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Un an avec les jeunes migrants de la Croix-Rousse à Lyon

Qui sont ces habitants de Lyon qui se sont investis pendant un an, parfois plus, pour prendre en charge les jeunes migrants de la Croix-Rousse ?

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squats jeunes migrants Lyon Croix-Rousse

Lisa, Keren et Margot fondent en larmes. Nous sommes le 6 juillet. Le squat de la Croix-Rousse, où elles ont accompagné tant de jeunes migrants, pour la plupart adolescents, est en train d’être évacué. Les militantes pleurent de soulagement : 40 places ont été ouvertes par la Métropole de Lyon et la préfecture pour prendre en charge ces jeunes.

Elles pleurent aussi de tristesse de voir ce lieu, « Le Chemineur », être fermé alors qu’elles l’ont tant investi. L’inquiétude se mêle aux larmes, car 40 autres jeunes n’ont pas de solution et dormiront à la rue ce soir-là. Lisa se souvient :

« Une voiture de police est passée. Ils devaient s’attendre à voir une vague de migrants et ils sont tombés sur trois bonnes femmes qui pleurent. »

Des squats aux toiles de tente avec les jeunes migrants de la Croix-Rousse

Les militant·es sont épuisé·es. Pendant plus d’un an, ils et elles ont assuré une présence constante dans cette grande bâtisse près de la rue Denfert-Rochereau (Lyon 4e). Les membres du collectif « soutiens/migrants Croix-Rousse » ont inlassablement accueilli ces jeunes migrants en recours devant le juge pour être reconnus mineurs. Les militant·es les ont logés, nourris, consolés, quitte à ce que cela prenne une place considérable dans leur vie.

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Tous les jeunes pris en charge par le collectif au Chemineur étaient en train de faire un recours devant le juge des enfants.Photo : OM/Rue89Lyon

Alors quand le deuxième squat qui accueillait ces jeunes, « chez Gemma », a brûlé, le réseau de militants s’est retrouvé sur les genoux. Plus de lieu pour s’occuper des jeunes, et des troupes à bout à de souffle. Hors de question de rouvrir un squat, si chronophage et demandeur. C’est sous des tentes dans le square Ferrié, à Hénon, que les jeunes ont été installés par le collectif.

D’une présence continue, les militant·es sont passés à un passage au square par jour ou tous les deux jours. Lisa évoque sa fatigue :

« J’avoue qu’à ce moment-là, j’ai pris une petite semaine de ‘vacances’. Je passais 10 minutes par-ci, par-là et c’est tout. Je ne voulais pas mais c’était trop lourd. L’incendie et l’évacuation ça nous a mis une tarte. Au Chemineur, peu importe ce qui se passait dans ta vie, on n’avait pas le choix il fallait y aller. Mais maintenant, les jeunes dorment dans tentes, c’est trop triste, je préférais le Chemineur même si c’était dur. »

« Je ne passais chez moi que pour me doucher et dormir »

La militante de 27 ans aux longs cheveux blonds, tatouage « Working class » sur l’intérieur du bras, avait déjà fait quelques dons de vêtements lors de l’occupation de l’ancien collège Maurice-Scève par des sans-papiers et des mineurs isolés en 2018, sans s’y investir plus que ça. Après un voyage à l’étranger, elle revient à Lyon à l’été 2021, peu après l’ouverture du Chemineur.

Lisa Chemineur
Lisa, 27 ans, était très souvent présente au Chemineur pour encadrer les jeunes.Photo : MA/Rue89Lyon

Au départ, elle amène à nouveau quelques sacs de vêtements, des boissons. À ce moment là, elle est sans activité suite à une blessure. Elle finit par s’impliquer peu à peu dans la gestion du lieu et l’accompagnement des jeunes, au point de ne plus passer chez elle que « pour [se] doucher et dormir ».

Pour Keren aussi, cuisinière et animatrice dans l’associatif, ses passages au Chemineur étaient d’abord ponctuels. Elle proposait des ateliers de cuisine aux jeunes, en mal d’activités et de divertissement. Cette mère séparée de trois enfants raconte :

« Je me suis dit ‘je peux peut-être leur proposer des choses’ et c’était le premier doigt de pied dans cette lutte. Puis, une semaine sur deux, quand je n’avais pas mes enfants, je me suis très impliquée et ça a pris tout plein de temps. Ce qui m’a plu, c’est qu’on ne passe pas mille ans à discuter des statuts comme dans l’associatif, mais on fait. Ça frotte, on se prend la tête parfois, mais on fait. »

Alors que l’on discute à la terrasse d’un café, au cœur de la Croix-Rousse, Christian et deux autres jeunes passés par le Chemineur viennent lui apporter des sacs de couchage pour son départ en vacances. Keren rit de tous les sacs apportés par ces ados avec qui elle a gardé contact. Elle leur confie ses clés d’appartement pour qu’ils aillent déposer leur paquetage.

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Keren attend des nouvelles de Christian, un jeune passé par le Chemineur, qui doit lui apporter des affaires.Photo : MA/Rue89Lyon

Avec les jeunes migrants de la Croix-Rousse, de l’ancien collège Maurice-Scève au Chemineur

Contrairement à Lisa et Keren, d’autres militant·es étaient très impliqué·es depuis plus longtemps dans la lutte pour l’accompagnement des jeunes migrants à la Croix-Rousse. Sébastien, professeur de 52 ans en disponibilité et père de deux filles, est l’une des figures du collectif soutiens/migrants Croix-Rousse depuis l’occupation de l’ancien collège Maurice-Scève entre 2018 et 2020.

