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La rivière en Anthropocène : quels enjeux écosystémiques ?

Cette année, les cours d’eau de plusieurs rivières ont débordé, provoquant des catastrophes dites « naturelles ». Comment appréhender cela ?

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La Saône prise côté Lyon 2è. Une photo de Cyrille Vallet.

Le fait de donner une personnalité juridique aux fleuves et rivières permettrait-il de mieux les protéger ? Ces questions seront abordées au cours de la session des Mercredis de l’Anthropocène de ce 27 octobre. Des débats questionnant les nouveaux enjeux environnementaux et leurs impacts sur la biodiversité.

Cette séance se déroulera de 18h30 à 20h à l’Hôtel71 (Lyon 2ème) dans le quartier Confluence, sur les bords du Rhône. La présentation d’un pass sanitaire valide et le port du masque sont obligatoires. À écouter également en podcast. Cette conférence s’inscrit dans le cadre de la Rentrée Anthropocène #2021.

Retrouvez ci-dessous le texte écrit par Cyrille Vallet. Ingénieur agronome, il dirige des études en gestion de la ressource en eau et gestion du risque inondation au sein du bureau d’études EGIS.

La rivière en Anthropocène

Plus de 286 bassins hydrographiques dans le monde sont des bassins transfrontaliers. 151 pays et presque 3 milliards d’habitants sont concernés. Ces fleuves, partagés entre différents pays et usagers, sont sujets de négociations, de tensions voire de conflits entre acteurs qui dépendent de la ressource pour une grande diversité de secteurs d’activités.

Les interactions amont-aval illustrent la complexité additionnelle qu’implique un espace transfrontalier pour la gestion de la ressource. À titre illustratif, on peut mentionner les défis de coordination qui peuvent subvenir entre des usages tels que par exemple la production hydroélectrique, l’irrigation, la production d’eau potable, la production nucléaire ; soit des usages dont les objectifs et les modes opérationnels sont souvent divergents.

À l’échelle transfrontalière, la compétition entre usagers peut se cristalliser à différentes échelles allant du cas isolé jusqu’à la tension géopolitique. Dans ce dernier cas, les discussions peuvent être complexifiées par l’intervention de facteurs externes au bassin ou déconnectés de la gestion de la ressource. On peut mentionner l’influence de processus politiques globaux, de processus diplomatiques traitant d’autres secteurs ou l’influence inhérente à la visée d’autres priorités nationales.

Il est nécessaire de trouver des outils permettant la préservation des fleuves et rivières

Malgré sa complexité et les possibles tensions inhérentes au partage de la ressource, l’histoire montre que l’espace transfrontalier n’a que rarement été vecteur de « guerre de l’eau ». Au contraire, la dimension transfrontalière de l’eau a plus souvent été source de coopération entre les parties prenantes (Wolf, 2003). Pour traiter des spécificités de la gestion transfrontalière de l’eau, de nombreuses approches ont été développées, en particulier via des règles et principes de droit international (Tignino & Bréthaut, 2018).

Certaines de ces conventions se veulent génériques et applicables dans une grande diversité de contextes (la convention dite de Helsinki par exemple), d’autres, plus opérationnelles, se concentrent sur un bassin, un fleuve ou une rivière spécifique. Certains cadres juridiques se concentrent sur des usages spécifiques de l’eau alors que d’autres se veulent plus englobants.

Il est nécessaire de trouver aujourd’hui des outils permettant d’accélérer la coopération transfrontalière et la préservation des fleuves et rivières. Ainsi, ce débat s’est ouvert à de nouvelles approches. De nouveaux paradigmes et outils se développent. La mobilisation citoyenne est reconnue comme un facteur-clef de réussite de la gestion intégrée et de la coopération entre usagers. Les populations riveraines prennent part au débat sous différentes formes.

En Nouvelle Zélande et en Australie, on attribue des droits et une personnalité juridique aux rivières

En France, les Agences de l’Eau sont considérées comme le lieu de la démocratie de l’eau. Créées en 1964, elles assurent une mission d’intérêt général en gérant et préservant la ressource en eau. Ce sont des établissements publics dont le territoire d’actions est le bassin hydrographique. Au sein du Comité de Bassin, l’ensemble des usagers (y compris les représentants des citoyens), les collectivités et l’Etat définissent la stratégie et la politique de l’eau. L’Agence assure le secrétariat du Comité de Bassin et met en œuvre la politique définie. Ce modèle a été repris au niveau européen et s’enrichit aussi des expériences internationales.

La Saône prise côté Lyon 2è. Une photo de Cyrille Vallet.
La Saône prise côté Lyon 2è.Photo : Cyrille Vallet

De nouvelles approches juridiques apparaissent aujourd’hui avec, par exemple, l’attribution de droits et d’une personnalité juridique aux rivières. Des mises en œuvre concrètes ont lieu, notamment en Nouvelle Zélande et en Australie. Des défis complexes existent à la fois pour l’institutionnalisation et la mise en œuvre des droits légaux.

L’apport d’une telle approche pour résoudre les problèmes de coordination intersectorielle tout en valorisant les aspects économiques, culturels (voire spirituels) ou environnementaux des hydrosystèmes concernés se posent en Europe où les Agences de l’Eau existent déjà. Les gouvernances du fleuve ne sont pas les mêmes en Océanie.

