
Blog du taulard #32 : « La prison usine à terroristes, c’est bidon ! »

En prison. © Sébastien Erome / Signatures.
Les séquelles de la guerre d’Algérie et du colonialisme, le conflit israélo-palestinien, les guerres du Liban, d’Irak, d’Iran, de Syrie, de Libye, les manœuvres très troubles des diplomaties internationales où un jour tu es l’ami, le lendemain l’ennemi et le surlendemain à nouveau l’ami, les alliances, les enjeux, les ventes d’armes, le pétrole, l’ONU, la domination occidentale dite civilisée et j’en passe, tout ça, lecteur, c’est de la gnognotte. C’est en prison que ça se passe car on s’y radicalise grave.
La prison, voilà le bouc émissaire
Rue89Lyon
Il fallait bien désigner un bouc émissaire qui ferait l’unanimité, surtout pour les grands défenseurs des libertés qui ont défilé dans les rue de Paris ou de Lyon ou d’ailleurs, et du coup, caché leurs forfaitures. Le président hongrois, les premiers ministres turc, israélien et espagnol en étaient les têtes d’affiches, sans oublier Sarko et Valls qui ont tant fait pour cette même liberté.
Mais surtout il fallait que nos dirigeants, tellement fans de l’égalité et de la fraternité, qui pensent que les Roms n’ont pas vocation à s’intégrer et se vantent du record des reconduites à la frontière, de sa fermeté pour détruire les campements sauvages, se contrefichent des SDF qui ne peuvent même plus espérer un banc public, traquent les fraudeurs de RSA et auteurs d’autres douceurs du même type, montrent qu’ils avaient trouvé la cause des massacres.
Il leur fallait trouver une réponse pour plus de 3 millions de gens descendus dans la rue en un réflexe à la fois sensé et néanmoins moutonnier puisque l’émotion avait bloqué leur capacité de réflexion, au point d’applaudir les flics, ce qui au passage, à fait mourir, une seconde fois, mais de rire, nos dessinateurs émérites.
Ces histoires de radicalisation carcérale
Après le baptême des « Charlie », il fallait désigner des responsables et donner des explications et des mesures. Du « Charlie » on passe au charlatanisme. Hé oui, il faut bien dire que son chien à la rage si on veut le flinguer. Un chien, hein, c’est rien . On connaît l’adage. Mais il vont plus loin, ils disent que parce qu’ils tuent le chien ils font disparaître la rage. Du mensonge on passe à l’entourloupe.
Tu penses bien, lecteur, que c’est bidon ces histoires de radicalisation carcérale. C’est vrai qu’en prison, les musulmans sont majoritaires. Normal, personne n’est plus contrôlé qu’eux ! Le délit de faciès, le rejet permanent, le racisme quotidien en font les cibles privilégiées de la justice. Il n’y a pas de hasard dans la proportion, c’est mathématique.
Mais il est faux de dire que c’est en prison que ça se radicalise, du côté terroriste. Même si un ancien prisonnier sur M6 et France 2 vient servir la soupe (les médias trouvent toujours celui qui est prêt à tout pour se faire mousser), je n’ai jamais vu, pour ma part, des réunions ou des discussions de ce type dans les cours de promenade. Je n’ai pas vu non plus de manœuvres suspectes entre des gars pour se faire passer des messages ou comploter, je n’ai jamais entendu de discussion de fenêtre à fenêtre portant sur ce sujet ni pour appeler à la prière.
Ils sont discrets vas-tu me dire. Si la prison ne laisse pas filtrer dehors ce que passe dedans (ça devient donc facile de raconter des contre vérités puisque personne ne peut vraiment les contester), nous, dedans, on le sait très bien, car ça circule à l’intérieur.
Oui, la rébellion point à chaque détour de coursive
Que les gars soient en ébullition, que la rébellion ne soit jamais loin, que le conflit pointe à chaque détour de coursive, oui. Vu ce qu’il se passe en terme de répression et d’injustice niant le minimum des droits de l’homme, il n’y a pas à s’étonner de ce côté radical. Mais transformer ce radical en radicalisation terroriste parce que quelques anciens taulards font partie des tarés qui flinguent à tout va, il y a un précipice qu’ils ont franchi sans vergogne.
