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Vieillir dans une coopérative d’habitants : pari tenu à Vaulx-en-Velin

Ce jeudi 26 novembre, les habitants de la « première coopérative d’habitants pour personnes vieillissantes de France » vont symboliquement poser la première botte de paille de leur bâtiment (isolé avec de la paille, donc) dans le quartier des Barges, à Vaulx-en-Velin.

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Vieillir dans une coopérative d’habitants : pari tenu à Vaulx-en-Velin

C’est l’aboutissement de plusieurs années de combat.

> Nous republions notre article du 30 juillet 2012

A Vaulx-en-Velin, un petit groupe de « personnes vieillissantes » (comme elles s’appellent elles-mêmes) l’ont décrété : leur vieillesse, ils veulent la passer ensemble, dans une coopérative d’habitants. Un « rêve » pas si facile à réaliser, partagé par d’autres, comme à Saint-Priest où on bataille encore et à Montreuil, avec une maison des Babayagas qui, après plus de quinze ans de démarches, devrait enfin voir sa construction aboutir.

Photo d’illustration

Ils ont entre 55 et 75 ans et voudraient vieillir ensemble. Cela a débuté par une sorte de pari entre amis, lancé il y a quelques années, comme le raconte Michèle, 56 ans et infirmière en psychiatrie :

« Au départ on était un petit groupe de trois ou cinq amis. On plaisantait là dessus depuis longtemps ; sur l’idée de vieillir en groupe. Puis on est allés à une réunion d’Habicoop (association d’aide à la création et de mise en réseau de coopératives, ndlr). Et on a eu vent du projet des Babayagas. Et là, on rigolait de moins en moins. Ça n’était pas si dingue que ça. Ça ne semblait pas si difficile à réaliser. On a appelé d’autres copains. Et la mayonnaise a pris. »

L’idée, c’est aussi d’éviter la maison de retraite, la solitude du maintien à domicile. Et surtout de garder son indépendance le plus longtemps possible au sein d’une coopérative d’habitants. Le concept est basé sur l’entraide pour éviter au maximum la médicalisation qui est l’apanage de la plupart des structures d’accueil pour personnes âgées. A cette fin, les fondateurs du projet favorisent la plus grande diversité d’âges, afin d’avoir une forme d’entraide générationnelle. « Si les ¾ sont gâteux ça va être difficile ! », rigole Patrick, lui aussi futur co-habitant et instituteur retraité de 61 ans. Mais Michèle l’avoue :

« S’il y en a vraiment besoin, on pourra aussi mutualiser nos moyens pour avoir une aide. C’est un avantage financier pour nous mais aussi pour le conseil général. »

Et Patrick de détailler :

« Aujourd’hui le conseil général paye 8 000 euros par personne pour le maintien à domicile. C’est une sacrée économie, notre système. Je trouverais normal qu’ils nous aident. »

Ce projet pourrait en effet être une alternative au maintien à domicile au titre duquel le département finance un certain nombre d’aides. Par ailleurs, par le biais de l’allocation départementale personnalisée d’autonomie (ADPA), le Conseil Général peut être amené à financer des travaux dans le logement pour l’adapter aux conditions de santé et d’autonomie des personnes titulaires de l’allocation. Or, le bâtiment Chamarel, s’il se construit à Vaulx-en-Velin, sera conçu en prenant en compte ces critères d’accessibilité et d’adaptabilité aux conditions de santé.

 

La banlieue, on y est, on y reste

Le groupe se monte en association, en mai 2010. Commencent alors les démarches administratives et la recherche de partenaires. La première et principale étape : trouver un terrain pour construire. Les membres de Chamarel (Coopérative HAbitants MAison Résidence de l’Est Lyonnais) cherchent alors dans différentes communes de l’Est de l’agglomération, raconte Patrick :

« On voulait rester en banlieue. Déjà parce qu’on vient de là, qu’on a vécu, travaillé et milité ici. Et c’est un cadre de vie bien plus agréable. On est à côté de la campagne. Et puis, la population est mixte. »

La mairie de Vaulx-en-Velin leur réserve un « accueil chaleureux » et surtout un terrain, dans le quartier des Barges bientôt réaménagé. Une fois cela obtenu, le groupe n’est pas au bout de ses peines. Mais c’est un début, comme l’affirme Patrick :

« Trouver un terrain, c’est un vrai passage. Pour le groupe c’est le moment crucial où certains partent, parce qu’ils prennent peur, et où d’autres arrivent, parce qu’ils voient que ça devient réalisable. C’est le moment où se constitue la société. Nous, on a été obligés de monter une SAS (Société par Actions Simplifiée, ndlr). Il y a un problème au niveau législatif car le statut d’habitat coopératif n’existe pas en France. Les parlementaires seraient en train de plancher sur le problème. Mais pour le moment, on a cherché le statut qui se rapprochait le plus. »

 

La confiance des promoteurs et autres barrages

Et en effet, en France, le cadre juridique et économique n’est pas propice à l’habitat coopératif, comme nous l’expliquions dans un article sur le Village Vertical à Villeurbanne. Mais Patrick le reconnaît : le groupe vaudais a pu bénéficier de l’expérience de ce projet villeurbannais et a repris en grande partie son fonctionnement :

« Pour le moment, on est sept actionnaires. On doit acheter des parts de la société, qui sera propriétaire des bâtiments. Et à côté on payera une sorte de loyer : une redevance. Au final, on sera propriétaires de parts sociales et locataires. Et si jamais l’un de nous veut partir, il récupère ses parts, seulement réévaluées en fonction de l’inflation. Du coup, ça permet d’éviter la spéculation immobilière. De plus, le fait d’avoir une SAS permet d’obtenir des prêts sur 50 ans ; ce qui n’était pas évident à nos âges. »

