
Sans-abrisme à Lyon : « Le système de l’hébergement d’urgence est bloqué, il faut le changer ! »
[Tribune] Dans la métropole de Lyon, le sans-abrisme est en augmentation : 10 000 personnes sont en attente de logement. L’association Alynea, en charge du Samu Social, tire la sonnette d’alarme et appelle à refonder le système de l’hébergement d’urgence.
« J’ai dormi à – 6 degrés. J’ai eu de la chance, je ne suis pas morte. »
Véronika, 60 ans, vit dans une tente, luttant avec de nombreux autres contre les rigueurs de l’hiver. Parfois, elle est réveillée par des rats qui lui mordent les pieds. Elle appelle en vain le 115, depuis des mois, pour obtenir une place d’hébergement. Du fait de la saturation des dispositifs de mise à l’abri, sa survie tient donc à la chance. Une nuit peut-être, son corps cédera d’avoir trop lutté. Défier la mort a des limites.
Cette scène ne se passe pas à Montfermeil au 19e siècle, Véronika n’est pas Fantine, mais aujourd’hui, dans le quartier de la Part-Dieu, au cœur de la Métropole de Lyon, 2e place économique de la 7e puissance mondiale.
Plus de 10 000 personnes en demande d’hébergement d’urgence dans la métropole de Lyon
Fidèle à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et à sa Constitution, la France est pourtant dotée d’un arsenal de lois et de règlements qui garantissent que « toute personne sans-abri et en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ». L’hébergement n’est normalement qu’une étape, l’objectif étant l’accès au logement durable.
Néanmoins, l’urgence sociale explose sur notre territoire. Comme Véronika, plus de 10 000 personnes sollicitent en vain une place d’urgence dans le territoire de la métropole de Lyon. Le système n’est plus en capacité de proposer une solution immédiate à une famille, si l’âge du dernier enfant dépasse un an. En moyenne, il faut attendre 18 mois dans la rue pour espérer être mis à l’abri, bien davantage si la famille excède quatre personnes et plus encore si l’on n’a pas d’enfant ou que l’on ne présente pas de pathologie de santé. Plus de 620 personnes sont décédées en 2021 sans toit, en France.

Des facteurs du sans-abrisme bien identifiés dans la métropole de Lyon et ailleurs
Pour le Samu Social 69, porté par l’association Alynea, ce sombre tableau devrait provoquer un électrochoc et une refonte en profondeur du dispositif car le modèle traditionnel décrit plus haut ne fonctionne plus. L’explosion du sans-abrisme est une conséquence logique de trois facteurs connus et documentés qui mettent à mal ce modèle.
Premier facteur : l’inaccessibilité du logement. Du fait de la spéculation immobilière, sur notre territoire, le logement privé est devenu inaccessible aux publics ayant les 10% des revenus les plus faibles, selon le PLAID (Plan logement hébergement d’accompagnement et d’inclusion des habitants en difficulté, co-élaboré par la préfecture du Rhône et la Métropole de Lyon). Lyon, 3e ville la plus chère de France en termes de loyer, est clairement dans cette dynamique. Si le logement, droit fondamental, devient un « produit financier », les « candidats locataires » qui présentent le risque le plus élevé en termes de revenus pour le propriétaire, s’en voient nécessairement exclus !
L’accès au logement social devrait être un palliatif à ce problème, mais, sur la métropole de Lyon comme partout en France, cet accès est grippé ! Depuis cinq ans, les choix politiques ont sciemment coupé les marges financières du secteur, nécessaires à son développement. Taux de rotation, nombre de ménages en attente, taux d’attribution, délais d’accès… Tous les indicateurs sont au rouge et expliquent la saturation des capacités d’hébergement d’urgence. Le phénomène est systémique.

