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Lyon, ville la plus intelligente de France, gratifiant ou juste flippant ?

Tribune/ N’en jetez plus, la ville possédant le plus de petites cellules grises de silicium, c’est officiel, c’est Lyon. Une enquête publiée en novembre 2013 par l’opérateur m2ocity montre que la ville des lumières n’a jamais aussi bien porté son nom. Elle arrive (loin) devant ses concurrentes les plus sérieuses (dans l’ordre, Lille, Nantes, Issy-les-Moulineaux, Paris, Besançon, Marseille et Montpellier) au palmarès des « villes intelligentes ».

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Image tirée du film de Steven Spielberg, Minority report (2002).

Par Bertrand Renier, psychologue environnementaliste

Image tirée du film de Steven Spielberg, Minority report (2002).
Image tirée du film de Steven Spielberg, Minority report (2002).

De quoi gonfler d’orgueil les Lyonnais, mais aussi faire naître en eux des questions. Ça consiste en quoi, habiter dans la ville la plus intelligente de France ? A-t-on vraiment raison de rendre les villes plus policées qu’elles ne le sont déjà ? L’addition ne risque-t-elle pas d’être un peu salée pour les consommateurs ?

 

Le Quartier Confluence, lobe frontal du Lyon intelligent

Pour comprendre l’origine du projet, il faut remonter quelques années en arrière. Le quartier de la Confluence, enchâssé entre le Rhône et la Saône, est alors une zone industrielle constellée d’usines, d’entrepôts et de prisons. L’activité y diminue au fil du temps, au point de finir pas s’essouffler complètement et de laisser l’endroit à l’état de friche industrielle. Une friche qui fait tâche, et qu’il convient donc de réhabiliter. Comment ? La phase de réflexion sera longue, et puis un jour c’est bon, eurêka : on va faire sortir de terre une smart community, sorte de phalanstère high-tech.

Hop, des immeubles d’habitation sont édifiés (dont 25 % de logements sociaux). Des bureaux sont aussi construits, de même que des restaurants et des commerces. Un grand parc public suivra. Mais la municipalité n’a pas pour autant fait table rase du passé. D’anciens bâtiments industriels ont trouvé une reconversion parfois surprenante. L’usine de sucre s’est ainsi muée en espace culturel, quand les prisons deviennent des… logements étudiants.

C’est bien joli tout ça, mais la reconversion de friches industrielles, si maline soit-elle, ne suffit pas à estampiller une ville du label « smart city ». Il faut que des technologies communicantes viennent s’y greffer, ayant pour vocation d’inciter à consommer moins et mieux. C’est ce qui est fait à la Confluence, avec une organisation japonaise, le Nedo, qui a perfusé 50 millions d’euros dans le projet.

Résultat : le quartier est si peu énergivore que les immeubles produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Les logements sont équipés de compteurs communicants Linky, permettant aux habitant de suivre et d’infléchir à la baisse leur consommation d’énergie, mais aussi d’un système d’analyse plus large, traitant les données de tout le quartier pour pouvoir les étudier. Last but not least, des stations de véhicules électriques disponibles à la location ont été égrenées sur toute la zone.

 

Le fameux partenariat public-privé

L’émergence d’un urbanisme ultra-connecté ne se limite pourtant pas au quartier de la Confluence, mais concerne, de façon pour l’instant plus diffuse, l’ensemble du Grand Lyon. Un recours massif aux nouvelles technologies qui, en plus de contribuer à bâtir une ville plus « verte », favorisant les énergies renouvelables, provoque un véritable appel d’air à même d’attirer les investisseurs.

Lyon Smart Community, Greenlys, Smart Electric Lyon, Linky, Transform… Autant de projets soutenus par la ville de Lyon, financés par des investissements privés, mais aussi publics : Rhône-Alpes, France et Union européenne mettent la main à la poche.

Sur le chapitre du financement, le quartier de la Confluence est encore une fois symptomatique de la façon dont le Grand Lyon compte arriver à ses fins. Si le projet se fonde sur la base d’un partenariat public-public, la gouvernance en étant stable et 100 % publique, l’injection de capitaux privés représente 64 % des 1,5 milliard d’euros investis jusqu’à présent. Autrement dit, si le secteur privé finance en grande partie la rénovation de la ville, le public est censé tenir la barre.

