au stade des "discussions", sauf que les discussions ça prend 6 à 9 mois, ensuite il faut lancer les chantiers pour tenir un mandat.
Je vous rejoins sur l'analyse de certaines collectivités qui pourraient venir en aide, pour autant la politique de proximité obéit à la Métro et à la Ville sur le plan logement habitat notamment.
Les autres niveaux de collectivités peuvent aider, encore faut il que la collectivité principale décide en lien avec son plan d'urbanisme également.
Je ne crois que ce soit l'objet de l'article mais bien une nouvelle orientation du Maire quant à ce "bidonville", et essayant de conserver une objectivité certaine, peu importe le nom du Maire et sa couleur, cette décision je l'aurai condamner quoiqu'il arrive, elle ne symbolise pas une union qui rassemble certes les verts, mais surtout le front de gauche.
Je paie des impôts et je suis fier d'en payer, je paie a moi seul plus d'une voiture neuve annuellement, impôts sur le revenu compris.
Grenoble compte environ 18% de logements sociaux pour 25% inscrits dans la loi. Les bailleurs sociaux paient leurs impôts, rassurez vous, vous n'aurez pas à mettre la main au portefeuille. Quant aux logements vides, ils sont inférieurs à 2%. Donc merci de me dire où sont les contre vérités ?
Je conteste la méthode de Monsieur le Maire sur cette affaire, soutenue d'ailleurs par l'UMP38...
C'est pourquoi, pour l'instant je reste assez confiante dans le relogement des habitants du bidonville. Piolle a peut être eu des assurances du nouveau préfet quant à une aide, puisque c'est en sortant d'un RV qu'il a parlé de démantèlement. Il faut arrêter aussi l'arrivée de nouvelles tentes. A un moment, c'est "stop".
Les associations restent quand même vigilantes et n'hésiteront pas en entamer des actions symboliques, comme RESF occupant la mairie de Fontaine.
Dans la nouvelle municipalité, vous oubliez le poids des citoyens dont Denoyelle, par exemple, vice-président du CCAS, est issu.
La mairie décide de mettre "certaines personnes " dans des tentes marabou, de mettre 1/2 temps plein d'AS, et une SOCIETE PRIVEE de GARDIENNAGE à 17000 euros par mois.
Sauf que si la mairie dépense 17000 euros par mois, elle pourrait tout à faire mettre ces mêmes personnes dans 34 logements à 500 euros par mois, ou 68 logements à 250 euros par mois !!! Seulement, "ces gens là", on se demande pourquoi ils n'ont pas le droit à un logement aux normes, avec WC, salle de bain, WC. Avec un vrai logement, une vraie domiciliation, une vraie sécurité, ou on peut se reconstruire! C'est donc un choix politique d'investir dans une société privé de gardiennage ou dans des être humains, dont les bras sont la richesse par leur force de travail.
Pour plus d'infos, aller voir sur ce blog :
http://petitiongrenette.blogspot.fr/