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Cleim Haring : « Il y a eu une rupture entre les générations de rap à Lyon »

Cleim Haring, anciennement Libre Penseur arpente le paysage rap de Lyon depuis plus de 20 ans. Il retrace les métamorphoses du genre dans sa ville.

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Cleim Haring organise des événements autour du rap à Lyon au travers des Plavace Party. Photo @cleis____ogr

Cleim Haring a grandi dans le 5e arrondissement de Lyon, dans le cossu quartier du Point du Jour à Saint-Just. Le rappeur de 36 ans n’est pourtant pas issu d’une famille favorisée. Fils d’ouvrier et d’une mère qui a enchaîné les petits contrats, il dit avoir été intrigué par la jeunesse dorée qui fréquentait les établissements scolaires de son quartier.

Il commence le rap tôt, dès le collège. Après le lycée, il raconte n’avoir même pas tenté de s’inscrire à la fac, sachant déjà qu’il voulait vivre du rap. Dans les années 2000, il arbore le blaze « High Tech » avant d’opter pour « Libre Penseur ». Puis il rejoint le collectif Zéro Pointé, dans lequel ont brillé dans lequel ont brillé Ilenazz, Ethor skull, Na.k, futurs MC de l’Animalerie.

En 2008, Cleim Haring se détache de Zéro Pointé pour tenter de trouver son style seul. Il sort à cette époque cinq projets, dont Libre Jazzeur et Electron Libre, tantôt en CD, tantôt en accès libre sur MySpace. Il monte alors son propre label avec 4 Romain, un rappeur de Montpellier, issu du groupe Rouge à lèvres.

Cleim Haring organise des événements autour du rap à Lyon au travers des Plavace Party. Photo @cleis____ogr
Cleim Haring organise des événements autour du rap à Lyon au travers des Plavace Party. Photo @cleis____ogr

Alors que la carrière du musicien décolle doucement, il disparaît brutalement des radars et ne revient que quatre ans plus tard avec un nouveau style, un nouveau projet ainsi qu’un nouveau blaze : Cleim Haring, contraction de son prénom, Clément, et du nom de l’artiste Keith Haring. Un tournant dans sa carrière, marqué par des instrus plus posées et surtout des clips ambitieux. Certains réalisés par Valentin Petit, qui a aussi travaillé à ceux de Roméo Elvis et Nekfeu.

Après trois EP et quelques scènes, Cleim Haring fonde un nouveau collectif, « Plavace », avec qui il sort deux EP, avant que l’engouement des musiciens ne retombe suite au décès d’un des membres fondateurs du groupe. Depuis, Cleim Haring organise surtout les « Plavace Party », des rendez-vous mensuels où sont programmés les talents lyonnais. Il raconte à Rue89Lyon son analyse de 20 ans de rap à Lyon.

« On distribuait des CD de rap à l’arrache dans les rues de Lyon »

Rue89Lyon : Comment était-ce d’être un rappeur avant les années 2000 à Lyon ?

Cleim Haring : Enfants, on a tous été influencés par Oxmo Puccino, IAM… On écoutait ces albums en boucle, de toute façon on n’avait pas le choix, on n’avait pas 200 CD. J’ai toujours eu envie de faire pareil que mes idoles. Adolescent, j’ai surtout écrit sur mon ennui. On n’était pas très nombreux à s’essayer vraiment au rap. Dans le 5e, on devait être moins d’une dizaine de gamins.

Mon premier collectif [Zéro Pointé, ndlr] était composé de la moitié de l’Animalerie. J’étais le plus jeune. On prônait un rap bienveillant, on s’intéressait à la culture hip-hop des États-Unis. Un jour, Oster lapwass a pris sa caméra et nous a filmés, mais sans enjeu, pour se marrer.