Lyon a aussi servi de laboratoire grandeur nature au déploiement de compteurs communicants Linky. Un galop d’essai qui préfigure leur généralisation à l’échelle du pays. Cette fois, le consommateur n’a pas eu à débourser un centime, puisque ERDF, filiale d’EDF, a pris en charge les coûts d’installation de la bestiole, présentée comme la première brique de la transition énergétique. Une politique qui sera aussi celle du gestionnaire de réseau lorsqu’il équipera les autres foyers de France. D’où vient l’argent ? Des économies que Linky permet à ERDF en termes de déplacement de techniciens, par exemple.

Si la question du financement des compteurs semble évacuée, malgré les craintes de l’UFC Que Choisir, reste celle de leur lisibilité. Contrairement aux modèles d’outre-Manche, les compteurs français se contentent d’indiquer la consommation effectuée par les consommateurs, sans la convertir en valeur monétaire. Difficile de s’y retrouver si l’on n’est pas expert. On attend donc une v2 plus évoluée, avant que ces boitiers n’essaiment dans toute la France.

Mais l’installation des compteurs Linky préfigure aussi une autre problématique : celle de l’apprentissage du public aux bienfaits des smart grids. Linky ne se propose pas de prendre de bonnes habitudes de consommation à la place des consommateurs, mais de les inciter à en prendre de bonnes, en pratiquant par exemple l’effacement. Autrement dit, si rien n’est fait pour sensibiliser le public, il y a de fortes chances que rien ne se passe. Un constat que l’on peut étendre à l’ensemble du concept de ville intelligente. Intelligente, peut-être, mais pas autonome. La bonne volonté du public est essentielle.

 

Une smart city à la croisée de la géonef et de la maison intelligente

Cette bascule d’une ville bordélique à une cité pensée sur le modèle de la maison intelligente, fantasme (devenu réalité, avec l’explosion de la domotique) de science-fiction où une maison, bardée d’équipements technologiques reliés entre eux, possède l’autonomie nécessaire à prendre des décisions, peut inquiéter. Pour une simple raison : pour fonctionner efficacement, une maison, un quartier, une ville ou un pays intelligents ont besoin de collecter des données sur les habitudes de consommation des habitants.

Reste que ces données ne concernent que les habitudes de consommation énergétique, et qu’elles seront cryptées. Un verrou informatique qui les rendra lisibles pour les ordinateurs, imbitables pour toute personne mal intentionnée qui souhaiterait les détourner de leur usage initial.

Les Lyonnais semblent l’avoir compris. Peu avant le début des travaux, une consultation a été conduite, montrant que le public a dans l’ensemble bien accueilli le programme. Même ceux qui n’étaient pas chauds à l’origine ont changé d’avis avec l’achèvement des premières tranches du quartier de la Confluence.

Pourquoi ce revirement ? Sans doute parce que la véritable intelligence de Lyon, c’est d’avoir su conjuguer ancien et récent, d’avoir greffé l’attirail technologique dont elle dispose à des bâtiments dans leur jus. Simple précaution esthétique, mais qui permet à la ville de conserver son identité et à chacun de s’y retrouver, et de réaliser qu’authenticité et technologie ne sont pas incompatibles.

Dans les années 70, Michael Reynolds, architecte américain originaire du Nouveau Mexique, lance le concept des maisons EarthShip (ou géonef en français). Sortes de casemates en terre battue incrustées de bouteilles de verre et ouvertes au sud par de grandes surfaces vitrées, ces habitats écolos et cheap tendent à l’autosuffisance, grâce à une gestion habile des énergies solaire, éolienne et géothermique. En s’érigeant en ville intelligente, Lyon porte à l’échelle d’une agglomération le concept, en y ajoutant tout un tas d’appareils communicants, nécessaires à la gestion d’un si grand ensemble.

Pour Benoît Bardet, responsable de la communication de Lyon Smart Community, selon lequel les Lyonnais sont très fiers du projet, « la décision de préserver une part de l’histoire industrielle de Lyon, de conserver et de rénover les bâtiments fondateurs de l’identité de notre ville a été capitale. » Lyon, en échafaudant son projet futuriste sur de vieilles pierres, a été maline, coupant l’herbe sous le pied des partisans du « c’était mieux avant ». Si cette transition douce, donc moins angoissante, a été facilement acceptée par les riverains, en serait-il de même du passage d’une ville traditionnelle à une ville complètement SF ? Rien n’est moins sûr.


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