Le second facteur est lié à l’empilement et la complexification des politiques publiques, qui fabriquent de l’exclusion. À titre d’exemple, citons la désinstitutionalisation de la psychiatrie. Elle visait à mettre fin à des formes de prise en charge asilaires, attentatoires aux libertés. Cela s’est matérialisé par la fermeture de lits d’hôpitaux et le développement, en parallèle, d’accompagnements à domicile, mais sans systématisation d’un accès au logement et de la mise en place effective de ces services pour chacune des personnes concernées.
Concrètement, certaines de ces personnes hospitalisées de longue date, parfois sans liens familiaux solides, se sont retrouvées dehors sans solution de logement et d’accompagnement. Cette politique voulue « inclusive » s’est alors muée en machine à broyer pour les plus fragiles. Les victimes du « virage ambulatoire de la psychiatrie » se retrouvent sur le trottoir, après la fermeture du service dans lequel ils et elles vivaient depuis des années, voire des décennies.
Le dernier facteur est relatif aux conditions d’accueil dissuasives destinées aux personnes exilées (non accès au travail, logement social, prestations sociales…). Censées prévenir un fantasmatique appel d’air, elles les condamnent, de fait, à une vie de misère à la rue.
« 10 % des logements vacants permettraient de résoudre le problème du sans-abrisme dans la métropole de Lyon »
Face à ces facteurs, l’hébergement d’urgence, en tant que réponse publique, n’est plus en capacité de faire face à la demande. Il ne joue plus sa fonction de « sas » temporaire et limité dans le temps. Plutôt qu’incriminer telle ou telle structure (l’État, la Métropole, la Ville) : reconnaissons que le système est aujourd’hui bloqué et qu’il faut le changer ! Pour cela, nos propositions sont les suivantes.
À court terme, il importe d’accroitre les solutions pour loger. 59 000 logements sont signalés comme vacants par l’Insee dans la métropole de Lyon. Avec seulement 10% de la vacance identifiée, soit 5900 logements, cela permettrait de résoudre le problème du sans-abrisme sur notre territoire.
Dans cette perspective, un nouveau « pouvoir » pourrait être attribué aux préfets au vu de l’urgence, afin qu’ils puissent « préempter » des locations, en mobilisant les outils actuels de garantie de loyers et d’entretien pour ne pas léser les propriétaires.
Autre piste : l’État, par le biais de la préfecture, a la possibilité de confisquer les biens de propriétaires « indélicats », notamment les marchands de sommeil, et dédier leur usage à des missions sociales. Un décret de novembre 2021 le prévoit.
« Participer à la résorption du sans-abrisme est une cause juste, humaine et pragmatique »
À moyen et long terme, il convient d’agir sur les causes structurelles du sans-abrisme, à savoir :
- Résoudre l’indisponibilité du logement social et du logement abordable sur le territoire. Plusieurs pays européens ont montré la voie, comme la Finlande. Il s’agit pour l’État de décider d’un investissement massif dans la construction de logements sociaux et d’en imposer l’implantation dans tous les territoires, notamment les moins dotés actuellement. Il s’agit également de solvabiliser les ménages les plus fragiles en renforçant les allocations logement.
- Simplifier les articulations d’accompagnement des publics fragiles entre les instances compétentes, pour éviter l’absence de prise en charge ou les ruptures de parcours qui entraînent parfois des passages à la rue. Des solutions existent. Dans le secteur du handicap, le suivi des enfants est assuré par les départements, celui des adultes par l’ARS. La transition entre ces deux autorités, souvent difficile du fait de la saturation du secteur adulte, ne pèse jamais sur les personnes. En cas d’absence de solution, le département maintient un « hébergement d’attente », moyennant remboursement des coûts occasionnés par l’ARS. Ce modèle pourrait être généralisé pour tous les publics concernés par des transitions (personne hospitalisée de longue date dont le lit est supprimé, mineur placé en foyer au moment de ses 18 ans, enfant de plus de 3 ans ne relevant plus d’une prise en charge par la Métropole…)
- Enfin, oser repenser en profondeur les politiques d’accueil des exilés. Non, les exilés sont pas responsables de l’engorgement de l’hébergement d’urgence. Deux tiers des personnes actuellement en demande d’hébergement sont françaises, européennes ou ont un titre de séjour. Néanmoins, notre politique migratoire génère du sans-abrisme. Il s’agit donc de regarder la réalité avec humanisme et pragmatisme, en œuvrant à l’intégration. Cela passe par la régularisation, comme le permet la circulaire Valls, de personnes que l’on maintient dans la misère, en les empêchant de s’intégrer officiellement. Car ouvrons les yeux : leur intégration existe déjà, de fait, dans les écoles, les quartiers et parfois le travail non officiel. L’accueil réservé aux Ukrainiens est la preuve de nos capacités à intégrer.