J’ai sorti ma première tape en 2003. C’était une street tape composée de plusieurs morceaux, des maquettes pour la plupart. On faisait circuler des CD qu’on avait gravés nous-mêmes ; en espérant qu’ils tombent entre de bonnes mains.

C’est Casus Belli qui avaient inspiré cette tendance, ils ont été dans les premiers à faire ça, distribuer des CD comme ça, à l’arrache. La vision un peu plus business du rap est venue bien plus tard.

On savait que si on voulait percer, si on voulait vivre un peu de la musique, il fallait être repérés par une maison de disque. Ça semble absurde à l’heure ou tout est possible en indépendant. À l’époque, sans label on était rien.

J’ai quitté le collectif parce que je rêvais de faire des sons à la Kanye West, Pharell Williams. Les gars souhaitaient rester dans des sonorités Boom-bap, je les comprends, c’est cool aussi.

« 2010, c’était l’arrivée du rap alternatif à Lyon »

Rue89Lyon : Pourquoi Libre Penseur a-t-il disparu brutalement ?

Cleim Haring : On a monté un label avec 4 Romain, un ami de Montpellier issu du groupe Rouge à lèvres. On a trouvé notre public, c’était cool. 2010, c’était l’arrivée d’un nouveau rap : les codes du genre commençaient à se fissurer, il y avait des artistes qui posaient déjà sur de la house. J’ai pu être produit par mon propre label. Ça a d’abord été un soulagement, et puis après j’ai été repéré par Sony Music. Évidemment, j’ai voulu aller chez eux, mais les personnes avec qui j’étais dans mon label ne m’ont pas aidé.

Tout s’est effondré du jour au lendemain. Ils voulaient rester indépendants et moi je rêvais d’une visibilité à l’américaine. C’était la période du renouveau du rap, avec Némir, Set et Match. Je voulais en être, ça ne s’est pas fait.

Rue89Lyon : Pourquoi ne pas avoir gardé le blaze de Libre Penseur ?

Cleim Haring organise des évènements rap à Lyon au travers des Plavace Party. Photo par @1993initiales
Cleim Haring organise des évènements rap à Lyon au travers des Plavace Party. Photo par @1993initiales

Cleim Haring : Je voulais tourner la page, ça me hantait cette occasion manquée. Et puis Libre Penseur, ça sonne très militant comme blaze. Je ne suis pas un rappeur militant, encore moins maintenant. Je ne veux pas être de ces artistes qui passent leur temps à dénoncer dans leurs textes pour se donner de la profondeur alors qu’à côté ils ne s’impliquent dans rien. Je veux être honnête.

En revanche, il y a d’autres thèmes que je trouve beaucoup plus porteurs, comme l’amour, au sens large du terme. Avec le projet Cleim Haring je voulais vraiment proposer quelque chose de plus pop. Ça m’a permis de me reconstruire en tant qu’artiste. J’ai fait trois EP, tous autour de la couleur bleue : Soledad, Suncold et Cerbère. J’ai fait une scène à Paris en 2015, on a fait un tour localement, mais je n’arrivais pas trop à m’y retrouver économiquement.

« Ma plus grande peur est d’être dépassé »

Rue89Lyon : Ça fait presque deux ans que Cleim Haring n’a rien sorti, pourquoi ?

Cleim Haring : Le collectif Plavace m’a pris trop de temps pour relancer des choses en solo. Avec Olivier au son, Morfal au beatmaking, Atry et Sëmo au rap. On a sorti les EP Jacobins, Voltaire, on a fait des feat avec Tedax Max puis avec Casus Belli, c’était top.

On a fêté les un an de Plavace en septembre 2022, mais chacun s’était un peu détaché du projet. J’en ai profité pour porter un nouveau concept en organisant les Plavace Party avec des rappeurs émergents de Lyon et d’autres plus anciens.

J’essaye de les organiser dans des lieux qui attirent des publics différents : la péniche Loupika, le Food Society. On a aussi lancé un podcast, le Podcavast, où on parle des rappeurs de l’ancienne génération notamment.

