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« Fête des quais de Saône » : une condamnation « pour l’exemple »

Mercredi 27 avril se tenait le procès des organisateurs de la «fête des quais de Saône». Deux frères comparaissaient pour mise en danger de la vie d’autrui et non respect des gestes barrières. Au tribunal, un match « morale » Versus « besoin de la jeunesse » s’est tenu. Résultat : les organisateurs sont condamnés à trois mois de sursis et à plusieurs amendes.

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Le tribunal de Lyon extrême droite

« Aucun acte militant » et « aucune volonté de défier l’autorité » durant le confinement. Ce mardi 27 avril, les deux frères organisateurs de ce que l’on a nommé « la fête des quais de Saône » ont voulu faire amende honorable devant le tribunal correctionnel de Lyon.

Pas de volonté d’être les porte-paroles d’une jeunesse en soif de fête, non. Pas de volonté de défier l’ordre établie, loin de là. Devant une salle remplie exclusivement de journalistes, les organisateurs et leurs avocats ont plaidé l’apéro qui a dérapé.

Dans un climat tendu, deux jours après l’organisation d’une fête aux Buttes-Chaumont à Paris, leurs avocats craignaient que les nouveaux Lyonnais (ils sont originaires de Rouen) servent d’exemple. 

« Mes clients n’ont pas eu comme volonté de braver la loi, ils ont simplement été débordés », a voulu marquer Thomas Fourrey, avocat des deux frères avec Mélanie Sanzarie, quelques heures avant le procès. Si le procureur veut faire des exemples, qu’ils n’utilisent pas mes clients comme bouc-émissaire. »

Une manière de remettre les choses à leur place devant un impressionnant parterre de médias. C-News, M6, BFM-TV, France Info, Le Monde… Une vingtaine de journalistes ont occupé les couloirs du tribunal durant parfois dix heures. Avec sa capacité limitée à 38 personne, la salle d’audience G n’en avait certainement rarement accueilli autant pour un « apéro musical » ayant « débordé ». Vu l’heure tardive (22h pour le passage de l’audience, minuit et demi pour le délibéré), les journalistes ont été les seuls témoins des débats.

Thomas Fourrey
L’avocat des deux frères organisateurs, Thomas Fourrey.

Un apéro musical devenu une « fête sauvage »

Les débats ont commencé dès la reconstitution des faits. Le 30 mars, Léo et Arthur, originaires de Rouen, ont lancé un « apéro musical » via un post sur le compte Instagram de leur association, Ex.Terre. Sur leur story lancée autour de 13h, ils ont invité leurs 900 « followers » à les rejoindre sur les quais. Leur message : « On espère vous voir nombreux à profiter des dernières lueurs du jour sur les quais de Saône avec nous. »

« La plupart viennent de Rouen, où nous avons lancé l’association », précise Léo, le plus jeune des deux frères.

« Pourquoi ne vous êtes-vous pas contentés d’envoyer une invitation à des gens de votre répertoire téléphonique ? », leur demande le président, Pierre Laroque. « Nous l’avions déjà fait cet été, nous avions vu au maximum une vingtaine de personnes », répond Arthur, l’ainé des deux frères. 

À 17 h, ils sont arrivés sur les quais de la pêcherie (2eme arrondissement) avec deux enceintes. Peu à peu, les personnes ont commencé à se rassembler. À 18h50, ce qui a été appelé « la fête sauvage » était à son apogée. Environ 300 personnes se sont ainsi rassemblées vers le grand escalier prêt du parking Saint-Antoine. Quatre jours plus tard, les deux jeunes hommes se rendaient au commissariat du 2ème arrondissement de Lyon, effarés par « l’acharnement médiatique autour d’eux ».

« Nous avons été débordés par les évènements, répéteront-ils en boucle durant l’audience. On a vu trop de sourires sur les visages lors du rassemblement. On a été dépassés par l’euphorie. »

Une « inconscience » que leur rappellera systématiquement le tribunal. 

Une enquête et des difficultés

Rapidement, les images de cette « fête » (ayant duré un peu plus de 2h) ont fait le tour des médias locaux et nationaux. À l’image de la Maskarade, rave-party organisée en Bretagne le 1er janvier (avec beaucoup plus de monde), elle est devenue, pour certains, un exemple pour dénoncer le laisser-aller de certains jeunes. Montée en épingle, l’affaire est même reprise par la ministre déléguée en charge de la citoyenneté Marlène Schiappa. A Lyon, le Petit Bulletin répond dans un édito choqué par la charge contre une « fête » imaginaire.

Le soir du procès, la forte présence de journalistes montre encore l’importance médiatique du sujet. Rares sont les cas où la profession se déplace en nombre pour un jugement se terminant par du sursis ou des travaux d’intérêts généraux.

Pour convaincre, la procureure Dominique Sauves attaque d’abord les frères sur leur version des faits et le déroulé de l’enquête. En cause : le refus d’un frère de dire à qui appartenait une des enceintes, preuve pour elle de leur mauvaise volonté. « Je ne voulais pas mêler sa vie privée », répond Arthur. 

