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« Il n’y aura pas d’époque géologique de l’Homme car nous ne durerons pas assez longtemps »

Comment les variations climatiques s’apprécient-elles à ces différentes échelles ? Quelles en sont les causes et les conséquences ? Pour répondre à ces questions, l’Ecole urbaine de Lyon invite Pierre Thomas, géologue et professeur à l’ENS, et Pierre Cornu, historien, professeur d’histoire contemporaine à l’université Lyon 2 pour un débat qui se tiendra ce mercredi 18 décembre aux Halles du Faubourg. Rue89Lyon, partenaire de ce cycle de conférences, publie la tribune à lire ci-après, signée par l’intervenant Pierre Thomas.

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« Il n’y aura pas d’époque géologique de l’Homme car nous ne durerons pas assez longtemps »

L’anthropocène, le regard et les réflexions d’un géologue

L’invention du mot « anthropocène » a été une « opération de com’ » au sens noble du terme, destinée à faire prendre conscience qu’une espèce, Homo sapiens, est devenu un agent géologique majeur. Les modifications que nous infligeons à notre planète sont maintenant évidentes, mais ont elles une importance géologique ?

Faisons une expérience de pensée. Puisque la première période géologique se terminant en « cène », le Paléocène, date de 66 millions d’années (Ma), imaginons que des géologues extraterrestres arrivent sur Terre dans 66 Ma. Que trouveront ils comme traces de notre passage ici-bas, traces suffisamment importantes pour qu’ils introduisent une période géologique spécifique ? Tout d’abord, et indépendamment de l’Homme, la Terre sera bien différente de ce qu’elle est actuellement. L’Afrique aura continué sa migration vers le Nord ; la Méditerranée n’existera plus, et une nouvelle chaine de montagne s’élèvera entre ce qu’étaient l’Europe et l’Afrique. L’Atlantique se sera élargie, l’Australie se sera rapproché de la Chine…

La vie aura continué à évoluer, quasiment toutes les espèces actuelles (dont bien sur Homo sapiens) auront « naturellement » disparu et seront remplacées par d’autres. Et comme il y a, statistiquement, une extinction majeure naturelle tous les 100 millions d’années (la dernière a eu lieu il y a 66 Ma), il est probable qu’une extinction majeure (en plus de celle qu’on commence à provoquer) aura profondément renouvelé les espèces.

Dans ce monde profondément différent du monde actuel, que restera-t-il comme traces de l’humanité ?

Des couches à plomb et à verre à découvrir pour les futurs géologues

Nos villes, nos usines, nos monuments, nos dépotoirs ? Construits sur des continents, ils auront toutes les chances d’avoir été érodés. Nos déchets que nous répandons sur le fond de tous les océans ? Ils seront recouverts de sédiments ; mais deviendront-ils des fossiles que trouveront les géologues du futur ? Plastiques et autres déchets « organiques », qui sont stables pour plusieurs siècles, auront fini par se dégrader au bout de quelques millions d’années.

Les molécules types glyphosates et autres DDT, si stables à échelle humaine, auront disparu depuis longtemps. Les déchets radioactifs de durée de vie de plusieurs centaines de milliers d’années ne seront plus radioactifs.

Mais il restera les déchets minéraux (béton, débris de verre …) et surtout une couche de sédiments pollués par des métaux lourds (plomb, mercure …).

Des géologues du futurs trouveront certainement ces couches à plomb et à verre.

Depuis l’invention de l’agriculture, l’Homme a déboisé, ce qui a considérablement accéléré l’érosion. Puis, à partir des années 1950, il a construit des barrages sur tous les grands fleuves, ce qui ralenti le transport des sédiments à la mer. Tout cela modifiera la nature des sédiments le long de toutes les côtes, ce que ne manqueront pas de remarquer les géologues du futur quand ils étudieront les roches sédimentaires déposées à notre époque. Et ces séries sédimentaires atypiques seront contemporaines des roches à verre et à plomb !

Homo sapiens est à l’origine d’un réchauffement climatique et d’une acidification des océans, ce qui se marquera dans la nature des fossiles et dans la géochimie des roches. Il y a déjà eu dans le passé (et il y aura dans l’avenir) de telles variations climatiques naturelles, mais jamais si rapides, et toujours en relation avec d’autres phénomènes géologiques ou astronomiques. Si les géologues du futur sont « bons », ils remarqueront que « notre » réchauffement et « notre » acidification sont différents des autres. Et comme par hasard, ce réchauffement s’avèrera contemporain de séquences sédimentaires atypiques, de couches à plomb et à verre…

Les profondes modifications de la biosphère

Homo sapiens commence à être responsable de profondes modifications de la biosphère. Cela se remarquera-t-il dans les fossiles découverts par des géologues dans 66 Ma ? Il y a bien sûr les raréfactions –extinctions des « grosses » espèces emblématiques comme les rhinocéros … Mais ce genre d’espèces se fossilise rarement. Il y a aussi et surtout la raréfaction des espèces victimes de la modification des milieux, de l’usage des pesticides (lombrics, insectes …).