Ma plus grande peur est d’être dépassé. Organiser les Plavace Party me donne le sentiment que je suis où il faut, quand il faut : je donne de la force au rap lyonnais.

« Quand j’ai commencé, il n’y avait que des périurbains : Vénissieux, Vaulx-en-Velin. Aujourd’hui, je vois une grosse proposition de rap de centre-ville à Lyon »

Rue89Lyon : Quels changements majeurs vois-tu entre les différentes générations de rappeurs et rappeuses à Lyon ?

Cleim Haring : C’est difficile de résumer 20 ans de rap, surtout à l’heure où les nouveaux rappeurs percent en six mois. J’ai l’impression que plus ça va, plus le temps se raccourcit, les carrières vont plus vite.

Déjà, il faut se dire qu’aujourd’hui, le marché est saturé de propositions artistiques diverses, c’est beaucoup plus compliqué d’exister. Paradoxalement, tu peux percer plus facilement avec juste un ordi et un logiciel de mixage dans ta chambre ; et en même temps, j’ai du mal à voir comment les artistes peuvent durer. C’est difficile de ne pas se faire oublier. Il y a tellement de musique à consommer que c’est rude de retenir l’attention sur le long terme.

Cleim Haring, en concert de rap à Lyon. Photo par @instaajcb
Cleim Haring, en concert de rap à Lyon. Photo par @instaajcb

Il y a plus d’artistes qui débarquent pour faire du fric, qui parlent d’argent très vite, ça existait beaucoup moins quand j’ai commencé. Le truc, c’est que tout le monde a eu la même idée en même temps. Aujourd’hui, je dirais que gagner de l’argent, c’est vraiment compliqué dans le rap.

La communauté rap de Lyon a vraiment évolué de façon exponentielle, il y a quand même une belle émulation qui laisse émerger plein de nouveaux talents. Aussi, j’ai remarqué qu’il y avait de plus en plus d’artistes de centre-ville. Quand j’ai commencé, il n’y avait que des périurbains : Vénissieux, Vaulx-en-Velin. Aujourd’hui, je vois une grosse proposition de rap de centre-ville.

Dans le fond, ce qui perdure, c’est surtout l’état d’esprit à la lyonnaise. Il ne s’agit pas d’un style musical, plus de l’état d’esprit à la Lyonzon, héritée de 800 industrie [géniteurs du bien connu slogan « 69 la trik », ndlr] : revendiquer la pagaille, être « à la zeub » tout en évitant au maximum de se mélanger.

« Lyon n’est pas qu’une ville techno, c’est une ville de rap aussi »

Rue89Lyon : Lyon a-t-elle sa place entre Marseille et Paris ?

Cleim Haring : Bien sûr. On dit « Lyon ville techno » mais non, pas seulement, c’est une histoire de marketing. Lyon est une ville de rap aussi. Si on a été invisibilisés à l’échelle nationale c’est parce que personne n’a signé en gros label dans l’ancienne génération.

La nouvelle scène pense que le rap lyonnais n’existait pas avant 2015, parce qu’il n’y a pas ou peu de traces, que ce soit sur Youtube ou sur les sites spécialisés. Les interviews sont sorties en fanzines, on pressait nous-mêmes nos CD. On n’a pas eu de IAM lyonnais au retentissement national, majoritairement parce qu’on n’avait pas d’économie du rap solide.

Il y a quand même eu des scènes, des concerts, des compilations comme 69Connexion qui a réuni pas mal d’artistes lyonnais en 2006. Je m’en souviens, il y avait la queue à la Fnac. Mais tu parles de ça à un jeune rappeur de 18 ans d’aujourd’hui, il n’aura pas la référence. Je pense qu’il y a eu une vraie rupture, accentuée par le contraste entre le côté niche de l’époque et l’énorme démocratisation d’aujourd’hui. »


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