Un glissement du fleuve en tant que propriété vers le fleuve en tant que personne morale

Se concentrant sur les personnalités juridiques des fleuves en Océanie, O’Bryain (2019) et O’Donnell (2018) identifient deux processus d’établissement différents :

  1.  Modification de la loi, comme en Nouvelle-Zélande par le Te Awa Yupua Act
  2.  Jugements ou décisions de justice, comme pour la rivière Atrato en Colombie

Ces deux processus, solidement ancrés dans les systèmes régulateurs de droit commun, tendent à modifier la limite entre objets et sujets de droits. Ces processus impliquent un changement de statut du fleuve illustré par un glissement du fleuve en tant que propriété vers le fleuve en tant que personne morale (Hutchison, 2014). Hutchison affirme que la personnalité juridique reflète les valeurs de la société. En Nouvelle-Zélande, le cadre juridique hérité du colonialisme se heurte aux valeurs maories selon lesquelles un statut juridique doit être accordé à un fleuve.

Outre les processus d’établissement de la personnalité juridique, on peut s’interroger sur le type de cadre juridique qui pourrait structurer son cadre de gouvernance. Le fleuve doit-il être géré par le droit public ou par le droit privé ? Comment un tel arrangement se matérialise-t-il ? Quelle est la place des citoyens ?

Passer de l’anthropocentrisme à l’écocentrisme

Concernant le fleuve lui-même comme objet de droits, son identification ou sa caractérisation est encore floue et des questions liées aux niveaux et aux échelles (Cash et al. 2006) demeurent. Parlons-nous uniquement du fleuve, des berges du fleuve, de la nappe fluviale, de l’ensemble du bassin hydrographique (y compris les arbres ou les animaux ?).

Par exemple, sur le fleuve Whanganui, le sujet de droit est « des montagnes à la mer, intégrant ses affluents et tous ses éléments physiques et métaphysiques » (Bourgeois-Gironde, 2020). En France, l’Agence de Bassin concerne l’ensemble du bassin hydrographique… français. La partie suisse du Rhône n’est pas concernée par exemple.

O’Donnell (2018) établit quatre raisons qui contribuent à conférer aux rivières une personnalité juridique :

  1. Mettre en œuvre les lois des Premières Nations
  2. Passer de l’anthropocentrisme à l’écocentrisme
  3. Permettre la valorisation de la rivière services écosystémiques 
  4. Et/ou pour plaider dans les débats publics et la mobilisation des citoyens : elle souligne le large potentiel d’applicabilité du concept.

Elle souligne cependant qu’un tel processus peut également exacerber les tensions entre les communautés. En fait, utiliser la personnalité juridique comme moyen de mobiliser la population et de renforcer sa cohésion n’est peut-être pas un moyen simple.

Donner une personnalité juridique à la rivière pour éviter d’octroyer des droits de propriété

Sanders (2018) soutient que la personnalité juridique est un moyen de gérer les conflits d’exercice du pouvoir entre les Premières Nations et l’État. Par exemple, dans le cas de la rivière Whanganui, la personnalité juridique de la rivière a été établie pour éviter d’octroyer des droits de propriété au gouvernement ou aux Maoris. La manière dont la Couronne s’est octroyée la propriété au milieu du XIXe siècle explique la mise en œuvre de la personnalité juridique comme réparation partielle pour les Maoris. La prise en compte des avis des populations riveraines est ainsi primordiale.

Outre l’établissement de la personnalité juridique, son application est un aspect essentiel. Talbot-Jones (2019) souligne les besoins d’une co-construction entre toutes les parties, ce qui prend du temps (8 ans dans le cas de la rivière Whanganui). Elle favorise l’appropriation et l’intégration des savoirs des communautés locales.

Le Rhône, à proximité du lac Léman. Photo de Cyrille Vallet.
Le Rhône, à proximité du lac Léman. Photo de Cyrille Vallet.

Le fleuve ayant besoin de représentants, différentes approches ont été développées. En Nouvelle-Zélande, le fleuve est représenté par Te Pou Tupua, un conseil de 2 membres. Comme la rivière Whanganuy a « tous les droits, pouvoirs, devoirs et responsabilités d’une personne morale », ses représentants peuvent saisir les tribunaux pour protéger la rivière. La loi Te Awa Tupua institue des organes de cogestion et de co-gouvernance. La recherche de l’unanimité ou du consensus pour la prise de décision est l’un des fondements du processus décisionnel.

L’autre exemple du conseil consultatif de la rivière Yarra en Australie

La rivière Yarra, en Australie, de son côté, n’a pas de personnalité juridique. Le Conseil de Birrarung assure l’implication des Communautés dans la protection et la promotion de la rivière Yarra. C’est un conseil consultatif. Ainsi, le statut juridique du fleuve et le mandat des représentants du fleuve reflètent la co-construction et le récit local. Mais ils sont tous les deux aussi un moyen de donner également la parole aux Premières Nations locales (O’Bryan, 2019).

Le contexte est différent en Europe, où il n’y a pas vraiment de peuples premiers. De plus, ces mises en œuvre concernent des fleuves « nationaux » uniquement. Ainsi, la question se pose de savoir si ce changement de paradigme est nécessaire ou utile en Europe ou si des adaptations du cadre actuel sont pertinentes et suffisantes.

« La rivière en Anthropocène » une conférence en direct le 27 octobre de 18h30 à 20h puis disponible en podcast.

Avec :

– Alice Prost : spécialiste des sciences de l’environnement, elle dirige, depuis 2003, le  Syndicat des Rivières Dombes Chalaronne Bords de Saône.

– Cyrille Vallet : ingénieur agronome, expert du cycle urbain et naturel de l’eau ainsi que des évaluations environnementales et de biodiversités, il fut conseiller auprès du Ministre de l’Environnement en Moldavie, et depuis 2018, il dirige des études en gestion de la ressource en eau et gestion du risque inondation (principalement à l’étranger) au sein du bureau d’études EGIS.

Animation : Adrián Torres-Astaburuaga


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