Pas évident non plus d’obtenir la confiance des promoteurs immobiliers lorsque l’on arrive avec un projet aussi décalé. C’est pourquoi il est nécessaire d’acquérir le soutien des pouvoirs publics. Et d’avoir un projet financier bien ficelé, comme l’explique Michèle :

« On devrait amener 20% de l’argent, soit entre 20 et 25 000 euros par personne. On aimerait bien faire plus de mixité sociale. Mais tout le monde n’a pas 20 000 euros. Aujourd’hui on fait tous partie de ce qu’on appelle la classe moyenne. Quant aux loyers, ils seront tout à fait accessibles puisqu’on serait à 11 ou 12 euros du mètre carré dans la redevance. »

Pour favoriser la mixité sociale, les membres de Chamarel pensent eux aussi aller solliciter un bailleur social. L’idée serait d’avoir un ou deux logements sociaux dans l’immeuble.

 

Des post-soixante-huitards sur le tard

« Oui, enfin, il faut déjà qu’on trouve des gens », tranche Michèle. Car le plus difficile dans ce type d’expérience est sans doute de former un groupe stable. Pour être viable, le groupe doit rassembler une quinzaine de personnes. « On fait des réunions d’information tous les deux mois. Mais tout le monde n’est pas prêt à se lancer dans un projet pareil », constate Michèle. Patrick ajoute :

«  Déjà, le fait d’être à Vaulx ça élimine pas mal de monde. »

Pour le moment seules sept personnes veulent devenir habitants de la future maison coopérative. Pourtant, l’association compte une vingtaine de membres. Mais, comme le dit Patrick, l’organisation est complexe :

« Le groupe se coopte. La personne doit d’abord adhérer à l’association. On travaille ensemble pendant six mois. Et ensuite elle peut demander à devenir habitant. Dans les 20 adhérents actuels, certains sont dans cette période d’essai de 6 mois. D’autres ont pris peur quand on a obtenu le terrain mais continuent à nous soutenir. Et on a un réseau de gens, les Amis de Chamarel, qui nous soutiennent dans toute la France. Au départ, ça paraissait être une aventure, un rêve lointain. »

Et concrètement, si la vie commune fait rêver, elle est aussi compliquée à gérer :

« On est des post-soixante-huitards, certes un peu attardés, mais quand même ! C’est pas la communauté », s’exclame Patrick.

« On tient à notre indépendance et à la vie privée, ajoute Michèle. Au final, chacun aura son petit logement et on aura pas mal de parties communes : une grande salle pour accueillir du monde, avec une grande cuisine, une buanderie, des garages et deux chambres d’amis. »

 

« Vivre une aventure pareille à cet âge, c’est génial ! »

L’idée n’est pas inédite, elle en a fait rêver d’autres et les étapes ne se sont pas toujours aussi bien enchaînées. La première expérience, en banlieue parisienne, a mis plus de quinze ans à éclore. Le groupe des Babayagas de Montreuil est dirigé par la charismatique Thérèse Clerc et a, semble-t-il, passé autant de temps en conférences, discussions et autres réunions pour se mettre d’accord sur le projet qu’en démarches administratives. Leur petite sœur, la maison des Babayagas de Saint-Priest connait visiblement quelques difficultés. Alors que la présidente de l’association a démissionné récemment, le groupe était bien trop occupé à se restructurer pour répondre à nos sollicitations.

Pour Christiane Baumelle, psychosociologue à la retraite et auteure du « Manuel de survie des seniors en colocation », l’essentiel se situe dans le projet du groupe :

« En amont de ce genre d’expérience il faut définir une charte, un projet de vie collectif. Pourquoi on se met ensemble ? Qu’est-ce que l’on veut ? Vers où l’on va ? Sur quelles valeurs repose notre projet ? Il ne s’agit pas simplement de vivre ensemble C’est du long terme. Au final, la question c’est : comment veut-on vieillir ensemble ? »

Et puis, le choix des personnes compte.

« Il faut bien s’entendre, c’est sûr. Mais il faut surtout être capable de souplesse et de tolérance. Et d’une réelle capacité à faire des efforts sur soi. En général, la cohabitation marche bien chez ceux qui ont eu l’habitude de travailler en groupe. »

Et c’est le cas pour les Chamarel, selon Patrick :

« La chance qu’on a, c’est qu’on a tous l’expérience du collectif dans le milieu associatif. Et on est très structurés. C’est une garantie d’efficacité et d’évitement du leadership. La maison des Babayagas, par exemple, sans son chef, ça n’est plus rien. C’est difficile d’avoir un vrai fonctionnement coopératif et démocratique. »

Justement, l’organisation serait, d’après Christiane Baumelle, la garantie du bon fonctionnement collectif :

« Je conseille au co-habitants de faire des réunions au minimum tous les mois. Cela permet de remettre en question le fonctionnement, de tout mettre sur la table, de réguler et ainsi d’éviter l’apparition d’un leadership. C’est toute une gymnastique pour préserver le collectif. Il ne faut surtout pas que chacun cherche à tirer la couverture. »

En attendant, les Chamarel continuent d’avancer. Entre rencontre avec des bailleurs sociaux et construction économique du projet, le groupe aimerait avoir choisi un architecte en janvier 2013, pour ensuite lancer la construction. D’ici là, une réunion d’information est prévue le 16 octobre pour les personnes qui souhaiteraient rejoindre la coopérative.

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