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Rhône : des chasseurs tout-puissants pour décider des dates d’ouverture ?

Dimanche 12 septembre, c’est l’ouverture de la chasse dans le Rhône. Rituel bien ancré, cette tradition fait grincer les dents de plusieurs associations de protection de l’environnement. Pour elles, les chasseurs seraient quasi tout-puissants pour décider des dates d’ouverture. Rue89Lyon a étudié la manière dont les arrêtés préfectoraux étaient constitués.

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La forêt de Francheville

C’est un moment attendu avec crainte (ou hâte) par beaucoup. Ce dimanche 12 septembre, la chasse est officiellement ouverte dans le Rhône, via un arrêté préfectoral signé par le sous-préfet, Benoit Rochas. Ce dernier autorise les 9 000 chasseurs de la fédération départementale à commencer à chasser dans un cadre réglementaire établi (lire par ailleurs).

Plaisir pour certains, dangers pour d’autres, ce moment bien ancré dans la vie locale est souvent l’objet de polémique. Outre les questions de sécurité autour des riverains (un habitant est décédé en décembre 2020 lors d’un accident de chasse dans le Lot), certains type ou périodes de chasse sont jugés incongrus.

En mai 2021, l’association Dignité animale a ainsi déposé un recours contre une autorisation préfectorale de la chasse aux corvidés (corbeaux, corneilles, pies, geais…) dans le Rhône portant sur période exceptionnelle allant du 31 mars au 10 juin.

« Au nom de quoi est pris un tel arrêté qui permet d’abattre sans répit des oiseaux sur de nombreux secteurs, indique-t-elle dans son recours, transmis à Rue89Lyon. Le tout pour la satisfaction d’une poignée de chasseurs qui, hors des mois de chasse, veulent pouvoir s’adonner aux tirs toute l’année. »

Pour sa présidente, Jacqueline Pélerins, la question de cette autorisation est cruciale :

« Le problème, c’est que quand on attaque un arrêté, il est souvent trop tard, précise-t-elle à Rue89Lyon. Les animaux ont déjà été tués. »

Pour l’association :

« La mainmise des chasseurs est énorme dans le Rhône et rien ne va en s’arrangeant, car les commissions du CDCFS (Commission départementale de la Chasse et de la Faune sauvage, ndlr) sont des boites d’enregistrement des chasseurs couplées à celles d’agriculteurs défendant une agriculture intensive. »

Les arrêtés préfectoraux rythment la saison de la chasse, et ses exceptions. Or, pour elle, tout est fait comme si les chasseurs rédigeaient eux-mêmes ces arrêtés.

Arrêtés préfectoraux : le rôle de la « CDCFS » pour parler chasse

Pour comprendre son point de vue, il faut s’attarder sur le rôle, et le fonctionnement, de cette fameuse « CDCFS ». Réglementée par le code de l’environnement, la Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage concourt « à la mise en œuvre et au suivi dans le département de la politique du gouvernement dans le domaine de la chasse et de la protection de la faune sauvage. » Bref, c’est là où on parle des différentes réglementations autour de la chasse, et de leur application dans le département.

Un lieu où sont rassemblés en grande majorité des pro-chasses, selon plusieurs associations de protection de l’environnement.

« On est dans l’entre-soi, commente Élisabeth Riviere, présidente d’honneur de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) Rhône. C’est un rendez-vous des chasseurs pour prendre des décisions entre eux, avec des décisions pour eux. »

Cette membre active de la LPO siège à la CDCFS depuis 2010. Elle fait partie des deux représentants des associations agréées par l’Etat dans le domaine de la conservation de la flore et de la protection de nature. À côté d’elle siège un membre de France nature environnement (FNE), anciennement la Frapna. Pour le reste, elle doit compter sur un public beaucoup moins favorable.

Une assemblée composée en majorité de pro-chasse

L’assemblée compte dix représentants des chasseurs, deux représentants des piégeurs, cinq représentants des intérêts agricoles et quatre représentants des activités sylvicoles. 21 acteurs d’accord sur la majorité des sujets, selon elle, sur 29 (sans les suppléants). 

« Les représentants agricoles et sylvicoles sont principalement des gens acquis à la pratique de la chasse », affirme-t-elle.

Selon elle, cette accointance peut même donner lieu à des situations « cocasses ». Il est ainsi arrivé que les agriculteurs demandent aux chasseurs de s’attaquer davantage aux sangliers menaçant leurs exploitations et que ces derniers s’y opposent. 

