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Chemsex à Lyon : « Il y a un grand rajeunissement des consommateurs »

[Pourquoi le chemsex explose 1/2] Anthony Plasse est responsable du pôle addictions de l’association LE MAS et directeur du Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues

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Anthony Plasse, responsable du pôle addictions de l’association LE MAS et directeur du CAARUD Pause Diabolo, à Lyon 3e, travaille sur le chemsex depuis plusieurs années.

(CAARUD) Pause Diabolo, à Lyon 3e. Depuis un an, il constate une augmentation de la pratique du chemsex à Lyon, chez des personnes de plus en plus jeunes.

Rue89Lyon : En quoi consiste le chemsex ?

Anthony Plasse : Il s’agit de l’usage de substances psychoactives pendant des rapports sexuels.

Quand est-ce que cette pratique est apparue en France ?

Je dirais que le phénomène s’est structuré à partir de début 2010. A ce moment-là, c’était essentiellement de la cocaïne, du GHB et certaines formes d’amphétamines qui ont commencé à être consommés.

Depuis le début des années 2010, on a des nouveaux produits de synthèse qui commencent à apparaître. Et il y en a beaucoup. Pour vous donner une idée, il y en une dizaine de nouveaux depuis janvier.

Il y a des produits un peu phares comme la 3MMC. C’est un stimulant qui a des effets relativement proches de la cocaïne avec une désinhibition en plus, une sensation de se connecter à l’autre… Il y a un pourcentage non négligeable de chemsexeurs qui ont commencé par la cocaïne puis qui ont poursuivi avec la 3MMC parce qu’elle est moins chère et elle est très facile à trouver.

La 3MMC, par exemple, ne s’achète pas sur le dark net mais sur le web classique. Si vous tapez « 3MMC achat » dans Google, vous pouvez acheter de quoi passer votre samedi soir. C’est aussi facile que ça.

Un des nombreux sites web où acheter de la 3MMC, drogue star du chemsex, en tapant simplement "3MMC achat" sur Google. Capture d'écran.
Un des nombreux sites web où acheter de la 3MMC, drogue star du chemsex, en tapant simplement « 3MMC achat » sur Google. Capture d’écran.

« A Lyon, j’en vois qui passent la porte en me disant pratiquer le chemsex et avoir 19 ans mais je ne suis pas sûr qu’ils les ont »

Donc n’importe qui, même des mineurs, peut en acheter ?

Exactement. Et puis ça commence à désacraliser l’image qu’on a de l’usage de drogue. Dans l’imaginaire collectif, la drogue s’achète sous un lampadaire déconnant dans une ruelle sombre. Le fait de pouvoir l’acheter sur internet, ça facilite ce premier pas.

Quel est le profil des personnes pratiquant le chemsex que vous rencontrez à Lyon ?

Avant, le chemsexeur était un gars de 35 ans, gay, jeune cadre dynamique, qui passait son samedi soir comme ça. Le profil type était souvent celui-là. Depuis une grosse année, on voit un grand rajeunissement des consommateurs. J’en vois qui passent la porte en me disant avoir 19 ans, mais je ne suis pas sûr qu’ils les ont. Il y a aussi des jeunes femmes, même s’il y en a peu.

Anthony Plasse, responsable du pôle addictions de l’association LE MAS et directeur du CAARUD Pause Diabolo, à Lyon 3e, travaille sur le chemsex depuis plusieurs années.
Anthony Plasse, responsable du pôle addictions de l’association LE MAS et directeur du CAARUD Pause Diabolo, à Lyon 3e, travaille sur le chemsex depuis plusieurs années. DR

Comment expliquez-vous ce rajeunissement ?

Au niveau des applications de rencontre, il y a certaines personnes qui mettent une pression : si la personne ne consomme pas de produits, il n’y aura pas de rencontre.

« Le chemsex commence à sortir de la sphère LGBT pour concerner les hétérosexuels »

Ce sont les mentions « plan chemsex » que l’on voit sur certains profils Tinder, par exemple ?

Exactement. Comme personne n’aime être ostracisé, on se retrouve avec des personnes qui consomment pour ne pas se sentir exclu.

On le voit au niveau des jeunes, mais aussi des plus âgés. Des gens d’une cinquantaine d’années qui, pour garder une forme d’attrait vis-à-vis de leurs pairs, se mettent à consommer des produits.

Le noyau dur de la consommation, c’est tout de même les soirées chemsex gays, mais le public s’étend. Petit à petit, on commence à sortir de la sphère LGBT pour concerner les hétérosexuels.