Autre élément à charge : le fait que le jeune homme se soit présenté sans son portable en allant au commissariat tout comme le fait que les messages Whatsapp de son frère, Léo, sont restés hors d’accès des enquêteurs. La procureure leur reproche également de ne pas avoir fermé le compte de l’association. Sur ce point, il y a une incompréhension. S’agissait-il du compte bancaire ou du compte Instagram de l’association ? Étonnés par l’attaque, les deux frères ne savent pas quoi répondre. (lire par ailleurs). En clair : il est reproché aux organisateurs de ne pas avoir joué le jeu et de s’être rendus à la justice car se sachant « bientôt identifiés ».

Le procès médiatique se rejoue au tribunal

« Un rassemblement d’abord illégal et ensuite immoral ». Dans son réquisitoire, la procureure a attaqué les deux frères sur les risques qu’ils faisaient courir à la population. Outre la violation d’arrêtés municipaux, préfectoraux et de décrets nationaux, l’acte était extrêmement dangereux alors que « 94% des lits en réanimation dans le Rhône étaient occupés du fait de l’épidémie. » Elle rappelle également la dangerosité du lieu : quai de la pêcherie. Un endroit exiguë où un accident aurait pu vite arriver. 

« Nous sommes ici pour juger du droit, pas de la moral », lui a répondu l’avocate des deux frères, Maître Mélanie Sanzari, dans sa plaidoirie.

Sur ce point, cette dernière a remise en question l’accusation de mise en danger de la vie d’autrui. Pour elle, il s’agirait davantage de « complicité de mise en danger de la vie d’autrui ».

« Les personnes qui ont participé à l’événement ne se sont-elles pas mises en danger elle même ? demande l’avocate. Tous étaient au courant de la situation. Pas seulement eux ! »

Autrement dit : les deux frères peuvent-ils être considérés comme les seuls responsables de cette situation ? Certes, ces derniers n’ont pas mis fin à l’événement à 17h, heure où ils retirent leur story des réseaux sociaux. Portés par l’euphorie d’une liberté retrouvée (très) rapidement, ils ont voulu prolonger un peu l’instant, selon elle. Une faute, certes, mais avec des circonstances atténuantes.

« Qu’il est difficile d’avoir 20 ans en 2020, a rappelé l’avocate. Cela fait un an que notre jeunesse n’a plus de vie sociale. Est-ce qu’elle n’est pas simplement en train de craquer ? » 

Dans le même sens, plus tôt dans le procès, les deux frères avaient répondu à la procureure les accusant de mépriser les étudiants privés de sortie : 

« Ce jour-là, certains étudiants nous ont parlé de suicide, raconte Léo. Ils ont été content de venir. Nous avons aussi eu des remerciements. » 

Les prévenus étaient attendus par une vingtaine de journalistes.
Les prévenus étaient attendus par une vingtaine de journalistes.

Trois mois de sursis et des amendes

Dans le même temps, la défense a mis en avant le profil « parfaitement inséré » des prévenus. Polis, répondant bien à la procureure et au président, les deux frères ont la tête d’étudiants sympathiques.

Léo, 23 ans, est en formation au sein du conservatoire des arts et métiers. Son frère Arthur est lui en formation pour être régisseur spectacle. Jusqu’aux conséquences des derniers confinements, il travaillait dans un restaurant du 7e arrondissement. Le tribunal n’a pas non plus insisté sur leur casier judiciaire. Deux faits remontaient à 2013, pour Arthur. Du côté de Léo, celui-ci était vide. La procureure a cependant souligné qu’ils comparaîtraient pour une affaire en mai.  

Des éléments qui n’ont, semble-t-il, pas convaincu le tribunal. Chaque frère a été condamné à trois mois de prison avec sursis. Ils devront également payer une amende de 300 euros chacun à laquelle s’ajoute une autre de 1500 euros au nom de l’association. « C’est cher pour un rassemblement non organisé », souffle l’avocate. La procureure avait demandé de quatre à six mois de prison avec sursis. 

Une peine sévère par rapport à d’autres affaires

À la sortie de l’audience, Mélanie Sanzari n’a pas caché sa déception : « Je m’attendais à des travaux d’intérêt général. » 

Selon elle, ce jugement reste extrêmement sévère alors que plusieurs affaires, mentionnées dans sa plaidoirie, ont été jugées sans prison avec sursis. Près de Grenoble, l’organisateur d’une soirée avec 200 personnes a écopé d’une amende de 600 euros. À Tour, un ancien DJ doit quant-à lui faire des travaux d’intérêt général après une soirée dans un hangar.

« On est dans de la justice de l’exemple », a regretté l’avocate. 

Un élément incompréhensible pour elle alors que l’événement s’est passé en plein air et que son aspect « organisé » reste difficile à prouver. De même, contrairement à d’autres événements, Léo et Arthur n’ont jamais essayé de gagner de l’argent ou donner à cet apéro un aspect « militant ». Pas de rapprochement, par exemple, avec les « teufeurs ». Ces derniers avaient fait entendre lors des manifestations contre la loi « sécurité globale » un droit à la fête.

Abattus, les deux frères n’ont pas voulu commenter l’affaire à la sortie du tribunal, lâchant à peine un « c’est incroyable », dépités. Ils se réservent la possibilité de faire appel.


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