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Les espaces de démocratie participative sont-ils à la bonne échelle ?

Avons-nous les outils de mise en débat et de décision démocratique pour faire face à la crise de l’habitabilité dont nous faisons tous l’expérience ?

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Photo prise lors du grand débat démocratique organisé à Reims en février 2019. Une photo de G.Garitan via Wikipédia Commons

Doivent-ils être différenciés en termes d’échelles au regard des sujets qu’ils doivent traiter ? Ce mercredi 17 novembre sera l’occasion de parler de comité métropolitain de relance, de démocratie participative, de prospective, d’expérimentations et de solutions. Cette session des « Mercredis de l’Anthropocène » questionne nos modes de gestion et de prises de décisions politiques.

La séance se déroulera de 18h30 à 19h30 à l’Hôtel71 (Lyon 2e) dans le quartier Confluence, sur les bords du Rhône. La présentation d’un pass sanitaire valide et le port du masque sont obligatoires. À écouter également en podcast. Cette conférence s’inscrit dans le cadre de la Rentrée Anthropocène #2021.

Retrouvez ci-dessous le texte écrit par Guillaume Gourgues, spécialiste de la démocratie participative et de la participation publique, il est l’un des trois intervenants de cette session. Le texte est extrait de l’ouvrage « Le nouveau monde. Tableau de la France néolibérale », dirigé par Antony Burlaud, Allan Popelard et Grégory Rzepski et publié aux éditions Amsterdam en 2021.

« Participer, disent-il… »

Du budget de Porto Alegre à la planification du Kerala, de la réécriture de la constitution islandaise à la Convention citoyenne sur le climat (CCC) en France, la démocratie participative se présente aujourd’hui comme un phénomène mondial mais extraordinairement divers. 

Elle puise historiquement ses origines dans les discours contre-hégémoniques de la gauche des années 1970, puis de l’altermondialisme des années 2000, réaffirmant la nécessité de l’autodétermination collective. Pourtant, dès la fin des années 1990, un « néolibéralisme participatif » a vu le jour. Les élites au pouvoir cherchaient alors à consolider un ordre économique et politique.

Ce sont d’abord des pays d’Amérique du Sud et d’Afrique qui en ont fait les frais. Les « bonnes pratiques », prêchées par la Banque mondiale ou les organisations non gouvernementales, y ont légitimé le retrait de l’État social en enrôlant les plus pauvres dans des solutions « de marché ».

Photo prise lors du grand débat démocratique organisé à Reims en février 2019. Une photo de G.Garitan via Wikipédia Commons
Photo prise lors du Grand Débat National organisé à Reims en février 2019. Une photo de G.Garitan via Wikipédia Commons.

Les programmes de développement les « responsabilisent » et les encouragent à monter des « projets », financés sous conditions. Cette valorisation de l’auto-entreprise a miné l’intervention publique redistributive. Elle a aussi sapé les ressorts de l’action collective et, par là même, le caractère conflictuel des pratiques démocratiques.

Plutôt que de revendiquer des droits ou de dénoncer les inégalités, les plus pauvres sont sommés de répondre aux injonctions à participer à leur propre développement. Mais, en France aussi, les dispositifs de participation néolibérale ont fini par se multiplier et coloniser les sphères publique et privée.

Un néolibéralisme participatif public

Dans les années 1970, des mouvements sociaux ou des forces politiques (du Parti socialiste unifié aux groupes d’action municipaux, en passant par les militants du « droit à la ville ») prônaient, à travers l’idée de démocratie participative, une alternative à la démocratie représentative et au régime d’accumulation capitaliste.

Aujourd’hui, la participation publique est surtout pratiquée comme un moyen de relégitimer l’action publique. Elle se résume bien souvent à la création, puis à la circulation de « dispositifs » encadrés par les autorités, ouverts à tout ou partie de la population et pilotés par des entreprises spécialisées dans l’ingénierie sociale ou le consulting. Des entreprises qui se disputent un marché en plein essor.

En France, dans différents secteurs (environnement, santé, urbanisme), une panoplie de dispositifs légaux et institutionnels structure l’offre de participation publique. Le plus important, la Commission nationale du débat public (CNDP), créée en 1995 par la loi Barnier, a été instauré en réaction à l’intensification des luttes contre les projets d’aménagement du territoire, pour désamorcer la pugnacité des riverains ou des militants écologistes.

Autorité administrative indépendante, elle est composée de vingt-cinq membres nommés pour cinq ans par le gouvernement (parlementaires, élus locaux, membres du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, représentants d’associations, du patronat, syndicalistes).

Elle présente bien sûr l’avantage de faire exister un « droit à participer », permettant quelquefois de ralentir, voire de gripper, des projets motivés par la seule rentabilité économique à court terme : sous son autorité se tiennent ainsi chaque année des dizaines de concertations publiques sur des projets d’autoroutes, de lignes TGV, de lignes à haute tension, d’aéroports ou de sites industriels.

Elles obligent a minima les maîtres d’ouvrage à se justifier face aux opposants, les poussent à revoir leurs projets et peuvent même conduire à des abandons, comme dans le cas du prolongement de l’autoroute A12, dans les Yvelines en 2013, ou dans celui de la « route des Géraniums », à La Réunion en 2018.

L’impératif démocratique pèse de moins en moins face aux intérêts économiques

Mais la CNDP n’a pas (ou plus) la cote. Lors du Grand Débat national (GDN), lancé en janvier 2019 à la suite du mouvement des Gilets jaunes, l’exécutif lui a préféré un système improvisé de « garants », sans aucune base juridique, consistant à nommer des personnalités pour suivre le débat sans réel moyen de le contrôler. La décision, dont s’est alors émue la présidente de la commission, Chantal Jouanno, mettait en évidence une tendance à l’oeuvre depuis quelques années : l’impératif de participation pèse de moins en moins lourd face aux intérêts économiques.

Comme l’ont récemment remarqué deux juristes spécialisés en droit de l’environnement, lorsque les associations contestent un projet d’aménagement au motif de manquements aux obligations en matière de participation, le juge administratif est toujours plus enclin à « faire peu de cas de la protection effective dont devraient bénéficier, au plan contentieux, des procédures qui apparaissent, somme toute, comme des garanties offertes au public et à l’administration elle-même contre des décisions hâtives et mal étudiées ».

De manière générale, les usages néolibéraux de la participation conduisent, de plus en plus souvent, à « court-circuiter » les institutions qui ont vocation à la mener. (…)

« Les espaces du débat démocratique sont-ils à la bonne échelle ? » une conférence en direct le 17 novembre de 18h30 à 19h30 puis disponible en podcast.

Avec :

– Pierre Obrecht : collaborateur d’élus locaux, il a conduit en 2020 la liste Ne votez pas pour notre liste aux élections sénatoriales pour attirer l’attention sur les limites des élections métropolitaines. Il anime le cercle de discussion “De la démocratie en métropole de Lyon”.

– Fabrice Bardet : directeur de la composante RIVES de l’ENTPE, il travaille sur les formes de quantification financière qui se développent dans les métropoles. Lors de la crise sanitaire de 2020 il fut rapporteur spécial du Comité métropolitain de relance et de transition de la Métropole de Lyon.

– Guillaume Gourgues : spécialiste de la démocratie participative et de la participation publique, il est maitre de conférences en science politique à l’Université Lumière Lyon 2 et chercheur au laboratoire TRIANGLE.

Animation : Valérie Disdier


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