Pour l’instant, ces espèces se raréfient mais ne sont pas (encore) éteintes ; et si Homo sapiens redevient raisonnable, les populations se reconstitueront. Et ce genre d’espèce se fossilise assez mal. Ce qu’on leur fait subir ne sera pas si évident pour des géologues du futur lointain. Il y a aussi les espèces marines sur-pêchées qui se fossilisent bien mieux que les espèces terrestres. La raréfaction ou la disparition de certains poissons ou céphalopodes se remarquera très vraisemblablement dans les fossiles, ainsi que la modification des écosystèmes que cela entraine.

Par exemple, les géologues du futur remarqueront sans doute la disparition des grands prédateurs marins (requins, thon …) qui se fossilisent très bien, et ils verront peut-être (car cela se fossilise mal) leur remplacement par les méduses.

Mais des disparitions, il y en a toujours eu ; et en plus des disparitions, Homo sapiens est responsable d’une homogénéisation de la biosphère, homogénéisation sans équivalent dans les archives géologiques. L’Homme transporte, volontairement ou involontairement, des espèces d’un continent à l’autre, d’une mer à l’autre. Par exemple, le pollen de maïs (les grains de pollen se fossilisent très bien), initialement cantonné à l’Amérique centrale, se retrouvera sur tous les continents.

Les os de Gallus gallus (le poulet), initialement espèce asiatique se retrouve partout sur Terre, et les fossiles de mammifères placentaires remplaceront progressivement les fossiles de marsupiaux en Australie. Une telle séquence de disparition-homogénéisation des espèces fossiles ne pourra pas ne pas être remarquée par des géologues explorant les strates de notre planète dans 66 Ma.

Il n’y aura pas d’Anthropocène !

Toutes ces modifications entraineront-elles la création d’une époque « anthropocène » par les géologues (non humains) du futur ? Les époques géologiques, selon nos critères du XXIème siècle, ont une durée de quelques millions d’années (6 Ma en moyenne). Nos perturbations ne dureront pas si longtemps, sauf les extinctions biologiques, irréversibles, dont les effets seront « éternels ». Par exemple, le réchauffement climatique, catastrophique pour nos enfants, ne durera que ce que dureront les réserves de carbone fossile, quelques siècles tout au plus. Et surtout, Homo sapiens est une espèce de mammifère, et les espèces de mammifère ne durent, statistiquement, qu’1 Ma.

Nous aurons disparu rapidement (au sens géologique) et naturellement, disparu avec descendants (Homo rescapus) ou sans descendants, et notre action sur la planète s’arrêtera par la force des choses. Et on disparaitra peut-être encore plus vite si on ne devient pas raisonnable. Il n’y aura pas « d’époque géologique de l’Homme », car nous ne durerons pas assez longtemps.

Il n’y aura pas d’Anthropocène !

Mais il y aura par contre une crise anthropique, comme il y a eu une crise Crétacé-Tertiaire (celle qui a vu la disparition des dinosaures non-aviens). On peut remarquer que sur les cinq grandes crises biologiques que la Terre a subit depuis 600 Ma (il y en a eu d’autres avant, mais moins bien documentées), une semble la conséquence de la vie elle-même : la crise tardi-dévonienne (375 Ma).

Cette crise biologique qui a vu la disparition de 30% des espèces (essentiellement marines) est la conséquence indirecte du développement des arbres sur les continents, avec une cascade de perturbations en chaine aboutissant à l’anoxie des mers. Mais si les arbres apparaissant au Dévonien ont été la cause d’une crise majeure, ils ne le savaient pas, eux, alors que nous, nous le savons. Une différence majeure devant le grand tribunal de la géologie.

 

Temps géologique et temps historique, mercredi 18 décembre aux Halles du Faubourg à 18h30.

Avec Pierre Cornu, historien, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2 et membre du Laboratoire d’Etudes Rurales ; et Pierre Thomas, géologue, professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (Laboratoire de Géologie de Lyon : Terre, Planète, Environnement).


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