Dans le reste de l’assemblée, on compte quatre représentants de l’État et deux représentants d’un organisme scientifique émanant des sciences de la nature. Autrement dit, les associations de défense de l’environnement n’ont pas le droit au chapitre. Idem pour les randonneurs, non représentés dans l’instance.

Généralement, seuls les deux représentants des associations de protection pour l’environnement votent contre les décisions de la Commission, selon la membre de la LPO. Parfois, elle est soutenue par deux membres de l’office française de la biodiversité, faisant partie des représentants de l’État. 

« J’ai découvert dans cette instance la mauvaise foi et une forme d’arrogance », note-t-elle.

Elle s’inquiète de même de l’objectivité de certains « scientifiques » choisis. Selon elle, certains se positionnent clairement comme pro – chasse. 

Pour les défenseurs de la chasse dans le Rhône : préserver un capital implique d’y faire attention

, la chasse ouvre officiellement dans le Rhône
Avec l’automne, la chasse est de retour dans les forêts du RhônePhoto : AD/Rue89Lyon.

Une position à laquelle s’oppose la fédération départementale des chasseurs du Rhône et de la Métropole de Lyon.

« Il ne m’appartient pas de commenter la composition de la CDCFS, relevant de la préfecture, souligne Antoine Herrmann, son directeur . Mais, je rappelle que nous sommes aussi agréés au titre de la protection de l’environnement. » 

Selon lui, tout est fait pour que les débats soient « objectivés. » Un comptage et un suivi des espèces sont réalisés pour adapter les périodes d’ouvertures et de fermetures, en fonction des réalités du terrain. Le directeur emploie régulièrement les termes « études » et « technicités » dans son développement.

« On a une finalité d’exploitation durable de la ressource, affirme-t-il. Nous ne voulons pas entamer le capital pour les saisons suivantes. » 

Du reste, il plaide pour une expertise « de terrain ». En ce sens, il ne lui paraît pas illogique qu’agriculteurs et chasseurs s’accordent sur nombre de sujets, les deux vivants côte à côte. Là où les associations voient de la connivence, il voit la logique de l’expérience. 

Des décisions prises en amont avec les chasseurs ?

Un argument qu’on voit mal repris par les associations de protection de l’environnement. Du côté de Dignité animale, on s’inquiète surtout du fait que ce système soit soumis à cette alliance agriculture-chasse. De plus, certaines décisions relatives aux arrêtés, comme la destruction de corbeaux freux, n’ont même pas fait l’objet de débat lors de la CDCFS.

La seule instance où, au moins, des questions peuvent être posées – bien que les réponses ne soient pas systématiques, selon la LPO – n’est même pas consultée. En gros, les chasseurs s’occupent de faire les arrêtés avec la direction départementale des territoires (DDT), sans se préoccuper du reste, selon l’association.

En réalité, toutes les décisions ne relèvent pas de cette instance. Sur le sujet précis relevé par Dignité animale, la DDT pointe qu’il s’agissait alors d’une autorisation individuelle où l’avis de la CDCFS n’était pas requis (lire par ailleurs). Selon Dignité animale, 122 actes de même nature ont été délivrés dans le département du Rhône. Ce qui fait un certain nombre d’exceptions.

Pour le reste, la DDT rappelle la méthode : 

« Les projets de décisions (qui seront prises par arrêté préfectoral) sont préparés en amont des commissions par l’Etat, sur la base d’éléments fournis par les structures compétentes, qui peuvent être la fédération des chasseurs pour les raisons pratiques d’organisation de la chasse et de gestion des dégâts de gibier dans le département, les associations agrées sur le réseau loutre-castor, l’office français de la biodiversité sur le réseau castor…Leur contenu est ensuite débattu en réunion de la commission. »

Retour à la case CDCFS donc. Une situation qui convainc plus les chasseurs, que la LPO ou la FNE. Même si les premiers refusent de dire que l’instance va à sens unique. « On peut aussi avoir des avis de la CDCFS allant contre nous », répond le chasseur Antoine Herrmann.

Quand on l’interroge sur un avis pris par la CDFS avec laquelle il se trouverait en désaccord, le directeur prend son temps. Il lâche rapidement un « c’est vieux » avant d’aborder une demande élargie de chasse aux sangliers.


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