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Roms : le programme d’intégration « Andatu » marche, il faut donc l’arrêter

« Succès », « positif ». Le programme d’intégration de 400 Roms vivant à Lyon est une réussite, selon le préfet du Rhône. Qui a pourtant ajouté qu’« Andatu » ne serait pas prolongé. Etonnant.

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Un des couples "Andatu" : Valentin et Ramona dans le salon de leur appartement. © Leïla Piazza / Rue89Lyon

« Andatu » (« pour toi », en romani, la langue des Roms) est le nom de ce programme d’intégration unique en France, démarré il y a trois ans après qu’un curé, à Gerland, et un promoteur, à Oullins, ont accueilli des Roms de Roumanie.

Le préfet du Rhône, Jean-François Carenco, avait alors confié à l’association Forum Réfugiés le soin de monter un programme qui passait d’abord par la régularisation de 175 adultes auxquels il faut ajouter 219 mineurs, soit environ 400 personnes.

Avec ce titre de séjour délivré par la préfecture, ces personnes ont pu avoir accès aux prestations de la caisse d’allocation familiale (CAF) et du département du Rhône (RSA, Allocation Adulte handicapé). Mais ils ont également bénéficié d’un logement social.

En contre-partie, les bénéficiaires devaient suivre un apprentissage du français et s’inscrire dans une démarche de recherche d’emploi. Ils devaient s’engager à ne plus mendier et à scolariser leurs enfants.

 

« Bilan positif »

Ce vendredi 12 décembre, près de trois ans après son lancement, le préfet du Rhône a tenu à organiser une conférence de presse pour dire tout le bien qu’il pensait d’« Andatu ».

Il a d’abord assumé le caractère arbitraire de la sélection des 400 personnes puis a tiré un premier bilan « positif » de ce programme d’intégration. Le bilan définitif attendra un an, à la fin du programme. Chiffres à la clé, dans le dossier de presse :

  • 169 enfants ont été scolarisés
  • 161 adultes ont suivi « avec succès » (sic) les cours de Français langue étrangère
  • 78 personnes ont déjà achevé une formation professionnelle

Concernant l’emploi : sur les 175 personnes, 163 ont été « accompagnées dans l’accès à l’emploi », notamment par une formation et/ou par un emploi d’insertion. 45 personnes occupent un emploi au 1er décembre 2014, dans les secteurs en tension (nettoyage, service à la personne, manutention…).

S’agissant du logement, 89 familles sont sorties de l’hébergement (sur 95) et ont intégré un logement social. Sur les 89 baux signés, 25 sont des baux directs, c’est-à-dire que la famille est en totalement autonomie dans son logement.

 

Un des couples "Andatu" : Valentin et Ramona dans le salon de leur appartement. © Leïla Piazza / Rue89Lyon
Un des couples « Andatu » : Valentin et Ramona dans le salon de leur appartement. © Leïla Piazza/Rue89Lyon

« Discrimination positive »

Pour ces Roms, « Andatu » leur a apporté un accompagnement social particulièrement renforcé. On compte deux enseignants Français langue étrangère (FLE), deux conseillers d’insertion, trois assistants sociaux.

Habituellement, il y a 60 allocataires du RSA pour un conseiller d’insertion. Pour les premiers adultes entrés dans le programme « Andatu » (décembre 2011), ils sont 22 pour une conseillère. En mai 2013, cette conseillère témoignait de la motivation des personnes :

« On est loin de l’image de la personne assistée qui resterait à la maison en attendant que ses allocations tombent. Ils sont super motivés pour les cours de français. Une fois qu’ils ont obtenu un emploi d’insertion, ils veulent que ça avance vite pour travailler comme tout le monde. »

Au bout de deux ans, ce « sur-accompagnement » social doit se terminer.

L’association Forum Réfugiés parle d’« une approche volontariste de discrimination positive pour rattraper le temps perdu ».

 

Pourquoi ne peut-on pas dupliquer ce programme d’intégration ?

Ce programme, aux dires de son promoteur (le préfet) et de l’opérateur (Forum Réfugiés) marche. Pourquoi alors l’arrêter ? Ce n’est pas une question de coût. Sur trois ans, « Andatu » a coûté 2 650 000 euros soit une moyenne d’environ 10 euros par jour et par personne (hors prestations sociales).

Le Fond social européen a pris en charge une grande partie du budget complété par l’Etat, le Grand Lyon et la Fondation Abbé Pierre. Quant au conseil général du Rhône, il a versé au total 814 000 euros de RSA.

Pour justifier la non-duplication de cette expérimentation, le préfet avance une raison principale :

« Les circonstances de droit ont changé. Les citoyens roumains ont les mêmes droits que les autres citoyens européens ».

Avant d’ajouter :

« Il y a d’autres priorités, notamment la demande d’asile. Je verrai après la période hivernale. J’ai des idées sur des opérations similaires avec des groupes stables et sereins. Une réflexion sur un programme similaire est également en cours à Grenoble. »

L’argument avancé pour ne pas dupliquer « Andatu » (un changement de législation intervenue au 1er janvier 2014 concernant l’accès à l’emploi) peine à convaincre. Comme évoqué dans le dossier de presse, les causes du « succès » de ce programme réside dans la discrimination positive dont ont bénéficié ces Roms, à titre dérogatoire, pour « rattraper le droit commun ».

Bref, rien n’empêche juridiquement le préfet et le conseil général à continuer à financer un accompagnent social et des prestations sociales.

Quant à la situation spécifique des Roms à Lyon, elle reste toujours préoccupante : entre 1 000 et 1 500 personnes vivent toujours dans des squats ou bidonvilles selon les différentes estimations.

 

Le squat de l'ancien l'Hôtel du Nord à Vaulx-en-Velin occupé depuis septembre 2013 par des Roms de Roumanie. ©LB/Rue89Lyon
Le squat de l’ancien l’Hôtel du Nord à Vaulx-en-Velin occupé depuis septembre 2013 par des Roms de Roumanie. ©LB/Rue89Lyon

Les propos de Manuel Valls

Pour comprendre pourquoi cette expérimentation n’est pas prolongée, peut-être faut-il regarder du côté du gouvernement.

Les familles désireuses de s’intégrer « sont une minorité », avait déclaré Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur le jeudi 14 mars 2013 au Parisien, alors qu’il était interrogé sur les alternatives aux expulsions. Et de préciser que « les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles » dans Le Figaro. Il avait précisé sa pensée en septembre de la même année sur France Inter.

« Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation. Les Roms ont vocation à revenir en Bulgarie ou en Roumanie ».

Quelques mois après avoir tenu ces propos, en juillet dernier, le gouvernement Manuel Valls annonçait mettre un terme à la mission du délégué interministériel au mal-logement, le préfet Alain Régnier, plus connu sous le surnom de « préfet des Roms ».

Dans les salons de la préfecture du Rhône, le discours n’était pas du même tonneau.

Le directeur départemental de la cohésion sociale, Gilles May-Carle, prenant même le contre-pied de l’actuel Premier ministre :

« La volonté de s’intégrer est présente dès lors qu’il y a une main tendue ». Et de se faire philosophe. Le regard porté sur l’autre change l’autre ».

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