« C’est une cage ici, on galère », grommelle Ahmed (prénom modifié). Autour de lui, du béton, des grands murs ornés de barbelés et un plafond grillagé où entre la lumière de l’extérieur.
Cette cage dans laquelle il est « retenu » depuis 19 jours, c’est le Cra 2 de Lyon, situé aux abords de l’aéroport Saint-Exupéry à Colombier-Saugnieu. De ces centres de rétention administratifs, l’extérieur ne sait pas grand-chose. « Les Cra fonctionnent dans l’opacité la plus totale », signale Anne Souyris, sénatrice écologiste de Paris, venue visiter le centre lundi 26 mai après-midi.
Un manque de transparence qui risque de s’aggraver. Le 12 mai 2025, le Sénat a voté une proposition de loi des Républicains visant à évincer les associations qui accompagnent les étrangers dans les centres de rétention administrative.
Encouragée par le très droitier ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau (LR), la droite sénatoriale fait le procès des structures associatives. « Des associations outrepassent leurs missions et les retournent contre l’État en entravant son action par pur militantisme », avait déclaré le ministre au Sénat en leur reprochant de mener une « politique de recours systématique ».
Un non-sens pour Assane Ndaw, directeur responsable de l’activité rétention de l’association Forum Réfugiés, présente dans les deux Cra de Lyon. « Pourquoi une telle loi aujourd’hui, si ce n’est pour des raisons idéologiques ?, assène-t-il. Les associations sont dans les lieux de rétention depuis 40 ans, si elles ne font pas leur travail correctement, pourquoi les marchés publics sont renouvelés chaque année ? »
Au Cra de Lyon, sans les associations, moins d’accès aux droits
Au sein des Cra, les associations sont chargées d’une mission d’information et d’aide à l’exercice des droits des personnes retenues. « Nous donnons des informations et expliquons les décisions prises par les autorités. Si les personnes les contestent, c’est leur droit, notre mission est de les accompagner juridiquement », détaille Assane Ndaw. Au Cra 2 de Lyon, 52,7% des personnes sont « éloignées » (renvoyée à l’étranger, ndlr) après leur passage. Un des taux les plus forts en France.
« Évincer les associations met en danger le droit des étrangers », finit-il par dire. L’une des cinq salariées de l’association exprime les mêmes inquiétudes à la sénatrice.
Sans leur travail, les personnes retenues auront moins de possibilités de faire valoir leurs droits. Un autre salarié raconte comment un des retenus avait failli être renvoyé en avion dans son pays d’origine alors qu’une procédure de contestation était en cours. « Nous avons pu alerter la direction et faire en sorte de le ramener juste avant le décollage, se souvient-il. Si on n’avait pas été là, qui aurait fait ça ? »
L’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (Ofii), dépendant du ministère de l’Intérieur, dont la mission principale au sein des Cra est de proposer des aides au retour ? « Imaginons : le ministère de l’Intérieur qui prend la décision d’éloignement et qui accompagne les personnes en même temps ? Ce n’est pas cohérent », tance Assane Ndaw de Forum Réfugiés.
« La prison c’est mieux » que le Cra de Lyon
Le Cra 2 de Lyon a une capacité de 140 places et est « quasiment toujours plein », selon Forum Réfugiés. Pensé comme le « Cra du futur », devant servir de modèle architectural et organisationnel pour de futurs centres, celui de Lyon a été construit en janvier 2022 en « privilégiant la partie sécuritaire », relate Assane Ndaw. « Il ne faut pas reproduire ce lieu. Personne ne s’y sent bien », poursuit-il.
Avec ses 185 caméras de vidéosurveillance, son architecture carcérale et son organisation très rigide, le centre présente tous les aspects d’une prison, même s’il n’est pas censé en être une. L’agente de la police aux frontières chargée de faire la visite à la sénatrice la reprend régulièrement : « Ne parlez pas de cellule, mais de chambre. »

Les retenus sont enfermés 22h par jour et ne disposent que d’une heure pour se rendre dans les bureaux des associations. Très peu d’activités sont proposées, aucun exercice physique ou sportif. « La prison, c’est mieux, on a des activités. Ici, on ne fait pas de sport », se plaint un des retenus.
Des conditions de vie et une organisation rendant difficiles les conditions de travail des salariés associatifs et qui « ont un réel impact sur le comportement des retenus », explique Forum Réfugiés dans le rapport annuel des centres et locaux de rétention administrative. « Ils peuvent se montrer verbalement violents », explique une des salarié·es. Une équipe qui a connu un important turn over cette année, selon Forum Réfugiés, du fait de ces difficultés.
Pourtant, selon Assane Ndaw, la présence des associations fait baisser les tensions. « Recevoir quelqu’un et lui expliquer ses droits témoigne du respect de son humanité », explique-t-il. Les associations assurent une autre mission essentielle : témoigner des conditions d’enfermement.

Au Cra de Lyon, « on sent que tout est fait pour humilier »
Dans ce centre, elles sont particulièrement dégradantes. Rue89Lyon a eu plusieurs fois l’occasion de documenter les conditions de vie au sein du Cra 2 et elles n’ont pas évolué : des lieux sales, des « espaces détentes » dégradés et se résumant à une table, des chambres qui ne se ferment pas, des toilettes sans portes (et donc sans intimité), un accès aux soins limités… « On sent que tout est fait pour les humilier », glisse la sénatrice Anne Souyris pendant sa visite.
Des conditions « indignes » selon le bâtonnier de Lyon qui avait entamé une procédure en octobre 2024 pour obtenir la fermeture du centre. La demande avait été rejetée par le tribunal administratif de Lyon.




« Les Cra sont déjà des lieux opaques, si on ne peut pas contrôler ça devient grave »
À la sortie du Cra, devant les grandes grilles et les barbelés, Anne Souyris tire le bilan. Elle connaît bien le sujet, ayant visité plusieurs autres centres en région parisienne. À chaque fois, elle conclut la même chose : « Ça n’a aucun sens humainement parlant ». Des visites qu’elle pourrait bientôt ne plus pouvoir effectuer. Une décision du 29 avril 2025 du Conseil constitutionnel remet en cause le principe de droit de visite parlementaire dans les lieux de rétention.
« Sans ces visites et sans les associations, il n’y a plus de regard neutre, qui ne soit pas celui de l’administration. Ce sont déjà des lieux très opaques », assure la sénatrice.
De son côté, Assane Ndaw qui n’était pas au courant de cette décision du Conseil constitutionnel, se montre doublement inquiet. « C’est hallucinant, souffle-t-il. Ce qui se prépare ne participe pas à l’État de droit et à la démocratie », conclut-il âprement.



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