Interlocuteur privilégié de la presse, présent très souvent au Chemineur, et aussi membre de la France Insoumise, les jeunes le nomment « Monsieur Sébastien ». Malgré sa présence très importante dans cette lutte, il reste discret et s’épanche peu sur son implication.

« C’est un peu comme un engagement professionnel, finit-il par lâcher. Mes filles et ma femme savent que parfois je ne suis pas disponible et que c’est prioritaire, mais elles soutiennent à fond. Mes filles, elles sont un peu fières de leur papa. »

Sébastien Chemineur
Sébastien est impliqué depuis 2018 pour les droits des mineurs isolés à la Croix-Rousse.Photo : MA/Rue89Lyon

Depuis Maurice-Scève, Sébastien milite aux côtés de Marguerite. Cette retraitée de 74 ans se fait appeler « Margot » et est surnommée par les jeunes « Maman Margot ». Son engagement dans la cause des mineurs isolés à Croix-Rousse remonte à six ans en arrière. Elle retrace avec une grande précision son parcours jusqu’à aujourd’hui.

« En 2016, les jeunes trainaient dans les jardins de la Grande-Côte après leur remise à la rue. La question ne se posait pas. De les voir, ce n’était pas pensable pour moi de laisser la situation telle qu’elle était. »

Mais son engagement politique remonte à bien plus loin. En 1976, elle avait déjà sa carte au Parti socialiste unifié. « S’il y avait quelque chose de cet acabit-là aujourd’hui, on en serait pas là », assène-t-elle, faisant sourire ses camarades. Sébastien aussi dit être engagé depuis toujours. « Au collège, je vendais des badges SOS racisme », raconte-t-il en riant.

« Mes enfants se sont plaints de la place que cette lutte a pris dans notre vie »

Présents 24h sur 24 auprès des jeunes, ces militant·es ont parfois été jusqu’à empiéter sur leurs vies personnelles.

« Au début, je trouvais ça exagéré la présence sur place tout le temps, je trouvais que c’était infantilisant. Mais au bout d’une semaine, j’ai changé d’avis. La demande vient des jeunes aussi, d’avoir des personnes là pour faire respecter le cadre », explique Lisa.

Keren dit avoir eu sa vie de famille un peu bousculée par une implication dont elle n’avait pas anticipé l’ampleur.

« Mes enfants se sont plaints de la place que cette lutte a pris dans notre vie. Donc j’ai dû ajuster. Maintenant, ils savent que ça fait partie de ma vie mais on a dû recadrer et discuter beaucoup de ça. Aujourd’hui, j’ai dû vider un ordi que je dois rendre à mon ancien boulot. Je n’avais presque que des photos du Chemineur dedans. Ça témoigne très bien de la place que ça a pris. »

Margot aussi raconte une lutte qui a peu à peu grignoté sur sa vie personnelle. Sans regretter, elle explique avoir parfois été embarrassée par l’impossibilité de concilier les deux.

« Ça m’est arrivé, alors qu’on m’annonçait l’arrivée de mon petit-fils, de me dire ‘pourvu qu’il ne vienne pas ce soir, je ne sais pas comment je vais faire’. Et je trouve ça assez répugnant, parce que c’est « mon sang ». Parfois, j’étais au téléphone avec de vieilles amies et je me disais ‘vivement qu’elles raccrochent il faut que j’y aille’. »

Plus de 300 jeunes migrants passés par le Chemineur, à la Croix-Rousse

En réalité, alors qu’on les a réuni·es pour parler d’eux, les militant·es parlent surtout des jeunes qu’ils accompagnent. Les noms fusent : Ibrahim, Souleyman, Prince, Seku… et l’on finit par s’y perdre. Mais les militants eux, savent bien de qui ils parlent, parmi les plus de 300 jeunes qui sont passés par le Chemineur. « Tu sais que Moussa a été reconnu mineur ? », lance Lisa. « Dieu soit loué ! », répond Margot avant d’ajouter : « même si je ne pense pas que Dieu y soit pour grand chose ».

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Les militant·es tirent le bilan d’une année de lutte.Photo : MA/Rue89Lyon

Réuni·es autour d’un café, les militant·es se remémorent les souvenirs de l’année écoulée. Plusieurs fois, ils mentionnent des jeunes qui font leurs devoirs, au milieu du bazar de la maison, ou sur un banc à l’extérieur, à peine éclairés par une lumière de chantier.

« Combien de fois je me suis retrouvée à faire des choses improbables ? lance Lisa en riant. Une fois, un jeune m’appelle à une heure du matin, paniqué. C’était la première fois qu’il fumait un joint et il était en crise de parano. Il a commencé à crier qu’il voulait voir un prêtre, alors qu’il est musulman. »

À côté des souvenirs heureux, il y a aussi la difficulté du mois de novembre, glacial, sans chauffage ni électricité dans le squat. Leur impuissance lorsqu’un jeune n’est pas reconnu mineur. Leurs sentiments mélangés quand ils voient partir un jeune reconnu mineur, entre la tristesse de son départ du Chemineur et la joie de le voir pris en charge.

De camarades de lutte, les militant·es sont devenus ami·es. « Des supers rencontres humaines », résume Keren. Et s’ils doivent tirer un bilan de leur lutte, tou·tes font référence aux places ouvertes par la Métropole de Lyon pour assurer l’accompagnement des jeunes en recours. Sébastien résume :

« 92 places ouvertes, on peut se féliciter quand même. »

Avec le campement au square Ferrié, leur lutte est moins chronophage même si tout aussi intense dans leur interpellation des pouvoirs publics. La « charge mentale » et l’inquiétude pour les jeunes, elles, restent. Peut-être encore plus fortes qu’avant.


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