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Coopératives d’habitants : après des années de bataille, une reconnaissance législative a minima

Ils viennent d’avoir les clés de leurs appartements. A peine installés, les habitants du Village Vertical ont reçu ce lundi la visite de Cécile Duflot. La ministre du Logement se rendait en effet à Villeurbanne pour visiter la première coopérative d’habitants de France et leur annoncer, enfin, la création d’un statut juridique.

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Le Village Vertical s’inscrit dans un bâtiment écolo. ©Leïla Piazza/Rue89Lyon

Cela faisait 8 ans qu’ils l’attendaient. Depuis 2005, une dizaine de familles se battait pour créer la première coopérative d’habitants de France. C’est chose faite, puisque depuis quelques jours, ils ont enfin pu emménager au Village Vertical de Villeurbanne. Le bâtiment, où se mélangent bois, grandes baies vitrées et coursives extérieures, abrite 38 logements. Parmi eux, 14 appartiennent au Village Vertical. Chacun dispose de la surface minimum qui lui est nécessaire.

Le reste est collectif : chambres d’amis, salle de séjour avec cuisine collective pour organiser des événements, buanderie, potager, baignoire… Ici le confort est partagé. C’est que le Village Vertical veut répondre à un paradoxe ; celui du vivre-ensemble tout en gardant son espace personnel. La mixité est elle aussi mise en avant puisque, outre les 10 logements des Villageois, on trouve 4 logements très sociaux, gérés par une association et destinés à des jeunes en insertion.

« L’histoire des trois petits cochons »

Le bâtiment répond à un autre objectif, écologique cette fois. La construction a été pensée pour limiter au maximum la consommation d’énergie, se rapprochant des performances des « bâtiments passifs ». Avec ces grandes baies vitrées, la construction est orientée de manière a rentabiliser la chaleur du soleil en hiver. Le béton est allié au bois dans la structure, des panneaux photovoltaïques installés sur le toit, le chauffage provient d’une chaudière collective fonctionnant au bois, associée à un système de pompe à chaleur avec récupération de l’énergie sur l’air extrait pour l’eau chaude…

« L’histoire des trois petits cochons, c’est ma bataille. Il faut arrêter de croire que ces constructions sont plus fragiles », plaisante Cécile Duflot, chez qui l’argument environnemental fait mouche.

Le Village Vertical : un projet utopique

Si certains espaces sont partagés, c’est surtout la propriété qui l’est. Chacun des Villageois a acheté des parts sociales de la société coopérative « Village Vertical », qui leur loue les logements. Ils sont ainsi à la fois propriétaires collectifs et locataires de leurs logements. Chaque décision est prise collectivement, sur le principe d’une personne = une voix. Et lorsqu’un habitant veut quitter la coopérative, il cède ses parts sans faire de plus-value.

« C’est une véritable expérimentation qui s’appuie sur trois objectifs : la gestion démocratique, la propriété collective et la non-spéculation », résume Antoine Limouzin, président du Village Vertical.

Un concept totalement novateur en France. Si bien que les Villageois ont dû se triturer les neurones pour trouver un statut juridique leur permettant de réaliser leur rêve. L’habitat coopératif n’ayant alors pas de cadre juridique ils ont dû choisir le statut de SAS, c’est-à-dire celui d’une entreprise commerciale classique. Ce qui n’est pas sans conséquences. En effet, comme nous l’expliquions plus tôt, les Villageois payent un loyer, ou plutôt une redevance, servant en grande partie à rembourser les emprunts contractés. Or, même lorsque cet emprunt est remboursé, le montant de la redevance ne peut pas diminuer. Lors de la pose de la première pierre du Village Vertical, Valérie Morel d’Habicoop nous expliquait :

« Dans les statuts de l’entreprise, l’objet principal est de fournir à ses membres l’usage d’un logement en le louant. La location doit donc être effective et le montant du loyer doit correspondre aux valeurs du marché. Si vous ne le faites pas, les services fiscaux risquent de redresser l’entreprise, en disant que vous auriez dû percevoir des loyers à telle hauteur et payer tant d’impôts. ».

Par ailleurs, l’absence de statut juridique spécifique complexifie les relations avec les partenaires financiers et institutionnels, pourtant essentiels à la réalisation de ce type de projet.