Des solutions existent. Les moyens à déployer aujourd’hui sont des investissements pour les années à venir. Mêmes complexes, ils relèvent de choix rationnels, à la portée de choix politiques.
Alors, nous formulons un vœu : allons-y ! Quel plus beau combat que de participer à la résorption du sans abrisme, cause juste, humaine, pragmatique qui, à l’échelle de l’histoire, pourrait faire honneur à notre génération. Relevons ce défi !
Maud BIGOT – Vice-Présidente de la Fédération Nationale des Samu Sociaux – Directrice du Samu social 69 porté par l’association Alynea
Pascal ISOARD THOMAS – Directeur Général de l’association Alynea

À Rue89Lyon, on croit en un journalisme qui déniche l’info, qui fouille là où ça dérange, qui demande des comptes, qui parfois égratigne celles et ceux qui nous gouvernent, et surtout qui n’attend pas le sujet mais va le chercher.
Aujourd’hui, sans vous tout cela pourrait bien s’arrêter. Nous avons besoin d’atteindre 1.000 abonné⋅es avant le 31 mars. Aidez-nous à défendre cette vision du journalisme : abonnez-vous, offrez un abonnement ou faites un don.
Cette exigence de la part d'associations gestionnaires de lieux d'hébergement me semble parfaitement excessive (surtout quand on connait les retards administratifs de la Préfecture pour donner des RV ou pour fournir les documents officiels) et participe d'une opération de contrôle policier qui n'a rien à voir avec la mission de ces associations ! Combien de jeunes majeurs, déboutés du droit d'asile et pourtant en recours et au travail, sont victimes de telles dérives de gestion des associations gestionnaires d'hébergement ... gonflant d'autant le nombre de personnes vivant sous tentes ou dans des squats, pseudo demandeurs d'hébergement d'urgence alors que, avec leurs salaires actuels et les pièces d'identité qu'ils possèdent (cartes consulaires, passeport, demandes d'asile en cours...), ils pourraient très bien accéder et payer leur chambre ou leur appartement dans des FJT, Résidences Sociales ou autres Foyers d'hébergement "classiques".
Merci pour votre commentaire. Alynéa est très attachée au principe d’inconditionnalité de l’accueil des personnes en difficultés, sujet central de notre projet associatif. Aussi, nous accueillons des personnes à droits incomplets dans nos centres d’hébergement et nous nous mobilisons avec force pour faire avancer l’ouverture des droits, puis pour accompagner leur insertion.
Vous faites référence dans votre commentaire, à des dispositifs effectivement réservés aux personnes ayant un droit au séjour établi. C'est un élément que nous dénonçons précisément dans la tribune comme inutile et surtout déshumanisant pour ceux qui subissent cette exclusion.
Nous sommes à votre disposition pour préciser certains points si vous le souhaitez. N’hésitez pas à nous contacter via notre formulaire de contact.
Je cherche votre formulaire de contact pour convenir d’une réunion sur ce sujet
J’essaie justement de contourner les obstacles d’un système comme Visale par exemple pour une entrée d’un jeune couple en FJT ou en appartements avec association faisant de l’intermédiation locative…mais ce n’est pas gagné et c’est usant !
Au plaisir d'échanger avec vous.