Nous, taulards, si on est en résistance, c’est contre l’arbitraire permanent de la taule, le négation de l’individu et on n’a pas besoin d’un prétexte faussement religieux pour lutter dedans. Les faits se suffisent à eux même et justifient ce combat, pas besoin d’excuse, de drapeau ou d’endoctrinement. Nous n’avons pas besoin de mots d’ordre et encore moins de préchi-précha. Par contre que la prison fragilise encore plus et que les gars, sortant comme des loups, soient encore plus sensibles aux délires endoctrinant, ça c’est possible.
Mais bon, c’est tellement facile de faire croire à Madame Michu au beauf ou à l’adjudant Kronenbourg (clin d’œil à Cabu) qu’il faut s’attendre à tout avec la racaille que ma petite parole ne fait pas le poids. Tous ces jeunes qui partent faire le djihad en Syrie, directement de leur cité, bah, allez ils ont du tous aller en prison, hein ?
Ces terroristes, le produit de nos sociétés
Un mec pour se radicaliser à l’extrémisme n’a pas besoin de la taule. Celui qui est exclu de l’école (alors qu’on nous dit partout que c’est la culture, le principal rempart contre le fanatisme), qui vit dans une cité ghetto où l’Etat a disparu depuis longtemps, qui n’a aucune chance de trouver du taf, qui est contrôlé trois fois par jour et qui fait l’objet d’une racisme permanent dans un amalgame monstrueux n’a pas besoin de grand chose pour se dire que l’avenir sera meilleur sur le front et qu’au moins là il sera reconnu.
Je sais, on te dira que tous les exclus du système ne deviennent pas des fous. Cette remarque est du même ordre comme que celle qui ne veut pas reconnaître que la misère est en corrélation directe avec ce qu’on nomme délinquance.
Et pourtant ! Je te le dis moi, lecteur, si les terroristes ne devaient compter que sur la radicalisation des prisons pour avoir des troupes combattantes, ils n’auraient pas grand monde. Les reportages télé sont des élucubrations de journaleux qui répètent ce que leurs maîtres disent.
Il ne faut pas se voiler la face, ces terroristes sont avant tout autre chose le produit de nos sociétés, le résultat des fractures et des déchirures de notre monde. Et peut-être que pour quelques uns, l’enfer qu’est la prison a alimenté une idée déjà présente, non par les rencontres mais pas la souffrance infligée. Plus on les désignera, plus ils continueront, plus il y aura de répression, plus ils graviront les degré de l’abject. Plus des mecs comme Philippe Tesson sur Europe1 clamera que ce sont les musulmans qui foutent la merde, plus ils seront acharnés. Mais en France, la réconciliation nationale, l’unité, comme ils le déclament, c’est juste pour ceux qui sont dans les clous que le pouvoir a planté.
On va serrer la vis
Mais on s ‘en fout de tout ça ! Les condamnations pour apologie du terrorisme tombent à tout va pour des insignifiances même pas réfléchies. On va saquer dans les taules avant d’appliquer ça à la société toute entière avec un « Patriot act » dissimulé. Oublié Victor Hugo qui disait : « ouvrez des écoles vous fermerez des prisons ».
C’est d’ores et déjà parti : Claude Guéant, l’ancien ministre de l’Intérieur, qui trempent dans des affaires louches, et Christian Jacob le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale pris lui aussi les doigts dans la confiture des traficotages de fric, ont affirmé à la télé qu’on pouvait bien sacrifier quelques libertés pour la sécurité. Ça va serrer la vis. Nathalie Saint Cricq, le faiseuse d’opinion politique sur France 2, l’a clairement dit en pleine chronique : « Il va falloir repérer les non Charlie et les traiter ! ».
Ça sent le brun
Le flicage va se développer à la vitesse de la marée au Mont Saint-Michel. Alors imagine en taule comment ça va devenir , les Guantanamo se préparent. Ils vont faire tant et si mal que la vraie révolte risque de se déclencher et ils pourront clamer qu’ils nous l’avait bien dit, que ces mouvements sont des radicalisations et non des rébellions.
Quand je dis que ça sent le brun, qu’on retrouve les même symptômes qu’au moment des années 1930 avant l’élection d’Hitler, tu me rétorques que je déconne et que c’est la frustration de mon emprisonnement qui me fait dire n’importe quoi. Je te donne rendez vous en 2017 lecteur.
Mais rappelle-toi avant ce que disait Benjamin Franklin :
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »

À Rue89Lyon, on croit en un journalisme qui déniche l’info, qui fouille là où ça dérange, qui demande des comptes, qui parfois égratigne celles et ceux qui nous gouvernent, et surtout qui n’attend pas le sujet mais va le chercher.