Arrêter le « parcours d’obstacles »

Face à l’exposé de ces difficultés, Cécile Duflot répond, triomphante :

« C’est pour ça que l’on va créer un statut, pour que l’on arrête de jongler avec des statuts bâtards. Aujourd’hui avec ce projet de loi, on veut créer le cadre juridique pour faciliter ce type de projets. Il faut que ce soit moins un parcours d’obstacles. L’idée c’est que les bailleurs sociaux puissent notamment s’impliquer de façon confortable. »

Outre la visite guidée, la ministre venait pour annoncer que le 26 juin prochain, elle présentera, en Conseil des ministres, la création d’un statut juridique pour ce type d’expériences. Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) prévoit en effet des dispositions concernant l’habitat participatif. La ministre le reconnaît, ce texte ne prévoit rien de nouveau :

« On cherche à créer un volet pour cet habitat choisi qui existe et qui s’est développé dans un cadre législatif plus classique. Aujourd’hui, ce type de projet jongle avec les dispositifs juridiques qui existent et qui ne sont pas adaptés.»

Une victoire pour Habicoop, une association de promotion des coopératives d’habitants qui, depuis des années, milite pour un encadrement juridique. L’association, née en 2005, avait fait du Village Vertical son projet pilote, celui qui a permis de réfléchir au fonctionnement le plus adapté. Depuis novembre 2012, l’association participe à des ateliers de travail avec le ministère du Logement et a plutôt le sentiment d’avoir été entendue. Le président de la coopérative de Villeurbanne, tout comme Patrick du groupe Chamarel, se dit lui aussi satisfait :

« Ce sera plus simple. Cela va permettre de trouver les outils pour développer ce modèle, qui peut être une des réponses à la problématique du mal-logement. Les professionnels qui accompagnent ce type de projet avaient besoin d’un cadre juridique clair. Et puis c’est un acte qui dit que oui, l’habitat coopératif c’est possible en France. ».

Cécile Duflot était accompagnée d’élus mais aussi des acteurs du projet lors de la visite des lieux. ©Leïla Piazza

Une bataille gagnée… pas la guerre

Si le projet de loi sera présenté le 26 juin en Conseil des ministres, de nombreuses zones de flou persistent et posent question. La ministre est restée assez vague sur le fonctionnement de ce nouveau statut. Et un certain nombre de dispositions posent question. En effet, rien n’est dit sur l’évolution de la redevance dans le temps.

« C’est un point qu’il faut qu’on soulève encore… Aujourd’hui, à cause de notre statut, on n’a pas le droit de louer en dessous des prix du marché. Il faut trouver une solution », admet Antoine Limouzin.

Pour Valérie Morel, d’Habicoop, la réponse à ce manque est simple. Il ne s’agit pas des prérogatives du ministère du Logement :

« Ces questions fiscales seront traitées ultérieurement avec la loi de finance qui doit être discutée en novembre. Mais on a bien fait part à la ministre de la nécessité de faire diminuer la redevance en fonction du remboursement de l’emprunt. »

Comme la redevance, un certain nombre d’aspects devront être précisés par la suite. Mais une thématique pose particulièrement problème aux acteurs de l’habitat coopératif, comme l’explique le président du Village vertical :

« La seule chose qui nous fait peur dans ce projet de loi c’est le mélange des genres entre habitat participatif, qui peut être spéculatif, et habitat coopératif qui ne l’est pas. Il y a là une ambiguïté. »

Spéculer sur du coopératif ?

En effet, la ministre prévoit de laisser le choix sur ce point :

« Les clauses anti-spéculatives seront possibles, mais pas obligatoires. Nous n’avons pas voulu brider cette possibilité. En revanche, on peut imaginer que les conditions d’accès à différents types de financements ou au soutien des collectivités territoriales soient conditionnées à l’existence de clauses non-spéculatives dans les statuts de la coopérative. »

Une décision qui désole Habicoop :

« Nos demandes ont été prises en compte, hormis la non-spéculation. Laisser le choix sur ce point, pour nous, ça ne clarifie pas la situation. C’est une des trois valeurs essentielles de l’habitat coopératif. On voudrait seulement que les parts sociales évoluent en fonction du coût de la vie pour que les gens n’y perdent d’argent pas non plus… On continue de se battre auprès de la ministre.»

Laissant entendre qu’un travail a été engagé avec des parlementaires pour présenter des amendements en ce sens, Valérie Morel veut toutefois rester positive :

« C’est une première étape. Il reste à résoudre les questions fiscales et celles liées aux outils financiers. Dans un premier temps déjà, les partenaires financiers et les collectivités territoriales devraient être rassurées. Et cela devrait ensuite permettre de faire avancer les autres aspects. »


#Cécile Duflot

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