Est-ce que les jeunes qui pratiquent le chemsex que vous rencontrez à Lyon consommaient déjà de la drogue avant ?

Pour certains, le chemsex est la porte d’entrée vers d’autres consommations, et notamment vers l’injection, ce qui n’est pas anodin. Mais au-delà d’autres produits, le geste de s’injecter quelque chose, c’est quand même une étape franchie par rapport aux gestes d’inhaler et de sniffer.

Quelqu’un qui arrête l’héroïne par exemple, peut continuer à injecter son médicament de substitution parce qu’il est accro au geste. Au même titre que les gens qui ont arrêté de fumer des cigarettes mais biberonnent leur vapoteuse.

Comment est-ce que les gens tombent dedans ?

Il y a différents cas de figure. On a des personnes un peu expérimentées qui voulaient pimenter leur vie sexuelle et qui, même si elles ne maîtrisaient pas les produits, ont quand même fait un choix éclairé. Ensuite, on a des gens qui voulaient de meilleurs performances sexuelles, des gens qui n’assument pas certaines pratiques sexuelles un peu hard qu’ils veulent avoir, la peur du regard de l’autre… Il y a beaucoup de choses, mais ce qui revient c’est une envie de performance et une envie désinhibition.

« Avec le chemsex, on croise les risques de consommation de produits avec ceux liés aux pratiques sexuelles : overdoses, VIH, hépatites… »

Quels sont les risques encourus par les chemsexeurs ?

Un des problèmes, c’est que les produits utilisés s’injectent. L’usage de drogue, comme toute chose, s’apprend, et souvent par les pairs. Au niveau des chemsexeurs, c’est quand même plus compliqué, on est un peu dans l’auto-apprentissage. On en voit qui passe la porte du CAARUD avec le bras comme un œuf parce que trouver une veine, c’est quelque chose qu’on n’improvise pas.

Une fois que la consommation a eu lieu, on se désinhibe, on s’amuse tout le week-end. On croise les risques de consommations de produits et les risques liés aux pratiques sexuelles : overdoses, VIH, hépatites, IST (infections sexuellement transmissibles, ndlr)…

Après, il y a quand même quelques points sur lesquels on est positivement surpris. Globalement, dans la communauté gay, les gens sont sensibilisés au risque du VIH et ils ont un peu le même rapport à la seringue qu’au préservatif. Le vendredi, certains viennent prendre 200 seringues. Ils ne prennent pas de risques, à chaque fois qu’ils piquent, c’est avec une nouvelle seringue.

« Certaines personnes ne peuvent plus se masturber sans prendre de produits »

Peut-il y avoir des interactions problématiques entre certains produits ? Pour avoir une érection malgré la consommation de produits, certains chemsexeurs doivent prendre du Viagra par exemple.

Alors là, on multiplie les risques et on est candidat à l’arrêt cardiaque. Il y a des cocktails comme ceux-là qui ne marchent pas très bien : les produits de synthèse et le Viagra, le GHB et l’alcool… Ce n’est vraiment pas une bonne idée.

Et au-delà des risques sanitaires, quelles peuvent être les conséquences sur la vie des chemsexeurs ?

On se retrouve avec des personnes qui sont dans un état addictif profond et qui n’arrivent plus à avoir de vie sexuelle sans produit. On en a eu qui ne pouvaient même plus se masturber sans prendre de produits. Le dés-ancrage dans le produit est d’autant plus dur que l’ensemble de votre vie sexuelle y est conditionnée. Pour l’instant, ça concerne plus des trentenaires que des petits jeunes, mais ça va venir.

« A Lyon, j’essaie de porter la question du chemsex auprès des élus. Au niveau national, il n’y a pas de réponse »

Comment faire pour encadrer un peu cette pratique du chemsex et limiter les risques ? A Lyon, je n’ai encore vu aucune campagne de prévention sur le chemsex.

Jusqu’à présent, les seuls qui se sont vraiment mobilisés sur le sujet c’est la Ville de Paris. On peut interroger le fait que ce soit une ville qui prenne position, et pas une instance d’État comme l’ARS (agence régionale de santé, ndlr). C’est toujours une bonne chose quand les collectivités se mobilisent, mais c’est aussi un aveu de réponse régalienne insuffisante.

A Lyon, j’essaie doucement de porter la question du chemsex auprès des élus. Au niveau national, il n’y a pas de réponse.