Aujourd’hui, sans vous tout cela pourrait bien s’arrêter. Nous avons besoin d’atteindre 1.000 abonné⋅es avant le 31 mars. Aidez-nous à défendre cette vision du journalisme : abonnez-vous, offrez un abonnement ou faites un don.
belle analyse faite entre 4 murs dans la région lyonnaise et qui n'a jamais mis les pieds dans une autre prison de l’hexagone
wouhaa qu'elle légitimité, qu'elle précision et qu'elle véracité.
allez moi je reviens a la réalité constaté
ps: chers lecteurs vous ne douterez pas du sarcasme et de l'ironie de ce commentaire.
Et fi les coincés du bulbe !!!
Après avoir passé en revue tous tes articles (tu ne m'en voudras pas de te tutoyer, tu le fais aussi), je trouve que ton écriture permet au plus grand nombre de peut-être mieux appréhender le monde carcéral, et tant mieux !
Caché derrière ces grands murs, il est très difficile pour le citoyen lambda (sans aucun terme péjoratif ici) de s'imaginer de ce qu'il se passe à l'intérieur.
Pour ma part, j'ai la chance, ou pas, de rentrer dans tous les coins d'une prison connue de tous je le pense, même au mitard oui oui !
Non pas en tant que détenue, mais pour bien d'autres activités. Bref, il n'empêche que les intervenants qui rentrent peuvent au moins voir et expliquer autour d'eux la réalité d'une prison, ils servent au moins à cela si toi, cher ami, ils ne t'apportent pas de réconfort.
Quand à la page Facebook des Baumettes, j'en ris encore, mais jaune ! Au vu des photos, ce n'est absolument pas le quotidien de la majorité des détenus français qui, comme tu le dis bien souvent, sont pauvres.
Et oui, la prison est bien la concentration de toutes les misères sociales.
Et oui, le système judiciaire fonctionne à l'envers. On met du fric à rénover et créer des nouvelles places en prison, alors qu'il faudrait l'utiliser à développer l'accompagnement de celui ou celle qui a "dérapé" car il n'avait souvent pas d'autre choix.
Pour reparler des intervenants chers à ton cœur, un aumônier de prison a dit un jour "entre ces détenus derrière leurs barreaux et nous, il n'y a que l'épaisseur d'une opportunité". Je trouve ça assez bien dit, à bon entendeur...
Alors oui, ces intervenants ne font pas les choux gras des médias, et oui ils ont pactisé avec le diable pour pouvoir rentrer entre ces murs, mais non la plupart ne se gausse pas de leur BA de la journée. Ils agissent en sous-marin et si aujourd'hui, l'administration accorde 20€/mois aux plus pauvres d'entre tous, c'est parce qu'une association remplie de "bien pensants" l'a fait avant elle pendant des années. Je ne dis pas que c'est génial, ou que cela règle tout. Je n'achète pas le système, loin de là. Mais le meilleur moyen de le rendre encore plus sécuritaire est la peur. La peur que les médias créent, mais celle que tu peux faire vivre à tes chers "lecteurs" non initiés au monde carcéral par tes propos parfois agressifs.
Comme je le disais plus haut, je trouve tes articles intéressants dans l'ensemble et nécessaires.Mais je parle pour moi et en mon nom, pas au nom de tous mes concitoyens (attention à cela aussi stp dans tes futurs écrits. Une voix, aussi éclairée qu'elle soit, n'en vaut pas 100, c'est mathématique).
J'espère que tu continueras et que ta libération est proche. Mais parfois la nuance fonctionne aussi bien voire mieux que la révolte pour faire bouger les choses.
Dernier point, je me remets en question tous les jours sur le pourquoi je continue de rentrer en prison ; c'est aussi autorisé pour toi.
Je te souhaite le meilleur et continuerai de te lire.
Je suis arrivée à votre blog suite à une discussion avec une jeune fille de 13 ans qui pense qu'il faut supprimer les prisons... Quelle agréable surprise que cette idée-là puisse venir à une jeune en 2015 ! J'en étais resté à l’abolitionniste Catherine Baker et son livre de 1984, à mes difficultés à trouver des échos à cette proposition politique.Je sens que la relève pointe.
Encore bravo pour votre blog qui aide à penser.
Si vous en êtes d'accord j'aimerai prendre contact avec vous et discuter encore plus sérieusement pouvez vous svp donnez vos coordonnées mail a rue 89 qui me les transmettra?
ne les laissez pas ici car vous risqueriez d'être envahie; merci d 'avance, c'est assez important.