Comment est-ce que vous prenez en charge ces personnes qui pratiquent le chemsex, au CAARUD Pause Diabolo de Lyon 3e ?

La porte d’entrée chez nous, au CAARUD ou au laboratoire, c’est l’usage des drogues, et c’est pour tout le monde. On est dans une politique de réduction des risques. Quelqu’un qui ne veut pas arrêter, on ne peut pas l’envoyer en cure, alors on va faire de l’accompagnement éducatif aux risques liés à l’injection.

Il va pratiquer une injection devant nous et on va décortiquer ce qui convient ou pas, lui donner du matériel, lui parler des produits qu’il consomme, de comment réduire les risques, les doses…

Un des plus gros problèmes des drogues, c’est qu’elles sont agréables. Malgré ça, est-ce que certains trouvent vraiment ce qu’ils y cherchent, ou est-ce qu’ils sont pris dans une spirale dont ils n’arrivent pas à sortir ? C’est une question à se poser.

Il y en a qui sont droits dans leurs bottes, qui nous disent qu’ils y trouvent parfaitement ce qu’ils sont venus y chercher ; et estiment qu’ils n’arrêteront pas. On a d’autres personnes qui sont quand même plus fébriles dans leur position et, là, ça vaut le coup de travailler tout ça.

Ça peut être avec un psychologue, un éducateur, un infirmier… En général, c’est plutôt une question de personne que de poste. Une fois qu’il y a un lien avec une personne, on essaie de le préserver, quitte à ce qu’il y ait une passation dans un second temps.

« Je ne dis pas qu’il faille faire confiance à son dealer attitré, mais quand le dealer attitré c’est Google, j’aurais encore moins confiance »

Vous avez mentionné l’existence d’un laboratoire.

Nous avons également un laboratoire, indépendant mais rattaché au CAARUD.

Je ne dis pas qu’il faille faire confiance à son dealer attitré, mais quand le dealer attitré c’est Google, j’aurais encore moins confiance. Je prends l’exemple d’une jeune fille qui pensait consommer un certain produit, alors qu’en fait elle en a consommé un autre pendant des mois, avec des effets d’accoutumance beaucoup plus élevés. Elle s’est retrouvée dans une situation précaire.

Au laboratoire, avec un micro-échantillon, on peut analyser le produit des gens et leur faire un retour, pour qu’au moins ils soient parfaitement conscients de ce qu’ils prennent. Si vous venez au CAARUD, on vous le fait sur place, sinon on a des collecteurs un peu partout en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est gratuit et anonyme.

Le laboratoire est mobile, donc on essaie de l’amener dans le milieu festif où il y a beaucoup de jeunes qui ne savent pas se droguer et surtout qui ne savent pas ce qu’ils consomment. Quand vous êtes au fond des bois et qu’un type avec une capuche vous vend de la drogue, objectivement vous ne savez pas ce que vous prenez.

Le laboratoire est un projet qui a été porté par Médecins du Monde et qu’on a repris en région. A l’heure actuelle, il n’est pas du tout financé par l’ARS, c’est l’association Le Mas le qui finance en fonds propre. Les choses avancent doucement. On a des interlocuteurs plutôt intéressés, autant au niveau de la Ville de Lyon que de la Métropole, mais sur le volet de la santé, ce n’est pas leur compétence sur le papier. Globalement, la santé c’est quand même sous la tutelle de l’ARS, et là on est dans le temps long et des réflexions nationales.

« Dans l’imaginaire collectif, tant que vous n’êtes pas un punk à chien devant le Monoprix, tout va bien »

Pour résumer, à Lyon vous constatez qu’il y a des gens de plus en plus jeunes et novices qui se mettent à pratiquer le chemsex, et en parallèle l’accès aux drogues pour le faire est facilité. Est-ce qu’on peut parler d’urgence sanitaire ?

Clairement. On a été stupéfait de voir à quel point c’est affreusement facile de se procurer ces produits de synthèse. Et pour des coûts qui ne sont pas si élevés.

Il y a un autre problème, c’est qu’une bonne partie des chemsexeurs ne s’identifient pas comme consommateurs de drogues qui auraient besoin d’une structure médico-sociale. Quelqu’un qui consomme plus de trois fois par mois un produit – tout sauf le cannabis –, ça commence à devenir questionnant.

Dans l’imaginaire collectif, tant que vous n’êtes pas un punk à chien devant le Monoprix, tout va bien. Moi, dans ma file active, j’ai des punks à chien du Monoprix et j’ai aussi des CSP+ !


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